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Échelle, marchés et économie: les petites entreprises dans un environnement en voie de mondialisation

C.T.S. Nair

C.T.S. Nair est économiste principal, Division de l’économie et des politiques forestières, Département des forêts, FAO, Rome.

Dans de nombreux secteurs, les petites entreprises ont longtemps dominé l’activité économique, mais elles devront relever de nouveaux défis dans le cadre de la mondialisation. Quels enseignements ces petites entreprises peuvent-elles tirer du scénario global?

«Des rendements accrus s’obtiennent, dans un système mécanique, par le passage à une plus grande échelle. Davantage de puissance veut dire davantage de production: plus la taille est grande, meilleurs seront les résultats. Mais ce principe ne s’applique pas aux systèmes biologiques. Dans ce domaine, la taille suit les fonctions.…C’est pourquoi, de plus en plus souvent, la question de la taille adaptée à une tâche donnée revêtira de l’importance. Qui s’acquittera mieux de cette tâche: une abeille, un oiseau-mouche, une souris, un chevreuil ou un éléphant? Ils sont tous nécessaires, mais pour différentes tâches et dans un milieu écologique différent.» Drucker, 1990

Un article de fond de la revue Time de décembre 2005 a mis en évidence le déclin de l’industrie italienne du mobilier en bois, si renommée jadis, déclin attribué principalement à la concurrence des exportations chinoises (Gumbel, 2005). Il est intéressant de noter que, tant en Italie qu’en Chine, le mobilier est produit, dans une large mesure, par de petites et moyennes entreprises. Indépendamment de leur taille, même des entreprises établies de longue date et florissantes, comme dans le cas de l’industrie italienne du mobilier, sont vulnérables aux changements survenant dans leur environnement extérieur. Il n’y a là rien de nouveau, à l’exception du fait que le rythme accéléré de la mondialisation et l’apparition d’un «monde plat» (Friedman, 2005) ont multiplié les incertitudes, et que ces changements sont mieux documentés et communiqués maintenant que ce qu’ils ne l’étaient autrefois.

Les petites entreprises jouent un rôle important dans presque tous les secteurs – agriculture, élevage, pêche, forêts, industries, services, etc. – et, dans certains pays, elles sont à la base des moyens d’existence de la majorité de la population. La plupart des petites entreprises étaient, traditionnellement, conçues pour satisfaire la demande des marchés locaux. Pour atteindre des marchés plus importants, elles doivent augmenter le volume ou la valeur de la production. Dans un milieu commercial orienté principalement vers le développement des grandes entreprises, les petites entreprises opèrent dans des conditions inégales. La mondialisation a ajouté une nouvelle dimension à ce déséquilibre; parallèlement aux nouvelles occasions, sont apparus de nouveaux enjeux, notamment lorsque les différences politiques, sociales, économiques et techniques entre les pays renforcent les inégalités. La gestion de cette disparité est devenue le thème principal des débats sur le commerce mondial et le développement.

Les petites entreprises jouent aussi un rôle important dans la transformation, le transport et la commercialisation des produits ligneux et non ligneux. Dans de nombreux pays, la production elle-même est confiée de façon croissante aux petits exploitants. La fourniture de services environnementaux, comme les loisirs, est un autre domaine où les petites entreprises interviennent de plus en plus souvent.

Le présent article examine certains des problèmes économiques auxquels se heurtent les petites entreprises, y compris celles du secteur forestier. Il étudie les liens entre l’échelle, les marchés et les rendements économiques, en particulier dans le cadre de la mondialisation. Après avoir analysé la dynamique du développement des petites entreprises, en tenant compte des retombées des changements sur les chaînes de valeur, il présente les thèmes clés de leur développement futur et la pertinence des diverses interventions.

