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Foresterie urbaine aux Etats-Unis

Gary Moll et Deborah Gangloff

Gary Moll Directeur des programmes et de la foresterie urbaine de l'American Forestry Association a Washington, D.C Deborah Gangloff est chargée, a cette même association, de coordonner les activités de communication.

Un peu d'histoire. Bien que le terme ne soit entré dans l'usage courant que dans les années 60, on pratique la foresterie urbaine depuis que les habitants des villes et des villages y plantent des arbres. Les premiers colons d'Amérique du Nord coupaient la forêt vierge afin d'installer leurs fermes et leurs champs et se procurer du bois pour construire leurs maisons et se chauffer, mais ce n'est que vers la fin du 18e siècle et le début du 19e que l'on a vraiment commencé à planter des arbres dans les villes et les villages. C'est ainsi que les rues de Philadelphie, ville historique de Pennsylvanie, n'ont eu des arbres que dans les dernières années du 18e siècle, en partie parce que les compagnies d'assurances refusaient d'assurer les maisons devant lesquelles se trouvaient des arbres (Zube, 1973).

Les immigrants apportaient en Amérique leurs essences favorites, le peuplier d'Italie, l'érable plane, l'orme champêtre, l'ailante, etc., et ce sont ces arbres familiers que l'on a plantés pendant longtemps. Ce n'est qu'au milieu du siècle dernier que s'est répandue l'idée de propager les essences indigènes. Andrew Jackson Downing, qui a travaillé sur certains des plus beaux parcs urbains d'Amérique avec leurs créateurs, Calvert Vaux et Frederick Olmsted, s'est fait le champion de la plantation d'arbres américains dans leur sol d'origine et a combattu la pratique traditionnelle qui consistait à planter des essences européennes importées à grands frais. Ses essences favorites étaient les érables, les chênes et les ormes.

Cette nouvelle conception des plantations urbaines est illustrée de manière éclatante par certains des plus fameux parcs des villes des Etats-Unis. Central Park, oasis de 320 ha au cœur de New York, l'impressionnant Parc forestier de Chicago, et bien d'autres, ont été créés par Olmsted et ses contemporains à une époque de développement économique et d'aménagement du territoire sans précédent. Ces parcs étaient des havres de verdure pour les nouveaux citadins.

Dans les régions moins urbanisées du Nouveau Monde, les villes de province découvraient les vertus esthétiques et l'intérêt économique des forêts communales. S'inspirant du modèle des forêts communales bien connues d'Europe telles que la Forêt-Noire en République fédérale d'Allemagne et celles de France et de Suisse, des villes et des villages entreprirent de mettre en réserve des boisements comme forêts communales, ou d'en créer de nouveaux. Bien que la pratique ne s'en soit largement répandue qu'après la première guerre mondiale, les forêts communales fournissaient déjà au début du siècle des matériaux de construction, du combustible, des lieux de loisirs et des fonds supplémentaires pour les caisses des nombreuses localités de Nouvelle-Angleterre (Hosmer, 1923). La plus ancienne forêt communale des Etats-Unis fut créée en 1710 à Newington, dans le New Hampshire, par des colons clairvoyants venus d'Angleterre (Brown, 1938).

Des communautés de toutes sortes - écoles, paroisses, conseils municipaux, etc. - participèrent à la création de ces forêts communales. C'est à partir de là que le peuple américain commença de se préoccuper de ses ressources forestières.

Un recensement effectué en 1953 a enregistré un total de 1752815 ha de forêts communales (Duthie, 1953). Aujourd'hui, rares sont les bénéficiaires de ces forêts qui ont conscience de leur étendue et de leur valeur. Elles n'en continuent pas moins à jouer un rôle majeur dans la vie des grandes villes du nord-est des Etats-Unis, même si leurs fonctions de loisirs et d'approvisionnement en eau potable l'emportent désormais de beaucoup pour les citadins sur la fourniture de produits ligneux. Les services techniques qui gèrent maintenant la plupart de ces forêts sont sans doute plus enclins à faire valoir leurs barrages que les arbres qui en protègent les bassins versants. Et comme les forestiers qui s'en occupent sont coupés des pouvoirs municipaux par les cloisons administratives - et sont aussi de ce fait coupés de la population -, la valeur de ces bassins versants reste méconnue.

