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Evolution des responsabilités des services forestiers nationaux

SECRÉTARIAT DE LA FAO

Incidences des modifications de la demande économique et sociale

Ce document résulte d'un échange de vues au sein d'un groupe, créé par le Département des forets, qui avait pour tâche de préparer un document de discussion pour la réunion de février 1971 du Comité ad hoc des forêts. Il met l'accent sur les modifications, sans énoncer de solutions.

Le Groupe, présidé par M. O. Fugalli, comprenait MM.: J.EM. Arnold, T.A. Erfurth, E. Garnum, R.A.O. Huss, K.F.S. King A.J. Leslie, K.R. Miller, P.R. Persson, J. Prats Llauradó, L.B. Sandahl et A. de Vos. MM. J.E.M. Arnold et A.J. Leslie étaient plus spécifiquement chargés de rédiger le document.

La version condensée soumise au Comité FAO des forets a suscité de nombreux commentaires, mais le temps alloué n'a pas permis une discussion concluante. Le sujet doit être évoqué à nouveau lors des sessions futures des commissions régionales des forets et lors de la première réunion officielle du Comité des forets qui devrait se tenir en mars 1972.

L'expression «Services forestiers» est utilisée génétiquement pour désigner les autorités responsables de l'administration des forets dans un pays donné.

En 1970, l'Organisation des Nations Unies a célébré son vingt-cinquième anniversaire. Mais, lors de la session spéciale de l'Assemblée générale qui s'est tenue à New York pour commémorer cette étape historique dans les relations internationales - un quart de siècle de progrès mondial accompagné d'une paix relative - de vives inquiétudes se sont manifestées pour l'avenir. Les hommes d'Etat réunis à cette occasion ont attiré l'attention sur les changements considérables qui ont eu lieu au cours des vingt-cinq dernières années et sur l'insuffisance de maintes réactions de la société devant ces transformations. Un ministre des affaires étrangères a notamment déclaré que la science a depuis vingt-cinq ans tellement devancé la politique que toutes nos institutions semblent perdre peu à peu leur raison d'être, et que si les gouvernements manifestent au cours des vingt-cinq prochaines années la même indifférence, de deux choses l'une ou la science détruira l'homme ou elle l'asservira.

Révolutionnaires ont été les transformations qui ont eu lieu au cours du dernier quart de siècle dans le domaine social, économique, politique et technique. Aucun pays, qu'il soit développé ou en développement, n'y a échappé. La seule différence entre les pays, à cet égard, concerne le rythme de pénétration de l'influence et l'efficacité de la réaction. Le rythme et les effets des changements futurs risquent d'être encore plus prononcés.

Il convient maintenant, avant d'entrer dans le dernier quart du XXe siècle, de faire un bilan de ce qui se passe dans le secteur forestier et de nous demander si les institutions qui le gouvernent sont encore adaptées à leur tâche et, ce qui n'est pas moins important, á la situation prévue pour l'avenir. Le document commence par grouper l'évolution actuelle en quatre grandes rubriques: croissance démographique, développement économique, changements technologiques et changements sociaux et institutionnels. On examine ensuite les incidences apparentes de ces changements sur l'aménagement des ressources forestières, sur l'affectation de ressources au secteur forestier et à l'intérieur de ce secteur, et sur les objectifs de production du secteur.

Principaux événements des vingt-cinq dernières années

CROISSANCE DÉMOGRAPHIQUE

Au cours des vingt-cinq dernières années, la population mondiale s'est accrue de plus de 50 pour cent, soit plus d'1 milliard d'habitants. Cette croissance massive signifie d'abord très simplement que davantage de gens ont besoin de bois. En outre, étant donné que la population s'est surtout accrue dans les pays peu développés, le bois est surtout nécessaire pour le chauffage, les besoins élémentaires et les maisons à bon marché. Ce sont donc ces pays qui doivent puiser sur leurs ressources forestières pour satisfaire la demande.

