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Deux problèmes critiques pour les usines de pâte et papier

Financement et démarrage

Damian Von Stauffenberg

Damian Von Stauffenberg est expert en investissement à la Société financière internationale Washington D C. Etats-Unis. Le présent article est adapté de deux communications différentes soumises par ce même auteur aux sessions de juin 1982 et juin 1983 du Comité consultatif FAO de la pâte et du papier.

Une fois la décision prise de construire une nouvelle usine de pâte et papier, il faut entre 6 et 10 ans avant qu'elle ne commence réellement à fonctionner. Un facteur clef de réussite ou d'échec réside dans les modalités de financement du projet. En outre, il ne suffit pas de construire l'usine. Pour qu'elle soit viable, divers problèmes doivent être résolus, tels que formation du personnel et approvisionnement en matières premières et en pièces de rechange. Dans les pays en développement n'ayant pas d'expérience préalable de cette industrie, la solution à ces problèmes est difficile.

USINE DE PATE AU SWAZILAND: grande, efficace et située à proximité des sources d'approvisionnement

· Pour un pays en développement, une usine de pâte et papier représente un grand pas en avant, voire un véritable bond, dans la voie de l'industrialisation. Alors que d'autres industries progressent d'ordinaire à petits pas, s'agrandissant lentement jusqu'à atteindre finalement une taille appréciable, une usine de pâte ou une papeterie tend, pour des raisons d'économies d'échelle, à être très grande dès le départ. Les industries qui croissent lentement expérimentent au fur et à mesure, découvrent empiriquement jusqu'où elles peuvent aller et s'adaptent à leur environnement, tout comme celui-ci s'adapte à elles.

Une petite source d'énergie, par exemple, encouragera des entreprit ses dont les besoins en électricité sont modestes. A mesure que les disponibilités d'énergie électrique augmenteront, l'industrie y répondra par des techniques de production plus fortes consommatrices d'électricité. A la longue, un vaste réseau de distribution pourra attirer des industries à forte demande d'énergie, telles que des fonderies d'aluminium.

La croissance d'une usine, par ailleurs, peut se comparer à celle d'un arbre, lequel se développe dans la mesure ou le lui permet son environnement. Planter un petit arbre n'est pas difficile; il a de bonnes chances de prospérer, surtout si l'on sait qu'il appartient à une essence adaptée à la zone considérée. Le problème avec les usines de pâte et papier c'est que les ériger dans un pays en développement revient plus ou moins à transplanter un arbre adulte, c'est-à-dire un géant, dans un milieu qui jusque-là en ignorait l'existence. On a beau analyser des paramètres aussi évidents que le sol et le climat, on n'est jamais sûr que l'arbre prendra racine et poussera. Des facteurs imprévus surgiront sans doute, auxquels il devra s'adapter avant de croître.

1. Financement des projets

Une bonne part du travail consiste en l'occurrence à concevoir des modalités de financement qui répondent aux besoins particuliers du projet. Il s'agit véritablement d'un travail «sur mesure». Tout comme le fait un tailleur, il faut étudier attentivement la forme, la taille et autres caractéristiques du projet, sur lequel on ajustera un «costume» financier. Etant donné que les projets de pâte et papier présentent des caractéristiques bien distinctes, ils ne s'accommodent pas du «prêt à porter» et exigent un important travail de «retouche».

Intensité de capital. La première caractéristique et aussi la plus remarquable des projets de pâte et papier est leur intensité de capital. Il semble admis en pratique que dans la plupart des cas la taille maximale d'une usine produisant du papier d'écriture, par exemple, est de 30000 tonnes par an. De même, on pense qu'une tonne de capacité annuelle exige un investissement de 2000 à 3000 dollars U.S. Par conséquent, une usine, même de taille minimale coûtera au bas mot 60 millions de dollars, et plus probablement près de 100 millions de dollars.

Il existe maintenant des modèles de petites usines, relativement simples, qui apparemment seraient rentables dans certaines conditions. Mais ce sont là des exceptions qui confirment la règle selon laquelle les projets de pâte et papier sont en général à fort coefficient de capital.

