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Editorial - Le bois source d'énergie

L'homme doit manger pour vivre. Or la plupart des aliments, pour être comestibles, doivent être cuits... près de la moitié de l'humanité dépend pour cela du bois de feu

Une des principales études soumises à la Conférence des Nations Unies sur les sources d'énergie nouvelles et renouvelables, tenue à Nairobi en août 1981, a été préparée par un groupe d'experts des Nations Unies, secondés par des fonctionnaires de la FAO. Elle décrit l'ampleur actuelle et future des besoins d'énergie tirée du bois dans le monde en développement et identifie des régions où il existe déjà une grave pénurie de bois de feu. Elle contient aussi des recommandations.

Le rapport du Groupe technique du bois de feu et du charbon de bois résume en termes succincts le problème énergétique des pays en développement.

«Le bois de feu et les autres combustibles organiques sont la source d'énergie qui permet aux pauvres de ce monde de survivre. L'homme doit manger pour vivre. Or la plupart des aliments, pour être comestibles, doivent être cuits... près de la moitié de l'humanité dépend pour cela du bois de feu...»

Ce rapport met en lumière une situation d'une ampleur effrayante. Plus de 100 millions d'êtres humains ne peuvent déjà se procurer le bois qu'il leur faut pour satisfaire leurs besoins énergétiques minimaux. Et un milliard d'autres sont touchés par des pénuries de moindre ampleur, mais non chiffrables. Si la tendance actuelle se poursuit, ce chiffre atteindra 2,5 milliards environ en 2000.

Les tableaux des pages qui suivent, extraits du rapport du groupe d'experts? montrent qu'aucune des quatre régions en développement n'échappe à cette situation et permettent de se faire une idée de ce qui les attend au cours des 20 prochaines années.

Selon le rapport, il y a des régions du monde où, faute de bois de feu ou d'autres combustibles organiques, les gens ne peuvent plus faire cuire leur nourriture, et souffrent donc de faim et de malnutrition. Dans les climats froids, la mortalité des vieillards et des enfants, moins résistants, augmente, faute de chauffage. En outre, il semble qu'une bonne partie des populations qui dépendent du bois pour se chauffer et faire la cuisine, sinon toutes, doivent fournir de grands efforts physiques ou faire de gros sacrifices économiques pour se procurer le bois dont elles ont besoin, car les approvisionnements sont de plus en plus rares.

Dans certains endroits, le besoin de bois de feu crée des désastres écologiques. Ainsi dans diverses régions d'Afrique occidentale, au Sahel et dans l'Himalaya, les arbres et toute la végétation ligneuse ont été coupés et la terre a perdu sa fertilité.

La destruction des écosystèmes fragiles des terres arides, l'érosion, les inondations et l'envasement qui ont suivi la suppression du couvert forestier constituent pour le potentiel agricole et la production vivrière une menace d'une ampleur inquiétante.

Prétendre que d'ici à vingt-cinq ans d'autres ressources - production massive de biogaz, d'énergie solaire ou énergie nucléaire, pour ne pas parler du charbon et du pétrole importés - permettront d'approvisionner les populations des pays en développement en énergie, c'est un peu comme si l'on disait: «S'ils n'ont pas de pain qu'ils mangent de la brioche.» En effet ces populations sont trop pauvres et trop isolées pour pouvoir utiliser d'autres combustibles que le bois, le charbon de bois ou le fumier.

Heureusement, il existe des solutions pratiques. Mais personne n'imagine qu'elles seront faciles à appliquer. Comme d'habitude, les solutions ne sont pas de caractère proprement technologique: elles mettent en jeu tout un complexe de facteurs techniques, économiques, sociaux, culturels et politiques.

La principale recommandation du groupe d'experts est d'ordre politique: «11 faut faire prendre conscience des dimensions et de l'ampleur des besoins énergétiques qui doivent être satisfaits par le bois de feu et le charbon de bois.» Le groupe d'experts invite instamment les gouvernements et la communauté internationale à déclarer publiquement qu'ils sont résolus à faire le nécessaire Une fois de plus on fait appel à la volonté politique.

