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La sous-alimentation dans le monde

Dénombrement des victimes de la faim: dernières estimations

LES DERNIÈRES ESTIMATIONS de la FAO signalent un recul dans le combat contre la faim.

Le nombre de personnes chroniquement sous-alimentées dans les pays en développement n'a baissé que de 19 millions entre 1990-1992, période de référence du SMA, et 1999-2001. Cela signifie que pour atteindre l'objectif du Sommet, à savoir réduire de moitié le nombre de personnes sous-alimentées d'ici 2015, il faudra accélérer le rythme des réductions annuelles pour le porter à 26 millions par an, soit plus de 12 fois la cadence à laquelle on est parvenu jusqu'à présent (2,1 millions par an).

Une analyse des tendances plus récentes révèle des perspectives encore plus sombres. Entre 1995-1997 et 1999-2001, le nombre de personnes sous-alimentées a carrément augmenté de 18 millions (voir page 8 pour une analyse et des informations détaillées).

A l'échelle mondiale, la FAO estime à 842 millions le nombre de personnes sous-alimentées en 1999-2001, réparties comme suit: 10 millions de personnes dans les pays industrialisés, 34 millions dans les pays en transition et 798 millions dans les pays en développement. Au niveau régional, le nombre de personnes sous-alimentées a été réduit dans les régions Asie et Pacifique et Amérique latine et Caraïbes, mais continue d'augmenter en Afrique subsaharienne, au Proche-Orient et en Afrique du Nord.

Améliorer les estimations de la FAO relatives à la prévalence de la sous-alimentation

Pour estimer la prévalence de la sous-alimentation, la FAO tient compte de la quan-tité d'aliments disponibles par habitant au niveau national et du degré d'inégalité dans l'accès à la nourriture.

Un Colloque scientifique international sur la mesure et l'évaluation des carences alimentaires et de la dénutrition, tenu en 2002, a conclu que la méthode employée par la FAO était la seule disponible à l'heure actuelle pour estimer la prévalence de la sous-alimentation aux niveaux mondial et régional. Il a aussi demandé que des efforts soient faits pour améliorer à la fois les données et l'approche analytique adoptée pour obtenir ces estimations.

En réponse aux recommandations du Colloque, la Division de la statistique de la FAO a renforcé ses activités dans plusieurs domaines, notamment en:

• étendant l'utilisation de la méthodologie de la FAO à la mesure de la gravité des carences alimentaires à des niveaux infranationaux, tels que les zones urbaines et rurales;

• rapprochant les estimations de la consommation alimentaire nationale découlant des bilans alimentaires et de celles provenant d'enquêtes auprès des ménages;

• analysant les tendances en matière d'iné-galité d'accès à la nourriture;

• révisant les besoins énergétiques mini-maux servant de référence pour définir les carences alimentaires à la lumière de nouvelles recommandations formulées par une Consultation d'experts FAO/OMS/ONU; et en

• intégrant l'analyse des tendances en matière de carences alimentaires et à celles portant sur l'état nutritionnel.

 

Ces chiffres et ces tendances s'expliquent par des pas en avant et en arrière dans quelques grands pays. A elle seule, la Chine a réduit de 58millions sa population sous-alimentée depuis la période de référence du SMA, mais la progression s'est ralentie dans ce pays au fur et à mesure que la prévalence de la sous-alimentation diminuait. Dans le même temps, l'Inde a amorcé un retour en arrière. Après avoir diminué de 20 millions entre 1990-1992 et 1995-97, le nombre de personnes sous-alimentées y a augmenté de 19 millions, au cours des quatre années suivantes.

 

Dénombrement des victimes de la faim: tendances récentes dans les pays en développement et en transition

CONSIDÉRANT LA LENTEUR des progrès accomplis depuis 1990-1992, la réalisation de l'objectif du Sommet mondial de l'alimentation de réduire de moitié le nombre des personnes souffrant de la faim d'ici à 2015 apparaît comme une perspective de plus en plus lointaine. Une analyse plus attentive des chiffres
révèle une tendance encore plus inquiétante. Si l'on subdivise en deux parties la période de neuf ans considérée, les chiffres relatifs au groupe des pays en développement indiquent en réalité une augmentation du nombre des personnes sous-alimentées de 4,5 millions par an au cours de la sous-période la plus récente, de 1995-1997 à 1999-2001.