La croissance démographique a évidemment multiplié le nombre de bouches à nourrir. Comme il n'y a pas eu d'accroissement correspondant de la productivité agricole dans la plupart des pays en développement, les terres où faire pousser des denrées alimentaires ont fait l'objet d'une demande plus grande, qu'il a fallu satisfaire en grande partie au détriment de superficies de terres occupées par les forêts. Cependant, en même temps, l'extension des terres agricoles ou l'utilisation des variétés à haut rendement ont accru la demande d'eau et les besoins d'approvisionnement régulier, ce qui a renforcé l'importance, dans certaines parties du monde, de la préservation ou de la reconstitution du couvert forestier, la forêt étant un moyen d'emmagasiner et de régler les ressources en eau.

Enfin, il faut souligner que rien ne permet de prévoir un terme à la démographie galopante qui caractérise la plupart des pays en développement. Même si le taux de natalité devait immédiatement diminuer sensiblement, la structure de ces populations, dominée par les classes d'âge jeunes, est telle que l'on est sûr d'assister à une augmentation démographique au cours des vingt années à venir. De fait, on prévoit que la population mondiale s'accroîtra d'un milliard d'hommes au cours des quinze prochaines années. Le secteur forestier n'en subira que plus profondément les effets au cours des années à venir. En bref, dans de nombreux pays en développement, les forestiers devront encore, pendant quelque temps, s'accommoder de la culture itinérante et de ses diverses variantes et accepter que les terres forestières continuent à être détournées au profit de l'agriculture permanente.

DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

La période a été marquée par une croissance soutenue des activités économiques du monde, qui paraît devoir continuer. Il en est résulté de gros accroissements de la consommation de certains produits du bois - et de certains seulement. Dans les pays avancés, où les revenus réels moyens par habitant ont plus que doublé dans la période, le développement économique a entraîné une immobilisation ou un déclin de la demande des produits du bois les plus simples: bois de chauffage, bois rond et, dans une certaine mesure, sciages. Ce phénomène évidemment n'est pas nouveau, il résulte d'une évolution à long terme. Pendant 40 ou 50 ans, dans deux des plus grosses régions consommatrices, l'Europe et les Etats-Unis, le déclin de certaines utilisations et le développement d'autres utilisations se sont plus ou moins équilibrés, de telle sorte que la consommation totale de bois est restée à peu près stationnaire. Or, celle-ci commence à augmenter régulièrement. En 1985, le monde aura probablement besoin d'au moins deux fois plus de bois pour la transformation industrielle qu'il n'en a utilisé en 1970, et le plus clair de ce surcroît sera demandé par les pays en développement.

La situation de l'offre de bois s'en trouve transformée. Le bois domestique et exportable a fait l'objet d'une demande régulièrement accrue dans la plupart des régions de la zone tempérée nord. Ce phénomène à son tour a accru l'importance du commerce et contribué à répandre, dans les zones tempérées, la consommation des sciages, des placages et des contre-plaqués de feuillus tropicaux. On peut déjà prévoir que les régions tropicales et subtropicales deviendront également d'importants fournisseurs de certaines espèces de fibres de bois pour la zone tempérée de l'hémisphère Nord.

Si l'utilisation des produits change à mesure que les économies se transforment et se développent, il en va de même des types et des dimensions de bois demandés. Le bois étant de plus en plus absorbé par l'industrie de la pâte et des panneaux, une plus grande proportion du bois utilisé est de petite taille, et une plus grande partie de l'approvisionnement vient de résidus, etc.

Il y a eu également des changements importants d'une nature moins directe. L'augmentation des revenus par habitant est allée de pair avec une augmentation des coûts de la main-d'œuvre, et ce phénomène a été durement ressenti par le secteur forestier où tant d'activités sont essentiellement à fort coefficient de main-d'œuvre. De plus, comme il y a eu des augmentations beaucoup plus importantes du coût de la main-d'œuvre dans les pays développés que dans les pays en développement, l'offre mondiale de certains produits forestiers, notamment des contre-plaqués de feuillus, a évolué.

