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Le rôle des forêts dans la sécurité alimentaire

Département des forêts de la FAO

«Le rôle des forêts dans la sécurité alimentaire» est le thème d'ensemble choisi par la FAO pour l'Année internationale de la forêt - 1985. Le présent article est tiré d'un document présenté à la 10e session du Comité FAO de la sécurité alimentaire, qui a siégé à Rome du 10 au 17 avril 1985. Il est inspiré par la Conférence de la FAO qui, lors de plusieurs sessions récentes, s'est déclarée préoccupée du danger auquel le déboisement excessif expose les ressources indispensables à une production alimentaire soutenue et suffisante. Le Comité des forêts de la FAO a recommandé à sa 7e session, en mai 1984, que la FAO étudie les relations entre la foresterie et la sécurité alimentaire et porte cette étude à l'attention du Comité de la sécurité alimentaire mondiale.

· On reconnaît généralement que les pratiques d'utilisation des terres qui ont entraîné la dégradation de l'environnement sont les principales causes des crises alimentaires qui se répètent avec une fréquence tragique dans les pays en développement. Tout le monde sait aussi qu'elles compromettent à long terme les approvisionnements alimentaires mondiaux. Pourtant, elles n'ont jusqu'à présent guère mobilisé l'attention lors des débats internationaux consacrés à la sécurité alimentaire mondiale.

Le présent article porte principalement sur le rôle fondamental des forêts dans la stabilité de l'environnement; il esquisse en outre de nombreux autres apports que peuvent fournir les forêts à la sécurité alimentaire.

Conservation des sols et des eaux

Quiconque doit examiner les rapports entre la production vivrière et les forêts pense en premier lieu à la progression continue du domaine agricole aux dépens de la forêt. Une grande partie des terres agricoles actuelles était autrefois couverte de forêts. La FAO estime que 7,5 millions d'ha de forêts denses et 3,8 millions d'ha de formations plus claires sont défrichés chaque année dans les tropiques, presque entièrement pour les besoins de l'agriculture (FAO, 1982).

Il est hors de doute que l'agriculture continuera à progresser aux dépens des forêts. Malheureusement, beaucoup des terres ainsi défrichées se prêtent mal à l'agriculture permanente et risquent de se dégrader ou de s'éroder rapidement. Elles étaient plus productives lorsqu'elles étaient couvertes de forêts, qui protégeaient les sols et les eaux. Heureusement, selon la FAO, l'accroissement de la production agricole d'ici à la fin de ce siècle devrait provenir pour un quart seulement de l'extension des superficies cultivées, et pour le reste d'une amélioration de la productivité (FAO, 1981).

La végétation forestière et les organismes contenus dans le sol des forêts constituent probablement 90 pour cent de la biomasse terrestre et jouent donc un rôle énorme dans la stabilité de l'environnement. Mais, en déboisant, l'homme a déjà porté de rudes coups à ce patrimoine, perturbant ainsi beaucoup de systèmes écologiques.

Le rôle des forêts dans la stabilité de l'environnement est très complexe et encore mal connu. Ce qui est sûr, c'est que les forêts ralentissent le ruissellement de l'eau de pluie, évitant ainsi deux extrêmes: l'inondation et le dessèchement du sol. Localement, elles ont un effet modérateur sur la température et l'humidité de l'air dans les zones agricoles voisines.

Nous examinerons ci-après trois cas particuliers où les forêts jouent un rôle capital dans la conservation des sols et des eaux nécessaires à la production vivrière: bassins versants de montagne, terres arides, sols forestiers tropicaux.