Les données relatives aux pays pris individuellement montrent que 19 pays seulement ont réussi à réduire le nombre de leurs citoyens sous-alimentés au cours des deux sous-périodes. Dans ces pays, le nombre total des personnes souffrant de la faim a diminué de plus de 80 millions durant les neuf années considérées (voir le graphique ci-dessous).

A l'autre extrémité de l'échelle, on trouve 26 pays dont la population en situation de sous-alimentation s'est accrue au cours des deux sous-périodes. Dans la plupart d'entre eux, la prévalence de la sous-alimentation était déjà élevée (plus de 20 pour cent) en 1990-1992. Dans les neuf années qui ont suivi, le nombre des victimes de la faim a augmenté dans ces pays de près de 60 millions.

Analyse des facteurs clés des progrès accomplis et des renversements de tendance enregistrés dans la lutte contre la faim

L'analyse des facteurs qui contribuent aux progrès dans la lutte contre la faim a permis de mettre en relief l'association particulièrement efficace de six indicateurs pour différencier les groupes de pays selon les résultats obtenus entre 1990-1992 et 1999-2001. Ces indicateurs sont la croissance de la population, la croissance du PIB par habitant, les dépenses de santé en pourcentage du PIB, le pourcentage d'adultes atteints du VIH, le nombre des crises alimentaires et l'Indice du développement humain du PNUD (qui recueille déjà en soi de nombreux indicateurs économiques et sociaux).

Dans les pays qui sont parvenus à réduire la faim tout au long de la période de neuf ans considérée, le PIB par habitant a progressé à un taux annuel de 2,6 pour cent - plus de cinq fois le taux de croissance observé dans les pays où la sous-alimentation a augmenté au cours des deux sous-périodes (0,5 pour cent). Les pays qui ont obtenu les meilleurs résultats ont également enre-gistré une croissance agricole plus rapide (3,3 pour cent par an contre à peine 1,4 pour cent dans les pays où la faim a augmenté tout au long de la décennie), des taux d'infection par le VIH inférieurs, une croissance plus lente de la population et des crises alimentaires bien moins nombreuses.

Une première analyse (voir encadré) met en relief un certain nombre de facteurs susceptibles d'avoir contribué au succès de certains pays et à l'échec des autres. Comme il fallait s'y attendre, les pays qui sont parvenus à réduire la faim au cours des deux sous-périodes ont également été caractérisés par une croissance économique plus forte. En revanche, ceux dont la population sous-alimentée a augmenté ont enregistré un plus grand nombre de crises alimentaires et un taux d'infection par le VIH plus élevé.

Cette analyse n'est pas porteuse que de mauvaises nouvelles. Vingt-deux pays, dont le Bangladesh, Haïti et le Mozambique, ont réussi, du moins temporairement, à renverser la tendance. Dans ces pays, le nombre des personnes sous-alimentées a fléchi dans la deuxième partie de la décennie après avoir augmenté au cours des cinq premières années.

Dans 17 autres pays, la tendance a toutefois pris une direction opposée et le nombre des personnes sous-alimentées, qui avait diminué, a commencé à croître. Ce groupe comprend plusieurs pays densément peuplés, comme l'Inde, l'Indonésie, le Nigéria, le Pakistan et le Soudan.

Par ailleurs, les progrès ont ralenti dans bon nombre des pays qui avaient obtenu d'excellents résultats dans les cinq premières années de la période, notamment la Chine. Ces pays ayant rapporté la prévalence de la sous-alimentation à des niveaux modérés (moins de 20 pour cent), on ne doit pas attendre à ce qu'ils continuent d'être le moteur d'une avancée du monde en développement dans ce domaine.

