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Courrier des lecteurs - Le rendement soutenu n'est pas un dogme sacré

La rédaction d'Unasylva accueille toujours avec plaisir le courrier de ses lecteurs sur quelque aspect que ce soit de la sylviculture et de l'environnement. Cette correspondance doit être aussi brève et lisible que possible, et rédigée de préférence en anglais, français ou espagnol, mais éventuellement aussi en d'autres langues. Prière d'adresser le courrier à: Rédacteur en chef, Unasylva, Département des forêts de la FAO, Via delle Terme di Caracalla, 00100 Rome, Italie.

Otto Eckmullner et Andras Madas ont rédigé le chapitre intitulé «The production functions» (Les fonctions de production), qui figure dans le dernier ouvrage de la série Forestry Sciences, publié sous la direction de F.C. Hummel par Nijhoff et Junk et intitulé Forest policy: a contribution to resource development (compte rendu par Jack Westoby dans Unasylva 37[148]: 55-57). Dans ce chapitre, on aurait pu s'attendre à un traitement plus scientifique de la question du rendement soutenu des forêts de la part de deux professeurs aussi éminents. Or, leur texte est un plaidoyer en faveur du mythe du rendement soutenu, plutôt qu'une discussion objective des diverses options d'aménagement. Les auteurs déclarent d'emblée, au début de la section sur le principe du rendement soutenu:

«L'un des principes fondamentaux de la politique forestière est nécessairement que les forêts doivent être aménagées de manière à maintenir et, si possible, améliorer la capacité de production de la station et de la forêt.»

J'admets que c'est là, de facto, l'un des grands principes de base de la politique forestière moderne en Europe, bien qu'il n'ait pas toujours été mis en pratique. C'est pourquoi il faut en discuter. Mais pourquoi le rendement soutenu doit-il être un «principe fondamental»? Eckmullner et Madas ne présentent aucun argument pour justifier leur affirmation. Ils se bornent à déclarer que l'aménagement «doit viser à éviter de trop grandes fluctuations dans le volume des abattages annuels ou périodiques [...] Le volume de bois extrait pendant une période de 10 ans, par exemple, ne doit pas dépasser le volume admissible correspondant».

Ce sont là des affirmations dogmatiques, et les raisons sur lesquelles elles s'appuient ne sont pas examinées. La proposition inconditionnelle que «le principe du rendement soutenu et la fixation d'un volume d'abattage admissible ou potentiel doivent naturellement s'appliquer aussi aux forêts d'un pays prises dans leur ensemble» est carrément erronée.

La politique du rendement soutenu peut être raisonnable pour une entreprise ou un propriétaire forestier qui se cantonne dans la production forestière en connaissant les divers investissements possibles, mais du point de vue d'un pays il y a de nombreux choix à prendre en considération. Le transfert de capital des forêts à d'autres secteurs par des abattages intensifs excédant le «volume admissible présumé» (présumé par qui?) peut être tout à fait rationnel s'il existe des possibilités d'investissement plus rentables qui sont entravées par le manque de fonds. C'est particulièrement le cas lorsque les forêts contiennent une forte proportion de peuplements vieux à croissance ralentie. Le même argument peut être avancé dans le cas d'une entreprise forestière si elle est disposée à se lancer dans d'autres spéculations.

Nous voici au cœur même de la théorie de Pressler du «rendement monétaire» par opposition à la notion ancienne de «rendement forestier». Pressler demande à la forêt de rapporter autant d'argent que toute autre activité économique. C'est ce qui est exprimé avec beaucoup d'élégance par la formule de Faustmann, qui dit qu'un peuplement forestier doit être exploité lorsque son taux de rentabilité marginal tombe audessous du taux d'actualisation, ce dernier étant entendu comme le coût d'opportunité du capital. La formule de Faustmann est manifestement valable pour un peuplement pris individuellement, mais quand on l'applique rigoureusement dans une forêt qui s'écarte de ce que l'on appelle la structure «normale», le volume des coupes, et par conséquent le profit économique, varie considérablement dans le temps si l'on maintient le même taux d'actualisation; cela peut ne pas être exact si les possibilités d'investissement varient d'une période de planification à une autre. Par conséquent, il est parfois assez compliqué de calculer un calendrier de coupes économiquement optimal. K.S. Lyon et R. Sedjo ont cependant montré comment les disponibilités à long terme de bois d'une région forestière ont des chances d'évoluer si les acteurs se comportent d'une manière économiquement rationnelle. Basé sur une répartition choisie des classes d'âge, leur exemple diverge fortement de l'option rendement soutenu.

Du point de vue de la société, la formule de Faustmann est manifestement trop simpliste. Elle considère le prix du bois comme une donnée. Or, lorsqu'il s'agit de la politique d'exploitation forestière d'un pays, les volumes en jeu sont si importants qu'ils influent sur les prix. Un calendrier optimal de coupes, dans un contexte social, devra par conséquent être déterminé d'une manière moins élégante, mais moins restrictive. C'est ce qu'on a tenté de faire en Suède, où rien n'indique qu'un volume d'abattage non décroissant, comme le préconisent Eckmullner et Madas, soit nécessairement le meilleur choix.

Eckmullner et Madas n'étudient pas les coûts et avantages économiques de différents rythmes possibles d'abattage, mais font plutôt du principe du rendement soutenu une obligation morale. C'est aussi la position adoptée par N.A. Moiseev et S.G. Sinitsin au 17e Congrès mondial de l'IUFRO en 1981. On aurait pu penser que les arguments présentés par W.D. Klemperer à cette même réunion auraient quelque influence sur les études ultérieures concernant le rendement soutenu. Je demande à Eckmullner et Madas non pas d'accepter les arguments économiques de Klemperer, mais seulement de ne pas les ignorer totalement. On peut à juste raison se demander si leur contribution à cet ouvrage doit être considérée comme une prise de position, opposée à beaucoup d'autres, en matière de politique forestière. J'aurais pour ma part préféré un examen des nombreux choix tout aussi rationnels qui s'offrent, à un exposé des opinions personnelles des auteurs. Je ne saurais non plus penser qu'ils aient eux-mêmes voulu formuler la politique d'aménagement pour les forêts du monde.

Ole Hofstad
Département de dendrométrie
et aménagement forestier
Université d'agriculture de
Norvège


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