Forestiers urbains. Une fois reconnu l'intérêt des arbres au voisinage des villes, il fallait en assurer l'entretien par des professionnels. En Nouvelle-Angleterre, l'Etat du Massachusetts ouvrit la voie au 18e siècle en créant un poste de Town tree warden (Conservateur des arbres urbains) (Grey et Deneke, 1986). La pratique de l'arboriculture et l'entretien des arbres urbains furent érigés en discipline par la publication de l'ouvrage du forestier réputé Bernard Fernow The care of trees in lawn, street and park (1911). En 1910, un article paru dans American Forestry, qui était alors la revue de l'American Forestry Association, association nationale privée pour les arbres et les forêts, racontait la vie d'un forestier de New York (Mell, 1910). Entretien des arbres, lutte contre les insectes, plantations, abattage des arbres, telles étaient ses attributions - qui seraient familières à nombre de nos forestiers urbains en 1987.

Au fil des années, diverses catégories de spécialistes furent mêlées à la gestion des arbres urbains, avec des titres tels que City forester, Municipal ou City arborist, Urban forester. On a fait des techniques de gestion des arbres urbains une véritable science en rassemblant les connaissances d'un certain nombre de spécialités pour créer cette nouvelle discipline de la foresterie urbaine.

Aux Etats-Unis, les forestiers urbains travaillent pour le gouvernement fédéral, les gouvernements des Etats, les municipalités, des firmes privées et des organisations non gouvernementales (ONG), ou comme consultants. Ils s'occupent des arbres plantés le long des avenues, dans des parcs urbains et dans des espaces libres. Certains d'entre eux œuvrent dans des faubourgs, d'autres ont l'avantage de travailler avec des communautés en développement qui sont encore boisées. Un certain nombre de services forestiers d'Etats ont engagé des forestiers urbains pour les affecter à plusieurs communes d'un Etat donné. En moyenne, les Etats fournissent chaque année une assistance technique à 25-50 localités. Les communes urbaines et rurales sont légalement autorisées à engager un forestier urbain dès l'instant où les responsables locaux et les citoyens estiment qu'il est justifié de créer un tel poste dans leur budget. Un forestier urbain doit non seulement posséder les compétences nécessaires pour garder en bonne santé les arbres dont il a la charge, mais aussi avoir les capacités voulues pour travailler en coopération avec autrui - citoyens, médias, employés municipaux, responsables élus - afin de réussir.

CHÊNES A FEUILLES DE SAULE EN AUTOMNE améliorer la qualité de la vie

La théorie et la pratique. Le forestier a pour mission de gérer les arbres pour le bien du public. Ce qui caractérise la foresterie en zones urbaines, c'est l'importance que revêt l'harmonisation des exigences de la gestion avec les besoins et les aspirations des citadins. La forêt urbaine est constituée par l'ensemble des arbres, arbustes et autres végétaux qui poussent à l'intérieur et autour d'une agglomération. En envisageant ce matériel végétal comme formant une forêt, on a beaucoup fait pour améliorer la santé et la valeur des arbres dans les villes, car pour le gestionnaire responsable la végétation d'une ville se présente comme un tissu complexe de plantes, de sol, d'air et autres éléments naturels réagissant les uns sur les autres, que l'on peut contrôler en fonction des circonstances changeantes et maintenir dans un état de productivité optimale. Ce changement d'optique, des arbres individuels au complexe forestier, a fortement marqué l'évolution des forestiers qui ont la charge des arbres de nos villes.

La foresterie urbaine a acquis droit de cité à l'échelon du gouvernement fédéral avec la promulgation en 1978 de la Loi d'intérêt public 95-313, qui assignait au Service forestier des Etats-Unis la responsabilité de gérer deux ensembles de programmes. Les crédits d'assistance technique sont transmis aux services forestiers des Etats et à certaines ONG pour répondre aux besoins des communes et des villes, tandis que les crédits de recherche financent les stations de recherche du Service forestier des Etats-Unis et la recherche universitaire. Bien que les fonds fédéraux affectés à ces programmes soient modestes, les résultats obtenus sont importants.

Le programme fédéral d'assistance technique octroie auxdits programmes des fonds qui doivent comporter une contribution de contrepartie locale (Etat ou personnes privées). La contribution minimale requise est de 50 pour cent, mais la plupart des programmes des Etats couvrent de 60 à 80 pour cent du total. Les programmes d'assistance ont sensiblement gagné en efficacité grâce aux efforts déployés pour mobiliser la participation volontaire des citoyens. Comme nous le verrons, l'intervention de ces derniers dans certaines villes américaines peut être déterminante pour le succès des programmes de foresterie urbaine. En fait, les citoyens devant nécessairement être associés à ces programmes par l'intermédiaire de divers groupements civiques et communautaires ou d'organisations non gouvernementales, ce sont eux qui déterminent si leur ville aura ou non un programme de ce genre.