Considérant les renversements de tendance enregistrés dans de nombreux grands pays et le ralentissement des progrès réalisés dans d'autres, le modèle d'évolution pour les pays en développement dans leur ensemble a changé, passant d'une tendance à la baisse à une tendance à la hausse. Entre 1995-1997 et 1999-2001, le nombre des personnes souffrant de la faim dans les pays en développement a augmenté de 18 millions, annulant ainsi près de la moitié de la réduction de 37 millions enregistrée dans les cinq années précédentes. A moins d'une amélioration significative dans les grands pays où l'avancée s'est arrêtée, il sera difficile de renverser cette tendance négative.

Sous-alimentation en augmentation dans de nombreux pays en transition

La première analyse de la FAO concernant les changements enregistrés depuis le démembrement de l'Union soviétique et de la Yougoslavie indique que la faim est en progression dans bon nombre de pays en transition. Globalement, le nombre des populations sous-alimentées est passé dans ces pays de 25 à 34 millions entre 1993-1995 et 1999-2001. Il s'agit d'estimations provisoires, car les enquêtes par sondage sur les ménages destinées à remplacer les données qui dans le système de planification centrale provenaient de registres administratifs, n'en sont encore qu'à un stade préliminaire.

Les avancées de la sous-alimentation ont presque toutes été enregistrées dans la Communauté des Etats indépendants (CEI), où le nombre des victimes de la faim a augmenté passant de 20,6 à 28,8 millions et de 7 à 10 pour cent. La transition économique s'est accompagnée de profonds changements administratifs et politiques qui ont bouleversé les relations commerciales et de change, déterminant de graves pénuries de devises. Il y a eu en outre une rupture des systèmes de production et de commercialisation agricoles.

Les pays baltes et les pays d'Europe orientale ont en grande partie évité ces problèmes. Dans la plupart de ces pays, la prévalence de la sous-alimentation a diminué ou est restée stable. Cela n'a toutefois pas été le cas en Bosnie-Herzégovine, en Bulgarie, en Lettonie, dans L'ex-République yougoslave de Macédoine et en Serbie-et-Monténégro, où la prévalence de la sous-alimentation a augmenté ou était encore importante en 1999-2001.

 

L'insécurité alimentaire et le VIH/SIDA: quand les urgences à court terme se conjuguent avec une crise de longue durée

DEPUIS QUE L'ÉPIDÉMIE DE VIH/SIDA s'est déclarée, 25 millions de personnes sont mortes de la maladie, et 42 millions sont aujourd'hui infectées par le VIH. Au cours de la présente décennie, on prévoit que le SIDA fera plus de victimes que toutes les guerres et les catastrophes des 50 dernières années.

La crise alimentaire, qui a menacé plus de 14 millions de personnes en Afrique australe en 2002-2003 a braqué les projecteurs sur les interactions entre le VIH/SIDA et la sécurité alimentaire. Elle a démontré qu'il était impossible de mener une lutte efficace contre la faim dans les régions ravagées par le SIDA si les interventions n'étaient pas axées sur les besoins spécifiques des ménages touchés par le VIH/SIDA et n'englobaient pas des mesures pour prévenir la maladie et ralentir sa propagation.

VIH/SIDA et crise alimentaire:
une double urgence chronique?

La crise alimentaire de l'Afrique australe s'est déclenchée sous l'effet combiné de sécheresses récurrentes, de l'échec des politiques économiques et des troubles civils. Son impact a été aggravé par l'épidémie dévastatrice de SIDA qui avait déjà anéanti des millions de familles, compromis le secteur alimentaire et affaibli la capacité de réaction des gouvernements. Rien qu'en 2001, l'année qui a précédé la crise, près de 500 000 personnes sont mortes du SIDA dans les pays touchés, laissant environ 2,5 millions d'orphelins.