Qui dit «intensité de capital» dit non seulement gros investissements, mais aussi ventes annuelles en général bien intérieures aux sommes investies. En d'autres termes, 1 dollar investi dans une papeterie ne rapporte en gros que 40 cents de recette annuelle. En ce sens, même un vendeur de crèmes glacées, dont l'«usine» consiste en une voiture à bras de 200 dollars, a une affaire à haute intensité de capital s'il ne vend pas pour plus de 100 dollars de cornets de glace par an. Une usine à fort coefficient de capital n'est pas obligatoirement de grande taille. Ce qui caractérise une telle entreprise c'est plutôt que les frais fixes - charges d'intérêt et amortissement - représentent une part importante des dépenses d'exploitation.

Il est donc essentiel que le taux d'utilisation de la capacité de production soit élevé. La raison en est évidente. Les frais fixes d'une usine de 100 millions de dollars pouvant facilement s'élever à 15 millions de dollars par an, la tonne revient à 500 dollars si l'usine tourne à sa pleine capacité de 30000 tonnes par an. Si elle ne tourne qu'à 50 pour cent de sa capacité, les frais fixes doublent pour monter à 1000 dollars/tonne. Le caractère éminemment cyclique de l'industrie de la pâte et du papier et la tendance à maintenir une usine en marche même si elle perd de l'argent peuvent être imputés à cet aspect fondamental de l'intensité de capital.

Il faut vraiment que les choses aillent bien mal pour qu'on ferme une usine de pâte et papier. L'arrêt de la production peut réduire les charges variables, mais les frais fixes continuent à courir, que l'usine tourne ou non. C'est pourquoi, lorsque la demande fléchit, les producteurs baissent leurs prix pour tenter de maintenir les ventes, plutôt que d'arrêter la production.

Les promoteurs de projets dans les pays en développement sont toujours tentés d'opter pour les techniques les plus avancées, et ce d'autant plus qu'ils ont moins d'expérience. S'ils résistent à cette tentation, c'est généralement parce qu'ils ne peuvent en payer le prix. Cependant, le coût d'une installation moderne de ce genre pose habituel le ment moins de problèmes due son exploitation. Si les services après vente et les fournisseurs de pièces détachées sont à des milliers de kilomètres, le promoteur du projet a intérêt à employer des techniques simples et un matériel qu'il sait faire marcher et entretenir. Dans ces conditions, le prix d'une usine sophistiquée est prohibitif, non pas tant en frais de premier établissement qu'en temps d'arrêt.

Une autre caractéristique des usines de pâte et papier, étroitement liée à leur taille, est le long délai nécessaire pour les construire. Si tout va bien - ce qui est rarement le cas - , il faut compter environ trois ans pour construire une nouvelle papeterie, plus trois autres années pour corriger tout ce qui ne va pas, bien familiariser le personnel avec la nouvelle usine et amener celle-ci à sa pleine capacité. Autrement dit, avec beaucoup de chance il ne s'écoulera pas plus de six ans entre la décision d'investir et le moment où l'usine tournera à plein. Huit ans n'est déjà pas si mal, et un délai de 10 ans n'est pas chose rare. Du point de vue du financement, cela entraîne deux conséquences. Il en résulte premièrement que ce type de projets exige un gros capital social, et deuxièmement que la dette doit être à aussi long terme que possible.

Capital social. Il est difficile de réunir de tels fonds, car les investisseur hésitent à mettre de l'argent dans un projet qui ne rapportera pas avant six ans au moins. Dans les pays en développement, c'est plus malaisé encore du fait que les marchés de capitaux sont généralement bien trop modestes pour absorber des investissements de l'ampleur s'établirait requise. En admettant qu'il faille investir dans une papeterie de dimensions économiques minimales entre 60 millions et 100 millions de dollars, le capital social s'établirait en gros à 40 pour cent de ce montant, soit entre 24 millions et 40 millions de dollars. C'est là un chiffre tout à fait courant. Dans la pratique, il varie certes un peu, mais pas de beaucoup.