DÉPOUILLEMENT D'UN HIPPOPOTAME EN OUGANDA la faune sauvage est une source essentielle d'aliments

Bassins versants de montagne. Le déboisement excessif des montagnes provoque l'érosion des sols mis à nu et, de par ses effets sur le régime des eaux, fait peser une lourde menace sur les terres agricoles en aval. Les eaux torrentielles arrachent la terre sur leur passage, détruisent les ponts et autres ouvrages, inondent les champs, perturbent les pêcheries et envasent les réservoirs et les canaux d'irrigation, ce qui réduit beaucoup la durée de vie utile de ces coûteuses installations. Le déboisement peut même provoquer des sécheresses et des inondations en aval, le débit de l'eau devenant moins régulier. Les très graves dommages causés à la production vivrière par les inondations dans les plaines de l'Asie du Sud sont un exemple, parmi d'autres, des conséquences d'un déboisement excessif dans les bassins versants de montagne.

La végétation ligneuse constitue une réserve de fourrage fort utile durant la saison sèche les années où les pluies viennent à manquer.

L'aménagement intégré des bassins versants est indispensable pour éviter à l'agriculture ce genre de catastrophes. La conservation des forêts existantes ainsi que le reboisement d'endroits stratégiques sont essentiels pour protéger les sols en amont et limiter les dégâts en aval. Les arbres atténuent la violence des précipitations, ce qui facilite l'absorption de l'eau de pluie par le sol, réduit le ruissellement, et modère et régularise le débit des cours d'eau. Cela risque de limiter aussi les quantités d'eau disponibles pour les réseaux d'irrigation alimentés à partir des hauteurs, mais l'amélioration de la qualité de l'eau et la régularisation de son débit compensent d'ordinaire cet inconvénient en évitant un envasement trop rapide des réservoirs et des canaux d'irrigation.

Outre la conservation des forêts et le reboisement, l'entretien et la restauration des bassins versants exigent la construction d'ouvrages anti-érosion et anti-inondations. Par ailleurs, les programmes visant à réduire les dommages occasionnés aux forêts par l'agriculture et l'élevage doivent être acceptables pour les nombreux agriculteurs qui vivent déjà dans ces zones. Comme nous le verrons, les arbres jouent le plus souvent un rôle essentiel dans les systèmes agricoles améliorés qu'il convient d'introduire. En Inde et au Népal, par exemple, un certain nombre de projets récents de remise en état des bassins versants ont été menés à bien en tenant compte de tous ces aspects.

Terres arides et semi-arides. Dans les zones arides et semi-arides, ce n'est pas l'eau mais le vent qui est la principale cause de l'érosion. La conservation de zones boisées limite les quantités de poussière et de sable arrachées aux terres très érodées, et la présence d'arbres entre ces zones et les terres agricoles peut atténuer les effets des tempêtes de poussière et éviter la formation de dunes de sable. La végétation ligneuse, avec son ombre et ses racines profondes, reste verte quand les herbages sont desséchés. Elle constitue donc une réserve de fourrage fort utile durant la saison sèche et les années où les pluies viennent à manquer. L'importance saisonnière de ce fourrage est particulièrement grande au Sahel.

Dans les zones arides, les arbres peuvent être utilisés (par exemple comme brise-vent) pour combattre la sécheresse et la désertification. Ils améliorent la productivité biologique et la biomasse végétale; ils accroissent la capacité de charge en bétail et le rendement des cultures grâce à la conservation des sols; ils limitent l'érosion éolienne et fixent les dunes; ils améliorent les microclimats et protègent les établissements humains et l'infrastructure. Les arbres peuvent également servir à bonifier les dunes et les terres à forte salinité car ils sont capables d'extraire l'eau et les éléments nutritifs contenus dans les couches les plus profondes du sol.

Un déboisement excessif, associé au surpâturage et à la culture de terres marginales, peut beaucoup aggraver les effets des périodes de précipitations insuffisantes ou de sécheresse sur la production vivrière. C'est aussi l'une des principales causes de la désertification, qui menace 29 pour cent de la superficie terrestre, en plus des 6 pour cent déjà désertiques (FAO/Unesco/OMM, 1977).

Les programmes mis en œuvre par les gouvernements pour lutter contre la désertification reposent de plus en plus sur l'introduction d'un nombre accru d'arbres dans les systèmes agricoles. Nous y reviendrons. Ils prévoient aussi de vastes opérations de boisement, par exemple la «Grande muraille verte» de la Chine, qui se déroule sur environ 6000 km autour du désert de Gobi.

