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L'ADOPTION DE POLITIQUES MARINES PAR LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT

J.-P. LÉVY

J.-P. Lévy est Directeur au Bureau des Affaires maritimes et du droit de la mer, Organisation des Nations Unies. Les idées exprimées sont personnelles à l'auteur et n'engagent aucunement la responsabilité de l'Organisation des Nations Unies.

Les négociations internationales qui ont abouti en 1982 à l'adoption de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer ont eu une influence déterminante sur la reconnaissance par tous les pays, et notamment les pays en développement, «d'une dimension marine» dans leur politique de développement. Les gouvernements ont pris conscience non seulement de l'importance des espaces marins et de leurs ressources, mais encore de l'interdépendance étroite qui existe entre les différentes utilisations de la mer, imposant la nécessité d'adopter des «politiques marines intégrées».

L'auteur remarque que toute politique implique la mise en œuvre d'un certain nombre de fonctions essentielles, quels que soient les structures et les mécanismes institutionnels utilisés. Parmi ces fonctions, les plus déterminantes concernent la formulation, la planification, la coordination et l'évaluation, l'exécution des programmes, la réglementation et la mise à disposition des moyens. Bien qu'il n'existe pas de «modèle» absolu de politique nationale en matière de recherches marines, deux pays en développement, l'Inde et Sri Lanka, offrent dans ce domaine des solutions qui peuvent être source d'inspiration pour d'autres pays.

Malgré la complexité des politiques marines intégrées et les difficultés inhérentes à leur conception et à leur mise en œuvre, la plupart des pays en développement ont adopté de telles politiques ou sont sur le point d'en adopter. Une prise en compte, même limitée, des impacts, conflits, complémentarités et priorités relatives devrait permettre aux pays en développement de maximiser les bénéfices qu'ils pourront tirer des espaces marins et de leurs ressources, tout en mobilisant de la façon la plus efficace le capital financier, humain ou technique souvent restreint dont ils disposent.

L'auteur rappelle que c'est à cet ultime objectif que Jean Carroz avait consacré sa vie professionnelle. Les progrès accomplis dans tous les pays ayant bénéficié de son apport témoignent de l'importance du rôle qu'il a joué.

Si la mer a toujours inspiré les rêves des hommes, elle a aussi rendu possible le développement des premières grandes civilisations et permis tout à la fois le rapprochement des peuples et leur affrontement. A présent, avec l'espace extra-atmosphérique et le continent Antarctique, elle est devenue l'une des dernières frontières économiques à conquérir.

L'analyse des espaces marins dans une perspective de développement économique à l'échelle mondiale est toutefois un phénomène récent1. Les négociations internationales qui ont débuté au sein de l'Organisation des Nations Unies en 1968 et abouti en 1982 à l'adoption de la Convention sur le droit de la mer ont eu une influence déterminante sur la reconnaissance par tous les pays, et notamment les pays en développement, d'une «dimension marine» dans leur politique de développement. Cette compréhension récente d'une dimension qui recouvre une multiplicité d'utilisations de la mer et de ses ressources, et de relations étroites à base de conflits et de complémentarités, a suscité une prise de conscience de l'importance que peut revêtir l'adoption au niveau national d'une «politique marine intégrée».

1 Jean-Pierre Lévy: «Les espaces marins: une réponse au défi économique du 21e siècle», in Reflets et perspectives de la vie économique, Bruxelles, tome XVIII. Flyn Ford, Luke Georghiu et Hugh Cameron: «L'utilisation des mers au 21e siècle», in Impact, sciences et société, n° 3/4, Paris, 1983.

LES APPROCHES TRADITIONNELLES

Si l'on restreint le concept de politique marine à son acception historique la plus limitée, recouvrant la puissance militaire et le commerce, on peut observer la mise en œuvre de politiques marines dès la plus haute Antiquité. Parmi les grandes civilisations anciennes, certaines se sont développées dans un cadre purement terrestre, telles les civilisations assyriennes, chinoises ou tibétaines, tandis que d'autres n'ont atteint leur plénitude qu'en utilisant le potentiel de pénétration que représente la mer. Néanmoins, qu'il s'agisse de politique marine nationale ou des effets des politiques marines poursuivies par d'autres Etats, rares sont les pays qui n'en ont pas subi les effets directs ou indirects. Les auteurs occidentaux ont coutume de se référer à la naissance des premières règles juridiques maritimes adoptées en Méditerranée en raison des pressions commerciales et politiques, tel le Code maritime rhodien rédigé vers le 3e ou le 2e siècle avant J.-C., qui s'imposa sous l'Empire romain, ou la Basilika, code maritime byzantin suivi au Levant entre le 7e et le 12e siècle, ou encore les Tables d'Amalfi datant du 10e siècle.