Les gouvernements et les organisations internationales ont réagi rapidement en déployant une aide alimentaire d'urgence, mais les rapports émanant du terrain mettaient en garde contre ce nouveau type d'urgence, dans laquelle de graves pénuries alimentaires à court terme se conjuguent à un effondrement sans précédent de la situation sanitaire, de la production agricole et de la sécurité alimentaire, destiné à durer plusieurs décennies. L'épidémie de SIDA est déclenchée par un virus à action lente, avec une courbe épidémique qui s'étend sur une bonne partie du siècle (voir graphique).

Le sida sape la sécurité alimentaire

Le VIH/SIDA provoque et exacerbe l'insécurité alimentaire de nombreuses manières. La plupart de ses victimes sont de jeunes adultes qui tombent malades et meurent durant les années où ils devraient être les plus productifs. Ils laissent derrière eux une population avec une proportion trop grande de personnes âgées et de jeunes, dont beaucoup sont orphelins (voir graphique). L'impact sur la production agricole et la sécurité alimentaire est souvent dévastateur.

D'ici l'an 2020, l'épidémie aura décimé au moins un cinquième de la population active agricole dans la majorité des pays d'Afrique australe (voir graphique). Déjà, dans plusieurs pays touchés, 60 à 70 pour cent des exploitations agricoles ont subi des pertes de main-d'œuvre, à cause du VIH/SIDA. Dans certaines zones durement touchées, des études ont révélé que plus de la moitié des ménages étaient dirigés par des femmes (30 pour cent, essentiellement veuves), des grands-parents (près de 20 pour cent) et des enfants restés orphelins (près de 5 pour cent). Privés de main-d'œuvre, de ressources et de connaissances sur les cultures vivrières de base et de rente, de nombreux ménages sont passés à la culture d'aliments de première nécessité. D'autres ont carrément abandonné leurs champs. Une étude sur l'agriculture collective au Zimbabwe a montré que la production de maïs avait chuté de 61 pour cent, parmi les ménages ayant subi un décès lié au SIDA (voir graphique).

Or l'impact continuera à être ressenti pendant les générations à venir. Le SIDA réduit les investissements agricoles. Il dépouille les ménages de leurs biens en les contraignant à brader le peu qu'ils possèdent pour payer les dépenses médicales et funéraires, ou simplement pour survivre. Il force les enfants, en particulier les filles, à abandonner l'école pour travailler ou prendre soin de leurs parents malades, et interrompt le transfert de compétences et de connaissances essentielles, d'une génération à l'autre. Dans deux districts du Kenya touchés par le SIDA, une étude a constaté que 7 pour cent seulement des orphelins dirigeant des exploitations agricoles avaient des connaissances adéquates dans ce domaine.

Selon les projections de l'ONU-SIDA, entre 2000 et 2020, 55 millions d'Africains mourront plus tôt qu'ils ne l'auraient fait en l'absence du SIDA, soit un total équivalant à toute la population de l'Italie. Cette catastrophe humaine sans précédent paralysera le développement économique et social. D'après les estimations récentes, la pandémie a déjà réduit les taux de croissance économique nationaux de 2 à 4 pour cent par an, dans toute l'Afrique. Les données indiquent également que la sous-alimentation a continué à augmenter dans les pays où le VIH/SIDA était déjà généralisé en 1991, mais déclinait ailleurs en Afrique subsaharienne (voir graphique).

La faim favorise l'épidémie de SIDA

Si le VIH/SIDA est devenu une cause majeure de la faim, l'inverse est vrai aussi. La faim accélère à la fois la propagation du virus et l'évolution de la maladie. Les personnes qui souffrent de la faim tendent à adopter des stratégies audacieuses pour survivre. Elles sont fréquemment obligées d'émigrer, souvent vers des bidonvilles où les taux d'infection par le VIH/SIDA sont élevés. En désespoir de cause, des femmes et des enfants vendent leur corps pour de l'argent et de la nourriture, s'exposant au risque d'infection.