MOSAÏQUE DES ENTREPRISES EN ÉVOLUTION

Les entreprises humaines se groupent en diverses catégories en fonction de leur taille. À une extrémité de la fourchette on trouve des unités familiales (micro-entreprises) aux investissements limités, qui exploitent dans une large mesure les ressources et les compétences locales et produisent pour les marchés locaux. Dans le secteur forestier, elles comprennent les entreprises productrices de sciages de long et de charbon de bois ou qui s’occupent de la collecte et de la transformation de produits forestiers non ligneux. À l’autre extrémité se situent les grandes industries dont les investissements s’élèvent à plusieurs milliards de dollars, qui exploitent les ressources quelle qu’en soit la provenance et servent les marchés de tous les continents. Elles sont représentées dans le domaine forestier par les grandes usines de sciage de long, de contreplaqué, et de pâte et papier, les grandes entreprises de plantation et les détaillants de meubles. La répartition des entreprises le long de la fourchette évolue au fil du temps, en fonction des changements intervenant dans l’environnement économique, politique et institutionnel général. Il faut interpréter le nouveau rôle actuel et naissant des petites entreprises dans ce cadre élargi.

Les petites et moyennes entreprises ont dominé tous les secteurs de l’activité économique jusqu’au début de la révolution industrielle, quand les progrès technologiques, en particulier dans le secteur de la fabrication et du transport, on permis à certaines d’entre elles d’accroître leur production. Les grandes entreprises, tant publiques que privées, ont bénéficié considérablement de l’accès amélioré aux intrants et aux nouveaux grands marchés nationaux et mondiaux. Elles sont devenues les symboles du progrès, et influencent les politiques, la législation et les investissements. Un facteur d’une importance considérable a été la naissance des grandes entreprises transnationales, dont la part dans la production et la distribution des produits et services s’est accrue énormément ces dernières décennies, de même que leur incidence directe et indirecte sur les politiques nationales et internationales.

Néanmoins, les petites entreprises restent un segment dynamique de la plupart des économies. Malgré les efforts accomplis pour leur fournir une identité fondée sur des critères comme la taille de l’exploitation, le nombre d’ouvriers employés et le capital investi, les petites entreprises réalisent des activités fortement hétérogènes. Elles fournissent une variété de produits et de services, utilisant des techniques diverses et répondant à la demande de différents marchés. L’attention accrue qui est accordée à leur développement est due, pour une large part, à leur rôle dans l’augmentation des revenus et de l’emploi, la production de biens fondamentaux et la réduction de la pauvreté (FAO, 2005; Kozak, 2007).

Le grand nombre de leurs démarrages et clôtures traduit le dynamisme du secteur. Les petites entreprises incarnent l’initiative individuelle car, les besoins d’investissement étant faibles et leur accès étant relativement facile, les particuliers peuvent courir des risques et investir dans les petites entreprises et se retirer quand les affaires se détériorent. On peut donc dire que de nombreuses petites entreprises n’ont pas les compétences et ressources nécessaires pour opérer avec efficacité et sont mal préparées à faire face aux problèmes qu’elles doivent affronter. Notamment, elles ont de grandes difficultés à attirer des compétences intéressantes en matière de gestion.

De ce fait, le nombre de fermetures des petites entreprises est très élevé. En Inde, par exemple, près de 37 pour cent des 23 millions de petites usines recensées en 2001/2003 étaient fermées. Les données détaillées relatives à 750 000 unités actives ont montré qu’environ 14,5 pour cent se heurtent à des problèmes, tels que la diminution de plus de 50 pour cent de la valeur nette, des retards de plus de 12 mois dans le remboursement des prêts ou une baisse de la production brute pendant trois années consécutives (Gouvernement de l’Inde, 2003). D’après la majorité de ces entreprises, le problème principal résidait dans l’absence de demande.

Malgré le fléchissement de la demande de produits traditionnels, comme les paniers et les nattes en bambou, de nouveaux marchés voient le jour – ces structures en bambou provenant de la Chine sont vendues au Royaume-Uni et servent de kiosques pour les cuves thermales, le jardinage ou les loisirs
UK Bamboo Supply

LE MONDE DYNAMIQUE DES PETITES ENTREPRISES

L’avenir des petites entreprises, y compris celles du secteur forestier, dépendra dans une large mesure de leur capacité à s’adapter à l’évolution des marchés, aux améliorations technologiques, à la transition du secteur informel au secteur formel et aux caractéristiques des chaînes de valeur dont elles font partie.

