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Des coopératives pour la promotion de la forêt dans le développement rural

K. Kilander

Kjell Kilander est conseiller en gestion auprès des industries forestières de Stockholm (Suède).

Un moyen dont disposent les petits producteurs forestiers pour accroître leur pouvoir économique est la création de coopératives. Mais le bon fonctionnement d'une coopérative exige plus qu'une simple mise en commun des ressources et un partage des bénéfices. Il y faut une direction enthousiaste, une gestion compétente et des objectifs bien définis. S'appuyant sur sa propre expérience en matière de gestion de coopératives forestières en Scandinavie, l'auteur du présent article énonce quelques-uns des principes fondamentaux de l'organisation et de la gestion de coopératives forestières pouvant s'appliquer aux pays en développement.

COOPÉRATIVE RÉSINIÈRE AU HONDURAS un agent de vulgarisation donne des conseils techniques

De nombreux pays en développement auraient des possibilités multiples de créer des entreprises forestières, mais bien souvent ils n'en tirent pas parti. La première chose à faire est de se demander pourquoi.

Selon le dictionnaire d'Oxford, une coopérative est «un groupement en vue de la production ou de la distribution de biens, dans lequel les bénéfices sont partagés (souvent sous la forme de dividendes sur les achats) entre tous les membres participants». La caractéristique principale d'une coopérative est donc que les bénéfices résultant de ses activités sont répartis entre ses membres.

Les coopératives forestières sont moins courantes que les coopératives agricoles. Elles gagnent néanmoins du terrain, à mesure que les pays du tiers monde prennent conscience de la contribution que la forêt peut apporter au développement rural, moyennant la participation des populations à des programmes de mise en valeur des forêts et de reboisement.

La plupart des pays en développement ont l'expérience des coopératives agricoles. Beaucoup d'entre eux ont, en fait, des services administratifs qui s'occupent de la question. Cependant, la promotion de coopératives forestières est souvent confiée aux services forestiers, lesquels n'ont parfois que peu ou pas d'expérience de ce genre d'entreprise.

Le présent article s'inspire dans une large mesure des essais de création et d'exploitation de coopératives forestières en Scandinavie, mais énonce des principes fondamentaux d'organisation et de gestion d'entreprises coopératives, qui sont à bien des égards universels. L'auteur commence par examiner les caractéristiques de la coopérative en tant qu'entreprise. Il étudie ensuite la manière de définir des objectifs propres à motiver la participation, puis les exigences opérationnelles de gestion, formation, financement et administration. Il conclut sur un résumé des critères essentiels pour évaluer les possibilités de création d'une coopérative forestière dans un pays en développement.

La notion de coopérative

Une coopérative est un cas particulier d'entreprise. Au risque de simplifier à l'excès, il est bon d'examiner la structure de l'entreprise selon la théorie économique moderne. Une «entreprise» a un ou plusieurs propriétaires, qui peuvent être des membres ou des participants. Une base essentielle de l'entreprise est son avoir, constitué par des équipements, des biens immobiliers, des droits juridiques et un capital. Tous les avoirs sont calculés en termes monétaires.

La conduite d'une entreprise exige en général des ressources bien supérieures à celles qu'un individu possède réellement. Ces ressources supplémentaires peuvent être louées ou fournies par contrat, ce qui implique que l'entreprise doit passer des accords avec des fournisseurs, employés, institutions financières, etc., et payer d'une manière ou d'une autre les services rendus. Une entreprise peut louer des biens appartenant à l'Etat ou à une société. Elle peut par exemple avoir à payer pour l'utilisation de certaines infrastructures, le plus souvent sous forme d'impôts ou de redevances.

Ces accords entraînent des coûts, à couvrir avec les recettes provenant de la production de l'entreprise. Il faut aussi, par conséquent, des accords de prix avec les consommateurs (clients).

Dépenses et recettes sont réparties de diverses manières dans le temps. Un gain obtenu aujourd'hui a une valeur plus grande qu'un autre pour lequel il faut attendre. Il est donc nécessaire d'attribuer une valeur au temps.

Un autre aspect fondamental de l'entreprise est que pour assurer sa survie à long terme ses recettes doivent être supérieures à la valeur des ressources absorbées par la production. En termes monétaires, les rentrées doivent à longue échéance excéder les sorties, compte dûment tenu de la «valeur du temps» (intérêt).