Quant à ceux qui ont déjà été infectés par le VIH, la faim et la malnutrition accroissent leur vulnérabilité aux infections opportunistes, qui favorisent une déclaration plus précoce du SIDA caractérisé. Une fois que la maladie est installée, l'absorption des nutriments est réduite, l'appétit et le métabolisme sont perturbés et les muscles, les organes et les autres tissus dépérissent. Les personnes atteintes du VIH/SIDA doivent manger beaucoup plus pour lutter contre la maladie, contrecarrer la perte de poids et mener une vie productive.

La sécurité alimentaire contribue à la prévention du SIDA

Comme l'a montré la crise en Afrique australe, les interventions de sécurité alimentaire doivent être planifiées «dans une optique VIH/SIDA». Les filets de sécurité traditionnels basés sur l'aide alimentaire ne sont pas suffisants et peuvent se révéler inefficaces.

Les familles qui ont perdu leurs principaux «membres productifs» ne sont pas toujours en mesure de participer aux projets «vivres-contre-travail», couramment utilisés pour fournir des rations alimentaires d'urgence en échange d'un travail dans des projets de travaux publics. Pour se reprendre et atteindre un certain degré d'autosuffisance, ces familles ont besoin à la fois d'une aide alimentaire et de programmes de développement agricole qui répondent à leurs besoins en privilégiant les cultures nutritives demandant peu de main-d'œuvre, la diversification qui étale les besoins en main-d'œuvre et les récoltes de manière plus régulière sur toute l'année, et l'éducation et la formation pour les enfants et les adolescents restés orphelins.

L'intégration de mesures de prévention et de lutte contre le SIDA et de soins nutritionnels aux personnes touchées par la maladie dans des programmes de sécurité alimentaire et de nutrition peut contribuer à réduire la propagation et l'impact de la maladie. En effet, si des urgences alimentaires à court terme se conjuguent avec la crise du SIDA qui est destinée à durer, la sécurité alimentaire des ménages sera probablement l'élément le plus important de la stratégie de prévention et des interventions de lutte.

L'eau et la sécurité alimentaire

IL EXISTE UNE CORRÉLATION étroite entre l'eau et la sécurité alimentaire. L'agriculture est de loin le secteur qui utilise le plus d'eau, avec environ 69 pour cent de tous les prélèvements dans le monde, et plus de 80 pour cent dans les pays en développement. Un accès assuré à des quantités d'eau adéquates accroît les rendements agricoles, en accroissant la production alimentaire et les revenus dans les zones rurales où vivent les trois quarts des personnes qui souffrent de la faim dans le monde. Il n'est pas surprenant que les pays qui ont un meilleur accès à l'eau tendent aussi à avoir des niveaux de sous-alimentation plus faibles (voir graphique).

Si l'eau est un élément clé de la sécurité alimentaire, le manque d'eau peut être une cause majeure de famine et de sous-alimentation, en particulier dans les zones rurales à déficit vivrier où les populations sont tributaires de l'agriculture locale à la fois pour leur alimentation et pour leurs revenus. La sécheresse est classée comme la cause individuelle la plus courante de graves pénuries alimentaires dans les pays en développement. Pour les trois dernières années pour lesquelles on dispose de données, la sécheresse a été recensée parmi les causes dans 60 pour cent des crises alimentaires (voir graphique).

L'Afrique est à la fois le continent le plus sec (à part l'Océanie) et la région où la prévalence de la faim est la plus élevée. Sur le continent, la sous-alimentation et les famines périodiques ont affligé les zones semi-arides et exposées à la sécheresse (voir carte).

Même là où les disponibilités totales d'eau sont suffisantes, l'irrégularité des précipitations et de l'accès à l'eau peuvent causer des pénuries alimentaires à court terme et une insécurité alimentaire à long terme. Les inondations sont une autre cause majeure de crises alimentaires. De brusques différences saisonnières dans les disponibilités d'eau peuvent aussi accroître l'insécurité alimentaire. En Inde, par exemple, plus de 70 pour cent des précipitations annuelles surviennent pendant les trois mois de la mousson, où la plus grande partie va se déverser dans la mer. Les agriculteurs dépourvus d'installations d'irrigation doivent faire les comptes avec le manque d'eau pendant une grande partie de l'année et avec la menace de mauvaises récoltes en cas de moussons défavorables.