Nouveaux marchés et échelle de production

La taille des entreprises est étroitement liée à celle des marchés, aux caractéristiques des produits demandés et à la technologie adoptée. Les difficultés de transport ont fortement favorisé la production, la transformation et le marché à petite échelle des produits forestiers ligneux et non ligneux dans de nombreux pays. Tant la demande de produits que l’approvisionnement en intrants ont été dictés par la situation socioéconomique locale qui privilégiait l’adoption de techniques traditionnelles simples.

Toutefois, au cours de ces dernières décennies, les produits demandés et, par conséquent, les caractéristiques des entreprises, ont changé notablement. À mesure que baisse la demande de nombreux produits traditionnels, de nouveaux marchés voient le jour. Les produits à base de bambou en sont un exemple. Dans de nombreux pays, la petite production de paniers et tapis en bambou répondait à la demande du secteur agricole – jusqu’au moment où de nouvelles pratiques agricoles et l’apparition de produits de substitution, le plastique en particulier, ont affaibli la demande. Cependant, les nouvelles techniques et les nouveaux marchés ont stimulé la création d’entreprises produisant une variété d’autres articles en bambou, y compris les objets d’artisanat et les panneaux. Toutefois, celles qui ont subi des pertes à cause de la baisse de la demande de produits traditionnels ne sont pas nécessairement celles qui ont profité des nouvelles occasions.

Servir les marchés de masse exige une augmentation des opérations à un certain stade de la chaîne de valeur. Les économies d’échelle sont particulièrement importantes dans la transformation mécanisée, le transport, l’innovation et la commercialisation. Les sciages, les panneaux et en particulier la pâte et le papier sont produits de façon croissante dans de grandes usines, ce qui permet de réduire les coûts unitaires et d’accroître, par là même, l’avantage concurrentiel par rapport à la petite production. Les économies d’échelle sont moins évidentes dans les processus de production qui exigent la présence de terre et de main-d’œuvre, comme l’illustre l’importance croissante accordée à la participation des petits exploitants à la production de bois par le biais de partenariats entre l’industrie et les communautés.

Innovation et échelle de production

À mesure que les caractéristiques des produits demandés par le marché se modifient, il devient nécessaire d’en perfectionner les techniques. Les petites entreprises performantes investissent des ressources substantielles dans l’innovation afin de créer de nouveaux produits ou améliorer ceux existants, et notamment de les promouvoir. Toutefois, les économies d’échelle dans les domaines de l’innovation et de la commercialisation donnent un avantage particulier aux grandes entreprises. En effet, nombre de ces dernières les utilisent comme des compétences de base, tout en confiant la production aux petites usines. L’investissement dans l’innovation comporte des risques élevés; rares sont les petites entreprises qui s’aventurent dans le développement et la promotion du produit. En outre, les grandes entreprises sont mieux placées pour protéger leurs innovations, à l’aide, par exemple, de brevets.

Ces dernières années, l’intensité technologique et de capital de la production a cru énormément tant en ce qui concerne les petites entreprises que les autres. Celles qui dépendent entièrement de facteurs de production naturels, notamment la terre et la main-d’œuvre non qualifiée, sont incapables de servir des marchés qui exigent maintenant des produits de haute qualité, raffinés et transformés.

Pourtant de nouveaux outils de production miniaturisés sont en train de révolutionner la petite production. Les petites entreprises forestières à faible intensité technologique seront sans doute supplantées par d’autres à plus forte intensité technologique et plus efficaces. 

Échelle, coûts de transaction et secteur informel

Un pourcentage élevé de petites entreprises, en particulier dans les pays en développement, opèrent dans le secteur informel, hors du cadre des règlements établis. Il est relativement facile d’entrer et de sortir de ce secteur, d’où sa prédominance dans des situations où les revenus sont faibles. Le caractère informel oblige aussi les entreprises à opérer à une échelle réduite et à être moins «visibles», comme c’est le cas pour de nombreuses petites entreprises forestières. Ces entreprises ne contribuent souvent que partiellement au revenu et à l’emploi des propriétaires et des travailleurs. Pour de nombreuses petites entreprises forestières (qui ramassent et transforment les produits forestiers non ligneux, produisent du charbon de bois et des sciages et s’occupent d’arboriculture), ces activités sont à temps partiel ou saisonnières.

