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L’envers de la médaille du Système d’échanges de quotas d’émissions de l’Union européenne –vu par l’industrie des pâtes et papiers

E. Hyvärinen

Esa Hyvärinen est Directeur Environnement de la Confédération des industries papetières européennes, à Bruxelles, Belgique.

Les fabricants de pâte et de papier craignent que le système européen d’échanges de quotas d’émissions ne pénalise l’industrie.

Les échanges d’émissions du Système mis en place par l’Union européenne (ETS) – qui couvre les émissions de CO2 émanant des industries de production d’énergie, de métaux ferreux et de minéraux (notamment ciment, verre et céramique) et des industries des pâtes et papiers – ont commencé en janvier 2005 pour une période d’essai de trois ans.

Comme la plupart des industries de l’UE, l’industrie des pâtes et papiers a soutenu le principe des échanges d’émissions qui lui semblait très prometteur, comme moyen de mettre en œuvre de façon rentable les mesures de réduction des émissions à travers le circuit commercial normal. Toutefois, la conception du système suscite maintes préoccupations pour la compétitivité des industries communautaires, notamment en raison de son effet catastrophique sur les prix de l’électricité. En outre, il n’est pas certain que ce système soit un mécanisme d’incitation efficace pour réduire les émissions.


COMMENT FONCTIONNE LE SYSTÈME?

Chaque État Membre de l’UE a son propre objectif de réduction des émissions. L’accord de partage des obligations de l’UE, dit «bulle-UE» stipule que certains pays peuvent réduire leurs émissions alors que d’autres peuvent les augmenter, le principal étant que l’Europe des 15 atteigne conjointement son objectif de Kyoto, qui est de réduire ses émissions de 8 pour cent par rapport aux niveaux de 1990. (Les nouveaux États-Membres de l’UE ont des objectifs différents qui ont été arrêtés au Protocole de Kyoto.) Cet objectif, qui couvre non seulement le CO2 mais aussi toutes les émissions de gaz à effet de serre des industries auxquelles s’applique le système ETS européen, constitue la base des plans nationaux d’allocation de quotas qui attribuent à chaque installation individuelle la quantité maximale de CO2 qu’elle est autorisée à émettre. Des gaz à effet de serre et des secteurs supplémentaires pourront être introduits dans le système pour la première période d’échanges (2008-2012) effective, mais cette décision relèvera probablement plutôt des pays individuels que de l’Union européenne.

Le système ETS de l’Union européenne est un système cap and trade (plafonnement et échanges), ce qui signifie que, si les émissions d’une installation dépassent une limite maximale déterminée (cap ladite installation devra acheter des permis (ou droits d’émission) sur le marché. Si ses émissions sont inférieures au plafond, elle aura en revanche des permis à vendre. L’autre formule consiste à opter pour un objectif relatif: dans ce cas le plafond ne s’applique pas au volume des émissions, mais il est fixé en pourcentage de la production.

La majorité des États Membres de l’UE ont décidé d’allouer des quotas aux installations en fonction de leurs émissions passées qui ne sont pas nécessairement égales aux volumes prévus durant la période d’échanges. C’est l’approche des «droits du grand-père», ou des droits acquis. Conformément à la directive, 95 pour cent des quotas ont été accordés à titre gratuit. En fait, la plupart des États Membres de l’UE ont attribué gratuitement tous les quotas de l’allocation initiale.

Les quotas peuvent aussi être alloués en fonction de «niveaux de base» ou au moyen d’enchères. Dans la méthode des niveaux de base qui tient théoriquement compte des actions antérieures, l’objectif fixé est un objectif d’efficience: les installations les plus efficientes sur le plan énergétique, qui émettent moins de CO2 que le niveau de base, auront quelque chose à vendre, alors que les moins efficientes, dont les émissions sont supérieures au niveau de base, devront acheter. En principe, cette méthode pourrait être équitable pour allouer les crédits d’émission, mais cela suppose de résoudre de nombreux problèmes techniques. Dans l’industrie des pâtes et papiers, le même produit peut être fabriqué à partir de différents processus et de différentes matières premières qui ont une incidence sur la consommation d’énergie et les émissions de CO2.

Dans la méthode des enchères, chaque installation a au départ des quotas égaux à zéro et doit acheter les quotas initialement nécessaires sur le marché des droits d’émission. En théorie cette solution devrait elle aussi être efficace, mais comme l’ETS est le seul système européen, il accroît considérablement les coûts à la charge des opérateurs européens et compromet la compétitivité de l’industrie européenne.