Autre changement: l'urbanisation progressive de la population. Le phénomène reflète la part de plus en plus grande qu'occupent les industries et les services (au détriment de l'agriculture) dans les économies à mesure qu'elles se développent, ou, en d'autres termes, le passage à des activités dépendant de la concentration de la main-d'œuvre et/ou des consommateurs. Dans les pays avancés, le phénomène a atteint une telle ampleur que les populations rurales diminuent, souvent très rapidement, tant en chiffres absolus qu'en chiffres relatifs. Il en est résulté souvent une rareté, accompagnée d'une augmentation des coûts de la main-d'œuvre destinée aux opérations forestières.

Dans les pays développés, où l'urbanisation a depuis peu été accompagnée d'une élévation des revenus, d'une augmentation des loisirs, d'une amélioration des moyens de transport personnels, il y a eu un accroissement rapide de la demande réelle de moyens de délassement en plein air, et par suite des superficies forestières ont été affectées en partie ou totalement à, cette fin. Les mêmes forces sont a l'œuvre dans le rapide développement du tourisme, qui a valorisé la faune et les terres sauvages. La concentration de la population dans les centres urbains a également donné de la valeur aux réserves d'eau utilisables et accru par là même l'importance accordée à l'aménagement des bassins versants 1.

1 Elle a également renforcé la recherche de méthodes économiques à grande échelle permettant de produire de l'eau par dessalement de l'eau de mer - source d'approvisionnement beaucoup plus riche de promesses que l'accroissement de l'utilisation des régions forestières.

TECHNOLOGIE

Interprété largement, le développement technologique est inséparable du développement économique. L'augmentation du revenu par habitant ne peut être obtenue que par l'augmentation de la productivité par personne. Celle-ci à son tour ne peut être obtenue que par des progrès techniques continus. En outre, si l'on veut que la croissance économique se poursuive, le rythme des transformations technologiques doit s'accélérer. Ce dernier point est manifestement important pour un produit comme le bois ou la fibre de bois, qui ont de longs cycles de production.

En outre, de nombreux changements technologiques particuliers ont des incidences spécifiques sur ce secteur. Dans les forêts, des méthodes plus précises d'enquête et d'évaluation des ressources forestières ont permis d'utiliser avec confiance davantage de ressources: il est moins nécessaire de chercher à conserver une bonne marge de réserve en cas d'erreur d'évaluation.

L'évolution des transports a rendu accessibles un plus grand nombre de forêts. L'amélioration des systèmes de transport pour les produits finals a contribué à déplacer les unités de production, déplacement qui a eu lieu en partie a l'échelle internationale. Les avantages économiques de la production à grande échelle et l'intégration des unités ont joué aussi leur rôle, si bien que dans toutes les industries forestières il y a eu une forte tendance à agrandir les unités de production, souvent sous forme de complexes industriels fabriquant une gamme de produits. Dans de nombreuses parties du monde, les emplacements pour ces grandes unités sont de plus en plus difficiles à trouver.

Les perfectionnements du traitement du bois et de la fibre ont augmenté la gamme des espèces, qualités et dimensions qui peuvent être utilisées industriellement, élargissant ainsi la base des industries en question; ils ont amélioré la qualité de certains produits, abaissé le coût de production d'autres produits, permis de créer des produits nouveaux, comme les panneaux de particules, et étendu la gamme d'utilisations des produits à base de bois, par exemple dans l'emballage. Le fait que ce sont les traitements de reconstitution du bois qui sont apparus comme les plus souples, les plus adaptables et les plus susceptibles d'améliorations immédiates a contribué à les favoriser au sein de la gamme d'utilisation du bois et des produits du bois.