Sols forestiers. Dans les tropiques humides, beaucoup de sols forestiers sont peu fertiles et de structure médiocre. Ils ne se prêtent guère à la culture permanente. Actuellement, on y pratique surtout différents types de culture itinérante, avec une longue période de jachère pour permettre à la terre de retrouver sa fertilité; cette forme d'agriculture est encore la plus répandue sous les tropiques. On estime que les jachères associées à la culture itinérante occupent environ 410 millions d'ha, soit plus de 20 pour cent de la superficie des forêts tropicales (FAO, 1982). Une partie de ces jachères se trouvent dans les bassins versants de montagne qui, comme nous l'avons vu, sont très fragiles.

La régénération naturelle de la végétation ligneuse durant les périodes de jachère inclut beaucoup d'espèces à racines profondes, qui peuvent extraire des éléments nutritifs auxquels les plantes cultivées ne peuvent accéder. Ces éléments nutritifs remontent jusqu'aux feuilles; celles-ci tombent et sont incorporées dans les couches du sol accessibles aux plantes cultivées.

Si la jachère est suffisamment longue, les systèmes traditionnels de culture itinérante ne provoquent pas de déséquilibre écologique et n'ont pas d'effet irréversible sur les ressources en sol. En revanche, si elle est trop courte et si les cultures se prolongent trop longtemps - ce qui est souvent le cas à cause de la pression démographique -, les sols n'ont plus le temps de retrouver leur fertilité. Lorsque le cycle de régénération est ainsi interrompu, les rendements des cultures bais sent fortement et les sols se dégradent rapidement.

Autrefois, l'objectif des gouvernements était souvent de mettre fin à la culture itinérante; aujourd'hui, ils cherchent plutôt à l'améliorer. Il n'est pas facile de passer de la culture itinérante à des systèmes plus permanents. Les problèmes sont d'autant plus complexes que les paysans, appauvris par la baisse des rendements, ne peuvent pas se permettre les améliorations nécessaires pour conserver aux sols leur fertilité et éviter leur dégradation. Différents systèmes permanents ont été proposés pour remplacer la culture itinérante; ils font l'objet de nombreuses recherches (Okigbo, 1984). Plusieurs des solutions les plus prometteuses consistent à associer les arbres, forestiers ou non, l'agriculture et l'élevage. Nous y reviendrons lorsque nous parlerons du rôle des arbres dans les systèmes agricoles.

Autres contributions

C'est donc par leur rôle de protection de l'environnement que les forêts contribuent le plus - et de loin - à la sécurité alimentaire, mais la contribution des forêts proprement dites (par opposition aux arbres utilisés dans les systèmes agricoles) ne s'arrête pas là. Le rôle de la forêt en tant que source naturelle de nourriture (y compris la faune sauvage) est, dans nombre de pays, bien plus important qu'on ne le pense d'ordinaire. Par ailleurs, la forêt facilite l'accès aux vivres en créant des emplois et des revenus pour les ruraux et en rapportant des devises. Enfin, il y a le problème des disponibilités en bois de feu, qui se pose aujourd'hui avec beaucoup d'acuité.

Nourriture tirée de la forêt. Certaines plantes forestières sauvages fournissent des aliments de base (par exemple le sagoutier en Asie du Sud-Est) mais, plus généralement, elles ne font que compléter un régime constitué d'un petit nombre de denrées de base, voire d'une seule. Elles contribuent à stabiliser les disponibilités alimentaires tout au long de l'année en remplaçant, le cas échéant, ces denrées de base lorsque celles-ci viennent à manquer. On tire de la forêt toutes sortes de fruits, de noix, de feuilles, de racines et de champignons. Certains de ces aliments rapportent beaucoup, par exemple les coeurs de palmier dont le Brésil produit de 20000 à 30000 tonnes par an. Le miel est un autre aliment important tiré de la forêt et une source non négligeable de revenus.

