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Quels effets auront les biocombustibles sur les terres boisées et l’accès des pauvres à ces terres?

Une étude publiée récemment par l’Institut international pour l’environnement et le développement (IIED) et la FAO, Fuelling exclusion? The biofuels boom and poor people’s access to land (L. Cotula, N. Dyer et S. Vermeulen, 2008), examine les retombées de l’extension des plantations industrielles destinées à la production de biocombustibles sur l’utilisation des terres et leur accès dans les pays producteurs. Les auteurs observent que des rendements agricoles plus élevés par unité de superficie et une transformation plus efficace ne peuvent à eux seuls répondre à la demande rapidement croissante des matières premières servant à la production de biocombustibles. Suivent quelques-unes des observations formulées ou citées dans l’étude.

On prévoit une conversion à grande échelle des forêts et des aires de conservation à la production de biocombustibles. En effet, d’importants changements d’affectation des terres favorisant les cultures de rente au détriment des forêts se sont déjà avérés. Les auteurs citent l’extension des plantations de palmiers à huile en Indonésie, qui a abouti au défrichement de 18 millions d’hectares de forêts au cours des 25 dernières années, bien que 6 millions d’hectares seulement aient été plantés en palmiers à huile jusqu’en 2006.

D’après l’Agence internationale de l’énergie, il est estimé que 14 millions d’hectares de terres étaient exploités en 2006 pour la production de biocombustibles et de leurs sous-produits, soit environ 1 pour cent de la totalité des terres cultivables disponibles. Au niveau mondial, la croissance prévue de la production de biocombustibles à l’horizon 2030 pourrait exiger de 35 à 54 millions d’hectares de terres (de 2,5 à 3,8 pour cent des terres cultivables disponibles) en fonction des politiques en vigueur. Il a également été prédit que, même avec de modestes réglementations concernant les émissions de gaz à effet de serre, 1,5 milliard d’hectares, soit l’équivalent du total actuel des terres agricoles mondiales, pourraient se trouver sous cultures bioénergétiques d’ici à 2050.

Quelles sont les étendues de terres disponibles pour répondre à ces besoins? Une grande proportion des superficies terrestres du monde n’est pas adaptée à l’agriculture (terrains trop arides, froids, escarpés et/ou pauvres en éléments nutritifs). L’Évaluation agro-écologique mondiale a estimé qu’à l’échelle mondiale 2,5 milliards d’hectares sont «très adaptés» ou «adaptés» à l’agriculture, et 784 millions d’hectares additionnels sont «modérément adaptés». En Amérique du Nord, Asie et Europe, la quasi-totalité des terres arables sont cultivées, ou bien recouvertes de forêts où l’agriculture provoquerait de «graves impacts environnementaux». Dans ces régions, l’expansion des cultures bioénergétiques ne peut se réaliser qu’en remplaçant d’autres cultures ou en empiétant sur les forêts.

C’est ainsi que 80 pour cent environ des réserves de terres agricoles mondiales se trouvent en Afrique et en Amérique du Sud, où la totalité des terres arables est estimée à respectivement 807 millions et 552 millions d’hectares (les trois catégories de terres adaptées moins les terres sous couvert forestier). Environ 227 millions et 183 millions d’hectares de ces terres, respectivement, sont déjà cultivées. Cependant, les auteurs remarquent que, si les terres sous culture itinérante et en jachère ne sont pas déjà incluses dans ces chiffres, la totalité des terres «cultivées» d’Afrique pourrait s’élever à 1,135 milliard d’hectares – superficie bien supérieure aux réserves disponibles présumées. Malgré les niveaux élevés d’incertitude, il est clair que les réserves de terres ayant un fort potentiel agricole sont extrêmement limitées. Environ la moitié des réserves de terres arables se situent dans six pays seulement: Angola, Argentine, Bolivie, Colombie, République démocratique du Congo et Soudan.

La plupart des politiques préconisent la plantation de cultures bioénergétiques sur des terres «marginales». Si l’on considère comme marginales les terres «modérément adaptées» citées plus haut, le monde possède 610 millions d’hectares de terres marginales non boisées. D’après une autre estimation, la totalité de la superficie mondiale de terres dégradées, définies comme terres tropicales jadis boisées non exploitées actuellement à des fins agricoles ou autres, s’élève à 500 millions d’hectares (100 millions en Asie, 100 millions en Amérique du Sud et 300 millions en Afrique). Les terres agricoles actuellement abandonnées pourraient atteindre, au niveau mondial, 386 millions d’hectares.

