Page précédente Table des matières Page suivante


Promotion du secteur privé

Entretien sur la forêt en Thaïlande avec M. Thalerng Thamrongnavasavat, Secrétaire permanent du Ministère thaïlandais de l'agriculture et des coopératives

Cet entretien a été conduit le 10 juillet 1985 en Thaïlande pour le compte d'Unasylva par Mme Farhana Haque, journaliste indépendante résidant à Rome, ancienne journaliste et commentatrice de langue anglaise à la radio et à la télévision nationales du Bangladesh.

La Thaïlande a un territoire de 514000 km² et une population de plus de 50 millions d'habitants, dont près de 40 millions en zones rurales. Un cinquième de la population vit sur des terres classées comme forêts. En 1943, ces dernières couvraient 63 pour cent du pays, mais le déboisement rapide les a réduites de moitié, et le taux du boisement n'est plus que de 30 pour cent environ, soit 15,6 millions d'ha. Il y a 45 parcs nationaux et 47 parcs forestiers, couvrant 2 millions d'ha, tandis que les sanctuaires de faune occupent 1,85 million d'hectares.

Toutes les forêts, à l'exception de certaines bandes de mangrove côtière, sont domaniales. Elles sont administrées par le Département royal des forêts, créé en 1896 et rattaché depuis 1925 au Ministère de l'agriculture. Le Département royal des forêts a techniquement autorité sur environ 25,6 millions d'ha. Il a à sa tête un directeur général, et est partagé en 21 divisions et 634 bureaux forestiers locaux, avec un effectif permanent de plus de 9 000 personnes dont 6 800 ingénieurs et ingénieurs des travaux.

L'Organisation des industries forestières (FIO), créée en 1956, est un établissement public relevant du Ministère de l'agriculture. Sous l'autorité d'un administrateur délégué, elle contrôle toutes les industries forestières et s'occupe de recherche, d'amélioration et de protection des forêts. Elle possède des scieries, des fabriques et la totalité des usines de contre-plaqué de Thaïlande, et effectue la plupart des exploitations de teck. Elle réserve 30 pour cent de ses bénéfices au développement forestier, les 70 pour cent restants allant au Trésor public.

Unasylva: L'une des mesures prises pour arrêter le déboisement et répondre aux besoins des paysans sans terre a été la création de villages forestiers, placés les uns sous la tutelle du Département royal des forêts, les autres sous celle de l'Organisation des industries forestières. (Voir dans Unasylva 27 [107]: 20-23, 1975, l'article de Krit Samapuddhi intitulé «Villages forestiers en Thaïlande» NDLR.) Y a-t-il des différences importantes entre ces deux catégories de villages forestiers?

Thalerng: De toute façon, le but principal dans un cas comme dans l'autre est de veiller à ce que les occupants illicites des forêts domaniales restent là où ils sont et renoncent définitivement à la culture sur brûlis. Les deux types de villages sont assez semblables. Tous deux appliquent le système taungya, originaire de Birmanie, qui consiste à pratiquer des cultures entre les rangs des jeunes arbres. Cependant, les villages relevant de l'Organisation des industries forestières sont en général plus petits; ils cherchent à utiliser la main-d'œuvre locale sur leurs propres plantations et ne confèrent pas de droits de propriété sur les terres. Le Département des forêts s'attache davantage à créer des colonies permanentes, avec des baux à vie transmissibles aux descendants. Toutefois, 20 pour cent des villages du Département des forêts sont classés comme réserves forestières, qui ne doivent pas faire l'objet d'occupation permanente. Nous espérons que ce programme, qui a débuté en 1968 pour l'Organisation des industries forestières et en 1975 pour le Département des forêts, s'avérera une bonne mesure de transition. Nous ne le considérons pas en effet comme un système à long terme et devant prendre de l'extension.

M. Thalerng accorde une entrevue à Unasylva

Les premiers villages forestiers se concentraient sur la plantation de teck en taungya, alors que des villages plus récents y associent l'hévéa. Celui-ci offre-t-il des avantages particuliers?

Dans les forêts dégradées, les habitants pratiquaient un petit nombre de cultures, notamment maïs et manioc, ce qui n'est bon ni pour les arbres ni pour le sol. Mais récemment, dans certaines régions du pays, par exemple dans le sud, des paysans se sont installés en forêt et ont commencé à planter des hévéas. L'hévéa est un arbre forestier, mais c'est en même temps une culture d'un bon rapport. C'est pourquoi, là où des gens se sont installés en forêt dégradée et ont planté des hévéas, et parfois des palmiers à huile, nous les laissons faire Il vaut mieux les autoriser à rester et à cultiver ces arbres pérennes que les expulser et laisser ainsi la forêt retourner à l'état de friche.