Les forêts sont une source de nourriture, non seulement pour l'homme, mais aussi pour les bêtes, qui y trouvent souvent de quoi manger lorsque les pâturages sont desséchés. Au lieu d'aller chercher pousses, feuilles et fruits dans la forêt, on peut laisser les troupeaux y paître directement mais, dans ce cas, il faut veiller à ce qu'ils ne détruisent pas les ressources forestières. Pour cela, il convient de limiter le nombre des bêtes que l'on conduit en forêt et de contrôler leurs déplacements. Différentes méthodes (large espacement, élagage élevé, amélioration de la couverture vivante avec des plantes nutritives telles que l'herbe à éléphant) permettent d'accroître le rendement en fourrage des plantations forestières.

Toutefois, c'est sans doute la faune sauvage qui est la principale source de nourriture tirée directement des forêts. Dans beaucoup d'endroits, la faune, y compris les petits rongeurs, les reptiles, les oiseaux, les escargots et les insectes, constitue une part très importante des disponibilités en protéines d'origine animale (par exemple, 60 pour cent au Botswana, 70 pour cent au Libéria et 75 pour cent au Ghana).

Dans certains cas, notamment dans les savanes (forêts claires) africaines, les gros mammifères sauvages sont supérieurs aux animaux domestiques: ils transforment plus efficacement la végétation en viande, sont mieux adaptés à l'environnement et exigent moins de soins (ils sont en particulier mieux protégés naturellement contre les maladies). C'est pourquoi on s'intéresse beaucoup depuis quelque temps aux méthodes d'élevage ou d'exploitation extensive qui permettent d'en tirer le meilleur parti possible.

En ce qui concerne tant la faune que les plantes vivrières potentielles, les forêts constituent la plus grande réserve de diversité génétique, y compris les parents sauvages de plantes vivrières de base particulièrement importantes. Le plus sûr moyen de conserver ce réservoir irremplaçable de matériel génétique consiste à conserver les forêts elles-mêmes.

Emploi et revenu. La foresterie et les activités industrielles et artisanales qui en dérivent sont une source importante d'emploi et de revenu pour les ruraux. L'aménagement des forêts (plantation, désherbage, éclaircies, élagage, abattage, débusquage, construction de routes) se prête à l'utilisation de techniques à fort coefficient de main-d'œuvre. Avec ces techniques, il peut y avoir à peu près 25 emplois à plein temps pour 1000 ha de plantations forestières aménagées intensivement contre 10 à 15 seulement si l'on utilise des moyens mécaniques.

Les industries forestières (scieries, fabriques de pâte à papier, etc.) offrent aussi un certain nombre de débouchés à la main-d'œuvre, mais on se rend de mieux en mieux compte que la source d'emploi la plus importante et la plus dynamique dans l'ensemble du secteur forestier (y compris les opérations primaires) est l'artisanat (par exemple charpenterie, menuiserie, carbonisation, etc.). Dans de nombreux pays, c'est l'une des principales sources d'emploi pour les ruraux, après l'agriculture. Ce secteur mériterait donc d'être étudié beaucoup plus à fond.

Recettes en devises. Nombre de pays en développement doivent importer des produits alimentaires. Leurs exportations de grumes et de produits forestiers transformés leur procurent une partie des devises dont ils ont besoin pour financer ces importations et donc pour se nourrir. Toutefois, rares sont ceux qui sont exportateurs nets de produits forestiers. Des pays très riches en forêts, tels que le Nigéria, sont même devenus importateurs nets. Aujourd'hui, l'objectif est surtout de promouvoir la transformation locale, non seulement pour exporter plus de valeur ajoutée mais aussi pour réduire les importations de produits forestiers transformés, ce qui permettra d'économiser des devises. La valeur totale des grumes tropicales, sciages, placages et contre-plaqués exportés par les pays producteurs en développement a atteint le chiffre record d'environ 5,9 milliards de dollars U.S.: en 1980, mais a ensuite beaucoup baissé. Les importations de produits forestiers (surtout pâte et papier) ont atteint 8,7 milliards de dollars U.S. dans les pays en développement en 1981, mais ont depuis lors un peu diminué. Les combustibles à base de bois peuvent également parfois remplacer les combustibles fossiles d'importation.

