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LE DROIT A UNE ALIMENTATION ADEQUATE ET L’AIDE ALIMENTAIRE


Les questions éthiques importantes relatives à la nourriture vont bien au-delà des orientations en matière de sécurité sanitaire des aliments. Bien qu’il soit clair que la plupart de ces questions n’entrent pas dans le cadre de la présente Consultation d’experts, l’innocuité des aliments est fortement liée à la sécurité sanitaire des aliments. Les jugements de valeurs inhérents à la prise de décision en matière de sécurité sanitaire des aliments peuvent rester latents jusqu’à ce que la nécessité, née d’une crise, exige leur exploration. Nous sommes souvent confrontés à des jugements de valeur importants dans des situations de pénurie alimentaire ou de famine qui exigent de se focaliser sur la fourniture de denrées alimentaires pour assurer la survie même d’une population. Dans ces circonstances extrêmes, l’examen des autres valeurs est éclipsé par la recherche de nourriture. Il est important de réfléchir sur les valeurs qui s’appliquent aux systèmes de sécurité sanitaire des aliments en général et examiner leurs conséquences pratiques sur le traitement de la sécurité sanitaire des aliments lorsque l’accès d’une population à une alimentation adéquate est problématique. Une telle réflexion contribue à améliorer la planification prévisionnelle et à s’assurer que les questions éthiques ne soient pas négligées, même dans les situations de crise qui exigent de réagir avec conviction, justesse et rapidité.

Le droit à une alimentation adéquate

Le droit de l’homme à une alimentation adéquate est reconnu dans plusieurs instruments élaborés dans le cadre du droit international. Le Commentaire général n° 12 sur le droit à une alimentation adéquate adopté par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies affirme que le droit à une alimentation adéquate est indissociable de la dignité intrinsèque de la personne humaine et indispensable à la réalisation des autres droits fondamentaux. Le commentaire général affirme également qu’une telle nourriture doit être salubre («exempte de substances nocives») et acceptable dans une culture déterminée. Le droit à la nourriture suppose le droit de produire ou d’acheter la nourriture nécessaire à chacun, et exige que ceux qui n’y ont pas accès pour des raisons qu’ils ne maîtrisent pas puissent en disposer. Le droit à une alimentation adéquate s’adresse donc à tous, consommateurs et producteurs, ainsi qu’à ceux qui sont incapables de produire ou d’acheter leur propre nourriture. Dans ce dernier cas, le droit international reconnaît que chacun, au minimum, doit disposer d’une alimentation adéquate pour être épargné par la faim. Ce droit peut être appliqué via l’aide alimentaire et via l’assistance qui permettra aux individus d’être consommateurs ou exploitants.

La conséquence la plus importante du droit à une alimentation adéquate est que les états et les populations doivent être aidés pour être capables de résoudre eux-mêmes les situations d’insécurité sanitaire des aliments. Au premier chef, le droit à une alimentation adéquate ne doit pas être considéré comme le droit de recevoir un type d’aide alimentaire particulier mais comme le droit d’être assisté pour créer sa propre sécurité sanitaire des aliments. Il en découle que l’assistance accordée pour parvenir à une sécurité sanitaire des aliments durable doit aussi garantir que la capacité est suffisante pour que la nourriture soit saine et nutritive.

La Consultation estime que le droit au consentement informé devrait s’appliquer équitablement à tous les citoyens. Dans les situations d’aide alimentaire, on ne peut pas négliger l’identité et l’estime de soi des personnes concernées. Il en découle que les denrées alimentaires données dans des situations de crise doivent respecter les distinctions religieuses, culturelles et sociales entre ce qui est comestible et non comestible pour les individus qui reçoivent la nourriture. Les agences donatrices doivent s’assurer qu’elles soient correctement informées sur les politiques, les normes de sécurité applicables et les préférences culturelles des pays destinataires.

L’aide alimentaire internationale

Le droit de chaque être humain de ne pas souffrir de la faim est un droit fondamental. Malgré cela, l’insécurité alimentaire demeure une réalité monstrueuse. Il est clair que la situation mondiale actuelle ne permet pas à tous les pays et toutes les populations de créer leur propre sécurité sanitaire des aliments. En 2001, le Programme alimentaire mondial (PAM) a, à lui seul, apporté un soulagement alimentaire à 77 millions de personnes. Cette aide alimentaire a été principalement accordée à ceux qui se trouvaient dans une situation de crise, de détresse et souvent déplacés. De plus, une grande part de l’aide alimentaire à long terme est fournie sur la base de concessions.

