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LES RESSOURCES GENETIQUES DE L'ESPECE ARAUCARIA ANGUSTIFOLIA (Bert. O. Ktze.) AU BRESIL

par

J. Pitcher, FAO

INTRODUCTION

Dans le rapport de la deuxième session du Groupe FAO d'experts des ressources génétiques forestières (FAO, 1972) Araucaria angustifolia est qualifié d'espèce “menacée d'extinction ou d'un appauvrissement sérieux de son patrimoine héréditaire”. Cette situation réclamait, en toute priorité, une “attention urgente” et des travaux devaient être immédiatement entrepris en vue de préserver l'espèce. Le projet du Programme mixte de développement, Gouvernement du Brésil/Nations Unies (BRA 45) concernant l'établissement intégré de recherches forestières au Brésil stipulait que des collectes de semences de sources très nombreuses devaient être entreprises en 1973.

Des semences ont été collectées dans 18 emplacements distincts bien répartis dans l'aire naturelle de distribution qui s'étend entre les degrés 19 et 31 de latitude Sud et entre les degrés 41 et 54 de longitude Ouest environ. La marge des altitudes variait entre un minimum de 250 m et un maximum de 1 663 m. Des contacts ont été pris avec des collecteurs de semences dans deux sous-peuplements isolés, là où se trouve l'espèce dans les régions situées le plus au nord et le plus au sud, mais il n'y a pas eu de production de graines dans ces deux localités en 1973. Pour organiser ces collectes, l'auteur, forestier spécialiste de la FAO chargé de l'amélioration des essences dans le projet mentionné ci-dessus, a beaucoup circulé dans toute l'aire naturelle de distribution de l'espèce et il a observé l'état actuel de la forêt. Des semences de cinq provenances types ont été distribuées à huit pays pour être utilisées dans des essais internationaux de provenances, tandis que des essais sur la totalité des 17 provenances seront effectués dans plusieurs stations au Brésil même.

HISTORIQUE DE L'ESPECE ARAUCARIA

L'espèce ne présente pas de vastes peuplements purs couvrant de grandes superficies et n'a probablement jamais formé de tels peuplements. Ses exigences écologiques sont très strictes comparativement aux autres résineux tels que Pinus elliottii Engelm. et P. taeda L. plantés actuellement sur une grande échelle à l'intérieur de l'habitat d'Araucaria. Les sols de loess profonds, bien drainés constituent les meilleures stations à des altitudes situées entre 600 et 900 mètres. Dans les peuplements adultes, il y a en sous-étage des feuillus tolérants et une très faible reproduction d'Araucaria. Ce manque de régénération de l'espèce est en grande partie imputable à l'influence de l'homme. Les grosses graines sont une friandise de saison pour la population rurale et elles trouvent aussi de nombreux amateurs sur les marchés des villes. Par ailleurs, les porcs errent librement dans les forêts et il est probable que ces animaux voraces consomment d'énormes quantités de jeunes graines, ce qui a pour conséquence d'empêcher la régénération de la forêt. Il y a de nombreux exemples de régénération naturelle abondante là où l'influence de l'homme et des animaux a été exclue ou réglementée, comme c'est le cas dans les forêts et les parcs nationaux. Ces exemples confirment l'opinion selon laquelle l'influence de l'homme est responsable du manque de régénération des peuplements naturels.

A l'époque de la colonisation du Brésil par les Portugais, au début du 15ème siècle, Araucaria angustifolia était l'arbre de haute futaie par excellence dans la partie méridionale du pays. On trouve dans d'anciens mémoires des premiers colons des témoignages de son omniprésence et de sa valeur dans l'établissement des colonies. La capitale de l'Etat de Paraná doit son nom aux nombreux “pinheiros” de la région. “Curi” signifie pinheiro ou Araucaria et “tiba” veut dire “où se trouve”; Curitiba, la capitale, peut donc littéralement se traduire par “où se trouvent les Araucaria”. La silhouette particulière de l'Araucaria adulte, avec son fût dégagé et couronné d'une cime plate qui remonte en courbe comme un parapluie retourné, sert fréquemment de motif de décoration dans cette partie du Brésil. On la voit dans les peintures, les sculptures sur bois, en bijouterie, dans la décoration des entrées d'immeubles et même sur les trottoirs colorés, en motifs répétés faits à la main avec des cailloux de couleurs contrastantes. Le nom commun donné à Araucaria angustifolia est le “pinheiro do Paraná” ou pin de Paraná, ce qui prouve son caractère d'ubiquité.