La crise de l'énergie du pauvre ne tient pas au pétrole: elle tient au bois, aux résidus agricoles, aux déjections animales qui doivent être soigneusement tassées et formées, puis séchées au soleil. Dans certains cas, cette crise de l'énergie est liée au prix du pétrole et peut se ressentir de ses variations, surtout lorsque les citadins substituent le bois de feu et le charbon de bois aux combustibles fossiles devenus trop chers. Mais fondamentalement, la question du bois en tant que source d'énergie doit être envisagée dans son contexte propre, qui est un contexte rural, démographique et écologique. Les organisations et les personnes qui s'occupent du développement international le savent bien et de nombreux signes indiquent qu'elles sont disposées à financer divers types de projets portant sur les ressources énergétiques renouvelables, en particulier sur le bois. En outre, la conscience écologique qui s'est généralisée dans de nombreux pays tant développés qu'en développement a fait comprendre qu'il est urgent d'aménager les réserves forestières existantes et de reboiser les terres marginales.

La volonté politique de résoudre ces problèmes est attestée par la forte proportion des projets de terrain de la FAO qui portent sur le bois en tant que source d'énergie. De toutes les sources d'énergie renouvelables, c'est en effet celle pour laquelle les Nations Unies ont les programmes d'action immédiate les plus ambitieux, et de loin. Le Département des forêts de la FAO exécute aujourd'hui plus de 40 projets portant sur le bois en tant que source d'énergie, au moyen de fonds fournis par diverses institutions de financement multilatérales et bilatérales.

Pénurie de bois de feu dans les pays en développement
Ampleur actuelle et future du problème
(millions de personnes touchées)

Région


1980

2000

Pénurie grave

Déficit

Pénurie grave

Déficit

Population totale

Ruraux

Population totale

Ruraux

Population totale

Ruraux

Population totale

Ruraux

Afrique

55

49

146

131

88

74

447

390

Proche-Orient et Afrique du Nord



104

69



268

158

Asie Pacifique

31

31

645

551

238

53

1 532

1 441

Amérique latine

15

9

104

82

30

13

523

236

Total

101

89

999

833

356

140

2 770

2 225

Source: Rapport du Groupe technique du bois de feu et du charbon de bois pour la Conférence des Nations Unies sur les sources d'énergie nouvelles et renouvelables, août 1981.

Dans une perspective plus lointaine, la FAO a lancé un grand programme de sylviculture et d'énergie rurale pour les pays en développement, qui; mobilisera des capitaux et des ressources humaines pour divers projets concernant l'utilisation du bois à des fins énergétiques. Ces projets seront conçus en fonction des besoins des communautés rurales de toutes dimensions, à commencer par les petits villages et les familles.

Une partie de ce programme a pour objet d'obtenir une production plus intensive de bois de feu dans les forêts qui actuellement sont mal aménagées ou dont on n'a pas reconnu le potentiel de production renouvelable de bois de feu. Une autre partie visera à mettre au point et diffuser des techniques et du matériel d'utilisation plus efficaces, depuis des fourneaux à meilleur rendement thermique pour la cuisson et le chauffage jusqu'à des générateurs à bois pratiques et économiques pour les industries rurales, qui actuellement consomment trop de bois et de charbon de bois dans des conditions peu économiques.

Trop longtemps, la profession forestière a méprisé l'utilisation du bois comme combustible et l'a relégué à la dernière place, loin derrière la papeterie, la scierie et l'aménagement des bassins versants. Peut-être est-ce parce que cette question était trop familière pour comporter le moindre prestige. En tout état de cause, il faut que cela change. Il faut réhabiliter dans une nouvelle perspective ce qui a été depuis toujours la plus courante des utilisations du bois.

T.M.P.


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