Approvisionnement en bois de feu. Plus de la moitié de la production mondiale de bois se compose de bois de feu, utilisé à 85 pour cent environ dans les pays en développement. Le bois de feu entre pour plus d'un cinquième dans la consommation d'énergie de ces pays. Dans les plus pauvres d'entre eux, la proportion est supérieure aux trois quarts.

Dans les zones rurales des pays en développement, le bois de feu est le principal combustible utilisé pour la conservation et la transformation des aliments; il contribue ainsi à la stabilité des disponibilités alimentaires durant l'année. Surtout, c'est le principal combustible dont disposent les pauvres pour faire la cuisine. Or, certains aliments, par exemple différentes variétés de manioc, ne peuvent être consommés que cuits; beaucoup d'autres doivent être cuits à la fois pour des questions de goût et de digestibilité et pour éviter les maladies dues aux parasites et autres agents pathogènes.

Le bois de feu se fait rare, et sa récolte est l'une des principales causes du déboisement excessif. Dans beaucoup de zones rurales, les femmes, puisque ce sont surtout elles qui sont chargées de cette corvée, doivent aller de plus en plus loin chercher le bois de feu, et il a fallu réduire le nombre des repas cuisinés. La pénurie de bois de feu est souvent une cause importante de malnutrition et de maladie.

Selon la FAO, en 1980, une centaine de millions de ruraux des pays en développement vivaient dans des zones où il y avait une pénurie aiguë de bois de feu; 1 milliard d'autres ne parvenaient à couvrir leurs besoins minimaux qu'en surexploitant les ressources; et 300 millions vivaient dans des zones où des déficits étaient prévisibles. En l'an 2000, si les tendances persistent, 2,4 milliards de personnes vivront dans des zones où il y aura une pénurie de bois de feu ou une surexploitation dangereuse (FAO, 1983a).

RIZIÈRE AVANT LA RÉCOLTE AU BHOUTAN les arbres protègent les sols et les eaux

Cette pénurie était prévisible depuis longtemps, mais on pensait que le bois de feu serait rapidement remplacé par d'autres combustibles dérivés du pétrole, tels que le kérosène. C'était compter sans la flambée des prix du pétrole du début des années 70. Plus que jamais, il est urgent de tout faire pour accroître les disponibilités en bois de feu.

RÉGIMES DE BANANES EN ATTENTE DU RAMASSAGE la forêt produit des aliments en abondance

Les ressources forestières existantes doivent être gérées plus efficacement, en mettant beaucoup plus l'accent sur la production de bois de feu. Il faut créer au plus tôt de nouvelles plantations d'essences à croissance rapide, soit à des fins multiples, soit spécifiquement pour produire du bois de feu. Les petits bois de village ont un rôle important à jouer à cet égard. L'utilisation accrue des arbres dans les systèmes agricoles, comme on le verra plus loin, pourrait également contribuer à faire augmenter les disponibilités. Il faudrait aussi améliorer les méthodes et le matériel de carbonisation, de chauffage et de cuisine.

Toutefois, le problème du bois de feu a pris de telles proportions que, sans doute, on ne peut plus guère que l'atténuer. Dans le tiers monde, les ruraux continueront probablement à souffrir d'une pénurie aiguë de combustible aussi longtemps qu'ils ne pourront pas accéder à de nouvelles sources d'énergie à bon marché.

Les forêts jouent un rôle capital dans la conservation des sols et des eaux nécessaires à la production vivrière.

Les arbres dans les systèmes agricoles

Jusqu'à présent, il a surtout été question de la contribution de la forêt «classique» c'est-à-dire des zones (en général assez étendues) qui sont officiellement classées comme des forêts et qui relèvent des services forestiers de l'Etat. Or, les essences forestières et autres arbres peuvent aussi contribuer à la sécurité alimentaire au niveau des exploitations, notamment dans des systèmes agricoles associant arbres, cultures et élevage.