La prépondérance du secteur informel est aussi due aux énormes barrières qui interdisent l’accès au secteur formel, dont des règlements et procédures complexes (Banque mondiale, 2006) et, dans le secteur forestier, des droits de propriété incertains. Dans de nombreux pays, l’enregistrement des entreprises est une démarche extrêmement tortueuse et longue, qui comporte souvent des coûts énormes, y compris des pots-de-vin. Pour la plupart des petites usines, ces coûts sont exorbitants par rapport aux avantages tirés de l’entrée dans le secteur formel. Suivant la situation générale de la gouvernance et de la transparence, les coûts de transaction que les petites entreprises doivent supporter peuvent être très élevés. Les incitations à travailler dans le secteur informel sont donc extrêmement fortes (voir l’encadré).

Toutefois, opérer dans le secteur informel impose un grand nombre d’autres coûts. Ce secteur est encombré, abaissant les revenus et provoquant l’épuisement des ressources. C’est ce qui a lieu notamment dans le secteur forestier, pour la collecte de produits forestiers ligneux et non ligneux, par exemple. Naturellement, le secteur informel a aussi ses règlements, mis en application par des particuliers ou des groupes opérant hors du cadre des systèmes établis (ce qui criminalise l’activité). L’élimination des barrières à l’accès et la réduction des coûts de transaction paraissent être le seul moyen d’encourager les petites entreprises à passer du secteur informel au secteur formel. 

Étendue de l’économie informelle et part des petites et moyennes entreprises

La taille de l’économie informelle et la part des petites et moyennes entreprises varient en fonction de leur développement. Normalement, dans les pays à faible revenu, les activités informelles, qui comprennent les petites et moyennes entreprises, représentent 47 pour cent du produit intérieur brut (PIB), alors que les petites et moyennes entreprises enregistrées contribuent pour 16 pour cent et les grandes entreprises absorbent le reste. Dans les pays à revenu moyen et élevé, la part des activités informelles dans le PIB baisse à 31 et 13 pour cent, respectivement, alors que celle des petites et moyennes entreprises augmente pour atteindre 39 et 51 pour cent, respectivement. Cette augmentation énorme de la part des petites et moyennes entreprises est due à l’amélioration du contexte commercial, en particulier la réduction des coûts de transaction que comporte le passage au secteur formel.

Source: ILO, 2007.


Dans le passé, les petites entreprises – y compris un grand nombre d’entreprises forestières – ont opéré dans le secteur informel, faisant partie de chaînes de valeur locales où les possibilités d’accroître les revenus sont faibles (marché d’objets d’artisanat locaux, Brésil)
FAO/CFU000649/R. Faidutti

Chaînes de valeur et petites entreprises

L’un des impacts les plus importants de la mondialisation a été la croissance accélérée du commerce international et les changements correspondants dans les chaînes de valeur. Une chaîne de valeur est représentée par les séries connectées d’entreprises, activités, ressources et connaissances participant à la création et la fourniture de produits et services aux utilisateurs finals.

À mesure qu’augmente le volume de production commercialisée, le pourcentage de produits importés présents dans le panier de consommation s’accroît, déterminant la croissance des chaînes de valeur mondiales et la contraction, ou la stagnation correspondante, des chaînes de valeur locales. Le bon rendement à long terme des petites entreprises dépendra de leurs liens avec les chaînes de valeur et de la mesure dans laquelle elles sont à même d’influencer la distribution des avantages qui en découlent. Alors que les chaînes de valeur peuvent être locales, régionales, nationales ou mondiales, pour faciliter notre analyse nous nous occuperons des chaînes de valeur locales et mondiales.