Pour gérer une entreprise, il importe d'avoir un système qui permette d'arrêter tous les accords nécessaires de prix, de salaires, etc., de manière à assurer un travail continu (production) sans épuiser les ressources propres de l'entreprise.

Si l'entreprise est une coopérative, ses membres en sont, par définition, les propriétaires. A ce titre, ils attendent de leur qualité de membre une forme ou une autre de profit. Celui-ci peut être direct ou indirect, ou les deux.

L'objectif de l'entreprise doit être explicitement défini et accepté par ses propriétaires (membres). En conséquence, ces derniers doivent aussi assumer l'essentiel de la responsabilité de la gestion. Pour cela, une coopérative doit, par définition, appliquer la règle «un homme, une voix». Il appartient aussi aux membres (propriétaires) de décider de l'organisation de la direction et d'en définir les pouvoirs. Toute entreprise, d'autre part, doit avoir des statuts approuvés par ses propriétaires (membres), dans le cadre des lois et réglementations officielles.

Dans l'organisation d'une coopérative, tous ces facteurs doivent être pris en considération tout à fait indépendamment des conditions locales sociales, politiques et autres. Les trois étapes suivantes sont fondamentales et universelles. Il faut:

· définir des objectifs, en tenant compte des contraintes;

· élaborer des statuts qui, alliés aux objectifs généraux, soient susceptibles de motiver les membres potentiels;

· identifier un nombre minimal de personnes clefs pour assumer les responsabilités de la coopérative, en s'assurant qu'elles aient une notion suffisante des caractéristiques économiques essentielles des entreprises.

Les sections qui suivent examineront certains des problèmes et questions soulevés par l'application de ces notions aux coopératives forestières dans le tiers monde.

Définir des objectifs réalistes

Les populations rurales des pays en développement ne sont souvent pas conscientes des potentialités que pourrait offrir une coopérative forestière. C'est pourquoi une information venue de l'extérieur peut être déterminante pour faire bouger les choses. Une telle information est parfois très importante pour le choix et l'évaluation des objectifs, première étape dans la création d'une coopérative, comprenant trois éléments intégrés:

· élaborer une description technique des objectifs possibles;

· informer les participants potentiels des avantages possibles et de l'apport qui leur sera demandé;

· rechercher des animateurs sur place.

Ces composantes sont décrites plus en détail dans l'aide-mémoire de planification (voir encadré ci-contre), destiné aux planificateurs et organisateurs qui étudient l'opportunité de créer une coopérative forestière dans une zone déterminée.

Il importe, pour définir les objectifs, d'analyser objectivement les contraintes éventuelles. De nombreux pays en développement auraient des possibilités multiples de créer des entreprises forestières, mais bien souvent ils n'en tirent pas parti. La première chose à faire est de se demander pourquoi. Les réponses à cette question aideront à mieux comprendre les facteurs qui entravent le développement et à choisir pour une coopérative projetée des objectifs raisonnables.

Les objectifs d'une entreprise coopérative doivent apparaître à ses membres comme positifs, stimulants et conformes à ce qu'ils en attendent. Là où l'on veut organiser une coopérative, il est probable qu'il existe déjà une forme ou une autre de planification qui concerne la forêt. Il peut s'agir de plans économiques généraux pour l'ensemble du pays, de plans régionaux d'utilisation des terres, ou de plans plus diffus n'existant que dans l'esprit des responsables.

Coopératives forestières: aide-mémoire de planification

1. Déterminer le potentiel forestier de la région. Que peut-on produire et quand pourra-t-on récolter quelque chose?

2. Décrire la population et indiquer les besoins futurs pouvant probablement être satisfaits par les activités forestières; analyser les perspectives du marché.

3. Indiquer les limitations actuelles et probables dues à la législation, aux conditions sociales et à d'autres facteurs.

4. Formuler des objectifs possibles pour un projet et estimer les avantages probables ainsi que les ressources nécessaires. On peut pour cela étudier plusieurs solutions possibles, correspondant à des degrés différents d'ambition (en se basant toujours sur les trois étapes qui précèdent).

5. Informer la population de ces possibilités et rechercher des éléments dynamiques intéressés par l'idée de coopérative.

6. Mener une enquête poussée sur l'attitude des gens vis-à-vis de ces propositions et mesurer la force de leur motivation. Les incitations sont-elles suffisantes? Définir les contraintes perçues par la population locale.

