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Le bois n'est le seul produit tiré des forêts africaines

Gunnar Poulsen

GUNNAR POULSEN est un consultant danois en matière de forêt et d'utilisation des terres; il a acquis une grande expérience en Afrique.

Par tradition, les administrations forestières se préoccupaient surtout d'assurer l'approvisionnement régulier des principaux produits du bois - bois de construction et, le cas échéant, grumes de sciage destinées à l'exportation. Plus tard, le bois d'industrie a été ajouté à la liste. Ce n'est que très récemment que l'on a pris conscience du rôle fondamental que les forêts peuvent jouer comme source d'énergie. Dans plusieurs pays, ce rôle peut être considéré comme le plus important.

Alors que la production de bois sous ses différentes formes bénéficie généralement d'une attention considérable, bien peu de cas est fait des autres produits de la forêt. Souvent, ils ne sont en fait mentionnés que sur quelques pages à la fin des plans de développement et d'aménagement, et ne bénéficient absolument pas du traitement de faveur accordé aux produits du bois. Dans la mesure où ces produits forestiers secondaires n'ont qu'une importance mineure dans les régions ou les pays étudiés, cette attitude est tout à fait logique; mais bien souvent une étude plus approfondie montre que c'est loin d'être toujours le cas. Il n'est pas rare de découvrir que certains de ces produits forestiers locaux ont une importance égale ou supérieure à celle de l'une ou même des deux grandes catégories de produits du bois.

Si la valeur relative de l'un ou de plusieurs de ces produits n'est pas reconnue, c'est que l'on adopte généralement un critère d'évaluation inadéquat, mais qui semble dominer la pensée de nombreux planificateurs: celui de l'a importance commerciale e. Il vaudrait mieux considérer la «contribution de ces produits au bien-être des populations intéressées».

En fait, l'évaluation fondée sur le critère de l'importance commerciale a souvent pour résultat de concentrer toute l'attention ou presque sur les produits transportés sur de longues distances et, en particulier, sur ceux qui entrent dans le commerce international.

C'est précisément pour cette raison que le bois de feu a souvent été négligé et considéré sans importance. Aussi longtemps qu'il a été récolté et utilisé surtout localement - même en grandes quantités - personne ne lui a accordé beaucoup d'attention. Pour ce qui est du combustible, l'attitude a probablement changé maintenant; mais lorsqu'il s'agit d'évaluer les ressources en produits autres que le bois, l'ancienne conception semble encore prévaloir.

A titre d'exemple, la gomme arabique est, bien entendu, considérée comme un produit forestier beaucoup plus important que les feuilles de baobab. Pour tout observateur se fondant sur le critère commercial, cela ne fait aucun doute. Ce produit, tiré de l'arbre Acacia senegal, a en effet une grande valeur commerciale. Il fournit un revenu supplémentaire à des populations qui luttent pour survivre dans des conditions particulièrement dures et apporte aux banques centrales des devises tout aussi appréciées. Selon les statistiques dont on dispose, les feuilles de baobab ne semblent offrir aucun de ces avantages spectaculaires. Dans les pays de l'Afrique occidentale où l'on en récolte de grandes quantités (peut-être des dizaines de milliers de tonnes), production et consommation restent presque entièrement locales, seule une faible proportion pénétrant dans les circuits commerciaux. Même lorsque la commercialisation est organisée à une certaine échelle, comme à Dakar par exemple, la majeure partie du produit est récoltée dans les environs de la ville et en tout cas dans le pays même.