Quelles mesures ont été prises pour sensibiliser le grand public à la forêt?

Nous travaillons en coopération étroite avec le Ministère de l'éducation, les fonctionnaires provinciaux de l'éducation et le Bureau des universités. En dehors des écoles, nous travaillons avec les villages par l'intermédiaire des agents de vulgarisation agricole qui, outre leurs tâches normales, aident le Département des forêts à diffuser l'information et à sensibiliser la population à l'importance des ressources forestières. Nous avons aussi des volontaires qui prennent des initiatives, sans attendre que le gouvernement les y incite. Ils sont conscients de la situation de leurs forêts locales et sont très disposés à collaborer.

Vous nous avez dit que le but recherché était la création de villages forestiers permanents. Or, avec le système taungya, les paysans ne peuvent normalement faire de cultures vivrières dans les plantations que pendant les deux ou trois premières années. Comment vivent-ils lorsqu'ils ne peuvent plus faire pousser de quoi se nourrir?

L'Organisation des industries forestières laisse les paysans cultiver entre les arbres pendant deux ou trois ans, jusqu'au moment où la hauteur des arbres ne le permet plus. Les agriculteurs sont alors employés à l'entretien du peuplement et en partagent les bénéfices. Mais dans le cas du Département des forêts, nous les laissons faire des cultures vivrières ou autres en association avec des arbres sur 80 pour cent de la surface, les 20 pour cent restants étant réservés à la forêt.

La Thaïlande met actuellement en œuvre plusieurs programmes de réinstallation agricole. Diffèrent-ils des projets de villages forestiers, et en quoi?

Ils sont plus grands et relèvent du Département des affaires sociales, du Département de promotion de la coopération, et en particulier du Bureau de la réforme agraire, au sein du ministère. Le Département des forêts ne s'occupe que des villages forestiers.

Il y a quelques années, on avait proposé la création d'une Association des boisements villageois. Cela a-t-il été fait, et quels en étaient les grands objectifs?

Je ne pense pas qu'on soit allé très loin dans cette voie. Mais on commence à créer des boisements villageois, et dans de nombreux districts il y a des associations libres auxquelles les villages adhèrent Ensemble, ils œuvrent au développement de leurs propres boisements.

Toutes les forêts de Thaïlande sont maintenant domaniales et administrées par l'Etat, à l'exception des forêts de mangrove côtière. Quelle est la raison de cette exclusion?

Les forêts de mangrove sont également domaniales, mis à part certaines zones où elles sont ouvertes à la colonisation à des fins agricoles, piscicoles ou autres, et de ce fait ne sont plus considérées comme terres forestières.

En Thaïlande, le bois de feu fournit environ 75 pour cent de l'énergie domestique dans les zones rurales et représente 8,5 pour cent de la consommation énergétique totale du pays. Dans quelle mesure a-t-on réussi à introduire de nouvelles techniques pour réduire la consommation de bois de feu ou utiliser d'autres sources d'énergie dans les zones rurales?

Le but principal des deux types de villages forestiers est de veiller à ce que les occupants illicites des forêts domaniales restent là où ils sont et renoncent définitivement à la culture sur brûlis.

Notre programme d'électrification rurale allant bon train, je ne suis pas sûr que vos chiffres soient vraiment à jour. A l'heure actuelle, presque tous les districts de Thaïlande ont l'électricité, et je pense que cela a fait baisser un peu la consommation de bois de feu. En ce qui concerne les économies de combustible, le Ministère et des sociétés privées ont mis au point un modèle de fourneau à bois à combustion lente qui économise l'énergie. En outre, le Ministère de la science, de l'énergie et de la technologie introduit actuellement l'énergie solaire à une échelle appréciable, et je prévois que son utilisation se développera à brève échéance.

Les industries du bois, qui sont nombreuses en Thaïlande, sont importantes pour l'économie intérieure et extérieure du pays. Compte tenu du déboisement rapide, quelle est la politique actuelle du gouvernement pour assurer l'approvisionnement de ces industries en matière première?