7. Déterminer dans quelle mesure il faudra une aide extérieure en matière de formation, prêts garantis, etc. S'assurer également que les contraintes peuvent être levées afin de rendre le projet plus viable.

8. Estimer les avantages secondaires qu'apportera le projet à l'ensemble de la société. Sont-ils susceptibles de mobiliser un appui extérieur, par exemple sous forme d'amélioration des infrastructures?

9. Rédiger un projet de statuts et un budget préliminaire.

10. Réunir les participants potentiels pour leur présenter une proposition de projet pilote. Ces réunions devront être organisées par les animateurs identifiés à l'étape 5 ci-dessus.

11. Si ces réunions préparatoires ont suscité un appui suffisant, passer au stade de création et de démarrage de la coopérative. Dans le cas contraire, dégager les raisons de ce manque d'appui et tenter de réévaluer les possibilités réelles pour une coopérative dans les circonstances présentes.

Les objectifs d'une coopérative forestière doivent être choisis de telle sorte qu'ils ne soient pas en contradiction avec les plans existants. Ils doivent par ailleurs être concrets et déboucher sur des résultats espérés qui soient d'un intérêt évident pour les participants. Ce n'est pas toujours facile. Lorsqu'il s'agit de reboisement, par exemple, les bénéfices projetés se situent dans un avenir plus ou moins lointain; c'est pourquoi les participants doivent être assurés de pouvoir récolter les produits, ou partager d'une manière ou d'une autre les recettes futures. En principe, il devrait exister une solide législation qui garantisse ces recettes. En Scandinavie, par exemple, les lois sur la propriété privée et la succession en agriculture ont fourni une assise indispensable à une bonne part des activités sylvicoles clairvoyantes entreprises par les générations précédentes.

L'élément le plus difficile à analyser est l'attitude des populations locales. Que pensent-elles des activités proposées? Les projets pilotes d'assistance qui s'en vont en fumée sont souvent victimes de facteurs sociaux ou psychologiques qui, à leur tour, engendrent des problèmes techniques. Il est donc conseillé d'étudier ces questions dès le début.

Dans les projets d'aide au développement, par exemple, on a tendance, au stade de la planification, à décrire les conditions techniques avec beaucoup plus de soin que le «climat psychologique». Bien des efforts sont consacrés à la prospection pédologique, aux inventaires forestiers, à l'étude des méthodes et des machines, mais parfois on ne se soucie pas suffisamment de décrire les conditions sociales, politiques et autres qui ont en fait une grande importance. En outre, on se heurte souvent à des barrières politiques ou même religieuses qui restreignent les actions.

L'idée fondamentale qui sous-tend l'approche coopérative est que les participants doivent être motivés si l'on veut garantir l'avenir du projet. A cet égard, la question cruciale est de savoir si la population rurale est consciente ou non des possibilités existantes, et si celles-ci vont dans le sens de ses besoins tels qu'elle les perçoit. Dans la négative, il n'existe aucune demande réelle pour les biens qui pourront être produits. L'exploitation et l'industrie forestières peuvent satisfaire de multiples besoins évidents et immédiats dans la plupart des zones rurales du tiers monde. Le bois de feu et les matériaux de construction pour l'usage local, par exemple, sont souvent des biens essentiels. Une «exportation» locale vers les zones voisines en échange d'autres produits peut aussi être un élément utile dans une politique de développement; elle requiert toutefois un mécanisme de commercialisation qui est parfois difficile à établir. Pour le planificateur, toutes ces considérations sont importantes et peuvent constituer éventuellement des contraintes.

Le fait que les objectifs d'un projet apparaissent logiques et positifs à un observateur extérieur ne signifie pas forcément que les participants y trouveront une incitation suffisante pour faire aller ledit projet de l'avant. La foresterie est une activité à long terme, et les bénéfices escomptés du reboisement, par exemple, mettent des années à se concrétiser. Les forestiers de métier ont tendance à sous-estimer les hésitations des gens face à une longue attente.

Les pays du tiers monde présentent une grande diversité de conditions sociales, politiques et économiques. Les attitudes et les aspirations des gens, et la conscience qu'ils ont des potentialités de la forêt, peuvent varier même à l'intérieur d'un pays. C'est pourquoi il est extrêmement important de déterminer si les objectifs proposés pour une coopérative sont de nature à susciter un appui actif. Telle ou telle région peut faire preuve de plus d'esprit d'entreprise que telle ou telle autre. Il faut beaucoup de perspicacité pour identifier ces différentes attitudes et les interpréter.

