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La communication à l'appui du développement

John L. Woods

JOHN L. WOODS est directeur du service PNUD des communications pour l'appui au développement pour l'Asie et le Pacifique dont les bureaux sont à Bangkok. Actuellement, ce service s'occupe des activités de communication et de formation dans le cadre du projet de développement forestier au service des collectivités exécute par la FAO au Népal.

Il est nécessaire de resserrer les liens entre deux types d'aide technique - planification du développement et moyens de communication

La plupart des programmes de développement visent fondamentalement à jeter un pont entre ceux qui possèdent le savoir technique et ceux qui en ont besoin. Les responsables du développement se rendent compte maintenant que créer une technologie nouvelle ne signifie pas automatiquement qu'elle sera acceptée par les bénéficiaires visés. Il faut, pour qu'un programme de développement réussisse, que les dernières innovations - variétés de riz à haut rendement, régimes alimentaires à forte teneur protéique, méthode de planification familiale, enseignement scolaire, techniques de la petite industrie, sylviculture au service des collectivités - soient préalablement mises en œuvre par la population. D'où la nécessité de ménager, dans le processus de développement, une étape consacrée à faire comprendre les programmes à la population et à contrôler sa participation.

En œuvrant ces vingt dernières années dans le domaine des communications à l'appui du développement, j'ai été amené à prendre part à deux générations de programmes d'aide technique en matière de communication. Ceux de la première génération s'attachaient principalement à fournir le matériel et à construire l'infrastructure des divers circuits de communication, tels que stations de radio, réseaux de télévision, centres d'impression de journaux et de production de matériel audiovisuel. Ceux de la deuxième génération, plus récente, cherchent à former des spécialistes de la communication et à améliorer la capacité de transmission des informations de ces circuits de communication. Les gouvernements et institutions internationales ont largement investi dans la création de moyens de communication pour faciliter le transfert de la technologie.

Ces investissements n'ont eu le plus souvent qu'une incidence limitée sur les programmes de développement, et ce pour des raisons fondamentales.

Premièrement, les agents du développement utilisent mal les moyens de communication pour préparer et exécuter leurs programmes de développement. En conséquence, le gros des efforts de communication dans le domaine du développement se polarise sur les aspects «relations publiques» du programme au lieu de s'inscrire dans le processus de transfert de la technologie et le processus éducatif. En outre, la communication ne faisant pas partie intégrante de la planification du développement, il est fréquent que l'information transmise par les divers circuits de communication ne soit pratiquement pas coordonnée.

Depuis longtemps moyens et instruments de communication sont utilisés avec succès à des fins politiques et commerciales, mais il est rare qu'on les intègre aux programmes de développement

Par exemple, il est très courant qu'une émission rurale radiodiffusée destinée au monde agricole donne des recommandations différentes de celles fournies par les agents de vulgarisation agricole dans les villages.

Deuxièmement, les agents de la communication ne comprennent pas le processus du développement; l'information apportée par les divers circuits est donc impropre à soutenir les programmes de développement. Paire passer un message éducatif en faveur du développement ou s'occuper d'actualités, de relations publiques, de publicité et de divertissements, activités auxquelles s'adonnent la plupart des circuits de communication, sont deux choses bien différentes. Les gestionnaires des moyens de communication doivent être motivés pour soutenir le processus de développement d'un pays et leur personnel doit être formé pour traiter correctement les messages à l'appui du développement.

INTERVIEW D'UN AGRICULTEUR AFGHAN EN VUE D'UN PROGRAMME AGRICOLE RADIODIFFUSE une utilisation évidente de la radio, mais qui a du mal à prendre

Une troisième génération d'aide technique en matière de communication, visant essentiellement à aider les gouvernements à instaurer un lien entre les programmes de développement et les moyens de communication, est désormais nécessaire.