En même temps, les progrès technologiques extérieurs au secteur ont permis de créer ou d'améliorer certains produits de remplacement du bois et de la fibre de bois, par exemple les matières plastiques pour l'emballage et pour certaines utilisations des industries d'impression. Les industries utilisant le bois n'ont pas été longues á percevoir cette tendance. L'incidence de la technologie sur le secteur forestier en tant que producteur de matières premières aura probablement, à long terme, un rôle plus fondamental en faveur du bois ou contre le bois que le produit particulier ou les progrès en matière d'utilisation. La technologie arrive actuellement au point où son application peut dépasser les limitations physiques de la ressource. Le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies a dit que la vérité, l'étonnante vérité des pays développés d'aujourd'hui, c'est qu'ils peuvent obtenir très vite le type et la quantité de ressources qu'ils décident d'obtenir: ce ne sont plus les ressources qui limitent les décisions, c'est la décision qui produit les ressources.

Lorsque s'effaceront les contraintes imposées par l'idée que les ressources naturelles existent en quantité limitée, le monde fera probablement un choix plus judicieux quant aux ressources à utiliser. Les matières premières disponibles sous forme concentrée, par exemple les ressources minérales et les sous-produits de l'industrie pétrochimique, pourraient présenter des avantages croissants par rapport aux matières premières dispersées comme le bois et la cellulose de bois, qui ont l'inconvénient supplémentaire de ne pas être homogènes et sont attaqués par les maladies, les ravageurs, le feu et autres facteurs imprévisibles et souvent incontrôlables qui affectent la quantité ou le moment de la production.

D'autre part, la matière-bois est une ressource renouvelable, déplaçable et géographiquement extensible. Dans certains pays, un accroissement rapide de la productivité agricole, dû á une évolution technologique dans ce secteur, a soustrait à la culture de vastes superficies de terre propres a l'implantation de forêts. Cela permet de déplacer considérablement les activités forestières et de modifier la productivité. Cependant, la même évolution de l'agriculture provoque l'exode de la main-d'œuvre rurale signalé plus haut.

La «révolution verte» - développement de certaines variétés à haut rendement introduites massivement dans quelques régions - devrait permettre au moins à certains pays en développement d'accroître considérablement la production de denrées alimentaires, sans qu'ils aient besoin de convertir d'autres terres forestières pour y installer des cultures.

L'agrotechnologie appliquée à la culture des arbres a permis de réduire les délais de production du bois, d'accumuler très rapidement des ressources nouvelles et de contrôler de manière plus efficace les propriétés des produits de bois ou de fibre, réduisant ainsi les inconvénients touchant à la biologie ou au caractère non homogène du matériau. Mais, en revanche, elle a multiplié pour les forêts les dangers dus aux interventions intensives et répétées sur le milieu.

Un exemple de zone forestière aménagée aux fins de tourisme. Les chutes d'Iguazú, au Paraguay, sont les plus importantes de l'hémisphère occidental. Situées en un point du fleuve Paraná où se rejoignent les frontières du Paraguay, du Brésil et de l'Argentine, elles sont vues ici, du coté brésilien.

PHOTO: PEYTON JOHNSON

Si l'on envisage un avenir plus éloigné, on peut prévoir qu'il sera possible de manipuler les conditions atmosphériques, ce qui diminuerait d'autant les limitations dont souffre le bois en tant que matière première biologique aménagée.

CHANGEMENTS SOCIAUX

Enfin, il y a une évolution de nature sociale, politique et institutionnelle, liée étroitement, en général, aux autres transformations. C'est ainsi que les progrès de la mécanisation des opérations forestières, qui ont permis d'endiguer la hausse du coût de la main-d'œuvre dans la plupart des parties du monde, l'ont parfois fait aux dépens du mode de vie de communautés et de personnes qui dépendaient traditionnellement du travail en forêt. De même, les aspirations sociales et matérielles croissantes des individus, qui accompagnent l'augmentation des occasions d'emploi et des revenus, font de plus en plus hésiter les gens à se livrer aux travaux relativement durs de l'emploi en forêt.