Si chaque année des milliers de tonnes de feuilles sont récoltées' transformées même légèrement (en fait séchées) et transportées sur une certaine distance, ces opérations, qui exigent une quantité de travail non négligeable, sont effectuées par des personnes qui pensent que l'effort en vaut la peine. Aucune grosse somme n'entrant en jeu, ces feuilles représentent sans doute un produit important pour la population, ce qui n'est pas tellement surprenant. Les feuilles de baobab sont un légume qui, frais ou séché et réduit en poudre, est ajouté à un régime alimentaire composé essentiellement de céréales. La valeur nutritive d'une alimentation de ce genre pourrait être considérablement améliorée par l'inclusion des diverses protéines, vitamines, minéraux et fibres que contiennent les feuilles de baobab. Si cette hypothèse est juste et qu'en conséquence la santé et l'énergie d'un grand nombre de personnes bénéficient de la consommation des feuilles de baobab, on est alors fondé à considérer ce dernier comme un produit forestier important, peut-être même plus important pour le bien-être d'un grand nombre de personnes que la gomme arabique. Toutefois, le but de cette discussion n'était pas d'arriver à cette conclusion mais d'attirer l'attention, à l'aide d'un exemple, sur le fait que l'importance commerciale d'un produit et la publicité qui en est faite ne correspondent pas nécessairement à la qualité qu'il doit avoir avant tout, celle de contribuer au bien-être de l'homme.

La forêt africaine a beaucoup plus à offrir qu'on ne l'imagine généralement: fourrage pour les animaux domestiques et sauvages qui intéressent directement l'homme, fibres employées dans la fabrication d'objets nécessaires a la vie quotidienne; produits alimentaires de toutes sortes, facteurs de variété et d'équilibre nutritionnel des régimes alimentaires traditionnels, produits pharmaceutiques et chimiques indispensables, tout cela vient des forêts. Mais les responsables du développement et tous ceux qui interviennent dans les décisions en matière de forêts tendent à ignorer l'importance de ces utilisations

Il faut également mentionner dans ce contexte un autre aspect de l'évaluation des ressources. Le «fait» qu'un produit n'est pas exporté ne signifie pas nécessairement qu'il ne contribue pas à la rentrée de devises. Il peut le faire indirectement en rendant inutile l'importation d'un produit de remplacement éventuel. A titre de meilleur exemple que celui des feuilles de baobab, les pays africains qui produisent de grandes quantités de beurre de karité (tiré de l'arbre Butyrospermum parkii) n'ont pas besoin d'importer d'huile pour la cuisson de leurs aliments.

La contribution qu'un produit peut apporter au bien-être de l'homme ne dépend pas nécessairement de sa quantité ou de sa valeur monétaire. Un autre produit forestier non ligneux qui entre dans l'alimentation humaine en est un exemple. Dans certaines parties de l'Afrique australe, les populations consomment plusieurs espèces de chenilles. En fait, elles sont si recherchées que les arbres sur lesquels elles vivent sont spécialement protégés par les populations locales. Il faut beaucoup de chenilles pour faire une tonne et les quantités commercialisées sont en fait assez faibles. Toutefois, si l'on doit - peut-être à bon droit - considérer les chenilles comme un produit forestier de quelque importance, ce n'est ni pour les quantités produites ni pour leur goût, sans aucun doute excellent, mais plutôt pour la vitamine B12 qu'elles sont supposées contenir en grande quantité. Si cette hypothèse est juste, manger des chenilles dans ces pays équivaut à absorber des comprimés de vitamines dans d'autres régions du monde pour compenser une certaine carence du régime alimentaire de base. L'importance d'un tel apport alimentaire pour la santé et l'énergie peut naturellement être complètement disproportionnée avec la quantité ou la valeur du produit, qu'il s'agisse de chenilles ou de comprimés de vitamines.

Nous nous sommes jusqu'ici efforcés d'étudier les moyens d'évaluer l'importance des produits forestiers, et plus particulièrement des produits autres que le bois, et d'appeler l'attention sur le fait qu'il existe de meilleures facons d'évaluer une ressource que de se fonder uniquement sur les statistiques commerciales.

Les exemples ont été choisis parmi les produits forestiers alimentaires fournis directement ou indirectement par la végétation arborée. En réalité la même démonstration aurait pu être faite avec de nombreux autres produits, fibreux ou pharmaceutiques.

La planification et la gestion des activités forestières visant à satisfaire au mieux les besoins de l'homme doivent prendre en considération tous les avantages que la forêt est en mesure de fournir.