Pour favoriser le transfert de la technologie, il importe entre autres de veiller à la bonne diffusion de l'information pertinente parmi les nombreux groupes de population en cause. Il faut pour cela utiliser systématiquement toutes les méthodes de communication appropriées dès le début de la planification du développement et pendant toute la mise en œuvre du programme. Si depuis longtemps on utilise avec succès de nombreux moyens de communication au service d'activités politiques et commerciales, il est rare que ces moyens soient intégrés aux programmes de développe ment. C'est pourquoi en 1972 M. Rudolph A. Peterson, alors administrateur du PNUD, déclarait: «Le développement doit être mené avec la population et non pas simplement pour elle ou par son intermédiaire. Aussi devons-nous incorporer dans un nombre croissant de projets assistés par le PNUD une composante "communication humaine" conçue avec ingéniosité et dotée de moyens financiers adéquats.»

Les agents du développement exploitent mal les moyens de communication et les spécialistes des communications ne comprennent pas le processus de développement. Il faut relier les projets de développement aux moyens de communication

La plupart des pays disposent désormais en matière de communication des moyens fondamentaux pour faire passer les messages en faveur du développement. Au nombre de ces moyens figurent notamment les mass media (radio, télévision, journaux, cinémas, etc.); les centres spécialisés dans la production de techniques audiovisuelles et éducatives; les programmes d'encadrement sur le terrain (vulgarisation agricole, auxiliaires sanitaires, personnel de formation aux petites industries, enseignants, etc.); les centres d'information scientifique; les organisations de recherche et d'enquêtes sociales; les systèmes d'information en matière de gestion et les services d'information traditionnels ou populaires.

PEROU. PROGRAMME TELEVISE DE FORMATION DES AGRICULTEURS investir comme il se doit les crédits à la communication

Les moyens de ces divers circuits de communication ont encore bien souvent besoin d'être renforcés. Toutefois, je pense que, pour l'heure, le plus urgent est de commencer à utiliser convenablement ces moyens dans le processus de développement. Il faut pour cela encourager les spécialistes de la communication à prendre au sérieux les activités de développement de leur pays, et aider planificateurs et réalisateurs du développement à choisir, programmer et coordonner tous les moyens appropriés de communication pour assurer la transmission d'informations pertinentes à l'appui des programmes de développement. Le processus de développement exige trois courants fondamentaux d'information:

Des bénéficiaires aux planificateurs: Il faut dès le début de la planification d'un programme de développement et tout au long de son exécution avoir des informations sur les bénéficiaires visés. Celles concernant leurs besoins, leurs attitudes, leurs façons de faire habituelles et bien d'autres caractéristiques devraient constituer l'une des bases sur lesquelles étayer la conception de programmes de développement utiles. Il importe également de suivre constamment les réactions des bénéficiaires au programme ou d'en être sans cesse informé «en retour». Les méthodes de communication utilisées en l'occurrence comprennent les enquêtes sociales faites au préalable, certains types de systèmes de compte rendu de terrain et d'informations de gestion ainsi que des media comme la bande video et la photographie pour déterminer les conditions sur le terrain.

Au sein de l'organisation chargée d'exécuter le programme: Le succès d'un programme de développement est souvent compromis par un manque de communication et de coordination entre les divers organismes qui doivent y prendre part: chercheurs de la discipline en question, unités de soutien administratif comme les commissions de la fonction publique, les agents sur le terrain, les institutions non gouvernementales, les administrateurs et dirigeants politiques, les établissements de formation, etc. Un flux continu d'informations appropriées s'impose sur les politiques et la technologie du programme ainsi que sur les conditions de terrain dans lesquelles il se déroule. Pour assurer ce courant d'information on peut faire appel à de nombreuses méthodes de communication administrative - rapports et bulletins par exemple - à des systèmes de conférences d'information sur la gestion, des programmes de formation de personnel au développement et à des centres d'information.

Veiller à incorporer dans le processus de développement des activités qui visent à éclairer les gens sur les programmes et à les y faire participer

A destination des bénéficiaires visés: Il faut veiller tout particulièrement et de façon systématique à donner aux bénéficiaires visés des informations qui les motivent et les éduquent. Pour que le programme réussisse, ces derniers doivent comprendre, accepter et pouvoir utiliser convenablement les innovations préconisées. Parmi les méthodes de communication auxquelles on a recours dans ce cas figurent la transmission directe par les agents de vulgarisation sur le terrain, les chefs locaux et les enseignants; les moyens d'information traditionnels ou populaires comme les représentations théâtrales de la vie rurale, les marionnettes, etc.; les mass media comme la radio, les affiches' les publications, les unités mobiles; et toutes les formes d'éducation parascolaire.

