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Les petites opérations forestières: exemples de la région Asie et Pacifique

P. Dugan

Patrick Dugan est expert forestier principal, Japan Overseas Forestry Consultants Association (JOFCA) et, actuellement, coordonnateur du projet de la FAO «Renforcer l’exploitation forestière durable en Asie».

Des exemples pris au Viet Nam, en Papouasie-Nouvelle-Guinée et en République démocratique populaire lao montrent comment l’exploitation forestière entreprise à l’aide de la traction animale et de simples outils réduit les dommages causés à l’environnement, tout en créant des emplois et des revenus au profit des communautés pauvres.

Dans les opérations d’exploitation forestière conventionnelles pratiquées dans de nombreux pays aujourd’hui, de grosses grumes sont extraites de la forêt à l’aide de puissants bouteurs, de débusqueuses et d’engins de débardage, empilées sur de grands camions, transportées le long de larges routes, déposées dans de grandes scieries et ensuite passées à travers des scies de tête, des dresseuses, des ébouteuses et des rogneuses pour produire du bois d’œuvre destiné à la construction, à la fabrication de meubles et à d’autres utilisations. L’ampleur de ces opérations est souvent justifiée par le besoin d’obtenir des économies d’échelle dans l’approvisionnement en matières premières des usines industrielles de pâte et papier, contreplaqué, sciages et fabrication de panneaux, ce qui crée des emplois et des recettes d’exportation essentielles aux économies de beaucoup de pays.

Cependant, lorsque les communautés vivant aux alentours des forêts demandent des volumes plus modestes de sciages grossiers, principalement pour leur usage personnel, pour la vente ou la transformation en produits à valeur ajoutée (meubles, par exemple), l’exploitation artisanale peut offrir des avantages compatibles avec les objectifs internationaux de réduction de la pauvreté, conservation de l’environnement et partage plus équitable des richesses tirées des ressources naturelles.

L’exploitation artisanale comporte le sciage des grumes dans la forêt elle-même. Après l’abattage, les arbres sont tronçonnés (c’est-à-dire coupés en travers en sections), et sciés en long à l’aide de scies manœuvrées par deux bûcherons pour transformer les grumes rondes en planches. Les planches sont entassées sur des traîneaux et débardées par traction animale ou à l’aide de petits tracteurs, pour être vendues ou transformées ultérieurement dans les villages avoisinants. Ces méthodes de débardage à faible puissance sont réalisables car les chargements moyens des traîneaux (0,5 m3 environ) ne pèsent que de 250 à 500 kg (USAID, 1998). La construction de pistes de débardage exigées dans les opérations d’exploitation conventionnelles est remplacée par des sentiers temporaires étroits (près de 0,8 m de large) percés dans le sous-bois à l’aide de machettes. La végétation coupée durant l’opération est déposée en travers du sentier pour protéger le sol et réduire la friction qui interdirait le mouvement des traîneaux. L’utilisation répétée d’un sentier, qui pourrait déterminer la formation de ravines, est facilement évitée car les opérations d’exploitation se déplacent régulièrement d’un lieu à un autre.

Les chargements légers et le débardage à faible puissance causent normalement moins de dommages environnementaux que les chargements lourds qui prédominent dans les opérations d’exploitation conventionnelles. Une planification attentive des pistes de débardage et des procédures adaptées peuvent minimiser considérablement les dommages dus au traînage par tracteur, mais malheureusement l’observation des bonnes pratiques est l’exception plutôt que la règle dans de nombreux pays tropicaux.

Scie manuelle manœuvrée par deux bûcherons utilisée pour la coupe primaire de grumes dans la forêt
P. Dugan

EXTRACTION DES CIMES ET DES BRANCHES AU VIET NAM

Au Viet Nam, toutes les forêts sont considérées comme propriétés publiques. Les entreprises forestières publiques engagent des entrepreneurs en exploitation forestière pour récolter le bois d’œuvre et les rétribuent par mètre cube de production. Lorsque les entrepreneurs tronçonnent les arbres coupés, ils pratiquent normalement la dernière coupe au-dessous de la première branche et laissent une partie du tronc et l’ensemble du houppier (cimes et branches) dans la forêt, car il n’est pas rentable d’extraire ce matériel à l’aide de bouteurs, de camions autochargeurs ou d’autres engins d’exploitation conventionnels.