FORESTIER URBAIN AU TRAVAIL A SAN FRANCISCO les arbres dépérissants sont coupés à blanc et remplacés

Un des problèmes courants pour les forêts urbaines des villes américaines est la crise insidieuse qui s'installe à mesure que les arbres poussent et arrivent à maturité et que les budgets et les programmes s'amenuisent. En 1984, les délégués à l'assemblée nationale des directeurs de parcs et aires de loisirs ont signalé qu'en matière d'entretien c'étaient les arbres qui leur posaient le plus grand problème, chose qu'ils n'ont pas encore réussi à bien faire comprendre au public pas plus qu'à leurs dirigeants politiques. C'est de l'appréciation par les citoyens et les responsables locaux des avantages et des exigences des arbres urbains que dépendent en définitive l'ampleur et le succès des programmes de foresterie urbaine et les budgets qui leur sont alloués.

De nombreuses villes des Etats-Unis connaissent ce problème. Prenons à titre d'exemples New York, Philadelphie et Atlanta: toutes trois ont eu à une époque ou à une autre de bons programmes, mais dans les 10 dernières années les arbres sont passés au dernier rang de leurs priorités. Cela est dû essentiellement aux coûts d'entretien quand la forêt arrive à maturité et qu'il faut soigner les arbres âgés et en planter de nouveaux. Autre difficulté: la gestion des arbres urbains est parfois confiée à des services municipaux qui ne peuvent consacrer que des ressources limitées à un domaine qui n'est plus dans la ligne des préoccupations majeures du développement urbain.

La dégradation de l'état sanitaire des forêts urbaines dans beaucoup de grandes villes des Etats-Unis est symptomatique de la situation que connaissent nombre d'entre elles. Pourtant, la foresterie urbaine continue de se développer. L'apparition des micro-ordinateurs a ouvert de nouvelles possibilités de gestion pour les villes de petite et moyenne importance. On dispose maintenant pour la gestion des forêts urbaines de douzaines de logiciels qui permettent de classer les données et de les analyser. Cette information est particulièrement utile pour établir des inventaires des arbres qui aident les gestionnaires à faire des prévisions à long terme et à améliorer le rendement dé leur personnel.

Les systèmes d'inventaire ont gagné en intérêt à mesure que les forestiers urbains ont appris à bien s'en servir. La première chose que l'on ait apprise ces 10 dernières années est qu'il ne faut jamais plus de données qu'il n'est nécessaire. (Rien de tel pour ôter son efficacité à un rapport de gestion que de le laisser dormir dans un tiroir). Au début des années 70, des forestiers au service de l'Etat du Kansas ont conçu un système d'inventaire qui a eu un grand succès pour la gestion des forêts urbaines de villes de moyenne importance. Cet inventaire peut être mené en un seul jour, et l'ensemble des données récapitulé le lendemain. Il donne aux responsables assez d'informations sur les effectifs des arbres, leur état sanitaire et le coût de l'entretien pour prendre les décisions de gestion qui s'imposent (Moll, 1983).

INSPECTION DE ROUTINE EN ALABAMA un comité de citoyens y participe

Avec des systèmes plus complexes on peut localiser chaque arbre et fournir des renseignements détaillés sur son état sanitaire, sa condition présente et son histoire. Le programme informatisé peut donner un plan annuel détaillé d'entretien à différents niveaux de dépenses et, ce qui est sans doute plus important encore, montrer comment une réduction de l'entretien cette année-là pourra accroître les coûts d'entretien dans 10 ans. Ce besoin de perspective à long terme pose un problème car les forestiers urbains ont du mal à intéresser les responsables municipaux à des problèmes qui se poseront dans 10 ans. Mais, grâce aux programmes logiciels, les forestiers disposent maintenant d'instruments de prévision efficaces, qui montrent de manière éclatante à quel point il serait insensé de négliger aujourd'hui l'entretien des arbres étant donné les coûts prohibitifs qui en découleraient demain.