On ne saurait trop souligner à quel point le succès d'un projet dépend d'un capital social suffisamment étoffé. Ce dernier est très souvent inférieur à ce qu'il devrait être dans le plan de financement initial, les responsables ayant tendance à se faire des illusion à pécher par optimisme quand ils évaluent le coût de projets et très souvent à sous-estimer le temps nécessaire pour construire une usine et l'amener à sa pleine capacité de production. S'il était possible d'y parvenir en un an, par exemple, on aurait une capacité d'autofinancement bien supérieure, et le capital social pourrait être moins important. Le projet serait alors en mesure de rembourser plus rapidement ses emprunts. Cela, pourtant, n'est généralement pas possible, et le promoteur d'un projet qui a fondé son investissement sur de telles hypothèses se retrouve fréquemment dans l'embarras, sans plus un sou en caisse, pour en revenir à la métaphore du tailleur sur mesure, «l'habit» financier ne va pas à l'usine.

Une telle éventualité peut coûter cher. Une conséquence immédiate du manque de fonds est l'arrêt ou le ralentissement du travail, d'où une majoration des coûts. Et c'est alors le cercle vicieux. Le temps de trouver de l'argent supplémentaire, le coût du projet aura augmente, et un nouveau déficit financier sera apparu. Il faudra alors chercher d'autres fonds, le travail s'arrêtera de nouveau, et ainsi de suite. Les exemples ne manquent pas de projets pris dans un tel engrenage.

C'est d'ordinaire quand on a le plus besoin d'argent qu'on a le plus de mal à s'en procurer. Chacun sait que les banques ont pour devise de ne prêter qu'aux riches. Aussi montreront-elles moins d'empressement encore à accorder leur aide à un projet terminé a 80 pour cent qui se trouve à court d'argent. En admettant qu'on arrive à en obtenir dans ces conditions, ce sera au prix fort. L'emprunteur ne pourra pas y faire grand-chose.

Les coûts qui se dégagent d'une étude de faisabilité sont la plupart du temps différents de ceux qui ressortent de l'estimation sur laquelle s'articule le plan de financement. Les premiers résultent d'une analyse technique qui sert à contrôler l'exécution du projet et tendent donc à être bas. Les seconds, en revanche, correspondent au plan de financement, lequel englobe tous les imprévus et les réserves motivées précisément par les graves conséquences d'un man que de fonds. Parfois, on gonfle délibérément le budget des projets pour être sûr qu'il sera suffisant.

USINES DE PAPETERIE AU KENYA...

Il est donc primordial que quiconque entreprend un projet de ce type fasse preuve de réalisme, en prévoyant pour commencer un niveau adéquat de capital social. Ce niveau dépend des conditions auxquelles on peut emprunter. S'il s'agit d'emprunts à très long terme par exemple sur une quinzaine d'années - avec une période de grâce s'étendant non seulement jusqu'à l'achèvement du projet mais encore jusqu'au moment ou il atteindra se pleine capacité de production, rien n'empêche d'opter pour un capital social couvrant moins de 40 pour cent du coût du projet. Mais de tels cas sont rares. Il arrive plus souvent que les prêts soient à trop court terme, d'où la nécessité d'un capital social supérieur de 40 pour cent audit coût.

... ET AU GUATEMALA: La pâte et le papier engendrent des emplois

Quasi-capital. Les difficultés que pose la constitution d'un capital social suffisant ont amené à diverses formes hybrides de financement alliant les caractéristiques de ce capital à celles de l'emprunt. La forme qui se rapproche le plus du capital social proprement dit est celle des actions privilégiées, mais celles-ci ont peu cours dans les pays en développement.

On adopte le plus souvent une formule ou une autre de «quasi-capital». Par exemple, un emprunt lié, convertible en capital social, peut être attrayant tant pour le promoteur du projet que pour le bailleur de fonds. Pour le promoteur, il est très proche d'un apport direct en capital, puisqu'il accroît la capacité d'emprunt de son entreprise de manière assez analogue à un actif social. Pour le bailleur de fonds, le caractère de convertibilité compense le risque accru qu'il court. Si le projet réussit, il convertit son prêt en capital social et en retire un profit plus grand que s'il n'avait eu qu'un simple prêt.