Jusqu’à tout récemment, les règlements régissant l’utilisation des cimes et des branches étaient vagues. Les villageois pouvaient obtenir la permission de les ramasser pour des usages domestiques (bois de feu, par exemple), mais la vente de ce matériel était soit interdite soit sévèrement limitée, entre autres à la discrétion des fonctionnaires de l’Entreprise forestière publique. Cette situation a changé en 2005 grâce à la décision n° 40/2005/QD-BNN du Premier Ministre qui énonçait le règlement relatif à l’exploitation du bois et d’autres produits forestiers, autorisant la récolte par les villageois des cimes et des branches et promouvant la participation communautaire active à la gestion forestière.

Au village de So Pai, province de Gia Lai, dans les montagnes du centre du Viet Nam, les habitants exploitent ces parties des arbres coupés à l’aide de buffles et de cong-nong – de petits tracteurs assemblés localement. Les villageois vendent leur production aux fabricants de meubles et à d’autres entreprises de transformation du bois dans la ville voisine de Kanak – à 20 km environ de la forêt. Les entreprises de transformation achètent volontiers cette matière première et les villageois sont heureux d’avoir une nouvelle source de revenus. Les coûts moyens de la production directe (y compris le débardage et le transport par camion jusqu’à Kanak) s’élèvent à 415 000 dongs (þ) environ le mètre cube (à peu près 25 dollars EU). Les entreprises de transformation de Kanak achètent la matière première au prix moyen de 840 000 þ (50 dollars EU environ) (Manila, 2006). Manifestement, cette forme de petite exploitation est une entreprise rentable pour les villageois de So Pai.

Les activités entreprises à So Pai sont l’un des éléments du projet régional soutenu par la FAO, «Renforcement de l’exploitation forestière durable en Asie», qui encourage la mise en œuvre des pratiques d’exploitation à impact limité compatibles avec les nouvelles orientations de la gestion forestière, suggérées par la Décision 40. Pham Minh Thoa, Directeur adjoint du secteur forestier et responsable national du projet de la FAO, confirme que l’extraction des cimes et des branches n’est que le premier pas. La transformation au niveau du village est envisagée comme l’étape suivante, qui commencera par le sciage grossier du bois suivant des dimensions adaptées aux entreprises de transformation de Kanak, en vue de leur conversion en meubles et autres produits. Les étapes nécessaires pour assurer des bénéfices réciproques aux villageois de So Pai, aux entreprises de transformation de Kanak et au gouvernement, comprendront des négociations sur les prix, la qualité et le calendrier des livraisons, ainsi que l’établissement de règlements et de procédures du gouvernement pour la perception des redevances frappant les produits semi-finis. À l’heure actuelle, les redevances et les taxes sont calculées au mètre cube de matière première.

En juin 2007, les fonctionnaires du gouvernement local et d’autres décideurs ont assisté aux opérations de So Pai pendant une reconnaissance sur le terrain parrainée par le projet de la FAO. La visite a été couverte par le réseau de télévision national. Vu la prise de conscience croissante des avantages financiers, environnementaux et sociaux de la foresterie artisanale, l’expérience de So Pai pourrait servir de modèle à bien d’autres forêts ailleurs au Viet Nam.

À So Pai, Viet Nam, des cimes et des branches – matériel auparavant laissé dans la forêt – sont extraites pour être vendues aux fabricants de meubles et à d’autres entreprises de transformation
P. Dugan

L’emploi de buffles pour le débardage réduit les dommages causés au sol et à la végétation résiduelle – et permet d’éviter les coûts élevés de l’équipement et le brûlage de combustibles fossiles (Viet Nam)
P. Dugan

SCIERIES MOBILES EN PAPOUASIE-NOUVELLE-GUINÉE

À la fin des années 90, le Programme de développement communautaire de l’environnement de la région des îles, appuyé par l’Union européenne (UE), a fourni des scieries mobiles aux villageois des îles, en même temps qu’une assistance technique en matière d’organisation et de planification des opérations de sciage, et une formation. Les scieries servaient à produire du bois grossièrement scié dans la forêt; des chars à bœufs traînaient ensuite le bois jusqu’au bord de route et des camions le transportaient aux usines de finissage. Au fil du temps, le programme a été rebaptisé pour devenir le Programme écoforestier de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui reçoit aussi l’appui de l’Union européenne. Le bois produit par les villageois, et certifié comme bois originaire de forêts gérées durablement, a été exporté vers des marchés d’outremer.