A noter que l'intégration de la communication dans la planification du développement et l'exécution des programmes ne garantit pas un succès spectaculaire. En effet, la communication n'est pas une panacée. De fait, en recourant à ces méthodes pour assurer une circulation maximale des informations, on risque de susciter de vives réactions défavorables si le programme de développement est mal conçu et géré. Il arrive qu'un programme recommande des innovations inopportunes ou l'emploi de ressources inexistantes, des engrais par exemple. Judicieusement utilisée, et ce dès le début de la planification, la communication peut être l'un des principaux facteurs du bon déroulement des programmes de développement.

Une troisième génération de programmes d'aide technique en matière de communication visant à aider les gouvernements des pays en développement à resserrer les liens opérationnels entre programmes de développement et moyens de communication est désormais indispensable. Il faut encourager les agents du développement à se servir de tous les moyens de communication propres à assurer la circulation systématique des informations pertinentes durant la planification et l'exécution des programmes. Les agents de communication doivent être motivés pour soutenir activement les efforts de développement de leur pays et formés aux méthodes de transmission des messages en faveur du développement. Le recours à la communication n'est que l'un des éléments de soutien du processus de développement, mais c'est un élément important pour aider les populations à comprendre, à accepter et à appliquer correctement les technologies nouvelles.

Types de circuits de communication

Il existe trois circuits fondamentaux de communication dans le cadre d'un programme de développement: descendant, ascendant et horizontal. Bien souvent, les administrateurs se limitent au premier, qui est probablement le moins important dans la planification et l'exécution d'un programme de développement.

Katz et Kahn (1966, chapitre 9) analysent à fond les circuits de communication dans un système organisationnel. Ils décrivent la communication vers le bas comme suivant le schéma de la filière hiérarchique du pouvoir, la communication horizontale se faisant entre pairs de même niveau dans l'organisation et la communication vers le haut, remontant l'échelle hiérarchique.

Berelson et Steiner (1964, chapitre 9) formulent les généralisations suivantes. La communication dans l'ordre hiérarchique descendant tend à revêtir la forme d'instructions critiques et autoritaires, tandis que la communication dans l'ordre hiérarchique ascendant est souvent inexacte et que la communication horizontale est généralement la plus exacte mais qu'elle est souvent limitée par la structure organisationnelle. Ci-après quelques brèves considérations sur chaque type de circuit de communication.

COMMUNICATION VERS LE BAS

La plupart des chercheurs, spécialistes de l'organisation, ont remarqué qu'il y a davantage communication vers le bas que vers le haut. Les administrateurs émettent de très nombreux messages en pensant qu'ils «filtreront» le long du système pour, en fin de compte, amener les bénéficiaires visés par le programme de développement à changer leurs façons de faire. Trop souvent, on ne se soucie pas de savoir: (a) si le message communiqué est opportun; (b) si les subordonnés dans le système le comprennent et y donnent suite; enfin (c) s'il parvient réellement aux bénéficiaires visés. De l'avis de Peter Drucker (1966, chapitre 7), ce qui empêche le plus les administrateurs de prendre des décisions opérantes c'est que trop souvent ils parlent au lieu d'écouter. L'échec de nombreux programmes de développement tient notamment à ce que les administrateurs abusent de la communication vers le bas et négligent la communication vers le haut.

COMMUNICATION VERS LE HAUT

Cette communication revêt une importance capitale pendant la planification d'un programme de développement et le contrôle de sa progression. Toutefois, comme Sagasti (1975, p. 13) le fait remarquer:

«Le problème majeur du développement rural est le manque de participation active de la population locale; ce qui, sous l'angle de la communication, se traduit par un abus de transmission d'informations de la part des directeurs et du personnel de projet à la population rurale au détriment de la communication entre ruraux et à l'intention du personnel de projet et des décideurs en matière de développement.»