Les produits autres que le bois tirés de la forêt africaine sont très inégalement documentés. On ne dispose d'une série assez complète de données statistiques que pour un très petit nombre d'entre eux. En outre, pour certains produits les informations disponibles n'indiquent pas du tout leurs vraies possibilités car ils restent très largement sous-utilisés: pour d'autres, la question se complique car il existe très peu de rapports entre leur quantité et leur importance. Enfin, il ne faut pas oublier que les possibilités de nombreux types de végétation de fournir de précieux produits autres que le bois sont loin d'être complètement explorées et que les arbres pourraient bien recéler quelques ressources importantes qui attendent d'être utilisées.

Il n'est guère possible, dans le cadre d'un article, de traiter du potentiel de rendement, des besoins en matière de recherche' de développement et de planification, etc., de tous les produits forestiers autres que le bois, ou même de la plupart d'entre eux. Nous nous limiterons donc ici à certains groupes et à des produits particulièrement intéressants. Ils ne sont pas présentés selon une priorité quelconque mais plutôt au hasard.

Fourrage

La végétation forestière fournit du fourrage aux animaux sauvages et aux animaux domestiques qui, à leur tour, donnent des produits nécessaires à l'homme tels que viande, lait, cuirs, œufs, etc. L'une des conditions fondamentales pour obtenir une production régulière et abondante est de disposer plus ou moins en permanence d'une quantité suffisante de fourrage de la composition adéquate. Celui que l'on tire de la forêt est de deux sortes: le fourrage herbacé qui provient du tapis végétal et le fourrage des arbres. Ce dernier revêt une importance immense pour le bétail, particulièrement dans les régions où la saison sèche est longue, ainsi que pour de nombreuses espèces d'animaux sauvages. Il fournit aux animaux une alimentation riche en protéines, en vitamines, en minéraux - ainsi qu'en énergie - à un moment de l'année où le tapis végétal desséché, qui contient des glucides presque purs mais en trop petite quantité, ne peut leur assurer santé et force.

PRÉPARATION DU REPAS AU MALI où abondent produits forestiers et poisson

L'aménagement de la faune naturelle et du bétail est sans doute un sujet à laisser aux spécialistes, mais il faudra souvent faire appel à la compétence des forestiers pour veiller à ce que les écosystèmes forestiers soumis aux perturbations causées par l'homme continuent à fournir du fourrage. Dans ce contexte, les forestiers devront sans doute - et même sûre ment - collaborer avec les représentants d'autres disciplines.

La vieille méthode qui consiste à diviser la terre en réserves forestières, d'où le bétail est exclu, et en pâturages, où la végétation arborée est détruite délibérément ou laissée à l'abandon, n'est plus une solution adéquate ou même possible aux problèmes de l'utilisation des terres. Il est maintenant indispensable de procéder à un aménagement actif des arbres et du couvert végétal en vue d'obtenir un rendement soutenu. En fait, les forestiers devront intervenir pour veiller à ce que la production forestière de feuillage fourrager, de produits du bois et d'herbes sapides soit maintenue à un niveau optimal.

Cet aménagement polyvalent devra prendre en considération la densité de la couverture arborée qui permettra le meilleur équilibre entre les produits de l'arbre et le fourrage herbacé, les méthodes de récolte du feuillage fourrager (élagage et écimage), le roulement du pacage forestier, la régénération des arbres et du tapis végétal et éventuellement les plantations d'enrichissement. Ces dernières peuvent consister à introduire des arbres à fourrage ou des plantes plus productives dans le tapis végétal. Un exemple intéressant de ce dernier type d'intervention est la plantation de Desmodium sp. sous «miombo» au Malawi.

Fibres

Les fibres tirées de la végétation forestière jouent un rôle important dans la vie quotidienne des communautés africaines. Elles servent à fabriquer des paniers, des nattes, des cordes, des meubles et entrent dans la construction des maisons. Certaines d'entre elles sont exportées pour la fabrication de brosses et pour la vannerie. Les fibres de qualité supérieure proviennent essentiellement des palmiers; c'est ainsi que le tissage des fibres des feuilles du palmier doum donne de très jolies nattes. Par contre, pour la vannerie, le meilleur matériau provient de l'écorce extérieure de différents palmiers, notamment Calamus sp., mais on utilise aussi très largement les feuilles de Raphia.