Les formes de quasi-capital existantes sont trop nombreuses pour qu'on les examine ici, mais il faut souligner qu'elles constituent une importante solution de remplacement pour financer un nouveau projet de pâte et papier. Ces formules à mi-chemin de l'emprunt et du capital social ont dans bien des cas permis de réaliser des projets qui n'auraient pu l'être autrement.

Crédits à l'exportation. Si invraisemblable que cela puisse paraître, l'obtention de prêts tend à être la partie la plus simple des opérations de montage d'un financement. Cette situation tient principalement au fait que les pays produisant des biens d'équipement se font une concurrence serrée sur les marchés d'exportation. Ils sont donc disposés à accorder des crédits à l'exportation qui, selon les normes actuelles, sont exceptionnellement favorables. Lors de récentes conférences économiques au sommet on s'est efforcé de refréner cette concurrence; le seul fait que les crédits à l'exportation aient figuré, à de nombreuses reprises, à l'ordre du jour de ces réunions témoigne de leur importance.

Chaque année, des milliards de dollars sont dépensés par les gouvernements de pays producteurs de biens d'équipement pour subventionner les crédits à l'exportation. Ce qui est un problème pour eux constitue pour l'industrie de la pâte et du papier une bonne aubaine. Avec les crédits à l'exportation qui sont consentis actuellement a des taux bien inférieurs à ceux du marché et à long terme, tout promoteur de projet a intérêt à en faire le pivot de son plan de financement.

En plus de leurs longs délais de remboursement, les crédits à l'exportation ont un autre avantage attrayant pour les projets de pâte et papier: leurs taux d'intérêt fixes. Des taux d'intérêt fluctuants introduiraient un élément de risque dans une industrie ou les frais financiers sont déjà élevés et qui est particulièrement mal armée pour supporter un tel risque. Dans la conjoncture actuelle, il est pratiquement impossible d'éviter entièrement des taux d'intérêt fluctuants - les banques ne prêtent tout bonnement pas à taux fixes - , mais on peut du moins les limiter à un minimum.

Après avoir bien vanté les mérites des crédits à l'exportation, je voudrais maintenant en signaler les inconvénients. Bien que présentant un fort avantage de coût, les crédits à l'exportation tendent à limiter la concurrence entre fournisseurs d'équipements, d'où une hausse éventuelle du prix de ces derniers, qui risque d'annuler, du moins en partie, l'avantage initial.

Il existe plusieurs moyens d'encourager la concurrence, même en recourant aux crédits à l'exportation. L un d'eux consiste à s'appuyer davantage sur le crédit-acheteur (crédits accordés directement au projet par l'organisme de financement à l'exportation) que sur le crédit-fournisseur. Un autre moyen consiste à obtenir des engagements de crédits à l'exportation du plus grand nombre possible de pays producteurs d'équipements, puis à n'utiliser que ceux des pays avec lesquels on aura passé des contrats de fourniture d'équipements. Toutefois, il y a des limites pratiques que l'on ne peut dépasser dans cette voie. Quelles que soient les mesures prises, les crédits à l'exportation affaiblissent en général la concurrence.

Il existe divers organismes de crédit à l'exportation dont l'objectif est d'encourager les ventes à l'exportation et qui, par conséquent, ne dispensent pas le genre de conseils ou d'assistance qu'un projet peut obtenir auprès d'institutions spécialisées dans le financement du développement. Ces organismes ne se préoccupent guère, par exemple de voir si un projet est viable, pas plus qu'ils ne prennent sur eux de dresser un plan de financement. C'est pourquoi il n'est pas rare que l'un des organismes prêteurs secondaires joue le rôle de chef de file dans le financement d'un projet, pendant que des organismes de crédit à l'exportation, qui ont fourni le gros des fonds, restent passifs.

Autres emprunts. Les crédits à l'exportation ne sauraient jamais apporter à un projet tout l'argent dont il a besoin. Il faut solliciter des prêts supplémentaires auprès de banques commerciales et d'institutions spécialisées dans ce genre de financement. Comme les prêts destinés à des projets de pâte et papier supposent nécessairement de longs délais de remboursement, le choix des sources de financement n'est pas très vaste. Il y a fondamentalement deux types d'organismes de prêts pour de tels projets dans les pays en développement: les banques internationales de développement et les banques commerciales privées.