La plupart des chercheurs reconnaissent que dans une organisation le flux ascendant de communication est habituellement faussé. La nature de la structure hiérarchique et le système de récompense qui lui est lié dissuadent les subordonnés à transmettre à leurs chefs de mauvaises nouvelles (Wilensky, 1967, p. 42). Un supérieur reçoit des rapports qui lui disent avant tout ce que ses subordonnés veulent qu'il entende (Downs, 1967, p. 118) et contiennent presque toujours de bons renseignements. La plupart des systèmes d'information de direction sont plutôt conçus pour contrôler les subordonnés que pour encourager la transmission vers le haut d'informations pertinentes. Ce dont un administrateur a le plus besoin c'est de recevoir en retour des informations exactes sur les problèmes rencontrés dans l'exécution des programmes. Les agents de terrain possèdent des masses d'informations pertinentes mais craignent de les communiquer aux administrateurs qui en ont un besoin vital. Un examen minutieux des pratiques administratives est indispensable pour que le flux ascendant de communication devienne un élément majeur dans l'exécution des programmes de développement.

COMMUNICATION HORIZONTALE

La communication horizontale devient extrêmement importante au niveau opérationnel d'exécution d'un programme de développement, mais elle se heurte à de nombreux obstacles dus à la structure administrative ainsi qu'à la réglementation de la plupart des services publics. S'il est difficile d'établir des liens efficaces entre les services et plus encore entre les ministères, c'est presque impossible de le faire entre les services publics et le secteur privé ou les organisations non gouvernementales.

L'effet de «garde-fou» de la structure organisationnelle pose des problèmes énormes à la plupart des administrateurs qui exécutent des programmes de développement et retarde le recrutement du personnel, l'approbation des budgets et la transmission des informations sur les techniques nouvelles mises au point par les chercheurs. Dans une étude sur les organisations qui accordent une aide aux petits planteurs d'hévéas du sud de la Thaïlande, James French (1977, p. 105) observe que «... les obstacles administratifs empêchent fréquemment les informations émanant des services de coordination et de coopération de descendre toute la hiérarchie jusqu'au personnel de terrain alors qu'à maintes reprises on a signalé la nécessité d'un organe administratif centralisé chargé de tous les aspects touchant l'expansion de la culture de l'hévéa.»

La communication horizontale au niveau opérationnel est le plus souvent de nature informelle et court-circuite le système officiel. Le recours à des circuits informels entrave incontestablement l'action officielle. Il faudrait se soucier davantage de faciliter la communication horizontale «officielle» à tous les niveaux de la hiérarchie afin d'améliorer l'exécution des programmes de développement.

L'identification de ces trois types de circuits de communication peut sembler assez élémentaire mais la plupart des administrateurs de programmes de développement ne songent pas suffisamment à les utiliser comme il convient.

Il faut s'attacher davantage à améliorer les circuits ascendants et horizontaux de communication. L'emploi du circuit descendant devrait être évalué et si possible limité. Il conviendrait de l'associer étroitement et de le coordonner avec les circuits de communication ascendant et horizontal.

Références

BERELSON, BERNARD & STEINER, GARY, H. 1964 Human behavior: an inventory of scientific findings. New York, Harcourt, Brace and World.

DOWNS, ANTHONY. 1967 Inside bureaucracy. Boston, Little and Brown.

DRUCKER, PETER F. 1966 The effective executive. New York, Harper and Row.

FRENCH, JAMES H. 1977 An analysis of agricultural extension and éducation resources for rubber smallholders in south Thailand. Honolulu, University of Hawaii. (Thèse)

KATZ, DANIEL & KAHN, ROBERT L. 1966 The social psychology of organisations. New York, Wiley.

SAGASTI, HEU E. ENNIS DE. 1975 Effective communication with the rural pour. Washington, Academy for Educational Development.

WILENSKY, HAROLD L. 1967 Organizational intelligence: knowledge and policy in government and industry. New York, Basic Books.


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