Les feuilles de palmier entrent aussi largement dans la fabrication des cordes et des cordages; l'écorce intérieure d'un grand nombre de feuillus joue probablement un rôle encore plus grand, et notamment le baobab, que l'on peut écorcer entièrement et plusieurs fois sans effet fâcheux apparent sur la vigueur de l'arbre, ce qui est surprenant. Certaines variétés de graminées entrent également dans la fabrication des cordes. Les cordages ne sont pas seulement utilisés pour attacher les bêtes de charge et arrimer les marchandises pendant le transport; ils servent dans une grande mesure à la construction des maisons et, selon les régions, à la fabrication des sangles de lit.

On peut dire, sans exagérer, que le bon fonctionnement de nombreuses communautés africaines dépend dans une large mesure de leur possibilité de se procurer différents types de fibres. C'est pourquoi il est surprenant de constater que le plus souvent si peu est fait pour assurer la continuité des approvisionnements. Il existe une exception notable à cette règle au Sénégal où les Sérères veillent à la régénération du palmier Borassus dont ils tirent des fibres pour fabriquer des paniers et des nattes, ainsi que des fruits et du bois de construction.

Toutefois, dans la grande majorité des cas, il faut bien dire que la régénération des ressources en fibres ne suit pas le rythme de leur exploitation. En fait, même lorsqu'une industrie florissante de nattes faites de feuilles de palmier doum représente la seule source de prospérité de certains villages des zones arides, les ressources sont généralement exploitées comme si elles étaient intarissables sans que les populations comprennent la nécessité de les renouveler.

Aussi, l'urgence de prendre des mesures pour assurer l'approvisionnement en fibres à long terme ne fait-elle aucun doute. Il ne suffit pas d'introduire des améliorations sylvicoles et techniques et de faire des recherches dans ce domaine; les intéressés doivent comprendre qu'il est tout aussi indispensable d'aménager les ressources en fibres en vue d'un rendement soutenu que les ressources forestières d'où l'on tire combustible et bois d'œuvre.

Produits alimentaires

Au sens large, cette section couvre les boissons, la «viande de brousse», les poissons qui vivent dans les mangroves, le feuillage, les fruits, les gommes (lorsqu'elles sont consommées comme aliments), le miel, les insectes, le bétail, les produits oléagineux, les légumes provenant du tapis végétal forestier, notamment les rhizomes. La liste en est si longue qu'il est hors de question de les traiter en détail à chaque rubrique. En outre, il ne faut pas oublier que nombre de ces rubriques comprennent des douzaines de produits.

Néanmoins, il faut souligner que l'on peut tirer de la forêt des produits alimentaires très variés. Pour nourrir les populations, il ne suffit pas de disposer d'aliments en quantité suffisante, la variété est presque aussi indispensable. Le maïs ou le manioc, même en grande quantité, ne suffira pas à assurer un bon régime alimentaire. En fait, l'homme peut souffrir d'une grave malnutrition si ces aliments de base ne sont pas complétés par certains autres contenant divers acides aminés, vitamines et minéraux. Un régime alimentaire très varié est généralement la garantie qu'aucun élément indispensable à la santé et à l'énergie ne manquera. A cet égard, lorsqu'ils sont disponibles et exploités, les produits alimentaires tirés de la forêt offrent probablement la possibilité de parvenir à un équilibre presque parfait.

Malheureusement, avec le temps, ils deviennent de plus en plus rares en raison de la destruction de l'environnement, ou ils sont tout simplement moins utilisés par suite du changement des habitudes alimentaires. Quelle qu'en soit la raison, on observe presque partout une nette tendance à les délaisser pour consommer davantage de denrées alimentaires de base, produites en masse. Ce changement est favorisé par la commodité, ainsi que la simplicité de l'approvisionnement et de la préparation. Dans certains cas, cela tient également au fait que certains types de produits alimentaires tirés de la forêt sont associés à l'idée de vie «primitive et arriérée».

Cette tendance est préoccupante. Le potentiel de production et les qualités nutritives de nombreux produits forestiers sont encore trop peu connus pour que l'on puisse les juger sans importance et les laisser éventuellement disparaître à la suite de manipulations négligentes de l'environnement naturel. Plusieurs produits alimentaires forestiers qui jouaient dans le passé un rôle très important semblent maintenant menacés de disparition.