Chaînes de valeur locales. De tout temps, les petites entreprises – y compris le grand nombre d’entre elles qui sont axées sur la forêt, comme les entreprises produisant des paniers et tapis en bambou, du charbon de bois, des sciages, des meubles et des produits forestiers non ligneux – ont fait partie de chaînes de valeur locales qui se caractérisent pas le nombre limité de stades entre la production, la transformation, le commerce et les utilisations finales. Parfois, beaucoup de ces fonctions confluent dans une seule entreprise.

Le revenu créé par les petites entreprises dépend largement de la nature de la demande locale et de la situation générale de l’économie locale. Les entreprises qui approvisionnent des marchés à faible revenu, propres à la majorité des pays en développement, ont souvent des difficultés à survivre économiquement. Rares sont celles capables de produire des excédents qui pourraient être réinvestis dans les améliorations de l’entreprise. Dans bien des cas, les petites entreprises forestières sont plus isolées des marchés et des services de base (comme les crédits) et sont opérées par les groupes de la société (souvent les populations autochtones) les plus faibles au plan social et économique. N’ayant que des occasions limitées, ces groupes retirent moins de revenus de telles entreprises et sont donc moins capables d’investir dans la meilleure qualité du produit, d’accroître la production et d’améliorer la gestion de l’entreprise.

S’élever dans la chaîne de valeur comporte des coûts importants pour les petites entreprises, y compris l’augmentation de leur production et leur entrée dans le secteur formel. Les petites entreprises sont aussi vulnérables à la concurrence des producteurs à faible prix ailleurs, en particulier quand la qualité ou les caractéristiques des produits paraissent plus attrayantes. Dans de nombreux cas, la production à faible coût liée aux chaînes de valeur mondiales a pratiquement décimé les petites entreprises locales.

L’avenir des petites entreprises liées aux chaînes de valeur locales, surtout dans les milieux à faible revenu, est précaire. À mesure que le revenu croît et que les modes de vie évoluent, les entreprises doivent perfectionner leurs produits si elles veulent éviter de perdre complètement leur part du marché. Les entreprises forestières traditionnelles liées aux chaînes de valeur locales se heurtent à des problèmes particuliers du fait qu’elles dépendent, pour une large part, de matières premières de faible valeur obtenues localement et d’une main-d’œuvre non qualifiée.

Une petite entreprise qui fournit une assistance aux personnes marginalisées ou isolées par rapport aux marchés et aux services: un expert montre aux populations autochtones vivant dans les montagnes de la Sierra Madre, aux Philippines, comment extraire la résine d’almaciga (copal de Manille), qui sera exportée et utilisée dans la fabrication de vernis, peintures, savons, encres d’imprimerie et pour l’apprêtage du papier
FAO/FO-6089/A. Ella

Chaînes de valeur mondiales. À mesure que progresse la mondialisation, la portée des chaînes de valeur mondiales s’étend. Elles comportent de multiples acteurs et stades, reliant la production, la transformation, la logistique, la publicité, la vente en gros et le commerce de détail – et sont donc complexes à gérer. Ces chaînes de valeur transforment la production, le commerce et l’investissement (Abonyi, 2007), et contribuent à accroître le volume de production et à faciliter l’amélioration de la transformation. La survie des petites entreprises dépend de façon croissante de leur capacité de se relier aux chaînes de valeur mondiales. Même les services environnementaux, comme la fourniture de matériel de récréation, le piégeage du carbone et la protection de la biodiversité, imposeront le développement d’activités qui exigent un minimum de liens avec les chaînes de valeur mondiales.

La part des avantages que les petites entreprises tirent de leur participation aux chaînes de valeur mondiales dépend du caractère irremplaçable de leur contribution, de leur compréhension du fonctionnement général de la chaîne de valeur, de la transparence de l’information et de la communication le long de la chaîne de valeur, et de leur pouvoir de négociation. Il existe des différences énormes à cet égard entre l’adhésion à une chaîne de valeur établie et la création d’une chaîne entièrement neuve.