Au début, la colonisation du Brésil méridional se limita, dans l'ensemble, à une étroite bande côtière, et les réserves d'Araucaria demeurèrent inaccessibles jusque vers la fin du 19ème siècle. Avec le développement du chemin de fer qui a donné accès à l'intérieur du pays, l'exploitation rapide de l'Araucaria était inévitable. Au début du XXème siècle, l'exploitation de ces massifs vierges eut lieu en l'absence quasi totale de contrôle. La demande en bois d'oeuvre d'excellente qualité qu'on pouvait en obtenir devint insatiable et l'est demeurée même de nos jours.

Ayant reconnu la valeur que peut avoir le “pinheiro” dans le développement commercial et industriel du Brésil méridional, le gouvernement prit l'initiative de créer, en 1942, l'Instituto Nacional do Pinho. Un certain nombre de petites réserves d'Araucaria ont été choisis en 1943–44 et on a commencé à y installer des plantations d'Araucaria. Ces réserves existent encore aujourd'hui, totalisant plus de 14 000 hectares et comprenant plus de 20 millions d'arbres de cette espèce. En 1967, le législateur à créé un Institut brésilien de développement forestier (Instituto Brasileiro de Desenvolvimento Florestal, IBDF). L'administration des différents services dépendant de l'Instituto Nacional do Pinho a été définie dans la loi relative à la création de ce service forestier fédéral.

Outre les réserves d'Araucaria dépendant de l'IBDF, cette essence occupe de grandes superficies dans plusieurs parcs nationaux et d'Etats. De nos jours, il existe encore de vastes propriétés privées d'Araucaria vierges dans la partie occidentale de l'Etat de Paraná, dont l'une dépasse 100 000 hectares avec 560 000 arbres qui ont plus de 40 cm de diamètre à hauteur d'homme; on dénombre également plusieurs domaines privés de moindre importance d'une superficie de 1 à 10 000 hectares (Tableau I).

ETAT ACTUEL DES RESSOURCES FORESTIERES EN ARAUCARIA

L'inventaire du pinheiro dans le Paraná (van Dillewijn, 1966) divise les forêts existantes d'Araucaria en deux catégories: la catégorie I comprend les forêts vierges avec un nombre relativement élevé d'arbres par hectare, et la catégorie II les forêts déboisées, exploitées ou épuisées, de densité relativement faible. A l'époque de l'inventaire, en 1963, van Dillewijn conclut que le volume existant suffirait juste pour une durée de 11 à 16 ans en ce qui concerne les forêts de la première catégorie, autrement dit jusqu'aux années entre 1974 à 1979. En 1963, la superficie total des forêts de Paraná s'élevait à 6,5 millions d'hectares et, durant ces dix dernières années, l'exploitation s'est poursuivie au rythme de 270 000 hectares par an. On peut donc en conclure que bientôt Araucaria n'existera plus, qu'à très bref délai l'espèce sera éteinte.

Sylvio Péllico Netto (1971) a mis à jour la situation des réserves de pins de Paraná et a également conclu que des mesures immédiates s'imposaient pour éviter la disparition des réserves à brève échéance.

Ces prédictions désastreuses intéressent au plus haut point le marché des bois d'oeuvre et rejoignent les précédentes conclusions, à savoir qu'au rythme actuel de l'exploitation, les forêts de pins de Paraná sont vouées à l'épuisement dans un proche avenir. Et c'est sur ces publications, ainsi que sur celles de Heinsdijk (1960) et autres, qu'on avait initialement prévu la disparition imminente de cette espèce. Toutefois, du point de vue des ressources génétiques d'Araucaria, les prédictions en question ne laissent craindre ni l'élimination ni même un appauvrissement sérieux du patrimoine héréditaire de l'espèce. Ces prédictions n'ont trait qu'au bois d'oeuvre exploitable dans les peuplements vierges. Le bois d'oeuvre dans les peuplements exploités, commercialisable ou non, n'entre pas dans ces prédictions et cette catégorie constitue à présent la majeure partie des ressources forestières d'Araucaria.