Aussi est-il urgent de procéder à une enquête complète sur les ressources alimentaires de la forêt et d'étudier les qualités nutritives des produits encore peu connus. Cette première enquête devrait être suivie, dans le cas de produits prometteurs, d'études sur la reproduction, l'amélioration génétique, l'aménagement sylvicole, le transport et la commercialisation, et les aspects économiques. Plusieurs mesures dans ce sens ont été prises au Congo pour une plante rampante, Gnetum africanum, dont les feuilles étaient jadis largement consommées comme légume.

Dans les régions qui ne se prêtent pas à l'élevage classique, la «viande de brousse» joue souvent un très grand rôle. Dans de vastes zones du continent, notamment dans les régions humides, c'est elle qui fournit à la population la majeure partie des protéines animales dont elle a besoin. Malheureusement, les ressources diminuent rapidement un peu partout, en raison de la destruction de l'environnement naturel ou de la surexploitation. Dans bien des endroits, une action énergique et immédiate est indispensable pour

BÉNIN. CUEILLETTE DE FEUILLES POUR LA SALADE la forêt pourvoyeuse d'aliments, jusqu'au jour ou elle disparaît

éviter une réelle pénurie de protéines. Interdire la chasse et le piégeage, créer des réserves, etc., ne suffira pas à résoudre le problème. Le plus urgent est de trouver d'autres sources de protéines animales, faute de quoi la plupart des mesures de contrôle seront vouées à l'échec. L'introduction de bétail résistant à la mouche tsé-tsé dans certaines régions ou l'élevage du lapin pourraient pallier cette pénurie de protéines, de même que la création de nouvelles variétés d'animaux domestiques à partir d'espèces sauvages qui s'y prêtent. C'est ainsi qu'au Kenya on a obtenu quelques bons résultats dans la domestication de l'élan et de l'oryx. Au Nigéria, l'attention s'est portée sur certains animaux, plus modestes en apparence, mais non moins prometteurs comme source de viande: le rat géant et l'aulacode. Les escargots sont également une source importante de protéines dans certains pays et on pourrait entreprendre leur élevage systématique (voir Unasylva, vol. 29, n° 116, Le gibier dans l'alimentation).

Les forêts de mangrove dans les zones côtières constituent un cas à part. Elles abritent normalement une faune prolifique - poissons, crustacés et mollusques. En introduisant des pratiques d'aménagement améliorées, de nombreuses zones de mangrove pourraient sans aucun doute devenir des sources importantes de protéines animales.

Bien qu'appartenant au règne végétal, les champignons sont mentionnés ici car ils sont riches en acides aminés et pourraient' dans une certaine mesure, remplacer les protéines animales. Les champignons forestiers sont très largement utilisés dans l'alimentation africaine et ont, localement, une certaine importance nutritionnelle. Toutefois, la productivité par hectare est presque partout extrêmement basse; en fait, elle n'atteint qu'une faible proportion des rendements obtenus au Japon et en République de Corée, où les champignons forestiers sont cultivés. La Zambie a entrepris, il y a quelques années, un projet visant à mettre au point des techniques de culture des champignons en milieu forestier africain, initiative excellente qui, espérons-le, sera largement suivie.

Les fruits de la forêt sont à peu près aussi variés qu'ils sont nombreux. Grosso modo, on peut distinguer ceux qui sont consommés comme fruits et ceux moins nombreux, mais très importants, dont on extrait des produits huileux,

Dans la première catégorie, citons comme exemples Dacryoides, fruit très nutritif des forêts ombrophiles, et le «fruit polyvalent» du palmier Borassus des régions semi-arides. Ce dernier est utilisé de trois façons différentes: le «lait» du fruit non encore arrivé à maturité est commercialisé comme boisson nourrissante et très populaire: le fruit mûr, de couleur jaune, est parfois consommé comme une sorte de mangue; enfin certains fruits sont laissés sur l'arbre jusqu'à ce qu'ils produisent des cotylédons que l'on fait frire. L'importance d'un grand nombre de ces fruits forestiers tient probablement à leur teneur en vitamines. Dans les zones de précipitations faibles et irrégulières, les fruits des arbres et des buissons jouent également un rôle important comme aliments de secours. Une espèce particulièrement précieuse à cet égard est Parkia biglobosa de la zone soudano-guinéenne. Dans les milieux extrêmement arides les populations consomment les fruits d'espèces très rustiques comme Boscia senegalensis et Ziziphus sp.