Les chaînes de valeur établies peuvent faciliter le processus d’augmentation ou d’amélioration qualitative de la production nécessaire pour exploiter les marchés éloignés. Les facteurs de croissance importants, comme la conception du produit, la logistique, le marquage et la vente de détail, sont accaparés par des acteurs mondiaux, alors que les petites entreprises se concentrent sur la production. Cependant, ces petites usines qui connaissent mal le fonctionnement de chaînes de valeur aussi vastes pourraient ne pas bénéficier pleinement de leur adhésion, même si le produit finit par être écoulé sur des marchés à revenu élevé (voir l’encadré). Pour participer à certaines chaînes de valeur mondiales dirigées par des organisations transnationales de vente au détail, les entreprises doivent respecter des caractéristiques techniques et des calendriers de livraison rigoureux qui pourraient compromettre leur indépendance, initiative et souplesse.

Les petites entreprises dans une chaîne de valeur mondiale établie: l’exemple de l’industrie du mobilier en bois

Dans l’industrie du mobilier en bois, les détaillants transnationaux qui dirigent les principales fonctions obtiennent une part importante de la valeur finale des produits (Kaplinsky, Morris et Readman, 2002). La baisse des prix unitaires a forcé les détaillants à se procurer les approvisionnements de pays où les coûts sont faibles, transférant l’emplacement de la production de meubles, par exemple, dans certains pays d’Europe de l’Est, en Chine, au Viet Nam et en Indonésie (Kaplinsky et Readman, 2005). Cette course vers le bas a accru la concurrence parmi les petites entreprises qui approvisionnent souvent la même chaîne de valeur mondiale – entraînant une réduction des salaires, des conditions de travail inacceptables, voire même l’utilisation de bois récolté illégalement (Loebis et Schmitz, 2005). Dans certains cas, comme pour l’industrie du mobilier en Afrique du Sud, la croissance des exportations a effectivement abouti à une baisse du revenu réel (un phénomène connu sous le nom de croissance qui détermine la misère) (Kaplinsky, Morris et Readman, 2002).


Ce fabricant de yachts de luxe aux États-Unis a sa fabrique dans le sud de la Chine où les coûts sont faibles
Marlaw Marine Sales

Là où existent des chaînes de valeur bien établies, il est extrêmement difficile d’en créer de semblables, ce qui laisse aux petites entreprises très peu de marge pour accroître leur accès au marché. Les pressions publiques, notamment des groupes de consommateurs, pourraient aider à assurer la responsabilité sociale et environnementale, permettant une distribution loyale des avantages parmi les participants à la chaîne de valeur. Le code volontaire des pratiques de travail de l’Initiative du commerce éthique, par exemple, une alliance de sociétés, syndicats et organisations non gouvernementales, a contribué considérablement à améliorer les conditions de travail (Barrientos et Smith, 2006). Les organisations de commerce équitable ont aidé à mettre en place de nouvelles chaînes de valeur qui visent les créneaux, tirant parti de la volonté des consommateurs de payer un prix plus élevé pour des produits qui sont durables sur le plan environnemental et socialement acceptables (Redfern et Snedker, 2002). La création de telles nouvelles chaînes de valeur a permis de revitaliser les petites entreprises (voir l’encadré). Toutefois, un nouveau gros problème concernant les créneaux est leur instabilité, en particulier quand les techniques de production et de transformation peuvent être aisément reproduites.

Bien que les chaînes de valeur mondiales offrent aux petites entreprises de nouvelles occasions de surmonter certaines des contraintes du marché, leur adhésion est fortement subordonnée à leur capacité de respecter les normes de qualité du produit. Certaines petites entreprises doivent opérer dans une situation plus formelle et améliorer leurs compétences en matière de production et de gestion. L’adhésion aux normes internationales, notamment en ce qui concerne la santé et la sécurité, est indispensable. Ces exigences dépassent souvent leurs capacités, ce qui entraîne leur exclusion de marchés plus intéressants (Abonyi, 2007). C’est ainsi que l’accès aux marchés des produits forestiers certifiés est beaucoup plus facile pour les grandes plantations industrielles que pour les petits exploitants.