On reconnaît également de plus en plus que la forêt et les terres qui lui sont associées fournissent des milieux agréables pour la récréation et le délassement contrairement à ce qu'on pensait au début, où les forêts étaient considérées comme un milieu hostile, un obstacle à la colonisation, un repère d'ennemis, etc. En outre, on se soucie beaucoup actuellement de la qualité du milieu humain - et notamment de la préservation de l'esthétique forestière; on se préoccupe de son rôle de protection et des effets marginaux qui pourraient résulter d'une intervention accrue de l'homme dans la forêt. Pour raisons et d'autres encore, on tend à exercer un plus grand contrôle de la collectivité sur l'utilisation des terres, en restreignant les modes d'utilisation des terres forestières.

Les considérations mésologiques auront probablement un effet important sur la future situation compétitive du bois, des industries et des produits du bois. Il est certain, par exemple, qu'on cherchera de plus en plus à réduire et finalement à éliminer la pollution provoquée par les industries de la pâte et du papier, opération dont; les coûts seraient répercutés sur les produits de cette industrie. Mais les industries pétrochimiques et des matières plastiques feront l'objet des mêmes recherches.

On cherchera en outre de plus en plus à empêcher la pollution et le gaspillage industriel dus à l'accumulation des emballages usés. L'emballage de papier, qu'on peut recycler beaucoup plus facilement et détruire ou décomposer plus rapidement et plus aisément que les matières plastiques, le fer-blanc ou le verre, pourrait profiter relativement de cette évolution.

L'intérêt que suscitait après-guerre le développement social, par opposition au souci d'avant-guerre pour la stabilité économique, a également eu une incidence sur le secteur forestier, à preuve les pressions croissantes en vue de la réforme agraire en Amérique latine. Presque tous les pays acceptant la planification comme un outil nécessaire du progrès économique et social, le secteur forestier est soumis de plus en plus au test de nouveaux critères, notamment économiques.

Enfin, l'obtention de l'indépendance politique au cours des vingt-cinq dernières années a eu une influence considérable pour un grand nombre de peuples du monde. Il suffira d'évoquer ici la recherche de l'indépendance économique qui en a découlé. Ces pays sont avant tout décidés à cesser de fournir les matières premières et de recevoir des produits finis - évolution qui comporte évidemment de nombreuses incidences pour le secteur forestier.

Principales incidences de ces transformations

Les remarques qui précèdent sont inévitablement incomplètes. Cependant, elles suffiront à montrer que les conditions dans lesquelles les forêts doivent être exploitées ont changé radicalement au cours de l'existence de la FAO et changeront encore à l'avenir. Le seul facteur constant est le changement. Bien qu'il soit difficile de dresser un tableau clair des incidences de changements si nombreux et si divers, certains points ressortent.

La société aura davantage besoin de bois, et de types différents. Le coût de mise en exploitation de zones forestières plus éloignées augmentera et la main-d'œuvre se raréfiera. Mais les améliorations de la technique et de transformation permettront d'utiliser un plus grand nombre d'espèces, dimensions et qualités contribuant à satisfaire une demande croissante. Les améliorations de l'agrotechnologie permettront d'obtenir plus rapidement des rendements plus élevés, et d'améliorer la qualité du bois et de la fibre de bois. Dans les pays développés, où les besoins supplémentaires seront les plus, importants, davantage de terres seront disponibles pour les forêts. Cependant, les régions qui permettent de produire le plus de bois et de fibre de bois aux moindres coûts se trouvent dans les régions tropicales et subtropicales.

Dans les pays développés, un accroissement de la demande de services autres que le bois ou de la demande concernant la foresterie de milieu peut abaisser les rendements moyens de bois dans l'ensemble des régions forestières, à mesure qu'une part croissante de cette superficie sera volontairement soustraite à la seule production de bois, soit pour une utilisation polyvalente soit, par exemple, pour une utilisation récréative.