Sur le plan commercial, les fruits dont on extrait de l'huile jouent un rôle beaucoup plus important que les autres. Toutefois' la source la plus importante de produits oléagineux, le palmier à huile Elaeis guineensis, ne fait pas entièrement partie du domaine de la sylviculture. Pratiquement toutes les grandes plantations commerciales sont gérées par des organisations non forestières.

Cependant, les palmiers à huile existent également en très grandes quantités sur les terres forestières dans les zones de fortes précipitations, en particulier dans les forêts secondaires dégradées où ils sont disséminés. Les fruits oléagineux des palmiers «sauvages» fournissent de l'huile, extraite localement, mais ils jouent un rôle aussi important comme source de vin de palme et de fibres.

Le karité, Butyrospermum paradoxam, de la zone soudano-guinéenne, se place probablement au deuxième rang des arbres oléagineux du continent, bien que la quantité d'huile extraite et commercialisée soit très inférieure à celle du palmier. Très appréciée localement, comme culture commerciale et comme source de matière grasse pour la cuisson des aliments, cette essence n'en est pas moins assez négligée et son potentiel de production est loin d'être utilisé au maximum. En fait, les vastes superficies encore occupées par le karité semblent diminuer rapidement sous la pression combinée des agriculteurs et des fabricants de charbon de bois. Une essence forestière qui semble offrir un potentiel de production aussi important ou même supérieur est le palmier Raphia. Jusqu'ici cette huile n'a été commercialisée qu'à très petite échelle. Ce palmier occupe de vastes marécages dans les zones de fortes précipitations. Non seulement il constitue une source potentielle importante d'huile de bonne qualité mais il fournit également une fibre précieuse.

Bien d'autres arbres sont utilisés, ou pourraient l'être, pour la production d'huile: le baobab dont on extrait de l'huile en République malgache; l'arbre à suif, Pentadesma butyracea, des forêts ombrophiles; et le margousier, Azadirachta indica, que l'on trouve partout dans les zones arides bien qu'il soit exotique. Un autre produit alimentaire précieux tiré indirectement des arbres est le miel. Certains types de forêts où dominent des arbres appartenant à l'ordre des légumineuses ont un très grand potentiel mellifère qui dépasse bien souvent, en termes économiques, leur capacité de production de bois. Pourtant les méthodes modernes d'apiculture n'ont pas encore été introduites à grande échelle dans la plupart des pays de l'Afrique tropicale' et la production actuelle de miel et de cire ne représente probablement qu'une très faible proportion de son potentiel. Il s'agit là d'une ressource très sous-exploitée' alors que son développement ne demanderait qu'un minimum d'apports extérieurs.

La gomme de certains arbres, notamment celle de Sterculia sp., est utilisée dans l'alimentation locale. Cependant, l'importance de ce groupe vient de produits qui sont exportés à des fins très variées. On peut les classer en deux groupes absolument distincts en fonction de l'usage qui en est fait: les gommes proprement dites, qui sont commercialisées sous ce nom' et l'encens. Parmi les premières, la gomme arabique, extraite d'Acacia senegal, est de loin la plus importante. La myrrhe et l'encens sont extraits de quelques buissons du désert appartenant à la famille des commiphoracées. Dans le cas des gommes proprement dites, on peut dire que la récolte, la transformation et la commercialisation ont atteint un certain niveau - modeste - de sophistication qui, s'il ne bénéficie pas toujours totalement au producteur, profite du moins aux pays exportateurs. Par contre, l'encens semble sou vent atteindre les consommateurs par des voies détournées où les intermédiaires s'adjugent une bonne partie des bénéfices. Des efforts sont faits indéniablement par les pays intéressés pour améliorer ces structures.