Les ordinateurs permettant de manier des analyses complexes, les éléments de recherche et d'expérience peuvent faciliter les décisions à long terme. Ainsi, les recherches menées actuellement sur les racines des arbres en Californie fournissent des informations aux gestionnaires sur les coûts d'entretien occultes (Wagar et Barker, 1985). La concurrence entre racines des arbres et trottoirs est coûteuse, et ces recherches permettent de chiffrer les coûts pour chaque essence. Muni de ces renseignements, le gestionnaire peut évaluer les coûts d'entretien futurs d'un projet de plantation, compte tenu de ce qui se passe dans le sol aussi bien qu'au-dessus pour chaque essence. Planter le bon arbre au bon endroit s'avère être une décision économiquement rationnelle.

ARBRES MUTILÉS POUR LE PASSAGE D'UNE LIGNE ELECTRIQUE conflits d'intérêts à résoudre

Les petites villes découvrent aussi de meilleures méthodes pour entretenir leurs arbres. Ainsi, certaines disposant d'un budget trop faible pour payer un forestier à plein temps ont contourné la difficulté en engageant un forestier à mi-temps. Ce n'est pas aussi difficile qu'on pourrait le penser. Deux communes, par exemple, peuvent se partager les services d'un forestier. Dans d'autres cas, la commune emploie à temps partiel un forestier urbain, qui peut par ailleurs travailler comme consultant privé.

Il existe encore bien d'autres moyens de réduire les coûts, qui permettent aux collectivités de mener des programmes de foresterie urbaine malgré des budgets limités. De nombreuses villes sous-traitent leurs travaux au lieu d'employer des équipes à plein temps; elles économisent de la sorte sur les frais généraux et les dépenses d'administration. Il arrive toutefois que cette formule présente des inconvénients. En cas de tempête, par exemple, les équipes municipales peuvent être mobilisées rapidement pour dégager les arbres tombes sur les voies publiques, tandis que le personnel contractuel peut préférer s'adonner à un travail plus rémunérateur à ce moment-là. A Cincinnati (Ohio), on emploie avec profit à la fois des équipes privées et des équipes municipales: l'équipe municipale pour les tâches courantes et les équipes privées pour les grands travaux d'entretien qui sont programmés bien à l'avance. Comme on recourt à ces dernières pendant la morte-saison, les prix restent raisonnables.

Des collectivités de la région de Chicago ont instauré un système de partage de leurs équipements en cas de besoin. Avec les conseils d'un forestier privé, elles utilisent des matériels informatiques et des programmes d'inventaire identiques. Si un ordinateur est en panne ou non disponible, le responsable peut faire un saut jusqu'à une collectivité voisine pour utiliser le sien. Ainsi, chacune des collectivités économise sur les frais d'équipement, tout en améliorant sa productivité.

On a fait des techniques de gestion des arbres urbains une véritable science en rassemblant les connaissances d'un certain nombre de domaines pour créer une nouvelle discipline: la foresterie urbaine.

DÉGAGEMENT D'ARBRES ABATTUS APRÈS UNE TEMPÊTE le les frais d'entretien sont élevés

Pour exploiter les déchets de bois, de nombreuses collectivités vendent ou cèdent gratuitement les produits de leurs arbres qui doivent être enlevés, tels qu'écorce pour paillage, copeaux, bois d'œuvre et bois de feu. Le gestionnaire de forêt urbaine s'épargne ainsi les frais qu'il devrait encourir pour se débarrasser des déchets et en tire profit sous la forme de recettes en argent ou de bonnes relations publiques. Il faut faire très attention lorsqu'on utilise des arbres urbains pour le sciage ou la trituration; ils contiennent en effet souvent des corps étrangers tels que métal ou béton. L'une des utilisations les plus pratiques est le bois de feu, car les risques de tomber sur des corps étrangers au débitage sont, réduits. Par ailleurs, depuis les hausses des prix pétroliers de 1973 et 1979, le bois de feu a pris de la valeur.

Les parcs sont un atout majeur pour certaines grandes villes et ils peuvent conférer une dimension différente au programme de foresterie urbaine. Leur taille va du «parc de poche» de quelques centaines de mètres carrés à plusieurs centaines d'hectares. Par exemple, le Parc forestier de Portland (Oregon) couvre plus de 400 ha et s'étend de la campagne boisée au cœur de la ville. En raison de ses, conditions naturelles, de sa taille et de sa continuité avec la forêt voisine, il présente des caractéristiques uniques. On voit souvent des animaux sauvages tels que cerfs ou renards le long de ses allées, qui sont bordées de grands conifères pouvant atteindre 30 m de hauteur et 1,20 m de diamètre. A la sortie du parc se trouve le World Forestry Center (anciennement Western Forestry Center), qui possède l'ensemble le plus impressionnant de collections et matériels pédagogiques forestiers que l'on puisse trouver aux Etats-Unis. Le parc renferme également un zoo de premier ordre, un jardin japonais et une roseraie. C'est véritablement une classe de plein air pour l'environnement et un atout précieux pour la ville de Portland.