La «foresterie communautaire» est une notion récente qui établit un pont entre les deux types de contributions de la foresterie à la sécurité alimentaire puisqu'elle encourage l'utilisation d'essences forestières dans les systèmes agricoles et entraîne une participation beaucoup plus forte du secteur forestier (et des forestiers eux-mêmes) au développement des zones rurales, notamment en faveur des plus pauvres, ce qui est capital pour la sécurité alimentaire mondiale.

Contribution des arbres à l'agriculture. Les agriculteurs suppriment souvent les arbres parce que ceux-ci concurrencent les cultures, abritent des ravageurs et empêchent la monoculture et la mécanisation. Pourtant, les essences forestières et autres arbres peuvent beaucoup contribuer à la productivité des systèmes de production vivrière dans les zones qui sont désormais davantage agricoles que forestières. Ils fournissent du bois de feu et d'autres produits ligneux indispensables à la production vivrière, ainsi que du fourrage pour l'élevage; ils donnent de l'ombre, protègent les sols contre l'érosion hydrique et éolienne et contribuent à leur conserver leur fertilité.

La plantation d'arbres comme brise-vent, le long des routes et des canaux, et sous forme de petits bois, dans les villages ou les exploitations, peut fortement accroître les disponibilités en bois de feu. Le bois, le bambou et d'autres produits forestiers sont souvent aussi le matériau le moins cher pour la construction ou la fabrication de toutes sortes d'intrants agricoles (granges, entrepôts, dispositifs de séchage et de stockage, parcs à bestiaux, clôtures, charrettes, brouettes, outils, piquets, caisses, cageots, etc.). Autant de choses que l'on peut fabriquer localement à condition de disposer de la matière première.

En coupant le vent et en réduisant les turbulences atmosphériques, les arbres influent sur les conditions régnant dans leur voisinage sur une profondeur égale à plusieurs fois leur hauteur. Ils font baisser le taux d'évaporation et permettent aux cultures et à l'herbe d'avoir une croissance plus forte pour le même volume d'eau. Les brise-vent freinent beaucoup l'érosion éolienne et hydrique. L'ombrage et la protection fournis par les arbres (rideaux-abris, brise-vent, etc.) sont également importants, aussi bien pour les cultures que pour les bêtes, notamment dans les zones arides.

Comme nous l'avons déjà indiqué, les arbres peuvent tirer du sol des éléments nutritifs à une profondeur bien plus grande que les plantes cultivées. Leurs feuilles peuvent servir de paillis naturel pour accroître l'humidité du sol et sa fertilité. On connaît déjà 600 essences (et il ne s'agit pas uniquement de légumineuses) qui sont capables de fixer l'azote atmosphérique. On estime que, dans les tropiques humides, Leucaena leucocephala fixe en moyenne 500 kg d'azote par hectare et par an et Casuarina littoralis 218 kg. Les mycorhizes de cette dernière essence métabolisent le phosphore et d'autres éléments nutritifs qui sont libérés lentement dans le sol.

DES PÊCHEURS AU MILIEU DES EUCALYPTUS sans forêt, pas de pêche continentale

Il faut évidemment intégrer dans les systèmes agricoles des arbres bien adaptés aux conditions locales. Cela dit, un certain nombre d'essences, en particulier diverses légumineuses à croissance rapide, réunissent plusieurs des caractéristiques souhaitables: production rapide de bois utile, production de fourrage, racines profondes, fixation de l'azote.

Systèmes intégrés de production. Depuis quelque temps, on s'intéresse de plus en plus aux systèmes intégrés de production agricole qui associent arbres, cultures et élevage, notamment dans des milieux particulièrement fragiles tels que les bassins versants de montagne où la culture itinérante détruit le couvert forestier, ainsi que dans les zones arides menacées de désertification. C'est ce que l'on appelle en général l'agroforesterie. Elle est pratiquée depuis longtemps, mais ce n'est qu'assez récemment que les chercheurs ont commencé à s'y intéresser vraiment. Il y a beaucoup de systèmes agroforestiers traditionnels, y compris la culture itinérante elle-même, étant donné que l'agroforesterie doit être définie comme l'association de la foresterie et de l'agriculture non seulement dans l'espace mais aussi dans le temps (FAO, 1978).