L'irrigation augmente les rendements tout en reduisant la faim et la pauvrete

En garantissant un approvisionnement en eau adéquat et fiable, l'irrigation accroît de 100 à 400 pour cent les rendements de la plupart des cultures (voir graphique). Bien que 17 pour cent seulement des terres agricoles du monde sont irriguées, ces 17 pour cent fournissent 40 pour cent de la production alimentaire mondiale.

Outre l'élévation des rendements, l'irrigation accroît les revenus et réduit la faim et la pauvreté. Des données démontrent que là où l'irrigation est largement disponible, la prévalence de la sous-alimentation et de la pauvreté est moindre (voir graphique).

Des études en cours dans les pays asiatiques démontrent que l'irrigation atténue à la fois la pauvreté permanente et temporaire. En Inde par exemple, une étude de la Banque mondiale a constaté que 69 pour cent des personnes vivant dans des districts non irrigués étaient pauvres, contre 26 pour cent seulement dans les districts irrigués.

Les agriculteurs bénéficient directement de l'irrigation à travers une augmentation et une stabilité accrue de leurs revenus et la revalorisation des terres irriguées. Même les travailleurs sans terre et les petits agriculteurs qui manquent de ressources pour recourir eux-mêmes à l'irrigation en tirent souvent profit à travers des salaires plus élevés, des prix alimentaires plus bas et un régime alimentaire plus varié. Des études menées au Bangladesh et en Inde ont révélé que chaque emploi créé dans l'agriculture irriguée engendre un autre emploi dans les services agricoles et l'industrie de transformation. L'irrigation a une incidence particulièrement marquée sur la lutte contre la faim lorsqu'elle est basée sur l'emploi d'une main-d'œuvre importante et de techniques artisanales d'un prix abordable et lorsqu'elle est combinée avec un accès au crédit, à la commercialisation et aux services de vulgarisation agricole.

Regard vers l'avenir

Au cours des 30 prochaines années, on prévoit que la population de la planète s'accroîtra de 2 milliards de personnes. Pour nourrir cette population en expansion et réduire l'incidence de la faim, il faudra augmenter de manière significative et durable les rendements agricoles. Or, cela suppose de développer l'utilisation de l'irrigation et d'améliorer la gestion de l'eau, même si un nombre croissant de pays sont confrontés à des pénuries d'eau.

D'après les prévisions de la FAO, la superficie irriguée dans l'ensemble des pays en développement augmentera de près de 20 pour cent d'ici 2030. En utilisant plus efficacement l'eau d'irrigation et en tirant parti de la possibilité d'obtenir plusieurs récoltes par an sur des terres irriguées, la FAO estime que la superficie irriguée effective peut être accrue de 34 pour cent, en limitant l'augmentation de la consommation d'eau à 14 pour cent. La plus forte augmentation (44 pour cent) est attendue en Afrique subsaharienne, où 4 pour cent seulement des terres arables sont aujourd'hui irriguées.

L'irrigation à grande échelle n'est pas toujours une option possible ou souhaitable. Dans certaines zones, comprenant une grande partie de l'Afrique, les régimes des pluies et la géologie des bassins hydrographiques excluent toute possibilité d'irrigation rentable par rapport au coût. Dans d'autres, l'irrigation mal gérée et la surexploitation des nappes souterraines constituent une menace pour la durabilité et la sécurité alimentaire. D'après les estimations, 7 à 10 pour cent des 270 millions d'hectares de terres irriguées existant dans le monde ont été dégradés par l'accumulation de sels. Dans de nombreuses zones, l'eau souterraine est pompée pour irriguer beaucoup plus rapidement qu'elle ne peut être reconstituée par l'eau de pluie qui s'infiltre dans le sol. En Chine, où plus de la moitié des terres irriguées sont alimentées par des puits tubulaires, les nappes phréatiques ont diminué, dans des proportions allant jusqu'à 50 m au cours des 30 dernières années.