Une des clefs du succès, dans la réalisation d'un projet de coopérative, est une analyse poussée des motivations et incitations. Cette analyse doit partir d'une définition provisoire des objectifs de l'entreprise et d'une première description des conditions sociales et économiques. Elle doit en même temps déblayer un peu le terrain en vue de l'organisation des activités à venir.

Organisation et gestion

La principale ressource d'une coopérative est constituée par ses membres: les coopérateurs. On trouve parmi les habitants des zones rurales du tiers monde une très grande diversité d'attitudes et de niveaux de connaissances.

Le coopérateur peut être un individu ou parfois une famille. Il doit être lié à la coopérative d'une manière simple mais efficace. La qualité de membre doit comporter à la fois des obligations et un accès aux profits. Les obligations peuvent consister en une certaine quantité de travail à fournir, éventuellement contre un salaire donné. Dans de rares cas, une petite somme d'argent peut constituer une partie de l'apport. Les membres d'une coopérative peuvent aussi contribuer en livrant des plants de pépinière ou le bois qu'ils coupent. Le principal avantage est normalement l'accès à la production de la coopérative. Si, toutefois, les coopérateurs reçoivent un paiement en échange de leurs contributions, ils sont censés payer pour le bois de feu et autres biens produits dans la coopérative. Parfois, l'échange se fait sous forme de troc. Un avantage indirect peut être l'accès à des équipements ou à des services mis en place et gérés par la coopérative, tels qu'écoles, loisirs et soins médicaux.

La nature des relations entre la coopérative et ses membres dépend beaucoup du degré d'instruction et du niveau général de vie de ces derniers. C'est là chose à déterminer dans chaque cas particulier en concertation avec les animateurs, qui savent en général assez bien jusqu'où on peut raisonnablement aller. Ainsi, les pratiques agricoles traditionnelles peuvent influer sur le choix des orientations d'une coopérative forestière. Cela pourra parfois amener à réduire certains plans, mais souvent aussi ouvrir de brillantes perspectives. Il y a d'autre part de nombreuses régions du tiers monde où les traditions tribales favorisent l'approche coopérative.

Dans bien des cas, une coopérative dynamique peut entamer des négociations sur ces points au nom de ses membres. Bien que les grandes industries établies soient généralement puissantes, une coopérative bien organisée peut avoir une influence considérable.

Le conseil d'administration

Une coopérative n'a de chances de fonctionner de manière efficace que si un groupe relativement restreint de délégués responsables, constituant le conseil d'administration, lui consacre beaucoup de temps et d'efforts. Ces administrateurs doivent être convenablement formés, avoir des notions de base sur l'économie des entreprises et être familiarisés avec le fonctionnement des coopératives. Les coopérateurs leur délèguent la responsabilité de la supervision et de la gestion. Eventuellement aidé par des conseillers extérieurs, le conseil de coopérative transmet aux membres toutes informations utiles et tient constamment compte de leurs réactions et de leurs idées.

De ce groupe certains individus émergeront comme chefs de file. Ils seront la clef du succès; sans eux l'échec est probable. C'est pourquoi la recherche et la formation de tels éléments moteurs sont capitales chaque fois que l'on veut promouvoir la création de coopératives.

Financement

Toute entreprise, pour être viable, doit avoir ses propres ressources, et c'est le premier pas dans le financement que de les créer. Dans une coopérative, les membres pris individuellement sont rarement en mesure d'apporter une contribution en argent. Le meilleur moyen pour surmonter cette difficulté est d'accumuler les parts de chacun en opérant une déduction sur toutes les sommes payées pour les livraisons ou le travail accompli. En Suède, par exemple, les coopérateurs cèdent un certain pourcentage du prix des bois livrés, qui est ajouté au capital propre de la coopérative. Les déductions s'étalent sur une longue durée et sont calculées en fonction de la taille des boisements de chaque coopérant.

Des systèmes analogues peuvent être utilisés dans les pays en développement. Si les coopérants apportent une contribution en travail, une partie de leur salaire peut être mise de côté pour constituer leur part du capital requis de la coopérative (capital social).