Les planificateurs des industries ou des services forestiers sont donc appelés, à augmenter considérablement la production de bois sans augmenter sensiblement les coûts, et à prévoir en même temps une demande plus grande et plus diversifiée des services de la forêt autres que le bois.

Comment réagir?

Les réunions successives des commissions régionales des forêts ont révélé la prise de conscience des services forestiers en cette période de transformations majeures. Beaucoup de pays ont reconnu que les positions adoptées dans le passé quant à la politique forestière ne répondaient plus à la réalité, et ils ont déclenché les mécanismes permettant de réviser les politiques. Des changements de structure ont cité introduits, parfois, semble-t-il, presque désespérément.

Mais la révision doit, généralement aller au-delà des politiques forestières. Certains changements récents ont modifié le cadre même dans lequel étaient établis les fondements des politiques et des pratiques forestières. Les principes de base qui sous-tendent encore dans une grande mesure l'élaboration et la réformulation des politiques forestières sont apparus à une époque où le bois était un produit vital pour l'économie, parce qu'il n'y avait aucun produit pour le remplacer dans certaines utilisations fondamentales, et dans une partie du monde où les taux de croissance étaient bas et où il fallait de longues périodes de temps pour régénérer et restaurer les forêts. D'où les pressions pour réserver définitivement, par décision légale une certaine partie du pays aux forêts de production. De même, le concept de rendement soutenu reflétait une périple où l'on pouvait prendre pour admis qu'un flux stable de produits forestiers serait à jamais nécessaire, dans le cadre le la pénurie des terres et d'une économie fermée. Troisièmement, ces principes sont apparus à une époque où la production de bois était manifestement la fonction essentielle des forêts.

Ces conditions ont changé sensiblement. En outre, leur importance dans les pays en développement est considérablement limitée. Les pratiques forestières modernes se sont constituées en Europe à une époque où l'agriculture occupait déjà la plupart des tertres possédant un potentiel agricole. En d'autres termes, elles étaient liées à une utilisation des terres assez stable et à des superficies qu'on pouvait rationnellement consacrer à la culture du bois. Mais il en va autrement pour une grande partie des régions peu développées du monde. Dans ces pays, la réservation de superficies forestières par décision légale a lieu souvent, quand elle a lieu, à une époque où les forêts naturelles couvrent encore une grande partie des terres à fort potentiel agricole. Lorsque les superficies réservées pour la production de bois sont ainsi déterminées en grande partie par ce qu'on a appelé «un accident historique» les services forestiers consacrent leur énergie à perpétuer et à améliorer l'aménagement forestier sur des surfaces qui pourraient à la longue être mieux employées pour l'agriculture et dont celle-ci aurait besoin. Ce phénomène risque d'aboutir à un oubli des problèmes de la production du bois sur les superficies qui devraient être inconditionnellement consacrées aux forêts.

Aucune de ces conclusions n'est nouvelle - elles ont toutes été maintes fois formulées et illustrées. Cependant, les services forestiers ont généralement hésité à en mesurer les conséquences ou bien ils ont réagi trop mollement. Les changements ont trop souvent été des palliatifs et ils ont été alors insuffisants ou tardifs.

Même lorsque les changements ont eu une conséquence directe sur la responsabilité principale traditionnelle des forestiers, la production de bois et de fibre de bois, la réaction a souvent été tardive.

Est-ce parce que le bois est un bien de production et que les changements de la demande des consommateurs finals retentissent sur les producteurs (le service forestier dans le cas des forêts domaniales) de manière indirecte et déformée? En tout cas, on constate qu'il a fallu souvent beaucoup trop longtemps pour qu'on mesure l'ampleur et la nature des transformations et pour qu'on comprenne leur caractère irréversible. D'où une adaptation encore plus lente des politiques et de l'aménagement forestiers aux changements de la demande et aux possibilités d'action technologique et de production économique.

Mais c'est dans les régions du monde où la société demande aux forêts d'autres choses en plus de la production de bois que les services forestiers paraissent avoir réagi insuffisamment. On peut en juger d'après la demande croissante d'activités récréatives qui, dans certaines régions, prennent le pas sur la production de bois.