Il s'agit de trouver un équilibre judicieux entre les différentes composantes de l'agroforesterie afin de ne pas nuire à l'environnement tout en maximisant productivité et revenus.

En dehors de la culture itinérante, le principal système séquentiel est le système taungya qui a pris naissance en Birmanie il y a plus d'un siècle. Il consiste à cultiver des plantes vivrières dans de jeunes plantations d'arbres aussi longtemps que cela demeure possible. Quand la voûte forestière se ferme, les agriculteurs doivent aller chercher fortune ailleurs. Ils sont donc obligés de se déplacer fréquemment, ce qui enlève à ce système une partie de son intérêt.

Aujourd'hui, l'attention se porte surtout sur les systèmes associant dans l'espace et non plus dans le temps les différentes composantes de l'agroforesterie: bordures d'arbres, lignes ou bandes alternées, mélange au hasard [voir «L'ABC de l'agroforesterie», par Napoleon T. Vergara, Unasylva N° 147 (1985): 22-28].

Les bordures d'arbres suscitent de plus en plus d'intérêt compte tenu des besoins de bois de feu, de fourrage et d'engrais organique. Elles permettent en outre de faire l'économie de clôtures artificielles en piquets et fils de fer qui seraient bien plus chères. Les rangées ou bandes alternées sont particulièrement appropriées sur les terrains en pente sujets à la dégradation, où la plantation de haies suivant les courbes de niveau est presque aussi efficace et bien moins coûteuse que la culture en terrasse. Le mélange au hasard de cultures de plein champ, de plantes grimpantes, de petits arbres fruitiers et d'arbres plus grands, tels que les cocotiers, est caractéristique de la petite agriculture dans beaucoup de parties du monde en développement, même si, dans certains endroits, on tend à le remplacer par la monoculture.

Tous ces systèmes peuvent également inclure le pâturage, à la condition que celui-ci soit bien contrôlé, notamment si on utilise des arbres fourragers. Si on réussit à produire assez de bois de feu pour répondre aux besoins de l'exploitation familiale, la totalité du fumier pourra servir d'engrais.

Contrairement à ce que l'on entend parfois dire, l'agroforesterie n'est pas une panacée, mais c'est un système très prometteur qui peut contribuer à la sécurité alimentaire de nombreuses manières. Outre ses avantages pour l'environnement, elle peut concourir à la diversification indispensable des systèmes de production agricole, d'où des revenus plus stables et plus sûrs pour les ruraux et donc un meilleur accès aux vivres. Les arbres peuvent être des cultures de rapport très intéressantes (bois de feu, fourrage et autres produits).

Les chercheurs ont encore beaucoup de problèmes à résoudre, notamment en ce qui concerne la formule d'association la plus appropriée entre arbres, cultures de plein champ et élevage dans telles ou telles conditions locales, car chaque formule a ses avantages et ses inconvénients. Il s'agit en effet de trouver un équilibre judicieux entre les différentes composantes de l'agroforesterie afin de ne pas nuire à l'environnement tout en maximisant productivité et revenus. Les paysans doivent par ailleurs avoir l'assurance qu'ils pourront continuer à jouir de leurs terres sur une longue période. Un effort massif de vulgarisation est nécessaire dans les zones où l'on n'a pas l'habitude de cultiver des arbres pour convaincre les petits paysans que les arbres, loin d'être obligatoirement un obstacle à la production vivrière, peuvent y contribuer de maintes façons, pour leur apprendre à en tirer parti et pour leur fournir les plants et les autres intrants nécessaires.