Plusieurs gouvernements ont pris des mesures pour identifier les terres en friche, sous-utilisées, marginales ou abandonnées, et pour les affecter à la production commerciale de biocombustibles. En Indonésie, par exemple, le Département de l’agriculture a signalé qu’il existe environ 27 millions d’hectares de «terres forestières improductives» qui pourraient être offertes aux investisseurs pour être transformées en plantations. Toutefois, d’importants obstacles pourraient s’opposer à la production commerciale de biocombustibles sur des terres marginales, et la surexploitation de ces terres pourrait entraîner des dommages écologiques à long terme ou permanents, comme la salinisation ou une forte érosion. L’utilisation de ces terres a aussi des répercussions sociales. Dans de nombreux cas, les moyens d’existence des pauvres et des groupes vulnérables dépendent de terres considérées par les gouvernements ou les entrepreneurs privés comme marginales (pour la petite agriculture, la garde des troupeaux et la récolte de produits sauvages). En Inde, par exemple, le jatropha est largement planté sur des terres «incultes» dont les ruraux se servent pour la récolte de bois de feu, les aliments, le fourrage, le bois de construction et le chaume.

Le régime foncier de ces terres pourrait être complexe, les gouvernements revendiquant leur propriété mais exerçant peu de contrôle au niveau local, et les populations locales réclamant leur droit aux ressources en vertu de systèmes de propriété coutumiers qui pourraient ne pas être juridiquement applicables. Dans le sud-ouest de la Chine, par exemple, où les gouvernements provinciaux envisagent d’étendre les plantations de jatropha jusqu’à 1 million d’hectares sur des terres «stériles» au cours des 15 prochaines années, il est possible que les trois quarts de ces terres appartiennent non pas à l’État mais à des collectivités villageoises dont les droits d’usage sont détenus par des ménages individuels. La majorité de l’investissement privé en biocombustibles a été jusqu’ici limitée aux terres étatiques, mais les plans ambitieux d’extension de la production de jatropha sont susceptibles d’entraîner la limitation des terres disponibles et l’empiètement de la culture sur les terres collectives.

Outre les impacts directs sur le régime foncier, la production de cultures bioénergétiques pourrait avoir des effets plus subtils sur l’accès aux ressources foncières. Le remplacement d’une culture vivrière par une culture bio­énergétique pourrait empêcher les paysans sans terre de glaner les résidus des récoltes; les époux pourraient s’approprier des terres appartenant à leurs épouses, si ces terres sont affectées à la production de cultures de rente plutôt que de subsistance; et les périodes de jachère risquent de se raccourcir, ce qui réduirait les terres destinées au pâturage communautaire.

Dans une large mesure, l’impact des biocombustibles sur l’accès à la terre consistera probablement en une augmentation de la valeur de la terre et des possibilités de revenus économiques accrues. Selon les auteurs, bien que l’impact soit essentiellement limitatif et négatif, la production de biocombustibles pourrait aussi renforcer l’accès à la terre pour certains utilisateurs pauvres, en réveillant l’intérêt des gens pour la terre et les investissements fonciers et en encourageant les petits agriculteurs à se procurer des droits de propriété plus sûrs. En Afrique du Sud, par exemple, les femmes ont planté des arbres destinés à la production de biocombustibles pour affirmer leur droit à des terres dont la propriété leur a été contestée par les familles de leurs maris décédés.

Une série de politiques et de processus peuvent influencer les liens entre les biocombustibles et l’accès à la terre – internationaux (cours internationaux des produits, barrières commerciales pour les biocombustibles), nationaux (cadres juridiques et de décision relatifs aux biocombustibles et aux régimes fonciers) et locaux (parité des droits fonciers coutumiers et officiels). Certains d’entre eux (politiques nationales visant à promouvoir l’expansion des plantations produisant des matières premières à des fins d’exportation ou dissymétrie des pouvoirs entre les petits exploitants actuels et les grands intérêts commerciaux potentiels) pourraient aggraver la perte d’accès à la terre pour les pauvres et les petits agriculteurs. Cependant, un ensemble croissant de bonnes pratiques et de démarches commerciales novatrices tente de promouvoir une gestion plus équitable et viable des terres. La société civile a aussi un rôle à jouer dans la protection de l’environnement et des droits fonciers et humains contre d’éventuelles utilisations abusives associées aux biocombustibles. En Ouganda, l’assignation des réserves forestières nationales de Bugala et de Mabira à des entreprises étrangères pour l’établissement de plantations de palmiers à huile et de canne à sucre a provoqué des manifestations à Kampala, des menaces de procès par des organisations non gouvernementales, le boycottage du sucre, des pétitions et une campagne de messages transmis par téléphone cellulaire. Le Gouvernement ougandais a retiré par la suite les plans préparés pour convertir la réserve forestière de Bugala en plantations de canne à sucre.

Pour les sources d’information citées dans cet article, voir le texte complet de Fuelling exclusion? The biofuels boom and poor people’s access to land, disponible à l’adresse: www.iied.org/pubs/pdfs/12551IIED.pdf


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