La résistance des bûcherons traditionnels, et la pression exercée par le gouvernement pour créer des revenus immédiats en promouvant l’exportation des grumes, ont entravé l’expansion du système des scieries mobiles. En outre, le gouvernement a du mal à surveiller le grand nombre de petites opérations disséminées sur de vastes zones et d’empêcher des bûcherons illégaux de se servir des scieries mobiles. C’est pourquoi de nombreux forestiers gouvernementaux hésitent à promouvoir ce système. Cependant, l’idée s’est enracinée et les communautés ont joui des avantages liés à l’emploi et au revenu et, ce qui est important, de la reconnaissance de leur aptitude à participer activement à la gestion forestière. Les organisations non gouvernementales nationales et internationales (ONG) continuent à plaider en faveur de l’adoption des principes de la gestion forestière durable, communautaire et artisanale. Les expériences tirées de ces deux programmes fournissent une base pour le développement des petites opérations en Papouasie-Nouvelle-Guinée. 

Fonctionnement d’une scierie mobile dans la forêt, Papouasie-Nouvelle-Guinée
FAO/FO-5684/P. Durst

Maison construite avec le bois provenant de la scierie mobile
FAO/FO-5685/P. Durst

LES PRODUCTEURS LAOTIENS ONT ADOPTÉ LES PETITES OPÉRATIONS

En République démocratique populaire lao, les politiques qui favorisent les petites opérations forestières sont déjà en vigueur. Des opérations compatibles avec ces politiques – l’accent portant sur l’exploitation à impact limité – sont en cours dans le village de Naphakeo dans le district de Mahaxai, province de Khammouane, dans le cadre du projet régional soutenu par la FAO.

Des quotas de production forestière en République démocratique populaire lao sont attribués annuellement par le gouvernement et, dans la plupart des cas, sont compris entre 1 000 et 2 000 m3 par unité de forêt de production. Les superficies vont de 500 à 1 000 hectares. Malgré les volumes relativement modestes produits par quota, les pratiques d’exploitation conventionnelles (extraction à l’aide d’engins lourds, par exemple) sont appliquées habituellement. Toutefois, les producteurs tendent à se tourner progressivement vers les petites opérations.

Les forêts de Naphakeo renferment un mélange d’essences à valeur élevée (diptérocarpacées, par exemple) et d’espèces de Lagerstroemia actuellement sous-exploitées. Les villageois scient ces dernières, à la main, en planches ou coupent le bois en bardeaux de toit, ces deux produits servant aux usages locaux. Tirant parti de ces pratiques villageoises, le projet cherche des marchés pour le bois tiré des essences de Lagerstroemia. D’après les résultats des premières enquêtes, les côtés de tiroir créeraient un marché potentiellement rentable si des liens peuvent être établis avec une petite ou moyenne entreprise intéressée à traiter des volumes limités de bois scié grossièrement. Cela permettrait de transformer une pratique villageoise en une source fiable de revenu pour les habitants. De fait, une technique artisanale adaptée et à impact limité existe déjà. Le défi actuel consiste à l’appliquer sur une plus grande échelle.

ELLES EXIGENT TOUTES DES RÈGLEMENTS FAVORABLES

Bien que les petites opérations aient démontré leur valeur dans de nombreux pays, des contraintes fondamentales s’opposent encore à l’utilisation optimale de la vaste ressource asiatique en main-d’œuvre rurale sous-employée et en compétences traditionnelles. Au sommet de la liste des contraintes, ou très près du sommet, se situe la question des procédures de cubage. Dans la plupart des pays, les règlements interdisent la mise en quartelles dans les forêts par crainte qu’elle n’encourage l’exploitation illégale et rende difficile la perception des impôts. Bien qu’elles ne doivent pas être ignorées, ces préoccupations tendent à freiner l’utilisation des techniques aptes à résoudre un problème, qui est essentiellement lié à l’application de la loi et de la surveillance aux grandes et petites opérations d’exploitation forestières. La modification des règlements de cubage et le droit d’effectuer les premières opérations de transformation dans la forêt sont un premier pas essentiel vers la création des conditions qui renforceraient le rôle de la foresterie artisanale.