Sur la base de la consommation pendant une période de cinq ans (1959 à 1964), ces mêmes prédictions laissent supposer que la baisse des réserves existantes est linéaire, alors que dans le cas d'une ressource en voie de dépérissement, la consommation suit théoriquement une courbe asymptote, étant donné que les producteurs marginaux sont les premiers à disparaître. Ainsi, la baisse de la consommation suit une courbe et non une ligne droite. Le tableau II indique la consommation d'Araucaria angustifolia jusqu'en 1971. Le fait qu'il n'y a pas eu de baisse sensible dans la production indique qu'on n'a pas atteint jusqu'ici le seuil de pénurie de la matière première.

En 1966, peu de temps après la création de l'IBDF, une loi d'incitation fiscale (loi No 5–106) a été promulguée. Elle stipule, parmi d'autres formules d'investissement, qu'un montant pouvant atteindre 50 pour cent de l'impôt sur le revenu peut être déduit de cet impôt et investi dans des travaux de reboisement approuvés. Cette déduction a été ultérieurement réduite à 25 pour cent. Dans les six années qui ont suivi la promulgation de la loi, des projets de reboisement portant sur un total de plus d'un million d'hectares ont été approuvés au Brésil. Aux termes de la loi, un pour cent au moins de la superficie de chaque projet doit être reboisée avec des espèces autochtones (IBDF, 1972), et dans la partie méridionale du Brésil, l'espèce autochtone c'est Araucaria. Récemment, en 1972, cette prescription a été portée à 25 pour cent de la surface pour la région d'origine d'Araucaria, ce qui veut dire que dans les Etats de Paraná, Santa Catarina, Rio Grande do Sul et Sao Paulo, un sur quatre des arbres plantés doit être autochtone. La plus grande partie des arbres autochtones employés sont des Araucaria. Ainsi, la superficie de reboisement en pins de Paraná est en voie d'augmentation et continuera de s'accroître dans l'avenir tant que le programme d'incitation fiscale demeurera en vigueur (Tableau III). Cet effort de reboisement n'a que peu d'intérêt pour l'industrie du bois dans l'avenir immédiat, mais du point de vue des ressources génétiques forestières, il met en évidence que la situation quant à l'extinction de l'espèce est loin d'être grave.

Il y a actuellement un certain nombre de projets en cours concernant l'Araucaria. Le projet BRA-45 est consacré à la recherche de régimes d'éclaircies et d'exploitation forestière permettant le maintien d'un taux de croissance optimum. Une étude approfondie des relations entre le sol et la station est également en bonne voie et sera d'un grand intérêt pour les projets de reboisement. Un essai de provenances portant sur 18 origines a été entrepris afin de situer les meilleures sources de semences pour les plantations futures. L'Institut forestier de Sao Paulo a également déployé une très grande activité dans l'étude de l'amélioration d'Araucaria. Un essai sur 3 origines, effectué sous son égide en 1954, lui a permis de conclure qu'il existe manifestement trois races géographiques d'Araucaria angustifolia (Gurgel et Gurgel Filho, 1965). En 1966, l'Institut de génétique de Piracicaba et le Service forestier de Sao Paolo ont entrepris une importante série d'essais de provenances. Ces essais, effectués dans neuf emplacements au Brésil, portaient sur 23 origines différentes (Gurgel Filho, publication non datée).

CONCLUSIONS

Il n'y a pas de danger d'extinction de l'espèce Araucaria angustifolia ni même d'appauvrissement grave de son patrimoine héréditaire. Il existe de vastes réserves de vieux Araucaria qu'on gardera de nombreuses années encore. D'autre part, la loi d'incitation fiscale favorise le reboisement et des milliers d'hectares de jeunes Araucaria viennent s'ajouter chaque année au patrimoine héréditaire de cette espèce. Toute crainte de dysgénésie peut être écartée, étant donné que la population d'origine existe toujours dans beaucoup de régions et que les descendants gardent la constitution génétique des populations mères, bien que des combinaisons favorables de gènes puissent être perdues pour une ou plusieurs générations. Jusqu'ici, leur existence n'est même pas établie et le développement remarquablement uniforme de l'espèce laisse supposer une nature plutôt homogène du patrimoine héréditaire. L'existence de races géographiques fait actuellement l'objet de recherches plus étendues qu'auparavant. A part quelques petits groupes isolés qui semblent en voie de disparition par le fait d'autres facteurs que l'exploitation du bois, et qui possèdent peutêtre quelques gènes utiles, le patrimoine génétique général est fort et bien distribué. Lorsqu'on voyage dans la région de l'Araucaria, il est rare que le regard ne rencontre pas un massif ou une poche d'Araucaria. Il y a littéralement des centaines de milliers d'arbres de la population d'origine qui sont restés dans la région, assurant ainsi la possibilité de recherches génétiques pour un grand nombre d'années à venir.