Si l’aide alimentaire s’effectue dans le contexte de situations de crise, il est alors important d’examiner la manière dont l’éthique du système de sécurité sanitaire des aliments est appliquée. Pour traiter les préoccupations de sécurité sanitaire des aliments des populations en situation de détresse d’une manière loyale, les donateurs doivent se rendre compte que ces populations ont de bonnes raisons de nourrir un sentiment de défiance généralisé.

L’aide alimentaire internationale, en tant qu’allocation internationale de denrées alimentaires, devrait par conséquent être soumise aux mêmes normes de sécurité sanitaire des aliments que les denrées alimentaires qui s’échangent dans le commerce international. Il est souvent allégué que le fait de respecter des normes de sécurité qui s’appliquent au commerce pendant une crise alimentaire lèse la population affamée et constitue une violation de son droit à une alimentation adéquate. La Consultation n’a pas considéré que l’application de «deux poids, deux mesures» était justifiée. Les spécialistes de l’aide alimentaire sont convaincus que, dans la plupart des cas, il est possible d’être conforme aux normes internationales de sécurité sanitaire des aliments. Fournir de la nourriture qui n’est pas conforme à ces normes expose une population vulnérable à des risques inutiles et crée ou exacerbe le sentiment de méfiance. Cependant, la détérioration de la qualité et, éventuellement, de l’état sanitaire de la nourriture donnée survient souvent lorsque l’aide alimentaire a atteint le pays destinataire car, dans les situations de crise alimentaire, les installations de stockage et de transport ainsi que les mesures d’assurance qualité fonctionnent généralement en dessous du seuil optimal. Au niveau local, il faut aussi mettre en place et maintenir les infrastructures et les capacités pour s’assurer que c’est bien de la nourriture saine et en quantité suffisante qui parvient aux populations qui en ont besoin.

De récents débats sur l’utilisation d’aliments génétiquement modifiés dans l’aide alimentaire démontre qu’il n’existe pas encore de normes internationales de sécurité sanitaire des aliments applicables à toutes les situations. Dans les cas où les directives internationales de sécurité sanitaire des aliments font clairement défaut, les pays donateurs doivent appliquer leurs propres normes de sécurité sanitaire des aliments ou les normes des pays destinataires, du moment qu’ils obtiennent le niveau de sécurité le plus élevé. Il est patent que les pays destinataires ont le droit de refuser l’aide alimentaire lorsqu’ils estiment qu’elle n’est pas acceptable du point de vue culturel ou de la sécurité sanitaire.

Cependant, la Consultation d’experts a noté que les pays donateurs doivent assumer la responsabilité de veiller à ce que les considérations éthiques soient prises en compte de manière appropriée et d’en faire la preuve aux pays destinataires. Il pourrait être inapproprié de demander au gouvernement d’un pays plongé dans une crise alimentaire de faire confiance au système d’assurance qualité des pays donateurs (malgré les débats passionnés qui ont lieu dans certains pays) ou de décider d’interdire l’entrée de denrées alimentaires contestées qui pourraient apporter le soulagement tant attendu à ses citoyens. Les pays donateurs devraient se demander s’il est acceptable d’imposer un tel dilemme aux pays destinataires dans une situation de crise. Selon la Consultation d’experts, si l’aide alimentaire disponible ne pose pas de dilemme éthique aux pays destinataires, les pays donateurs sont obligés de la fournir en tant que telle.

Les règles et codes de conduite internationaux existent pour veiller à ce que la sécurité sanitaire des aliments soit garantie dans l’aide alimentaire. Cependant, il faudrait que de tels instruments soient plus explicites et mieux connus. Il est de la responsabilité des agences donatrices de connaître le statut éthique et l’état sanitaire des produits alimentaires contenus dans chaque expédition.

Dans le contexte de l’aide alimentaire, les questions propres à la confiance et au consentement informé deviennent primordiales. Le consentement informé sans choix est impossible, et la confiance est très difficile à obtenir dans des situations où les populations souffrent de la faim. En conséquence, ces valeurs doivent recevoir toute l’attention nécessaire dans le contexte de la planification de l’aide alimentaire. Les questions difficiles qui touchent à la sécurité sanitaire des aliments et à l’aide alimentaire resteront d’actualité tant que le droit à la nourriture ne sera pas considéré sérieusement par la communauté mondiale et qu’il n’y aura pas d’effort international concerté pour aider durablement les pays à fournir une nourriture saine et suffisante à leurs citoyens.


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