Là où l'eau est rare et l'environnement fragile, la réalisation de la sécurité alimentaire peut dépendre de ce que l'on a appelé «eau virtuelle» - à savoir d'aliments importés à des pays où l'eau est abondante. Il faut 1 mètre cube d'eau pour produire un kilo de blé. En extrapolant à partir de ces chiffres, la FAO a calculé que pour produire la quantité d'aliments importés par les pays du Proche-Orient en 1994, il aurait fallu autant d'eau que le débit annuel total du Nil à Assouan. Dans ces conditions, il peut être justifié d'importer des produits alimentaires et d'utiliser les ressources en eau limitées à d'autres fins, notamment pour produire des cultures ayant une valeur marchande élevée pour l'exportation.

Les «points chauds» de la faim

AU MOIS DE JUILLET 2003, 36 pays du monde étaient confrontés à de graves crises alimentaires nécessitant une aide alimentaire internationale. Les causes de ces pénuries alimentaires sont variées et complexes. Comme on le constate sur la carte, les lieux sont tristement familiers. Tous les pays touchés en 2003 avaient connu des urgences alimentaires pendant au moins deux années consécutives. Beaucoup avaient été frappés par de graves pénuries alimentaires pendant au moins une décennie.

En Afrique australe, la production alimentaire a amorcé un redressement après la grave sécheresse qui a entraîné en 2001-2002 des pertes de récolte allant jusqu'à 50 pour cent. Cependant, plusieurs pays de la région sont encore confrontés à de graves pénuries et tous doivent faire les comptes avec l'impact à long terme de la pandémie du VIH/SIDA.

Plus au nord, une situation de préfamine a été signalée en Erythrée et dans certaines régions de l'Ethiopie, où les cultures se sont flétries, le bétail meurt à cause du manque d'eau et de pâturage, et des millions de personnes ont besoin d'une aide alimentaire d'urgence.

Plusieurs pays asiatiques ont aussi été confrontés aux effets des intempéries, notamment de la sécheresse et d'hivers anormalement froids et enneigés en Mongolie.

Bien que la sécheresse et d'autres calamités naturelles restent les causes les plus courantes des urgences alimentaires, une proportion croissante de ces catastrophes est aujourd'hui provoquée par l'homme. Dans plusieurs pays d'Afrique centrale et occidentale, des troubles civils ont désorganisé la production alimentaire et l'accès à la nourriture.

Même les faits nouveaux qui se produisent sur les marchés internationaux des produits de base peuvent déclencher des crises alimentaires dans des pays qui sont fortement tributaires d'exportations de produits agricoles ou d'importations vivrières. L'effondrement des prix du café a été une cause majeure de l'augmentation de l'insécurité alimentaire en Amérique centrale.

Globalement, les conflits et les problèmes économiques ont été cités comme les principales causes de plus de 35 pour cent des urgences alimentaires durant la période 1992-2003 (voir graphique).

La récurrence et la persistance des urgences mettent en évidence un certain nombre de pays qui peuvent être considérés comme des «points chauds de la faim». Trente-trois pays ont connu des urgences alimentaires pendant plus de la moitié de la période 1986-2003, qui a duré 17 ans. De nombreuses urgences complexes découlant de conflits sont persistantes et se transforment en crises à long terme. Huit pays ont été confrontés à des urgences pendant au moins 15 ans durant la période 1986-2003. La guerre ou les troubles civils étaient un facteur important dans ces huit pays.

Les sécheressés pénalisent lourdement les communautes pastorales

Deux années consécutives de grave sécheresse ont décimé la production végétale et animale en Mauritanie et déclenché une crise alimentaire. Dans un pays où moins de 1 pour cent des terres peuvent être cultivées, l'élevage représente 70 pour cent de la production agricole et 15 pour cent du PIB. Or, le manque d'eau a contraint les éleveurs à vendre ou à abattre bon nombre de leurs animaux. Les ventes en catastrophe ont fait chuter les prix de plus de 50 pour cent en un an.