On a dit qu'un changement fondamental d'attitude était nécessaire pour produire du bois d'œuvre et fournir à la fois des services récréatifs: le forestier doit s'adapter et accepter les activités récréatives comme une utilisation respectable de la forêt, tout comme la production de biens matériels tels que le bois, l'eau et le fourrage. On a dit également qu'il faut aussi un effort d'adaptation psychologique pour s'occuper d'une activité de consommation (les loisirs) qui sera directement en rapport avec le public consommateur, au lieu de s'occuper d'un bien de production comme le bois. Il y a une autre difficulté d'adaptation relative au facteur temps: la «production» d'activités récréatives est quasi instantanée, de sorte que le forestier doit concilier deux échelles de temps différentes lorsqu'il lui faut également tenir compte des périodes de production du bois, qui sont longues.

Ces arguments peuvent être spécieux. De plus, l'importance du déplacement d'équilibre entre l'utilisation récréative des forêts et des terres qui leur sont associées et leur utilisation pour la production de bois, d'eau et de fourrage ne doit pas être exagérée. Seules quelques régions du monde ont actuellement la richesse et le loisir nécessaires pour utiliser les forêts à des fins récréatives, notamment pour cette forme de tourisme qu'est l'observation de la faune. En outre, il y a bien d'autres manières d'utiliser le surcroît de loisirs et de revenus. Il n'est donc pas absolument certain que la croissance de l'utilisation des forêts à des fins récréatives se poursuive au rythme actuel, qui est très rapide, et d'ailleurs, même s'il en allait ainsi, on peut faire face à la plus grande partie de la demande en aménageant les terres forestières de manière polyvalente. Mais ce qu'il ne faut pas négliger, c'est que pour réussir à fournir - en plus du bois - d'autres services, notamment récréatifs lorsque la demande de tels services se manifeste, les services forestiers devront avoir des compétences, une formation, des outils de travail et des attitudes et des pratiques administratives autres que ceux dont ils avaient besoin pour la seule production de bois.

Evolution nécessaire de l'administration et des pratiques du secteur forestier

La première exigence c'est que l'organisation de la foresterie soit modernisée, de manière qu'elle réagisse à l'évolution de l'importance sociale de ses produits et services, et que les politiques et méthodes puissent être adaptées en prévision des changements. Le secteur nécessite des cadres et des techniciens d'un esprit assez souple pour évaluer l'ampleur et la direction futures de l'évolution sociale et économique, élaborer les transformations nécessaires dans les pratiques de gestion actuelles et introduire des mesures permettant d'assurer au moment opportun une transition facile. La manière la plus rationnelle d'acquérir les compétences supplémentaires consiste peut-être à introduire dans le secteur de l'administration et de l'aménagement forestiers des spécialistes formés aux disciplines voulues. C'est ce qui se passe de plus en plus; mais, même ainsi, les réactions appropriées aux changements ne seront vraisemblablement possibles que si les forestiers professionnels souhaitent et peuvent bénéficier d'une éducation permanente pour se maintenir dans le courant de l'évolution affectant la pratique de leur profession, et s'il existe une mise à jour systématique du contenu et des méthodes d'éducation forestière. Actuellement, dans de nombreux pays, on met l'accent sur les sciences physiques et biologiques comme éléments de base de l'enseignement forestier, ce qui semble insuffisant au regard des besoins.

Pour analyser dans chaque pays l'importance relative présente et future de toutes les possibilités de production, il faudra mettre au point de meilleures méthodes d'évaluation économique concernant le rôle de protection et les avantages sociaux, les valeurs culturelles et esthétiques des forêts, ainsi que la prévision des demandes de ces «produits». Cela a été dit maintes fois. Il sera également de plus en plus important de pouvoir prévoir les changements qualitatifs et quantitatifs de la demande de bois. Il faudra donc améliorer le cadre des statistiques économiques concernant ce secteur et analyser de manière plus pénétrante les relations et interrelations en jeu dans l'évolution de la demande.