Ces industries doivent d'une certaine façon pourvoir à leurs propres besoins; il ne leur suffit pas de dire: «Nous allons installer une usine ici, et l'Etat devra nous fournir la matière première». L'accent est mis, voyez-vous, sur la conservation de la forêt «véritable», sous la forme de parcs nationaux et réserves de faune. Quant aux forêts «commerciales», elles sont amodiées et font partie du marché libre. Les industries achètent naturellement des bois de ces forêts, mais elles sont également censées produire elles-mêmes leur bois, ce qu'elles font de plus en plus. Par exemple, la Siam Cement Company, qui participe aussi à l'industrie papetière, demande plus de 10000 ha de terrains à planter en essences à croissance rapide pour son propre usage.

Quelles industries ont souffert le plus de la baisse de la production forestière?

C'est difficile à dire, vous savez, parce que les gens s'adaptent. L'industrie du meuble, par exemple, se plaignait de la pénurie de bois de menuiserie, mais maintenant elle a trouvé un substitut, le bois d'hévéa, qui convient très bien pour les meubles. Oui, on s'adapte L'industrie du contre-plaqué s'en tire très bien, en établissant ses propres boisements. On introduit les eucalyptus à grande échelle dans le pays; ils poussent très vite et peuvent servir pour quantité d'usages. A l'exception du secteur hautement spécialisé du mobilier, je ne pense pas que beaucoup d'industries aient réellement souffert

La Thaïlande possède plus de 80 papeteries, mais seulement quatre usines de pâte, et doit importer prés de 80 pour cent de ses besoins de pâte. Qu'est-il possible de faire, et qu'a-t-il été fait, pour accroître la production de bois à pâte?

Eh bien, là aussi, nous encourageons le secteur privé. Nous vivons en économie libérale, et notre gouvernement cherche toujours à aider le secteur privé à mettre sur pied de telles industries. Celle de la pâte est parmi les prioritaires, et notre Commission des investissements fait de son mieux pour la promouvoir. Nous avons de grandes potentialités dans ce domaine, parce que les arbres poussent bien plus vite chez nous qu'en climat tempéré. Récemment, des étudiants venus en visite de Finlande ont été surpris et intéressés de voir à quel point nous étions avantagés à cet égard par rapport à leur pays, et je crois que de nombreuses sociétés étrangères - canadiennes, européennes, japonaises ou autres - sont tout à fait disposées à développer l'industrie papetière en Thaïlande.

Les abattages illicites sont depuis longtemps un grave problème en Thaïlande. Quelles mesures a-t-on prises pour les réprimer, et quels en ont été les résultats?

Nous avons plus de succès à cet égard qu'autrefois, peut-être parce qu'il y a moins d'arbres et qu'il est donc plus facile de les soigner. Mais, pour parler sérieusement, de nombreux services cherchent à coopérer pour lutter contre cette destruction. L'intervention de l'armée dans ce combat est une bénédiction. Autrefois, les militaires se tenaient à l'écart, quand ils ne se livraient pas eux-mêmes à l'exploitation illicite. Ils se sont montrés très efficaces, parfois plus que l'administration, notamment dans les régions isolées et avec les tribus montagnardes. Une des mesures qui avaient été prises précédemment pour refréner l'abattage illégal était l'interdiction en 1973 d'exporter des grumes de teck et en 1977 d'autres essences, interdiction accompagnée de poursuites judiciaires à l'égard des contrevenants.

On estime que 12,6 pour cent du territoire thaïlandais sont soumis à la culture itinérante, et l'un des objectifs du Projet FAO/PNUD de mise en valeur intégrée des bassins versants et des forêts de Mae Sa est de réduire ou améliorer cette pratique. Jusqu'à quel point y est-on parvenu?

Ce projet était destiné à servir de modèle à d'autres projets analogues dans d'autres régions, et il a bien réussi. De nouveaux projets ont été lancés dans le nord, avec une assistance des Etats-Unis. L'idée est d'amener les tribus montagnardes à renoncer à la culture de l'opium et à pratiquer d'autres cultures de rente, telles que bois d'œuvre et arbres fruitiers. La zone que vous avez mentionnée, Mae Sa, n'est plus sous-développée, mais presque «surdéveloppée».

VILLAGE FORESTIER EN THAÏLANDE - une politique qui porte ses fruits

Dans quelle mesure l'aménage ment des bassins versants est-il une priorité en Thaïlande?

Il a une grande importance. Les bassins versants d'importance primordiale sont protégés par la loi et par la politique gouvernementale; il est interdit d'y toucher sauf circonstances vraiment exceptionnelles. A franchement parler, le plus gros problème que nous ayons avec nos bassins versants vient des tribus montagnardes, y compris celles immigrées à partir de pays voisins. Leur occupation illicite de la forêt et leurs méthodes agricoles primitives sont une cause importante de destruction et de dégradation.