Des parcs urbains plus fameux comme Central Park à New York ou le Golden Gate Park de San Francisco ont été dessinés par des architectes paysagistes pour s'intégrer au cœur de grandes agglomérations. Nulle part les arbres et l'espace ne sont plus appréciés que dans ces océans humains. Pour les habitants, tous deux sont simplement «le parc» et ces îlots de verdure ont un grand succès les jours de beau temps. Les directeurs de ces parcs ont su conserver l'appui du public tout en y menant des travaux importants, y compris l'abattage d'arbres. Le forestier du Golden Gate Park a réussi à régénérer une partie des pins de Monterey centenaires en les coupant à blanc par petits bouquets. Etant donné que les coupes à blanc, même dans la nature, sont depuis 20 ans un sujet d'âpres discussions dans le public américain, il est surprenant que cette opération ait pu être menée, avec succès dans un endroit aussi prisé du public. C'est un exemple à étudier et à mettre à profit dans l'avenir.

Profils. De nombreuses villes des Etats-Unis ont appris la valeur de leur forêt urbaine par une rude épreuve: la maladie de l'orme. Il est indéniable que cette maladie a eu d'importantes répercussions sur de nombreux programmes de foresterie urbaine. L'orme était l'arbre d'avenue le plus populaire aux Etats-Unis, et il est encore considéré comme le meilleur. Lorsque la maladie frappa le pays, elle extermina en une vingtaine d'années la plupart des ormes. Une fois qu'elle atteignait une ville, il ne lui fallait pas plus de trois ans pour en tuer tous les arbres.

L'intérêt d'une bonne gestion a été démontré de manière spectaculaire lors de l'épidémie des ormes dans deux villes du Minnesota, Minneapolis et Saint Paul, appelées les cités jumelles parce qu'elles se touchent et se ressemblent à bien des égards, y compris dans la composition de leurs forêts urbaines. Toutefois, elles se différencièrent du tout au tout dans leur réaction à la maladie de l'orme. Tandis que Saint Paul faisait front au jour le jour et dépensait son temps et son argent à enlever les arbres morts, Minneapolis prenait le taureau par les cornes en mettant en œuvre un plan qui visait à l'éradication complète de la maladie.

Les résultats furent spectaculaires. Aujourd'hui, Minneapolis recueille le fruit de ses efforts; plus de la moitié de ses anciens ormes sont encore debout. La ville a réuni tous les éléments pour un bon programme de foresterie urbaine: spécialistes pour dispenser l'information technique, appui politique local pour fournir les bases juridiques, crédits pour l'aménagement et, le plus important sans doute, mobilisation des citoyens.

Les habitants de Minneapolis collectèrent des fonds pour la lutte contre la maladie de l'orme lors de réunions publiques, placées sous le signe du scolyte responsable de sa propagation; ils organisèrent de «grands nettoyages» de quartier pour collecter tout le bois de feu infecté. Ils prirent aussi l'initiative de créer un Comité consultatif des arbres d'ombrage de l'Etat du Minnesota. Ce comité, constitué de citoyens volontaires, a puissamment aidé à assurer le financement de l'opération orme.

L'urbanisation nouvelle offre de nombreuses possibilités à la foresterie urbaine, et un certain nombre de services forestiers d'Etats ont lancé des projets concernant l'aménagement de zones boisées. Au Maryland, un forestier urbain a été engagé au début des années 70 pour travailler avec les services locaux de planification, les promoteurs et les constructeurs de trois comtés boisés où la construction de logements avait récemment remplacé la forêt, l'agriculture et la pêche comme activités économiques principales.

Le système administratif du Maryland étant axé sur les comtés, le forestier oriente son action vers les agents planificateurs du comté et vers les promoteurs privés qui y lancent des projets. Il leur fournit des informations techniques sur la forêt et sur les changements que provoqueront des aménagements projetés. Les bureaux et commissions de planification peuvent ensuite utiliser ces informations dans leurs règlements de zonage et leurs plans d'occupation des sols, ainsi que pour les études ponctuelles concernant les nouveaux lotissements résidentiels.