Les organismes de financement ou banques de développement internationaux, tels que la Banque mondiale - qui est de loin la plus importante - , de même que les banques régionales de développement ou la Société financière internationale, présentent l'avantage d'être spécialisés dans ces opérations de financement. Ils ont donc l'habitude de projets de développement qui ont peu à offrir en guise de garantie ou d'expérience. En outre, et c'est là un point particulièrement important, leurs prêts sont généralement à intérêt fixe.

Ces institutions s'assurent par elles-mêmes, moyennant une analyse attentive, que le projet est viable, ce qui parfois représente une masse de conseils techniques gratuits pour le promoteur. D'ordinaire, elles prennent aussi une part active à l'élaboration et à la mise en place d'un plan de financement, devenant en fait le conseiller financier du projet. Cependant, elles ont également besoin de temps pour remplir leur mission. L'analyse d'un grand projet complexe n'est pas en effet tâche facile, et c'est pourquoi les banques de développement n'ont pas la souplesse ni la rapidité des banques commerciales.

Pour vraiment tirer le meilleur parti des services d'organismes internationaux de financement, il faut les associer le plus tôt possible au projet, car ils peuvent alors mener leur analyse à mesure que le projet évolue et donner des conseils qu'on a encore le temps d'incorporer. A l'inverse, présenter à ces organismes une demande de financement alors que le projet est déjà en route est la manière la moins efficace de les utiliser. A ce stade, leur expérience en matière de projets ne sera pas d'un grand profit pour les responsables. Toutes les décisions essentielles auront sans doute déjà été prises, et le temps requis Pour l'analyse du projet risque d'entraîner des retards.

Le financement de projets n'a jamais figuré parmi les objectifs des banques commerciales, mais depuis une dizaine d'années celles-ci se montrent de plus en plus disposées à aider des projets dans les pays en développement. A l'heure actuelle, il n'est pas rare de les voir accorder des prêts sur 8 ou 10 ans. Aussi doit-on désormais les considérer sérieusement comme de nouvelles sources de financement pour les projets de pâte et papier.

La Société financière internationale (SFI) occupe une position intermédiaire entre les autres organismes internationaux de financement et les banques commerciales. C'est indéniablement une institution de financement de projets, avec tout ce que cela comporte en matière d'analyse de projets, de conseils et d'étude de plans de financement. Elle appartient en fait au groupe de la Banque mondiale. Toutefois, elle s'occupe aussi de mobiliser des fonds provenant de banques commerciales et constitue en quelque Sorte un canal par lequel ces fonds atteignent les projets dans les pays en développement.

2. Les premières années de fonctionnement

Le personnel. Le premier, et sans doute le plus importent, point de contact entre une usine de pâte et papier et son environnement c'est le personnel qui la fait marcher. Le problème évident - toujours reconnu mais pas toujours résolu - est celui de la gestion. La plupart des pays en développement n'ont tout simplement pas encore de personnes capables de diriger convenablement ce genre d'usine.

Une solution consiste à importer le savoir-faire. C'est toutefois plus difficile qu'il ne semble. En commençant par le haut de l'échelle avec le directeur, il faut de toute évidence à ce poste quelqu'un qui connaisse très bien son métier, mais cela ne suffit pas. L'expérience montre qu'au cours des premières années de fonctionnement les qualités de chef du directeur sont décisives, plus importantes même peut-être que ses qualifications techniques. Dans la phase de démarrage, il est constamment aux prises avec des imprévus et doit en même temps s'efforcer de souder son équipe de cadres et d'employés.

Il importe que les membres de la direction coopèrent harmonieusement et que l'on recrute des experts étrangers susceptibles de s'intégrer au groupe. Il n'est pas bon de confier cette tâche à un consultant qui lance des annonces internationales puis sélectionne les candidats, car on risque en définitive de lui payer des honoraires très élevés pour quelque chose que l'on aurait pu faire facilement soi-même. Si la sélection des candidats pose un problème, diverses associations papetières nationales seront souvent disposées à apporter leur aide. Un recrutement par annonces internationales fournira le nombre voulu d'individus qualifiés, mais ne garantira pas qu'ils seront capables de travailler ensemble.