RECOMMANDATIONS

  1. Compte tenu de la situation actuelle, telle qu'elle ressort de la présente communication, Araucaria angustifolia devrait être retiré de la liste des espèces menacées d'extinction et on pourrait assigner à sa conservation une moindre priorité. Mais du fait de la valeur que présente son bois pour divers usages, tant la collecte que l'évaluation et l'utilisation de l'espèce doivent continuer à faire l'objet d'une haute priorité.

  2. Le Gouvernement brésilien, par l'intermédiaire de son Institut brésilien de développement forestier, devrait dès à présent prendre les mesures nécessaires pour la création de réserves parmi les meilleures régions d'Araucaria et la conservation de ces réserves comme ressources génétiques de valeur.

  3. L'IBDF devrait user davantage des pouvoirs que lui confère la loi en matière de réglementation des coupes afin que les ressources forestières restantes de l'espèce Araucaria soient soumises à un solide régime d'exploitation qui assure un rendement soutenu de ce bois d'un grand intérêt commercial.

  4. On devrait accorder plus d'importance à l'adaptation de l'espèce aux sites propices à son développement optimum, de manière à promouvoir un effort de reboisement plus vigoureux et de constituer un patrimoine héréditaire suffisant pour l'avenir.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

FAO, 1972
Rapport de la deuxième session du Groupe FAO d'experts des ressources génétiques forestières. FO:FGR/2/Rep. Rome. 68 pages

Gurgel Filho, O.A. non daté
Resumo do projeto de raças geográficas em pinheiro brasileiro, Araucaria angustifolia (Bert.) O. Ktze. Instituto Florestal, São Paulo

Gurgel, J.T.A. et Gurgel Filho, O.A. 1965
Evidências de raças geográficas no pinheiro brasileiro, Araucaria angustifolia (Bert.) O. Ktze, Ciência e Cultura. 17(1):33–39.

Heinsdijk, Dammis, Roberto O. Soares et Helmut Haufe. 1960
The future of the Brazilian pine forests. Fifth World Forestry Congress Proceedings (1):669–672.

Péllico Netto, Sylvio. 1971
Recursos florestais do sul do país. Revista Floresta 3(2):68–74.

Van Dillewijn, F.J. 1966
Inventário do pinheiro do Paraná. CERENA. 104 pages. illus.

IBDF. 1972
Código Florestal. 2. Ed. Rio de Janeiro. 65 pages.

TABLEAU I

Estimation de la superficie des réserves d'Araucaria

Réserves fédéralesSuperficie en hectares
Parcs5 500 
Forêts8 693
Autres7
Total14 200
 
Réserves d'Etats 
Parcs529
Forêts-    
Autres-    
Total529
 
Réserves privées 
Forêts1 600 000
Total général1 614 729

Source: Dillewijn, F.J. Inventário do Pinheiro no Paraná. Curitiba, CERENA, 1966.104 p.

TABLEAU II

Production (en m3 et tonnes) d'Araucaria; 1966–1970; Etat de Paraná

Produit  1966  1967  1968  1969  1970Moyenne quinquennale
Sciages (m3)1 594 1111 934 8651 679 4261 861 5571 714 7971 756 951
Placages (m3)  119 927   178 897   235 642  226 422  179 012  187 980
Pâte (tonnes)    18 775    41 456     49 507  133 856  251 949    99 108
Autres (m3)  150 862  286 459    80 052  146 439  481 190  229 000

Source: Péllico Netto, Sylvio. Recursos florestais do sul do país. Quadro 3. Floresta 3(2), 1971

TABLEAU III

Reboisements d'Araucaria au Brésil méridional en vertu de la loi d'incitation fiscale; 1967–1970

Etats1967196819691970Total
Paraná1 547,083 017,064 006,985 794,2714 365,39  
São Paulo   341,11  442,05  577,161 337,962 698,28
Sta. Catarina   417,791 353,681 665,281 888,205 324,95
R.G. do Sul1 425,481 716,281 730,71  508,185 380,65
Total3 731,466 529,077 980,139 528,6127 769,27 

Source: Instituto Brasileiro de Desenvolvimento Florestal. M.A.
(Données disponibles jusqu'en 1970 seulement)


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