La profession forestière n'a encore guère d'expérience en matière de coordination entre forêt, aménagement du territoire et urbanisation. Les forestiers qui ont travaillé dans ce domaine ont mis leurs succès en commun pour faire leur apprentissage ensemble. A l'heure actuelle, il n'y a encore qu'un petit nombre de forestiers compétents dans ce domaine, où ils doivent faire usage de tout ce qu'ils ont appris en biologie forestière et en pédologie tout en s'initiant à la planification et au zonage aux fins d'aménagement résidentiel et commercial. Ils doivent aussi apprendre à travailler au contact d'autres professions en réunions publiques et sur le terrain, de façon à pouvoir fixer des objectifs réalistes et faire de l'arbre un élément habituel du nouveau paysage urbain.

Des mouvements et groupements de citoyens ont joué un rôle important dans la promotion de la foresterie urbaine dans tout le pays. A Los Angeles, le mouvement «TreePeople» lancé par Andy Lipkis, a eu une grande influence: il a recruté des volontaires pour planter et entretenir des arbres dans toute la circonscription, avec pour objectif explicite de planter 1 million d'arbres avant les Jeux olympiques de 1984. Lipkis a su utiliser judicieusement les ressources de sa commune et a demandé aux industriels et hommes d'affaires de donner de leur temps, en même temps que des fonds et du matériel, en faveur de ces plantations.

Les premières années, TreePeople s'est surtout consacré à la plantation d'arbres sur des terrains nus, le long des autoroutes et sur les versants de collines. Le mouvement est parvenu à faire fermer l'autoroute de Los Angeles, une des voies de circulation les plus importantes des Etats-Unis, pour y organiser une course à pied en faveur des arbres. Cette manifestation a fait connaître au grand public les buts ambitieux du mouvement, et les bénéfices ont servi à appuyer l'action de TreePeople. Le gouvernement de l'Etat a fourni une aide pour la publication d'un guide de plantation des arbres et autres documents de propagande. A mesure que la réputation du mouvement croissait, des éditeurs et des artistes ont fait don de leur travail, et des pépinières ont offert des plants à prix réduit. Des plants fruitiers invendus provenant de grandes pépinières du sud de la Californie, qui auraient normalement été détruits à la fin de la saison, ont été plantés par des gens à faible revenu qui ne pouvaient se permettre d'acheter des arbres. Enfin, des vedettes du cinéma ont présenté gratuitement des messages faisant connaître l'action de TreePeople.

Le mouvement TreePeople a aidé la ville de Los Angeles à réaliser un objectif important: améliorer la qualité de l'air dans l'avenir par la plantation d'arbres. Il a en même temps fait prendre conscience à ses habitants des bienfaits de la forêt urbaine. Depuis les Jeux olympiques de 1984, TreePeople a coordonné une campagne d'envoi par avion d'arbres fruitiers à planter en Afrique.

Perspectives d'avenir. La foresterie urbaine a ouvert aux forestiers une nouvelle dimension qui offre d'immenses possibilités, mais il reste beaucoup à apprendre sur l'application des principes sylvicoles aux zones urbaines. Ainsi, nous savons fort peu sur les sols en zones urbaines, facteur fondamental pour prévoir la croissance, la survie et l'adéquation des arbres à un site. Bien que de nombreuses professions fournissent les informations nécessaires pour gérer les forêts urbaines, la profession forestière est sans doute la plus importante parce qu'elle sait faire la synthèse de toutes les sciences de la nature en vue d'une opération d'aménagement.

Il est hors de doute que travailler dans les villes est une bonne chose pour la profession forestière. Les années 80 ont été dures pour la conservation de la nature aux Etats-Unis. Les budgets des programmes fédéraux, locaux et des Etats ont subi des réductions considérables, en partie faute de communication entre les citadins et les gestionnaires des ressources naturelles qui sont fiers d'appartenir à une profession traditionnellement rurale.

Le but de la foresterie urbaine est d'améliorer l'état sanitaire et la valeur des arbres dans les zones urbaines et périurbaines. Pour y parvenir, les forestiers urbains doivent continuer d'améliorer leurs capacités techniques, et les municipalités doivent s'intéresser davantage à leurs forêts et leur donner la place qu'elles méritent dans leurs préoccupations quotidiennes.