INITIATION L'AFFUTAGE DES SCIES CHAÎNE - il est essentiel de former les coopérateurs

Par définition, une coopérative démarre sur une base financière modeste. La rapidité avec laquelle le capital nécessaire peut être rassemblé varie selon les cas. Si les activités de la coopérative ont des retombées bénéfiques pour la société, il est logique qu'elle reçoive un appui financier de l'Etat Toutefois, il vaut mieux éviter de faire appel à des sources extérieures pour le capital social de base. La coopérative ne doit appartenir qu'à ses membres pour garantir leur engagement et assurer qu'ils en conservent totalement la direction.

Cependant, pour commencer à fonctionner réellement, il faut à la coopérative bien plus de capitaux que ne peuvent lui en fournir ses membres. Ces capitaux doivent donc être empruntés, puis tôt ou tard remboursés. C'est là que l'Etat les organisations d'assistance au développement et les institutions bancaires rurales peuvent intervenir en consentant des prêts à des conditions de faveur, telles que différé de remboursement et faible taux d'intérêt. Ces bailleurs de fonds peuvent aussi partager les risques en acceptant de bonnes garanties. Si la coopérative doit acheter des machines, par exemple, des conditions de paiement avantageuses l'y aideront. Des avances de paiement sur les livraisons de produits provenant de la forêt ou d'une usine de transformation auraient le même effet. Les bailleurs de fonds exigent généralement des garanties, qui peuvent être fournies sous la forme d'un appui au titre de l'aide au développement.

Une entreprise économique n'a d'avenir que si ses revenus à long terme couvrent tous ses coûts. Les responsables doivent assurer l'équilibre de l'actif et du passif. A cette fin, ils peuvent notamment négocier avec ceux qui bénéficient de retombées du projet pour obtenir une contrepartie.

La société, représentée par l'Etat pourra être disposée à fournir un appui, de préférence en mettant en place les infrastructures nécessaires.

Formation

Une coopérative est censée tirer sa force motrice d'elle-même, c'est-à-dire de la participation de ses membres. Pour cela, le meilleur carburant est la formation. Si les incitations à participer sont suffisamment fortes, les coopérateurs seront disposés à consacrer une partie de leur temps à apprendre à faire fonctionner leur coopérative.

La nature des activités de formation dépendra du niveau de connaissances des coopérateurs et du type de production. Dans une coopérative forestière, les activités sont généralement liées au reboisement ou à l'exploitation et, dans certains cas, à la transformation et à la commercialisation. La formation est un élément nécessaire et normal des coûts de fonctionnement.

Le programme de formation devra comprendre les volets suivants:

· formation sur le tas et directives aux coopérateurs;
· formation des membres du conseil d'administration portant sur des questions techniques;
· formation des dirigeants de la coopérative en matière de gestion.

Toutes ces activités doivent être organisées en fonction de chaque cas particulier.

Les dirigeants de la coopérative auront vraisemblablement besoin d'une formation complémentaire, tant technique qu'économique. Il est particulièrement important de familiariser les responsables de coopératives avec les règles économiques et financières qui régissent leur fonctionnement. Au cours de sa carrière, l'auteur a eu connaissance de nombreux projets de développement et études de faisabilité pour des entreprises proposées. Il a constaté en général que les questions techniques étaient assez bien traitées, mais que les études économiques laissaient souvent à désirer et que l'on n'avait pas assez conscience des contraintes sociales et politiques.

Pour qu'un projet de coopérative puisse se réaliser, il doit être replacé dans son environnement. En principe, les autorités locales et nationales appuient le projet au lieu de compliquer les choses. En outre, les institutions financières, les futurs clients et bien d'autres demandent des informations. Il est donc nécessaire d'instruire des personnes clefs en dehors du projet, indépendamment de la formation des participants directs.

Un scénario possible

Les conditions générales de la mise en valeur forestière avec éventuellement création de coopératives varient d'un pays en développement à l'autre. C'est pourquoi une analyse de œ concept ne peut être que générale et théorique. Tout ce qu'il peut y avoir de spécifique dans le scénario qui suit n'est donné qu'à titre d'exemple.

Supposons qu'un pays tropical possède des forêts naturelles couvrant une partie d'une zone rurale. La culture itinérante y est pratiquée, mais l'agriculture a tendance à devenir plus permanente. Certains produits de l'agriculture sont vendus dans des zones urbaines pas trop éloignées. Les infrastructures sont peu développées, mais il y a des routes, des écoles pour accueillir la plupart des enfants, quelques entreprises de transport, etc. Dans les zones urbaines du pays, il existe quelques scieries qui pourraient accroître leur production si elles disposaient de bois. Supposons aussi que les habitants ont accès à la forêt et que le gouvernement est prêt à octroyer gratuitement un permis d'exploitation à une coopérative afin de promouvoir la mise en valeur.