Alors que des mesures, plus ou moins heureuses, ont été prises pour améliorer l'exploitation du produit et son acheminement vers le consommateur, on est surpris de constater que si peu de choses ont été faites jusqu'ici pour résoudre un problème plus important, à savoir l'accroissement du rendement des arbres et des vergers de gommiers. En fait, ces essences se prêtent remarquablement bien à l'amélioration génétique. Dans le cas d'Acacia senegal, les meilleurs génotypes que l'on trouve dans la nature donnent dix fois plus que l'arbre moyen. On connaît moins bien la variation génétique des arbres à encens, mais dans ce cas l'amélioration sera grandement simplifiée par la facilité avec laquelle se fait la multiplication végétative des espèces. Ajoutons que dans tout effort de mise en valeur d'Acacia senegal il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'un arbre polyvalent qui non seulement fournit la gomme arabique mais possède également le pouvoir remarquable d'enrichir le sol, ce qui en fait un élément idéal des systèmes d'agrosylviculture. En outre, il produit un excellent fourrage ainsi que du combustible de bonne qualité.

La gamme entre dans la fabrication d'un grand nombre de produits alimentaires, depuis les boissons douces jusqu'au chocolat en tablette, et, à une échelle beaucoup plus importante, dans la préparation des produits pharmaceutiques. Cela nous amène à un autre groupe important de produits non ligneux.

Produits chimiques et pharmaceutiques

Depuis des temps immémoriaux, la médecine locale utilise des produits pharmaceutiques tirés de la forêt. Leur efficacité a sans aucun doute beaucoup varié. Néanmoins, au prix de tâtonnements et d'une longue expérience, l'homme est parvenu peu à peu à identifier des produits susceptibles de traiter un certain nombre de maladies. Plus récemment, des études systématiques ont été entreprises dans plusieurs pays pour décrire et analyser la pharmacologie africaine. C'est ainsi que la publication d'importants rapports a appelé l'attention sur l'existence de centaines de produits pharmaceutiques dérivés des plantes et de la faune forestières. L'efficacité et la structure chimique de la majeure partie d'entre eux ne sont pas encore complètement connues, ce qui n'est pas une raison pour les négliger. Tant que des études plus approfondies n'auront pas été effectuées, il faudra toujours tenir présentes à l'esprit les possibilités - en partie encore théoriques - de la forêt de fournir des composés chimiques précieux et très variés. Ces considérations militent également en faveur de la création de réserves et de l'adoption d'autres mesures visant à protéger les essences et les écosystèmes menacés. En fait, il apparaît chaque jour davantage que, dans ce domaine également, la forêt a plus à offrir que la plupart ne l'auraient imaginé il y a seulement quelques années, comme le montrent les exemples suivants.

Un extrait de Rauwolfia sp., buisson forestier, est considéré par beaucoup comme étant le meilleur traitement connu contre la tension. Les feuilles de Maytenus sp., buisson des savanes du Kenya, sont l'objet de l'attention des chercheurs sur le cancer aux Etats-Unis. Deux plantes des forêts éthiopiennes. Solantum marginatum et Diocoria bulbifera, contiennent des composés ayant des propriétés contraceptives intéressantes.

Les produits chimiques tirés de la forêt dont l'importance n'est plus mise en doute aujourd'hui sont les produits à base de tanin. Sur le plan commercial, et particulièrement pour ce qui est des échanges internationaux, les plus importants sont les produits extraits de l'écorce d'Acacia mearnsii, arbre d'origine australienne planté abondamment en Afrique orientale. D'énormes quantités de tanin sont sans doute aussi tirées des gousses d'Acacia nilotica, arbre des zones arides et semi-arides, mais le tanin provenant de cette source figure beaucoup moins souvent dans les statistiques. La majeure partie de l'extrait d'acacia est consommée localement, mais une certaine quantité est exportée, notamment vers l'Inde. Dans les pays au climat frais' les produits à base de tanin sont parfois tirés de buissons appartenant au genre Rhus. L'écorce des arbres du genre Rhizophora contient de fortes quantités de tanin. A cet égard, la forêt de mangrove pourrait jouer un rôle plus important; c'est une ressource encore sous-utilisée comme l'est d'ailleurs sa capacité de fournir du charbon de bois et des protéines animales.