Les forestiers urbains améliorent leurs compétences alors que leur discipline est encore en pleine évolution. De nombreuses catégories professionnelles apportent des connaissances techniques et il faut resserrer la coopération. En raison des réductions opérées sur les programmes fédéraux de conservation, il est plus difficile d'obtenir des résultats qu'il y a quelques années.

Les services forestiers des Etats-Unis n'ont pas d'autre solution que d'améliorer leurs relations avec les populations urbaines. Le caractère démocratique de notre société oblige les forestiers à sortir de leurs bois et à mieux communiquer avec les citadins et leurs responsables. S'ils ne le font pas, ils continueront de voir s'effriter les crédits qui leur sont alloués.

Les municipalités devront prendre davantage conscience de la nécessité de la conservation et du rôle des arbres dans l'aménagement rural et urbain. Elles devront agir en harmonie avec l'environnement naturel, ou subir les lourdes conséquences de leur aveuglement. Au cours des années 70, les Etats-Unis ont fait un effort considérable en faveur de la protection de l'environnement, effort coûteux pour les citoyens, les industriels et le gouvernement. Les campagnes d'assainissement devront être répétées périodiquement jusqu'à ce que les municipalités adaptent leurs principes d'aménagement et de gestion de leurs villes aux réalités de la nature.

Ceux qui s'occupent de la foresterie urbaine ne sortent pas tous des mêmes écoles et n'appartiennent même pas à la même profession. Il n'y a Des de formule unique pour gérer une forêt urbaine, et certains programmes gagneraient à être orientés de manière plus rigoureuse. La diversité des compétences fournit un réservoir de connaissances techniques dont sortira le modèle de la foresterie urbaine de l'avenir. La participation des citoyens s'avère être une force puissante pour rassembler tous ces groupes professionnels et améliorer la qualité de nos forêts urbaines.

La foresterie urbaine noue des liens plus étroits avec les citoyens et les médias. L'une des faiblesses de la foresterie et des sciences de la conservation en général est de ne pas suffisamment expliquer et transmettre au public les techniques qu'elles emploient. Depuis 1981, l'American Forestry Association s'intéresse activement à la foresterie urbaine et remplit ce rôle de messager auprès des citoyens. L'association parraine le National Urban Forest Council, réseau national de professionnels et de citoyens s'intéressant aux arbres en milieu urbain; le conseil a identifié des possibilités précises de promouvoir la foresterie urbaine et y travaille par l'intermédiaire de ses comités.

Les études scientifiques et l'expérience pratique nous apprennent que la forêt urbaine influe sur notre vie bien plus qu'on ne le pensait autrefois. La santé humaine et la valeur des arbres constituent deux sujets d'intérêt. Des études menées récemment par Roger Ulrich, professeur à l'Université du Delaware, font ressortir une corrélation directe entre les arbres et la rapidité de guérison des malades dans un hôpital (Ulrich, 1984): des patients en traitement postopératoire dont les fenêtres donnaient sur la verdure avaient, selon ses constatations, besoin de moins de médicaments; ils séjournaient moins longtemps à l'hôpital et souffraient moins de dépression. Un autre exemple montre le rôle utile des arbres urbains: un officier de police qui a travaillé dans deux des secteurs les plus durs du pays, Harlem et le Bronx à New York, a découvert que les arbres étaient l'arme la plus efficace pour améliorer les relations entre la police et les citoyens et réduire la criminalité; il envoyait ses policiers planter des arbres avec les enfants du quartier, et les résultats étaient spectaculaires.

Notre capacité de plus en plus grande de relier explicitement la foresterie urbaine à des avantages économiques et sociaux aidera celle-ci à obtenir des crédits au niveau fédéral, régional et local. Il s'agira alors pour les forestiers urbains de convaincre les habitants des villes et leurs responsables municipaux. Ils devront pour cela recourir aux professionnels des relations publiques, car ils constatent qu'ils ne peuvent pas remplir ce rôle eux-mêmes. C'est seulement ainsi que la foresterie urbaine pourra se développer aux Etats-Unis, au service de tous les citoyens, pour protéger leurs précieuses ressources forestières.

Références

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GREY, G.W. & DENEKE, F.J. 1986, Urban forestry. 2e éd. Toronto, John Wiley & Sons.

HOSMER, R.S. 1923, Town forests and community chests. American forestry, 29 (351): 150.

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