Pourriez-vous nous dire un mot sur le réseau de parcs nationaux en Thaïlande?

Nous avons maintenant une cinquantaine de parcs nationaux. Toutefois, notre conception des parcs nationaux est quelque peu différente de celle des Etats-Unis ou des pays européens. Nous ne les considérons pas comme des aires destinées surtout aux loisirs ou au tourisme, mais plutôt comme le meilleur moyen à notre disposition pour conserver les ressources forestières naturelles qui nous restent. Nos lois forestières sont telles que les infractions entraînent des sanctions bien plus sévères qu'ailleurs. Lors que vous déclarez une zone parc national, les gens la regardent avec une sorte de révérence; c'est pour eux, semble-t-il, une forêt d'une nature différente, un patrimoine à transmettre aux générations futures.

DANS UN VILLAGE DE MANGROVE - ses habitants se consacrent à la pêche et à la pisciculture

Selon certains rapports, diverses espèces animales sauvages de Thaïlande sont menacées d'extinction d'ici 15 ans, parmi lesquelles l'éléphant, le gaur, le banteng et le buffle. Que fait-on pour sauvegarder ces espèces et d'autres?

La répression à elle seule ne suffira pas, car les sanctions seront inévitablement trop légères. Il nous est difficile de convaincre un juge d'envoyer un homme en prison pour un ou deux ans, simplement parce qu'il a tué un cerf. Aussi estimons-nous que la meilleure façon de protéger ces animaux est de créer des parcs nationaux et des réserves de faune où ils seront moins inquiétés.

Un des programmes FAO récemment mis en œuvre en Thaïlande concerne l'élevage de gibier. Quels sont les principaux objectifs et caractéristiques de ce projet?

Dans certains cas, la faune sauvage pourrait être exploitée commercialement. Nous aimerions voir créer des fermes d'élevage de gibier, étroitement contrôlées mais lucratives pour leurs propriétaires. Il y a dans le secteur privé beaucoup de gens que l'idée intéresse. Malheureusement, la loi actuelle ne le permet pas, aussi avons-nous entrepris de l'amender.

Qu'avez-vous fait dans le passé, ou qu'envisagez-vous de faire à l'avenir, pour coordonner la planification et le développement forestiers entre la Thaïlande et les pays voisins?

Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir dans cette voie. Nous collaborons un peu avec la Malaisie en ce qui concerne les forêts frontalières, mais l'instabilité politique qui règne actuellement dans une bonne partie de la région rend toute planification forestière concertée difficile sinon impossible.

La Thaïlande arrive au terme de son 5e plan national de développement économique et social (1982-1986). Prévoyez-vous une évolution sensible des priorités et des objectifs forestiers dans un proche avenir?

Le changement majeur sera sans doute un déplacement des activités de mise en valeur des forêts du secteur public vers le secteur privé. Je pense que cette tendance se poursuivra au cours de notre prochain plan de développement, qui sera le sixième.

L'idée est d'amener les tribus montagnardes à renoncer à la culture de l'opium et à pratiquer d'autres cultures de rente, telles que bois d'œuvre et arbres fruitiers.

L'une des grandes priorités est d'arrêter, et finalement renverser, le processus de destruction de vos forêts. Quelles sont les principales causes de ce processus et quelles sont les mesures prises pour y remédier?

Nous pensons que la cause primordiale est la croissance de notre population, qui a presque triplé ces 30 dernières années, quoique le rythme se soit récemment ralenti. Vu l'exiguïté des superficies disponibles, les gens chercheront toujours à occuper des terres domaniales, notamment forestières, pour subsister. Il faut ajouter à cela l'immigration de tribus montagnardes venues de pays voisins comme la Birmanie et le Laos, qui préfèrent s'établir chez nous.

Le gouvernement est parvenu à freiner un peu la destruction des forêts, mais j'espère qu'à l'avenir nous obtiendrons des résultats encore meilleurs, grâce à la prise de conscience par le grand public de l'importance des ressources forestières. Autrefois, on considérait la forêt comme un bien allant de soi, une sorte de don de Dieu, n'ayant vraiment de valeur pour personne. Mais maintenant les gens se rendent mieux compte que les forêts sont là pour leur bien et plus encore pour celui de leurs enfants.

CULTIVATEURS ITINÉRANTS AU TRAVAIL - un dilemme politique


Page précédente Début de page Page suivante