Résumé et conclusions

Ce tour d'horizon relativement rapide ne nous a pas permis de mentionner tous les cas spéciaux ou même toutes les catégories de produits forestiers autres que le bois. Certains pourront objecter que l'on n'a pas parlé d'Acacia albida malgré son immense importance. D'autres pourront s'étonner que l'on n'ait pas mentionné - ou si peu - les noix de kola, les vers à soie, les résines, les concentrés fourragers à base de fruits et de feuilles des arbres, l'huile de niobé, le liège, des essences exotiques polyvalentes très prometteuses comme Prosopis, Leucaena et Sesbania, l'utilisation du paillis de branches, du latex, du thé de feuilles de Combretum, etc. C'est que, mis à part le manque de place, l'objectif de cet article n'était pas tant de donner une liste complète des produits forestiers non ligneux que d'attirer l'attention sur les problèmes fondamentaux liés à leur production et à leur utilisation.

Ce que doivent comprendre ceux nui s'occupent de la sylviculture africaine sans vivre en Afrique et sans en connaître les traditions et les valeurs c'est que ces produits ont, pour le bien-être et la vie quotidienne de millions de personnes, une importance comparable à celle du bois de construction ou même du bois de feu. Les Africains bien sûr le savent; mais c'est une vérité tellement évidente qu'ils ne jugent pas utile de la mentionner, ou bien ils sont retenus par le contraste entre ces productions primitives et peu rentables et les produits de la sylviculture commerciale qui tiennent le devant de la scène dans les sociétés industrialisées et très commerciales. Aussi les responsables chargés du développement - qui voient presque toujours les choses sous l'angle économique - ont-ils tendance à accorder très peu d'attention, voire aucune, à ces produits non ligneux lors de la planification de l'utilisation des terres et de l'évaluation économique. Le manque d'informations et de données quantifiées sur cette importante catégorie de produits forestiers est une raison de plus de les ignorer ou de ne pas leur accorder la place qu'ils méritent au niveau économique et à celui des décisions politiques. On ne possède que peu d'informations sur les propriétés physiques et chimiques d'un grand nombre de ces produits. La structure vivante dont ils sont extraits et sa situation au sein des écosystèmes n'est sans doute pas mieux connue. Cette ignorance s'étend souvent à la taille et à la capacité productive des ressources, aux structures de consommation et de commercialisation, etc. Ce sont là d'importantes lacunes qu'il faudra manifestement combler par des enquêtes et une recherche systématique.

Pour tirer le maximum d'avantages des ressources forestières non ligneuses au bénéfice des populations, une mesure encore plus fondamentale pourrait s'imposer: la révision des conceptions nui guident l'évaluation et l'aménagement forestiers. Le principe directeur de l'aménagement forestier, exprimé en termes simples, est généralement de viser à un rendement soutenu de la ressource productrice de bois à un niveau tel que s'établisse un équilibre favorable entre les inputs et les recettes. Dans le cas d'une forêt aménagée essentiellement en vue de fournir du bois à usage industriel ou commercial, cette approche semble en fait parfaitement logique.

Toutefois, ce n'est plus le cas lorsque les avantages qui doivent assurer le bien-être de l'homme sont des Productions infiniment plus diversifiées - bois de construction, bois de feu, feuillage pour l'alimentation humaine, miel, ressources hydriques provenant de bassins de réception forestiers, etc. Il est alors indispensable d'adopter une approche intégrée et plus complexe pour la mise en valeur des ressources.

Lorsqu'il s'agit de ressources multiples, l'aménagement forestier pourrait avoir pour objectif de tirer le maximum d'avantages pour le bien-être de l'homme tout en maintenant une rentabilité optimale des inputs qui variera selon la disponibilité de capital, de personnel, etc.

Cet objectif paraît assez simple et pas tellement différent du but classique de l'aménagement forestier. En fait, l'application de tels principes demandera d'importantes modifications des outils d'aménagement, en particulier en ce qui concerne la mensuration des forêts et l'évaluation économique. Le point important est que les forêts tropicales d'Afrique et d'autres pays du tiers monde ont beaucoup plus à offrir qu'on ne le suppose généralement.


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