La démarche des projets de développement peut être schématisée de la façon suivante. Un potentiel (ressource inexploitée, méthode améliorée) est identifié dont la mise en valeur est jugée profitable. Un projet est conçu pour réaliser cette mise en valeur. Il implique la mise en place d'infrastructure, d'équipement, leur mise en exploitation par une équipe d'experts expatriés qui doivent transmettre leur expertise à des cadres nationaux. Ces cadres nationaux auront reçu au préalable une formation technique adéquate, qui sera complétée par une formation sur le tas au contact des experts expatriés. Ainsi, au terme du projet, ils en savent suffisamment sur le système mis en place par le projet pour l'exploiter.
Le danger toutefois est qu'après avoir tourné avec succès pendant la durée du projet, le système commence à se dégrader une fois que son exploitation a été remise entre les mains des cadres nationaux. Les principaux facteurs qui peuvent expliquer cette situation peuvent être décrits comme suit:
la formation technique et sur le tas des cadres nationaux ne peut se substituer aux années d'expérience des experts expatriés;
les cadres nationaux disposent le plus souvent de ressources budgétaires limitées alors que les experts expatriés avaient à leur disposition des fonds de projet largement suffisants;
les experts expatriés travaillent dans un contexte organisationnel qui les motive à fournir un effort soutenu pour faire tourner le projet. Elevés dans des sociétés industrielles où la valeur de l'individu dépend largement de son rendement, ils évoluent par la suite dans une structure organisationnelle qui encourage la réussite dans le travail. En résumé, sa performance est stimulée par un ensemble de facteurs de motivation efficaces;
l'homologue cadre national qui prend la relève en fin de projet ne procèdera pas dans les mêmes conditions. Le plus souvent il a grandi dans un type de société qui ne valorise pas autant la performance dans ce type d'emploi. Son revenu est souvent insuffisant.
Il appartient le plus souvent à la fonction publique et ses perspectives d'avancement sont liées à plusieurs autres facteurs que celui de la performance au travail. Souvent également, des revenus accrus signifient pour lui l'élargissement du cercle de ses dépendants. En somme, il n'a pas du tout la même initiation au travail que l'expatrié dont il est l'homologue.
Par conséquent, une question primordiale qui doit se poser en fin d'un projet tel que celui de la pisciculture en Centrafrique pourrait se formuler comme suit: même si toutes les connaissances techniques nécessaires ont été transmises, est-ce que le contexte organisationnel dans lequel vont travailler les cadres nationaux va leur permettre de fournir des rendements comparables à ceux de leurs prédécesseurs?
Un exemple bien précis du problème qui se pose est l'intérêt des ingénieurs et agents des Eaux et Forêts à préférer une affectation au secteur de la chasse où les services offrent des avantages monétaires intéressants tandis qu'une affectation au service de pisciculture n'offre qu'un salaire d'un faible niveau.
Cette question a constitué l'une des principales préoccupations de la mission de formulation.
La proposition d'une réorientation et d'une extension du projet “Vulgarisation de la pisciculture et autofinancement des stations piscicoles principales” a été formulée en partant des prémisses suivantes:
la pisciculture a un rôle important à jouer dans l'économie auto-financière comme source de protéines animales. L'importance de ce rôle pourrait être réduite dans certaines régions par un éventuel développement de la pêche continentale mais la pisciculture n'en continuera pas moins de jouer un rôle important au moins dans les régions éloignées des zones de pêche;
comme activité transformatrice des sous-produits de l'activité agricole la pisciculture est appelée à se développer parallèlement au développement de l'agriculture. Le potentiel est donc loin d'être atteint vu l'abondance de sites favorables au moins sur le bassin versant de l'Oubangui:
même après que la pisciculture ait traversé la phase de croissance rapide qu'elle a couru depuis environ 10 ans, elle continuera de dépendre quoiqu'à un degré moindre d'un service de vulgarisation;
l'augmentation des rendements est le principal facteur de maintien et d'extension des activités piscicoles;
le service de vulgarisation existant ne possède pas encore les assises suffisamment solides sur le plan budgétaire, sur le plan organisationnel pour lui permettre de jouer son rôle de façon autonome.
Les prémisses amènent les considérations suivantes:
même au-delà de l'extension prévue du projet, il est probable que le service de pisciculture aura encore besoin d'appui extérieur, principalement sous forme d'assistance technique, quoique dans une proportion nettement inférieure aux besoins passés et présents;
il est possible de réduire les besoins en appui de l'extérieur (aide internationale) en utilisant à bon escient les ressources disponibles localement:
les institutions d'enseignement supérieurs et principalement l'Institut supérieur du développement rural de M'Baïki, réservoirs de ressources humaines qui peuvent fournir un appui technique et réaliser des études préactuelles utiles au développement de la pisciculture;
des instituts de formation comme l'ONIFOP (Organisation nationale interprofessionnelle de formation et de perfectionnement (Bangui) qui offre des services de formation en gestion pour les cadres nationaux et pourrait éventuellement conseiller le service de pisciculture sur sa gestion, notamment la gestion des stations piscicoles principales;
la BCAD (Banque de Crédit Agricole et de Développement) dont les opérations n'ont pas encore démarré mais qui s'est déclarée intéressée à fournir des crédits au moins à certaines catégories de pisciculteurs;
la SOCADA (Société Centrafricaine de Développement Agricole) dont l'intérêt est la production cotonnière, qui constitue une source d'aliments (graines et éventuellement tourteaux de coton) pour les poissons et qui a retenu les services du personnel de la pisciculture pour donner des stages (initiation à la pisciculture à ses vulgarisateurs agricoles).
L'appui des organisations centrafricaines et d'autres institutions internationales peut et doit éventuellement se substituer à celui du PNUD, qui a largement fait sa part pour soutenir le développement de la pisciculture en Centrafrique.
Pour mieux utiliser ces autres sources d'appui, il s'avêrerait nécessaire de réaliser les tâches suivantes:
établir une structure organisationnelle qui assure un partage efficace des tâches et responsabilités et donne un statut définitif aux stations piscicoles principales garantissant leur autonomie financière;
établir une comptabilité d'entreprise et un plan de gestion commerciale;
établir un plan directeur à court, moyen et long terme qui serve de cadre de référence pour toute intervention ultérieure en matière de pisciculture.
Ces articles joints aux articles de formation en technique et gestion des cadres nationaux ainsi qu'au programme de crédit piscicole renforceraient les bases du système de pisciculture et assureraient de bonnes conditions d'utilisation d'éventuels appuis de l'extérieur.
En ce sens la réorientation et l'extension proposés doivent être envisagées non pas comme la phase finale du projet actuel mais plutôt comme le stage initial d'une phase de consolidation de la pisciculture en République Centrafricaine.