Une méthode plus efficace consiste à s'adresser à une grande entreprise papetière qui recrutera l'équipe nécessaire parmi son propre personnel. Dans ce cas, les experts étrangers auront le même bagage et formeront une équipe homogène.

Le recrutement des effectifs sur place pose encore plus de problèmes. Si l'on admet bien la nécessité d'une formation, on perd souvent de vue la nature des tâches. La gageure à laquelle sont confrontés les responsables d'une nouvelle usine n'est pas seulement d'inculquer à leur personnel un certain savoir-faire - des usines font cela tout le temps dans le monde entier.

La construction d'une nouvelle usine dans un pays en développement peut aussi changer du tout au tout la vie des gens dont elle devient le moyen d'existence. Presque inévitablement, la société rurale s'urbanise. Il est arrivé qu'un projet papetier lancé dans une zone rurale transforme complètement en 10 ans un petit village arriéré en une ville trépidente Autre conséquence fréquente: un gros employeur tel qu'une usine moderne de papeterie devient un centre de formation technique pour les industries avoisinant tes. Les ouvriers ne sont pas plutôt formés dans la papeterie notamment électriciens, tourneurs, ajusteurs - qu'ils sont débauchés par d'autres entreprises. Il y a eu des cas où la production d'une papeterie s'est sérieusement ressentie d'un roulement annuel de personnel qui atteignait presque les 100 pour cent.

Matières premières. Très souvent, l'approvisionnement en matières premières ne va pas sans mal pendant les premières années. Alors que les études de faisabilité ont tendance à être optimistes sur les disponibilités de matières premières essentielles, la réalité peut être en deçà des prévisions, pour des raisons diverses: les inventaires forestiers s'avèrent inexacts; les sucreries découvrent qu'elles ont moins d'excédents de bagasse qu'annoncé au départ; ou encore le réseau de transports n'est pas en mesure de faire face à l'accroissement soudain des tonnages à transporter. On a vu des cas où le bois à pâte était disponible comme prévu à la saison des pluies, mais il était impossible d'en amener a l'usine les quantités nécessaires. La plupart de ces difficultés tiennent à ce qu'une usine de pâte et papier fait beaucoup monter la demande nationale de la matière première en cause. Il faut en général du temps pour que l'offre réponde à ce surcroît de demande.

L'importation des matières premières utilisées par une nouvelle usine peut elle aussi peser sur l'environnement local. Théoriquement, on commande tout simplement les matières premières dont on a besoin et on attend qu'elles soient expédiées à l'usine. En pratique, les marchandises doivent passer par les ports et les douanes locales, ce qui occasionne souvent de formidables goulets d'étranglement. En outre, il faut des devises pour les payer, et une licence d'importation peut être requise.

Services publics. Une usine de la taille d'une fabrique de pâte et papier ne peut espérer simplement se brancher sur les réseaux de distribution existants. Le plus souvent, il faut qu'elle pourvoie à ses propres besoins en électricité et en eau. Il arrive toutefois assez fréquemment qu'on en synchronise la construction avec celle d'une nouvelle centrale ou d'une nouvelle ligne électrique. En pareil cas, il est bon de se souvenir que les projets d'investissements publics obéissent à des priorités différentes de celles des entreprises industrielles. Il faut être très prudent quand on suppute la date à laquelle devrait être achevée une nouvelle centrale électrique ou autres grands ouvrages d'intérêt public. C'est ainsi que, en vue d'un vaste projet récemment entrepris en Amérique latine, il était nécessaire d'installer une ligne électrique de 70 km. Sa construction, actuellement en cours, devrait, selon les prévisions, être achevée en trois ans aux termes de l'accord passé, la compagnie d'électricité paierait des dommages et intérêts pour chaque jour de retard au-delà de la date d'achèvement prévue. En échange, l'usine devrait payer d'avance le coût total de construction de la ligne, bien qu'un tel accord fût très onéreux pour elle.