Création de nouvelles chaînes de valeur:
la production manuelle de papier au Népal

Au Népal, la production manuelle de papier fondée sur le lokta (les espèces forestières Daphne bhoula et Daphne papyracea) remonte au moins au douzième siècle, quand le papier était produit dans plusieurs endroits pour les registres publics et les textes religieux. À la suite de la concurrence due aux importations, d’abord d’articles en papier fabriqués à la main du Tibet dans les années 30 et ensuite du papier fabriqué à la machine de l’Inde dans les années 60, l’industrie du papier fabriqué à la main au Népal s’était pratiquement effondrée. Les connaissances traditionnelles sur la production du papier à base de lokta se limitaient à quelques familles seulement dans les districts de Baglung et de Parbat. La croissance du tourisme dans les années 70 a entraîné la reprise de l’industrie et mis en évidence, par la suite, l’occasion d’exploiter les marchés internationaux. Le projet UNICEF/Agricultural Development Bank of Nepal (ADBN) «Développement communautaire par la production de papier fait à la main», lancé en 1980, a profité des débouchés favorables du marché en facilitant la création d’une chaîne de valeur mondiale. Une fabrique artisanale a été créée dont les produits finals comprennent les cartes de vœux de l’UNICEF. À l’heure actuelle, il existe environ 600 usines de papier fabriqué à la main dans le pays, y compris 377 usines enregistrées. Sur ce chiffre, 175 produisent environ 30 000 tonnes d’articles en papier annuellement. L’industrie va croissant à un taux annuel de 16 pour cent et le papier est fabriqué maintenant dans 16 districts de montagne. La participation de la communauté à la gestion des forêts, par l’entremise de groupes d’utilisateurs de la forêt, a favorisé la régénération de Daphne spp., et un grand nombre de ces groupes d’utilisateurs se consacrent à la production manuelle du papier. D’après les statistiques, l’industrie emploie environ 28 000 personnes dont plus de 70 pour cent sont des femmes.

Source: Biggs et Messerschmidt, 2005; Subedi, Binayee et Gyawali, 2006.


INTERVENTIONS À L’APPUI DES PETITES ENTREPRISES

De nombreux types d’intervention ont été tentés pour promouvoir le développement des petites entreprises, y compris celles du secteur forestier. Parmi les exemples figurent les suivants:

S’il est vrai que certaines de ces interventions ont visé à compenser les pertes de la petite production, la plupart ont été réalisées afin d’atteindre des objectifs socioéconomiques plus généraux, comme l’emploi et la création de capital, la réduction de la pauvreté et le développement rural.

L’affectation de produits exclusivement aux petites entreprises s’est révélée inefficace. Elle a freiné la concurrence, encouragé l’inefficacité et interdit l’évolution de petites entreprises vigoureuses. Beaucoup de ces petites entreprises dépendent désormais de mesures protectionnistes et de subventions publiques élevées, ce qui compromet leurs innovations à long terme, leurs gains en efficience et leur capacité de soutenir la concurrence dans un environnement mondial (Bhavani, 2006).

La fourniture de services de développement des entreprises dans la plupart des pays en développement a relevé largement du domaine public et s’est révélée inefficace et fortement dépendante des subventions publiques. La fourniture est de plus en plus fréquemment le fait d’associations, coopératives ou groupes qui opèrent souvent avec efficacité, comme dans le cas des associations d’arboriculteurs dans certains pays, ou de groupes de producteurs de meubles. Toutefois, leur efficacité dépend, dans une large mesure, de l’environnement général, politique, social et économique.

Une attention croissante a, dès lors, été accordée à l’amélioration du contexte commercial dans son ensemble, afin d’éliminer les barrières économiques auxquelles se heurtent les entreprises. Cela est particulièrement important pour réduire les coûts des opérations commerciales et pour faciliter le passage des activités informelles aux activités formelles, ce qui offre de nombreuses occasions aux petites entreprises, y compris un meilleur accès au crédit, aux marchés et aux technologies. Un contexte commercial amélioré encourage aussi l’innovation et l’esprit d’entreprise et permet de mobiliser des ressources à partir de la «base de la pyramide» (Prahalad, 2005) à savoir, les nombreuses personnes appartenant à la strate des faibles revenus qui reste actuellement inexploitée. Cependant, la création d’un contexte commercial favorable est un défi de taille, car elle est étroitement liée à l’amélioration de la gouvernance et au développement politique, social et économique, élargi.