Formation de forestiers villageois laotiens en techniques d’exploitation forestière à impact limité
P. Dugan

CONCLUSION

L’exploitation forestière est un thème qui soulève presque toujours des controverses. Les approches axées sur la récolte artisanale n’échappent pas à cette règle générale. Certains estimeront que l’extraction des cimes et des branches au Viet Nam réduit le recyclage des éléments nutritifs. D’autres, qui adoptent aussi un point de vue environnemental, justifieront ces opérations en notant que l’élimination de matériel combustible contribue à réduire la menace d’incendies de forêts. Du point de vue de la gestion, les forestiers du gouvernement soutiendront que la surveillance efficace de nombreuses petites opérations est pratiquement impossible. Par ailleurs, les ONG participant à la gestion forestière souligneront qu’avec de l’aide, les communautés et les autorités locales peuvent renforcer leurs propres capacités de surveillance et de protection des forêts dont elles dépendent pour l’eau et d’autres avantages.

Les détracteurs de la première transformation entreprise dans la forêt noteront que l’efficacité de la conversion est inférieure à celle d’une scierie bien gérée. Une étude menée aux Philippines, par exemple, a constaté que l’efficacité de conversion d’une scierie allait de 60 à 70 pour cent contre 50 à 55 pour cent lorsque les grumes étaient converties en planches grossières ou mises en quartelles dans la forêt (statistiques de la Philippine American Timber Co. production). Cette comparaison met en évidence les options des prises de décision dont il est important de tenir compte en matière de petite exploitation forestière.

Est-il est justifiable d’accepter une efficacité de transformation réduite pour créer de nouveaux emplois et dépenser moins de devises en équipement lourd? Vu la variabilité des conditions forestières, des situations socioéconomiques et des objectifs de l’exploitation forestière, il est difficile de proposer une réponse unique à cette question. Lorsqu’elles sont entreprises selon des pratiques de gestion rationnelle, la petite exploitation et la récolte conventionnelle sont deux composantes importantes de la foresterie. De fait, la combinaison de ces deux opérations pourrait bien représenter le chemin à suivre, en supposant une réglementation qui favorise la constitution de partenariats entre les communautés et les entreprises dans le secteur forestier.

Considérant le pour et le contre, les possibilités qu’a la petite exploitation forestière d’augmenter les emplois et de réduire la pauvreté ne peuvent être ignorées. La production moyenne d’une équipe dotée d’une scie à main manœuvrée par deux bûcherons est comprise entre 0,25 et 0,50 m3 par jour (Bagong Pagasa Foundation, 2006). Même au prix très raisonnable de 40 dollars EU le mètre cube, le revenu journalier moyen de chaque membre de l’équipe serait d’environ 5 dollars EU (0,25 × 40 ÷ 2 = 5), chiffre qui est bien supérieur aux maigres gains avec lesquels des millions de personnes subsistent dans les pays en développement. En outre, pour ce qui est de la conservation des forêts, les possibilités d’emploi de l’exploitation forestière artisanale offrent une solution de rechange pratique à la déforestation généralisée, déterminée par le besoin de survivre et pratiquée sur brûlis, qui est un obstacle important à la réalisation des buts sociaux, économiques et environnementaux de la gestion forestière durable.

C’est dans ce contexte déterminant que la petite exploitation forestière mérite plus d’attention, notamment dans les domaines de la formulation des politiques, de la recherche, de la formation, de l’organisation des communautés, des liens avec les marchés et de la complémentarité éventuelle avec l’exploitation conventionnelle.

Bibliographie

Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). 1998. Consultant’s report on mission to Naan-Panansalan Community Forestry Project in Davao del Norte Province, the Philippines. Manille, Philippines.

Bagong Pagasa Foundation.
2006. Production statistics. Palawan, Philippines.

Manila, A.
2006. Mission Report for Project GCP/RAS/192/JPN.


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