Les services forestiers devront être étoffés afin de pouvoir jouer ce rôle de plus en plus important auprès de petits exploitants très dispersés, tout en continuant à s'occuper des grandes forêts. Toutefois, ces nouvelles tâches n'incomberont pas forcément toutes aux services forestiers, comme le montre l'exemple des pépinières créées en Inde grâce aux efforts des écoles, des paysans et du secteur privé en général.

Conclusions

Cet examen préliminaire montre que la contribution, actuelle et potentielle, des forêts à la sécurité alimentaire est multiple et capitale. Cette contribution ne se limite pas aux grands domaines forestiers, mais se manifeste aussi au niveau des exploitations. Aussi important que soit son rôle de protection de l'environnement, la forêt contribue de bien d'autres manières encore - directes et indirectes - à la production vivrière, à la stabilité des disponibilités alimentaires et aux possibilités d'accès à ces disponibilités. Par ailleurs, la pénurie actuelle de bois de feu a de graves conséquences pour la production vivrière et la sécurité alimentaire.

Le présent article vise surtout à sensibiliser les intéressés à cette question afin que le rôle de la foresterie reçoive toute l'attention voulue dans les discussions sur la sécurité alimentaire mondiale. L'un des problèmes les plus urgents concerne les bassins versants de montagne où les forêts sont détruites par la culture itinérante et pour lesquels il faut mettre au point des systèmes agricoles appropriés. Entre autres problèmes tout aussi urgents, on peut citer celui des zones arides qui risquent la désertification, la conservation d'écosystèmes forestiers menacés qui contiennent des ressources génétiques irremplaçables pour la sélection végétale et animale, et l'amélioration de l'approvisionnement en bois de feu et autres formes d'énergie rurale.

La coopération entre agronomes et forestiers pour l'aménagement du territoire pourrait beaucoup se renforcer. Il faut en effet voir dans l'agriculture et la foresterie deux formes interdépendantes, et non pas concurrentes, d'exploitation des ressources. Il est essentiel, notamment en Afrique, d'étudier et de proposer des moyens de remédier aux pratiques qui nuisent à l'environnement et qui sont si souvent à l'origine des crises alimentaires actuelles.

Un autre aspect qui mérite d'être étudié plus à fond concerne la contribution des activités artisanales fondées sur la forêt à l'emploi et au revenu des ruraux. Ces activités pourraient jouer un rôle particulièrement important dans les nombreux pays où il y a de plus en plus de ruraux sans terre, en permettant à ceux-ci d'avoir un plus grand accès aux disponibilités alimentaires.

Au niveau des exploitations, l'intérêt croissant suscité dernièrement par l'agroforesterie peut contribuer à abattre les barrières juridiques et administratives qui séparent souvent agriculture et foresterie. C'est l'occasion pour les services ion pour les services agricoles et forestiers de travailler ensemble afin de trouver des formes novatrices d'utilisation du sol et de concevoir et promouvoir les systèmes stables, durables, diversifiés et très productifs qui sont un fondement essentiel de la sécurité alimentaire.

Bibliographie

FAO. 1978, Le rôle des forêts dans le développement des collectivités locales. Etude FAO: Forêts, N° 7, Rome.

FAO. 1981, Agriculture: Horizon 2000. Rome.

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FAO. 1983a, Disponibilités de bats de feu dans les pays en développement. Etude FAO: Forêts, N° 42. Rome.

FAO. 1983b, Rapport de la Conférence de la FAO, vingt-deuxième session, Rome, 5-23 novembre. Rome (C 83/REP)

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FAO. 1984b, Rapport de la septième session du Comité des forêts, Rome, 7-11 mai. Rome (COFO - 84/REP).

FAO/UNESCO/OMM. 1977, Carte mondiale de la désertification - Note explicative. Conférence des Nations Unies sur la désertification, Nairobi, 29 août - 9 septembre, Nairobi (A/Conf. 74/2).

OKIGBO, B.N. 1984, Improved permanent production systems as an alternative to shifting intermittent cultivation. Dans Improved production systems as an alternative to shifting cultivation. Bulletin pédologique de la FAO, N° 53. Rome.


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