Pièces de rechange. Même les usines les mieux gérées ont souvent dû fermer parce qu'il leur manquait des pièces de rechange essentielles. Pour une usine a fort coefficient de capital, il vaut par conséquent la peine d'investir largement dans un stock de pièces de rechange, surtout s'il faut des semaines ou des mois pour les obtenir. Outre la marge de sécurité qu'offre un stock bien garni, un système doit être prévu qui permette de déceler à temps les manques, afin de reconstituer les stocks avant que l'usine ne soit contrainte de fermer faute de certaines pièces de rechange. C'est là chose difficile au début parce qu'on ne connaît pas encore bien le rythme de consommation, mais avec les moyens informatiques aujourd'hui à disposition ou peut introduire des systèmes de gestion des stocks très perfectionnés à un prix minime.

Devises. Pour beaucoup de pays en développement les devises sont une denrée rare, voire rarissime. On le sait depuis longtemps, mais ces quelques dernières années nous en ont donné des preuves cuisantes. Beaucoup de projets de pâte et papier en subissent le contrecoup.

Les chocs pétroliers successifs des années soixante-dix ont porté un coup sévère en particulier aux usines récemment achevées, conçues en fonction d'un pétrole à bon marché. Alors que ces usines ployaient sous le poids de lourdes charges financières, leur facture énergétique s'est soudain mise à monter en flèche. Pour parer au problème on a essayé le plus souvent de trouver de l'argent supplémentaire afin de modifier la conception de l'usine, soit en introduisant des dispositifs permettant d'économiser l'énergie, soit en passant à d'autres combustibles. D'ou, la plupart du temps, un délai de quelques années de plus pour atteindre la pleine capacité.

La présente décennie est marquée par une variante du même problème. Les pays en développement sont couverts de dettes des dévaluations de 100 pour cent ou plus sont devenues chose courante, et, du jour au lendemain, toute une gamme d'approvisionnements en dehors du pétrole, exigeant tous des devises, sont touchés par la crise.

Jamais on n'aurait pensé il y a quelques années que la plupart des entreprises pourraient faire front à de brutales dévaluations de cette ampleur; or, certaines d'entre elles font preuve d'une extraordinaire faculté d'adaptation. Des producteurs que n'effleurait même pas l'idée qu'ils puissent un jour exporter font des percées sur les marchés étrangers. Les facteurs de production importés sont remplacés par des produits locaux, ou par d'autres produits; dans l'un et l'autre cas, on restreint ainsi les besoins d'importation.

C'est ainsi qu'un fabricant de cartons pour boites, qui travaillait depuis deux ans, commençait à voir le bout des difficultés initiales inhérentes à toute nouvelle usine quand se déclara, dans son pays, une crise de la balance des paiements. Les importations de pâte de haute qualité et de vieux papiers furent pratiquement arrêtées, et lorsque l'industriel recourut aux matières premières locales, les vieux papiers de la qualité requise se raréfièrent. Il réagit en changeant son éventail de produits et a maintenant fait un emprunt pour modifier son installation afin d'utiliser des vieux papiers locaux de qualité inférieure.

Il est encore trop tôt pour formuler un verdict définitif quant aux conséquences qu'aura la crise monétaire internationale pour les producteurs de nombreux pays en développement, mais, chose étonnante, jusqu'à présent les résultats n'ont pas été aussi catastrophiques qu'on aurait PU S'Y attendre.

Investir dans l'industrie de la pâte et du papier dans les pays en développement n'est pas sans espoir, bien au contraire. Toutefois, l'expérience en la matière a apporté d'utiles leçons. Quelques lignes de conduite élémentaires à suivre sont énoncées ci-après aussi simplement que possible:

· Soyez souple. Vous aurez à faire face à une multitude de problèmes imprévus.

· Choisissez un modèle d'usine adapté aux conditions locales, autrement dit de conception simple.

· Si vous avez besoin d'une assistance ou d'une coopération technique, choisissez un partenaire qui ait un intérêt dans le succès de votre entreprise.

· Prévoyez une ample période de rodage; un délai de trois à quatre ans est apparemment une bonne moyenne, papiers et cartons dans les pays en développement


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