Le système ETS de l’Union européenne ne couvre pas les activités forestières, considérées comme incertaines du fait qu’un incendie ou une maladie pourrait détruire la forêt et libérer le carbone qui y est stocké. Les compagnies couvertes par le système ETS peuvent utiliser les crédits au titre de la Mise en œuvre conjointe et du Mécanisme pour un développement propre (MDP) pour remplir en partie leurs objectifs ETS, mais pour l’instant les projets forestiers ne peuvent pas bénéficier des crédits au titre de ces mécanismes.

La quasi-totalité des émissions de CO2 des fabriques de pâtes et papiers sont liées à la combustion de combustibles. Les États Membres de l’UE réservent un traitement différent aux installations de production d’énergie liée à l’industrie des pâtes et papiers; certains les considèrent comme des activités de production d’énergie à part entière, et d’autres comme des éléments de l’industrie des pâtes et papiers. Quelle que soit l’approche, les installations de pâte et papier émettent peu de CO2 et l’industrie des pâtes et papiers joue un rôle modeste dans le système ETS. Sur les 11 500 installations couvertes par le système, 7 pour cent seulement (830) sont des fabriques de pâtes et papiers et l’industrie des pâtes et papiers ne représente que 2 pour cent des quotas attribués dans le cadre du système ETS. Environ la moitié des installations de pâtes et papiers couvertes par le système ETS émettent moins de 25 kilotonnes de CO2 par an, et certaines ont même des allocations égales à zéro étant donné que le système ne prévoit pas de seuil excluant les petits émetteurs. Les installations qui ont des allocations égales à zéro doivent surveiller leurs émissions de CO2 pour s’assurer qu’elles sont vraiment inexistantes.

La majorité des émissions de CO2 des fabriques de pâtes et papiers viennent de la combustion de combustibles; dans cette grande usine située en Finlande, une technologie moderne de récupération supprime presque complètement les émissions

ANDRITZ/HANNU VALLAS

LE SYSTÈME RÉPOND-IL AUX ATTENTES?

Le Système ETS de l’UE a été adopté très hâtivement, d’où ses défaillances qui sont devenues apparentes dès que l’on a commencé à voir les effets des échanges de droits d’émissions de CO2. Le plan visant à mettre au point un système d’échanges a été lancé en mars 2000 et deux ans plus tard, le système ETS de l’UE était adopté. Les États Membres de l’UE n’avaient alors que deux mois et demi pour transposer la Directive ETS dans leurs législation nationale (alors qu’il aurait fallu au moins 18) et ils disposaient de trois mois de plus pour soumettre leur plan national d’allocation à la Commission avant la fin mars 2004.

Pour que le système fonctionne bien, il faudrait que les pays s’accordent sur une multitude de détails, or beaucoup de points doivent encore être clarifiés. Chaque pays a par exemple des règles qui lui sont propres pour l’imposition et la comptabilisation des permis d’émission, pour les nouveaux entrants (nouvelles installations qui entrent en service durant la période d’échanges de quotas d’émission), pour la mise en place de marchés et l’établissement des relevés de transactions pour les échanges, et pour le suivi, la vérification et la notification des émissions. Cependant, l’aspect le plus préoccupant dans la conception et la mise en œuvre du système ETS européen est son effet négatif sur les prix de l’électricité.


Interactions entre les marchés de l’énergie et des droits d’émission

L’interaction entre les marchés de l’énergie et des droits d’émission n’était pas suffisamment bien comprise lorsque le système communautaire a été conçu. Il est clair que les faits nouveaux qui se produisent sur le marché de l’énergie se répercutent directement sur le marché des crédits d’émission. Ainsi, au début de l’année 2005, les précipitations abondantes dans les pays nordiques, ont permis de mettre sur le marché de grandes quantités d’énergie hydroélectrique. Cela s’est traduit par une baisse de la production houillère, qui a entraîné un ralentissement de la demande et une baisse des prix des permis d’émission. Pour prendre un autre exemple, la hausse des prix du pétrole a fait monter les prix du gaz, ce qui a accru la demande de charbon et, par voie de conséquence, de permis d’émissions de CO2.

Ce qui constitue véritablement un vice dans la conception du système de l’Union européenne, c’est qu’il donne aux producteurs d’électricité la possibilité de répercuter non seulement l’augmentation des coûts résultant du système ETS, mais aussi les coûts d’opportunité des permis d’émission qu’ils ont reçus gratuitement. Lorsque les échanges de quotas d’émissions ont démarré, les permis reçus gratuitement ont également acquis une valeur qui a été déterminée sur le marché des permis d’émission. Les producteurs d’électricité, comme du reste d’autres industries, avaient alors deux options: soit produire de l’énergie et des émissions et utiliser les quotas, soit s’abstenir de produire de l’énergie et vendre les quotas sur le marché des permis d’émission, en empochant au passage le prix des permis d’émission sur le marché.