Pour le forestier de l'extérieur, il semble logique d'exploiter une partie des boisements feuillus et de reboiser des pâturages contigus. Les sols seraient excellents pour les pins et les eucalyptus.

Phase 1

L'idée d'encourager la mise en valeur forestière présentée par des représentants du service forestier retient l'intérêt des notables locaux, et ce service envoie sur place un «agent de développement». C'est un ressortissant du pays et il a reçu une formation spéciale de la FAO. Avec son aide se constitue un groupe d'une douzaine de villageois, qui préfigure une association à venir et forme un premier noyau pour les actions à entreprendre. Un contrat est passé avec une scierie située à une centaine de kilomètres, et un accord préalable pour la livraison de grumes est négocié. Une banque de développement accorde un crédit.

Un transporteur qui a déjà deux camions est persuadé d'acheter un tracteur de débardage Le service forestier initie les villageois au bûcheronnage et à l'établissement d'une pépinière qui sera intégrée à l'école du village.

Au moment voulu, l'association prend une forme plus officielle, celle de coopérative. On convient de règles fixant les modalités d'assemblée pour les décisions importantes. Un minimum de comptabilité est organisé.

La coopérative emploie ses membres pour les travaux d'abattage et de création d'une pépinière. Cinq pour cent du salaire convenu sont déduits et conservés par la coopérative comme parts individuelles, constituant le «capital social».

Au bout d'un certain temps, la coopérative recrute un directeur gérant qui rend compte au groupe de 12 membres ayant la responsabilité d'ensemble.

L'administration est maintenue au minimum. Les recettes provenant des livraisons de grumes servent à couvrir les frais de salaires, de débardage et de transport, ainsi que les dépenses de pépinière et de plantation à venir.

Phase 2

Au bout de quelques années, la coopérative a accumulé des réserves. Le capital social a légèrement augmenté, et il y a maintenant des bénéfices d'exploitation. Les perspectives étant bonnes, une banque de développement est disposée à consentir un prêt en vue de l'installation d'une petite scierie très simple pour débiter les grumes en équarris. Le coût supplémentaire sera largement compensé par le prix plus élevé obtenu et la réduction des frais de transport par unité de bois marchand.

Les coopérateurs acceptent une politique visant à créer un maximum d'emplois et de revenu pour chaque mètre cube de bois extrait, et à entreprendre des reboisements pour constituer une «forêt de village».

On parvient ainsi à mieux utiliser les déchets de bois de feuillus, certains bois étant utilisés pour la menuiserie. En conséquence, la scierie s'agrandit peu à peu. Des méthodes plus rationnelles sont introduites en agriculture, de sorte qu'aucune nouvelle terre boisée n'est défrichée en vue d'être mise en culture.

Phase 3

La forêt artificielle de pins et d'eucalyptus est éclaircie et donne sa première récolte, produisant des bois de clôture, quelques perches et du bois de feu. La scierie fournit maintenant des débits finis. Les déchets de bols, complétés par une certaine proportion de petits bois, sont brûlés dans une chaudière qui fournit de l'énergie électrique au village. Une partie du bois débité sert à la fabrication de manches d'outils, pour lesquels il y a de bonnes perspectives de débouchés à l'exportation, et une agence est ouverte à cette fin dans la capitale.

La coopérative est alors gérée par des professionnels, car des jeunes de la région y sont revenus après avoir fait des études en ville. Les infrastructures se sont considérablement améliorées. La coopérative a maintenant un magasin et une cantine. Son actif a augmenté, mais le capital social est resté modeste, et elle a contracté de gros emprunts. Toutefois, les Intérêts et l'amortissement sont large ment couverts par les recettes.

C'est le niveau des salaires qui a suscité le plus de controverses parmi les membres de la coopérative au cours de toutes ces années. Cependant, les dirigeants ont insisté pour conserver des tonds suffisants dans l'entreprise afin d'assurer son Indépendance économique. Pour y parvenir plus facilement, on n'a parfois fixé le taux de salaire qu'une fois exposés les résultats de la coopérative lors de l'assemblée générale des membres.