Le perfectionnement de l'évaluation améliorera grandement les des cadres forestiers en ce qui concerne leur adaptation aux changements, mais la perfection n'existe pas en matière de prévisions. Il faut donc veiller de plus en plus à entretenir la souplesse des options de la gestion, afin de pouvoir réagir aux changements imprévus. Ainsi, on favorisera les solutions laissant le plus de liberté aux changements affectant l'utilisation des terres et des ressources tout en étant économiquement faisables en relativement peu de temps. Les espèces à croissance rapide, qui permettent de changer l'utilisation des terres sans sacrifices économiques excessifs, prendront donc une valeur accrue.

Les cadres forestiers pourront avoir besoin d'atténuer encore l'incidence des changements en concentrant les forêts destinées à la production de bois dans les régions où on peut déduire que la demande des autres «produits» des terres forestières sera moins importante, ou bien là où leur fourniture n'est pas vitale.

Si des superficies réduites doivent subvenir ainsi à une demande plus importante de produits du bois, cela poussera à améliorer la productivité et comprimer les coûts. Etant donné que la plus grande partie du coût du bois industriel à la livraison est afférente presque partout aux frais d'exploitation et de transport, il faut chercher à réduire les coûts à ce stade du processus de production, en changeant au besoin les systèmes sylvicoles. On peut non seulement accroître et améliorer la mécanisation et l'automatisation, mais également recourir à un personnel mieux formé, à des coopératives, etc.

Mais les réductions du coût du bois ne doivent pas être obtenues au détriment du bien-être et de la santé du personnel.

Tout cela ne sera pas facile. Beaucoup d'exigences sont incompatibles. Beaucoup impliquent une rupture déchirante avec des attitudes et des méthodes devenues traditionnelles. Mais la foresterie changera, que les services forestiers le veuillent ou non. Mieux vaut alors faire quelque chose de constructif. Les principaux obstacles qu'il faudra vaincre sont la myopie et l'inertie. Parfois, le seul moyen de tourner ces obstacles sera de créer de nouvelles institutions et de laisser les anciennes s'étioler. C'est déjà ce qui se passe en matière forestière. De nouveaux dispositifs organisationnels ont été inventés pour des domaines comme la foresterie de milieu.

Rien ne sert de se plaindre que la foresterie est chassée de son domaine légitime. S'il en est ainsi, c'est pour de très bonnes raisons: les gens croient que la foresterie s'occupe d'autres questions et perd de vue leurs besoins spécifiques. La seule façon de ne pas être laissé à l'écart, c'est justement de suivre le mouvement, et des forestiers sont les seuls à pouvoir le faire.

Une chose est de reconnaître la nécessité du changement, autre chose d'agir. Le milieu institutionnel varie tellement d'un pays à l'autre qu'il est difficile d'apercevoir une approche générale. Une des premières choses à faire serait d'organiser une campagne imaginative et dynamique de relations publiques pou; informer les autorités et l'opinion sur:

a) les avantages et les valeurs de la foresterie;

b) l'action gouvernementale nécessaire pour préserver et augmenter ces avantages et ces valeurs;

c) le comportement requis des individus qui vont en forêt ou approchent la forêt. A cet égard, les sociétés de professionnels de la foresterie pourraient peut-être jouer un rôle plus actif qu'elles ne l'ont fait jusqu'ici.

Néanmoins, cela n'est qu'une solution d'attente, destinée à gagner du temps pour prévoir et introduire la reconstruction des politiques, des pratiques et de l'enseignement forestiers. Les modalités doivent être trouvées par chaque pays à la lumière de ses procédures de réorganisation administrative et de révision législative. Des comparaisons internationales pourraient donner quelque idée de ce que devrait être le résultat. Mais il n'y a pas de recette universelle pour l'obtenir.


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