Les producteurs qui optent pour la production d’électricité devraient donc pouvoir compter sur un revenu additionnel égal au montant perdu en renonçant à vendre les permis d’émission sur le marché. En raison de la structure du marché européen de l’électricité et de la nature de ce produit (l’électricité ne peut pas être importée en provenance de pays extérieurs à l’UE, de sorte que son prix est fixé au niveau local et non mondial; elle ne peut pas être achetée quand les prix sont bas, puis stockée; et elle ne peut pas être remplacée par d’autres produits), les producteurs d’électricité peuvent répercuter la quasi-totalité du prix des permis d’émission de CO2 sur les prix de l’électricité.

L’industrie des pâtes et papiers, en revanche, ne peut répercuter ces coûts car les prix de ses produits sont déterminés sur le marché international (contrairement aux prix de l’électricité qui sont fixés au niveau local et qui varient considérablement au sein de l’UE). Il y aura donc une importante distribution de richesses ou des transferts de revenu considérables, des industries grandes consommatrices d’énergie vers les producteurs d’électricité.

Il existe une corrélation très étroite entre les prix des permis d’émissions de CO2 et ceux de l’électricité – le facteur de corrélation est de l’ordre de 0,95 (voir figure). Le prix d’un quota au début du mois de janvier 1995, était légèrement supérieur à 8 euros par tonne de CO2; il a culminé à 30 euros en juillet 2005, et était de 22 euros à la mi-septembre 2005. Le prix de l’électricité (prix à terme sur le marché allemand pour 2006) était de l’ordre de 34 euros par mégawatt/heure (MWh) en janvier 2005, d’un peu plus de 45 euros en juillet 2005 et de 43 euros au milieu du mois de septembre 2005. Pour l’industrie européenne des pâtes et papiers, qui achète environ 65 millions de MWh d’électricité chaque année, cette hausse de prix d’environ 25 pour cent se traduit par un coût additionnel de 780 millions d’euros. L’impact est désastreux et n’a aucune justification environnementale. Étant donné qu’une seule période d’essai est prévue, les producteurs de pâtes et papiers auraient probablement intérêt à demander qu’on leur rende leur argent.


Objectifs environnementaux

Le système ETS de l’Union européenne ne semble pas avoir un grand pouvoir d’incitation pour réduire les émissions. Lorsque les quotas sont alloués pour chaque période d’échange sur la base des «droits du grand-père» le système peut très bien récompenser l’inaction plutôt que l’action; si l’allocation future est fonction des émissions passées, à quoi bon les réduire? Pour l’industrie de l’électricité, principal émetteur et acteur dans ce système, l’incitation à réduire les niveaux d’émissions de CO2 est tout à fait improbable étant donné que l’industrie peut répercuter sur les consommateurs, non seulement les coûts réels supportés dans le cadre du système ETS, mais aussi les coûts d’opportunité.

Le système ETS de l’Union européenne se révèle donc être un essai très coûteux qui ne répondra pas aux attentes environnementales et qui constituera un fardeau disproportionné pour les industries manufacturières de l’UE.

Corrélation entre les prix de l’électricité et les prix des permis d’émission de CO2 en vertu du système ETS de l’UE


L’AVENIR DES ÉCHANGES DE PERMIS D’ÉMISSIONS

Le fait que le système ETS de l’Union européenne offre aux fournisseurs d’électricité la possibilité de répercuter sur les consommateurs l’intégralité des coûts d’opportunité est un vice de conception évident qu’il convient de corriger immédiatement. Cela peut être fait de plusieurs manières, par exemple en plafonnant le prix des permis d’émissions, ou en supprimant la possibilité de les utiliser ou de les vendre en reliant la quantité de quotas alloués à la production réelle d’électricité. L’imposition d’une taxe pour réduire les profits excessifs des fournisseurs d’électricité ne changerait rien au problème pour les industries, qui n’en retireraient pratiquement rien.

La Commission européenne a commencé à travailler sur une Directive révisée sur les échanges de quotas d’émissions qui sera proposée au milieu de l’année 2006 et effective pour la période commençant en 2013. Les États Membres de l’UE préparent actuellement leurs Plans nationaux d’allocation de quotas pour la période 2008-2012. Il faut espérer qu’ils auront tiré les leçons de l’expérience.

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