La croissance de la coopérative a aussi pour conséquence de donner une valeur élevée aux parts individuelles. Les statuts adoptés interdisent aux coopérateurs de retirer leur part en argent. Les parts peuvent être vendues en dehors de la famille, mais elles peuvent se transmettre à la génération suivante par donation ou héritage.

Observations

Il ne s'agit que d'un scénario, mais il indique ce qu'une coopérative peut faire si elle est menée par des animateurs dynamiques et si son équilibre économique est assuré par une gestion efficace.

Administration

L'administration quotidienne d'une coopérative doit être organisée en fonction de ses besoins internes et des coutumes locales. Du point de vue administratif, les coopératives présentent certaines particularités originales: procédures de vote pour certaines décisions d'ordre général, distribution égale des bénéfices et accumulation de parts individuelles, normalement par déduction sur les paiements.

Ces dispositions doivent de préférence être inscrites dans des statuts adoptés par les membres. Si certaines des caractéristiques des coopératives ne conviennent pas à l'entreprise, il vaut mieux l'appeler «association». Les statuts d'une coopérative doivent comporter les trois points ci-dessus et déclarer les objectifs pertinents. Il appartiendra aux délégués désignés de rédiger les statuts de manière à rallier une large approbation.

Une des clefs du succès, dans la réalisation d'un projet de coopérative, est une analyse poussée des motivations et incitations.

Les modalités d'administration d'une coopérative forestière varient tellement d'un pays ou d'une région à l'autre qu'il n'y a pas lieu d'en traiter à fond ici. L'approche adoptée est très différente, par exemple, en Amérique latine, en Inde et en Afrique occidentale. Le point essentiel à retenir est que les considérations locales sont souvent aussi importantes que les principes généraux.

Intégration aux autres activités

Dans la mesure du possible, la création de coopératives forestières doit profiter de l'expérience locale. L'agriculture traditionnelle d'une région peut, par exemple, comporter différents modes de coopération. Il peut déjà exister des coopératives s'occupant de commercialisation ou de transformation des produits.

La production d'aliments pour la consommation familiale constitue une incitation puissante, parce qu'elle répond à un besoin essentiel. Il serait intéressant d'associer la plantation d'arbres aux cultures agricoles dans des zones où il y a une pénurie notoire de bois de feu, ou des besoins de fruits, de fourrage ou de matériaux de construction. Toutefois, il n'est pas toujours facile d'inciter à planter des arbres pour ne les récolter qu'après un long délai. C'est pourquoi il faut s'attacher à incorporer à la plantation des bénéfices à court terme chaque fois que possible.

Dans les pays en développement, la majeure partie des travaux agricoles sont exécutés par la famille. La création et la conduite de boisements sont plutôt une entreprise collective à l'échelle d'un village ou d'un groupe important. Citons comme exemple intéressant d'intégration entre forêt et agriculture les ejidos du Mexique. Ce sont des terres communales sur lesquelles l'agriculture est pratiquée individuellement, tandis que les boisements, lorsqu'il y en a, sont gérés collectivement. Le bois y est récolté pour le combustible, les clôtures et autres usages locaux, mais aussi pour être livré à des industries forestières. Certains ejidos ont même installé leur propre scierie.

Un des grands problèmes des zones rurales est le manque d'infrastructures, telles que les routes, et de moyens de transmission. L'amélioration de ces infrastructures serait utile non seulement à la production forestière mais aussi à l'agriculture et autres activités. L'idéal serait que le développement rural repose sur une stratégie d'ensemble d'amélioration des infrastructures, qui ouvrirait à son tour de meilleures perspectives à des secteurs tels que la forêt.

Rôle de catalyseur de l'assistance au développement

Il est bon de rappeler, au risque de paraître simpliste, que si une zone rurale ne se développe pas il y a toujours une raison logique. Quiconque a tenté de lancer des projets forestiers sait bien qu'un changement réel n'est possible qu'avec le concours actif de la population locale. L'approche coopérative se fonde sur un tel concours, mais elle ne se fait pas toute seule. Elle peut en outre exiger des ajustements politiques ou législatifs.