De l'autre côté du globe, plusieurs années de sécheresse et d'hivers rudes ont dévasté la production animale en Mongolie. Des chutes de neige anormalement fortes en 2003 ont tué jusqu'à 2,5 millions d'animaux, compromettant les moyens de subsistance de près d'un quart de la population du pays. D'après les estimations, 80 pour cent de Mongoliens, dont beaucoup sont des pasteurs nomades, élèvent du bétail, qui représente près de 90 pour cent de la production agricole.

Les crises alimentaires en Mauritanie et en Mongolie mettent en évidence la vulnérabilité des systèmes pastoraux traditionnels, en particulier des systèmes nomades qui sont la principale source d'aliments et de revenus dans les parcours semi-arides qui se prêtent mal à la production végétale.

Globalement, on estime que 675 millions de ruraux pauvres dépendent entièrement ou en partie de l'élevage pour leur subsistance. D'autres estimations indiquent que jusqu'à 70 pour cent des ruraux pauvres possèdent du bétail. Ce chiffre inclut près de 200 millions de pasteurs et plus de 100 millions d'éleveurs de bétail sans terre dans des régions d'agriculture mixte presque exclusivement tributaires de l'élevage.

Leurs animaux et leurs moyens d'existence sont fortement exposés aux sécheresses et aux inondations, à la dégrada-tion des ressources et aux épidémies. Ils sont en outre soumis à une pression croissante au fur et à mesure que les populations humaines s'accroissent et que les zones de pâturage diminuent.

En Afghanistan, trois années consécutives de grave sécheresse (1999-2001) ont abouti à des ventes en catastrophe massives et à des pertes d'animaux qui ont réduit le cheptel de près de 60 pour cent. La majorité des nomades Kuchis ont perdu la quasi-totalité de leurs troupeaux.

En Erythrée, la pire sécheresse depuis plusieurs décennies a entraîné des pertes d'animaux allant jusqu'à 10 à 20 pour cent dans certaines zones, en 2002.

La même sécheresse a également frappé l'Ethiopie voisine, qui possède l'un des cheptels les plus importants d'Afrique. Les zones pastorales orientales de l'Afar et de la Somalie ont été les plus durement touchées. Des pénuries aiguës d'eau et de fourrage ont causé des pertes allant jusqu'à 40 pour cent pour les bovins, et jusqu'à 10 à 15 pour cent pour les ovins et les caprins. Les prix des produits animaux ont chuté de 50 pour cent.

Ces urgences soulignent le fait que les systèmes de production animale traditionnels font vivre quelques-unes des communautés les plus vulnérables du monde dans des environnements qui sont parmi les plus rudes. Elles soulignent aussi la nécessité de mettre en œuvre des programmes de prévention des urgences et de remise en état, pour répondre aux besoins spécifiques des éleveurs.

Les systèmes d'alerte rapide ont eu du mal à détecter l'impact de la sécheresse sur les pasteurs nomades et à fournir les informations requises pour les aider à y faire face et à se reprendre. Les communautés pastorales ont en général besoin de différents types d'aide pendant de plus longues périodes que les agriculteurs qui comptent principalement sur la production végétale. Lorsque les pluies reviennent après une sécheresse, par exemple, les agriculteurs n'ont généralement guère besoin que de semences, d'engrais et d'une bonne campagne agricole pour retomber sur leurs pieds, alors que les pasteurs peuvent avoir besoin d'être assistés pendant plusieurs années pour tempérer la crise, reconstituer leur stock de géniteurs et reconstruire les troupeaux qui représentent à la fois leurs moyens d'existence et l'épargne de toute une vie. A long terme, d'autres solutions doivent être trouvées pour ceux qui ne peuvent plus vivre de l'élevage nomade.

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