Avec les progrès de la mondialisation, la plupart des pays font face à un dilemme important à savoir, comment protéger les entreprises nationales contre la concurrence déloyale réelle et perçue due aux importations. Il est vrai que des différences politiques, économiques et institutionnelles entre les pays entraînent des inégalités, offrant des avantages concurrentiels à ceux qui opèrent dans un milieu propice. La demande de barrières protectionnistes pour éviter la concurrence «déloyale» sera forte mais devrait être évitée en faveur de la création de capacités intérieures, parallèlement à une ouverture progressive à la concurrence (Bhagwati, 2004).

Les créneaux et les chaînes de valeur locaux offrent des occasions intéressantes aux petites entreprises forestières: une petite entreprise au Pakistan fabrique des crosses et des battes à cricket pour le marché international
FAO/FO-5692/P.Durst

LES PETITES ENTREPRISES: ROMANTISME OU RÉALITÉ?

Ce que deviendront les petites entreprises, y compris celles du secteur forestier, dépendra dans une large mesure de l’évolution globale, sociale, économique et technologique. Elles continueront certainement à jouer un rôle important dans la production de biens et services et la création d’emplois et de revenus considérables dans la plupart des pays, tant en développement que développés. Cependant, le caractère de ces entreprises subira des changements, dictés par la nouvelle demande. De nombreuses entreprises traditionnelles disparaîtront sans doute à mesure que la demande s’oriente vers de nouveaux produits. Simultanément, de nouveaux débouchés se présentent parallèlement à l’abandon, par les producteurs de produits ligneux et non ligneux, du grand secteur public et des entités sociales importantes. Bien que de nombreuses petites entreprises se relieront étroitement aux chaînes de valeur mondiales, d’autres continueront à opérer indépendamment, visant les créneaux nationaux et mondiaux. Le passage des biens produits en masse aux biens faits sur mesure favorisera particulièrement les petites entreprises.

Notamment, les progrès des technologies de l’information et des communications bénéficieront considérablement aux petites entreprises, les aidant à s’orienter vers de nouveaux domaines de production. Ces technologies commencent déjà à réduire les désavantages auxquels faisaient face les petites entreprises pour obtenir des informations sur les marchés et les prix (Moodley, 2003). Le commerce électronique réduit les coûts de transaction (Cox, 2004), et les améliorations des techniques de transport facilitent la vente de petits lots de marchandises. Les limites des marchés locaux s’étendent, dans une certaine mesure, au-delà de ce qui a été traditionnellement considéré comme local. Ceux qui sont à même de profiter des ces outils supplanteront ceux qui n’en sont pas capables. Le développement permanent des technologies deviendra indispensable pour maintenir la concurrence et, par là même, survivre.

En facilitant le développement des petites entreprises, il faudrait préférer le réalisme aux perceptions romantiques. Le fait d’être petit n’est ni beau ni laid. Suivant le contexte social, politique et économique régnant, les petites entreprises peuvent exploiter la main-d’œuvre et les ressources naturelles de façon défavorable, ou elles peuvent contribuer notablement au développement social et économique et des moyens d’existence des pauvres. Ce qu’il faut c’est une vision objective de ce qu’elles peuvent ou ne peuvent pas accomplir. Les priorités et les stratégies devront tenir compte de la dynamique du changement social à long terme afin d’éviter l’erreur d’appuyer des entreprises simplement parce qu’elles sont petites et axées sur la forêt. L’orientation devrait, dans une large mesure, promouvoir l’esprit d’entreprise et viser à créer un milieu favorable pour que les petites entreprises puissent se développer de façon autonome.

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