La promotion de coopératives forestières constitue une forme valable d'aide au développement. La première chose à faire, toutefois, est de déterminer si une telle entreprise est possible et, dans l'affirmative, si elle semble prometteuse. L'aide-mémoire de planification (voir encadré) peut servir d'instrument pour ces vérifications. Si une région offre des possibilités, un manque d'information ou d'impulsion initiale peut expliquer que rien n'ait été fait jusque-là. Les projets classiques de développement sont souvent axes sur un plan théorique, des calculs d'experts, des organigrammes, etc., le tout étant «vu d'en haut». Le lancement d'une coopérative est plutôt un art qui demande un certain «esprit missionnaire» pour éveiller l'intérêt et stimuler l'action. Au début, l'intervention extérieure doit se borner à déterminer les objectifs possibles et à rechercher sur place des éléments dynamiques qui aient la volonté et la capacité de mobiliser les concours locaux nécessaires.

Pendant cette phase, et surtout pendant une éventuelle phase de démarrage, des organismes extérieurs peuvent fournir une assistance tant financière que professionnelle. L'appui financier doit au début se concentrer essentiellement sur la formation. Quant à l'assistance professionnelle, on pourrait la qualifier de «catalyseur», c'est-à-dire de substance qui facilite une réaction chimique par sa seule présence sans participer réellement à cette réaction.

Conclusions

L'analyse de nombreux projets, les entretiens de l'auteur avec des responsables de projets compétents et son expérience personnelle l'amènent à formuler un certain nombre de conclusions en ce qui concerne la création de coopératives forestières dans les pays en développement, en commençant par deux observations essentielles qui s'appliquent aux entreprises coopératives dans le monde entier.

· En règle générale, les coopératives qui réussissent ont été créées et sont gérées par des animateurs dynamiques. Sans animateurs motivés et actifs, elles ont tendance à disparaître.

· Avant de se lancer dans l'organisation d'une entreprise coopérative, il faut se demander pourquoi cela n'a pas été fait jusque-là. La réponse à cette question donnera des indications utiles sur les obstacles à prévoir.

Après ces deux conclusions fondamentales, les observations suivantes sont proposées.

La coopérative doit appartenir uniquement à ses membres pour garantir leur engagement et assurer qu'ils en conservent totalement la direction.

Premièrement, les entreprises coopératives forestières ont de bonnes chances de réussite dans les pays en développement si elles sont correctement réalisées. Les aspects techniques, mis à part certains problèmes écologiques, sont relativement simples. L'économie et la gestion des coopératives, en revanche, posent des problèmes plus difficiles: elles sont pour une large part conditionnées par le comportement, les mentalités et les aspirations des intéressés, qui doivent être compris et pris en compte avant de se lancer dans un tel projet, ainsi que par la disponibilité de personnes qui possèdent les compétences voulues en matière de gestion, ou qui ont les moyens de les acquérir.

La deuxième conclusion est étroitement liée à la première: l'approche coopérative exige que l'on choisisse avec le plus grand soin les points où on l'appliquera. Dans des conditions où une approche plus centralisée et autoritaire risque d'échouer, les perspectives peuvent être bonnes pour une coopérative. Une économie se crée lorsque des individus jouent leur rôle de producteurs, consommateurs et dirigeants. Plus ils sont motivés, plus l'économie est forte. La participation assortie de l'espoir de profits peut être une motivation personnelle puissante. Ce sont là deux éléments fondamentaux de la notion de coopérative.

Troisièmement, il importe que le projet réponde réellement aux préoccupations des personnes qu'il concerne. Ce qui est très important pour l'économie nationale n'intéresse pas nécessairement l'individu qui se trouve sur place. Les principes actuels de gestion et les théories économiques modernes ont tendance à accorder de plus en plus d'attention au comportement des individus. A cet égard, la coopérative est, à sa façon, un concept «moderne».

Quatrièmement, un projet de coopérative forestière ne doit négliger aucune possibilité de collaborer avec les projets voisins. La forêt n'est qu'une des composantes de l'économie rurale et peut rarement se suffire à elle-même. Ceux qui font partie d'une coopérative forestière sont vraisemblablement aussi des agriculteurs. La mise en place d'infrastructures est un élément indispensable au succès des coopératives tant agricoles que forestières, et les coûts pourraient sans doute en être partagés.

Cinquièmement, enfin, il ne faut pas perdre de vue les possibilités d'activités de transformation des produits forestiers. Dans des zones en plein développement, il est souvent possible de créer des industries pour fabriquer des produits à forte valeur ajoutée avant que le bois ne quitte la zone. Les industries de transformation mécanique des bois, telles que menuiserie, peuvent très bien constituer des éléments d'une coopérative intégrée. Plus chaque arbre exploité crée de revenus et d'emplois dans une zone rurale, plus l'aménagement des forêts repose sur des bases solides.


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