Ces textes juridiques illustrent l'origine d'un certain droit de la mer en Occident, mais également en Afrique et en Asie la mer n'était pas absente des préoccupations de bon nombre de pays. A titre d'exemple, on peut rappeler que l'empereur indien Chandragupta Maurya, qui régna entre 321 et 291 avant J.-C., possédait un Ministère de la guerre comprenant six divisions dont une était consacrée à la marine. Comme l'a signalé C.W. Pinto, les rois de la dynastie des Maurya avaient créé le poste de Surintendant de la marine chargé de réglementer le transport et le commerce par voie de mer, la pêche et l'extraction minière, et dans tout le monde antique des règles et des pratiques s'élaborèrent pour régir l'utilisation de la mer2. Dès le règne d'Ashoka (3e siècle avant J.-C.), l'Inde entretenait des relations maritimes avec les habitants des pays qui sont actuellement Sri Lanka, la Birmanie et même la Syrie et l'Egypte. Dans le code de Manu (3e siècle avant J.-C.), on peut trouver des règlements visant le commerce maritime et les ports. Entre le 7e et le 10e siècle de notre ère, des politiques marines furent élaborées par toutes les grandes puissances asiatiques. Celles-ci furent supplantées successivement par la vague islamique des commerçants arabes entre le 12e et le 14e siècle, puis par la vague chrétienne et coloniale européenne. Il importe de souligner cependant que, dans l'ensemble, le fondement de ces politiques marines était avant tout commercial.

2 C.W. Pinto: Les nouveaux principes du droit de la mer, Impact-Unesco, n° 3/4, 1983.

Les grandes batailles navales de l'histoire méditerranéenne, telle la bataille de Salamine en 480 avant J.-C. où, comme l'écrit E. du Pontavice: «Les Grecs, fils de la mer et pères de la démocratie, dans une bataille navale, l'emportèrent sur les Perses, soldats d'un empire colonial»3, ne semblent pas avoir eu lieu en Asie. Comme le souligne R.P. Anand, «The Asians were generally land powers and never cared to have big navies»4.

3 E. du Pontavice et P. Cordier: La mer et le droit, P.U.F., 1984.

4 R.P. Anand: Origin and Development of the Law of the Sea, Martinus Nishoff, 1983.

C'est également à cette époque que les politiques marines commencèrent à inclure une troisième composante fondée sur le développement des pêcheries et en particulier de la pêche hauturière. Certes, la pêche a représenté une activité séculaire, mais son intensification a conduit à considérer la mer non plus seulement comme un support pour la navigation militaire ou commerciale, mais comme une source de richesse, ses ressources pouvant être directement utilisées à des fins de développement économique et non plus de subsistance. Cette nouvelle dimension fut amplifiée par les progrès scientifiques, qui permirent en particulier les premières exploitations de pétrole sous-marin au début de notre siècle.

Les excès de la civilisation industrielle ont récemment ajouté une dimension mésologique, et les besoins d'une compréhension accrue de notre biosphère ont entraîné un développement de la recherche scientifique marine.

Au milieu du 20e siècle, la mer est donc devenue un espace où s'affrontent de multiples intérêts, offrant un potentiel économique important et varié, faisant l'objet d'une recherche scientifique accrue et requérant un effort de préservation et d'aménagement.

L'ACCROISSEMENT DES UTILISATIONS DE LA MER

Comme il a déjà été noté, l'intensification des utilisations économiques de la mer est un phénomène relativement récent. Le produit des pêcheries s'est élevé de façon considérable au cours des dernières décennies, passant de 20 millions de tonnes à la fin des années 40 à 65 millions de tonnes en 1970 et 90 millions de tonnes en 1986. Les produits halieutiques représentent environ 20 pour cent de la consommation mondiale de protéine animale. Les problème auquel sont confrontés les Etats dans ce domaine est essentiellement un problème d'utilisation optimale et rationnelle, visant à augmenter la production globale des pêcheries tout en permettant aux pays en développement d'accroître leur part du marché. Afin d'y parvenir la FAO a convoqué en 1984 une Conférence sur l'aménagement et le développement de la pêche, dont le Secrétaire général, Jean Carroz, illustra la stratégie en exhortant «les gouvernements et le secteur privé, y compris les pêcheurs eux-mêmes, à œuvrer ensemble dans un certain nombre de domaines: meilleur aménagement des ressources, meilleure utilisation des produits, augmentation de la production des ressources actuellement sous-exploitées, développement de la production de poissons d'eau douce et de l'aquaculture»5.

5 Jean Carroz: «Fish for the famished», in Development Forum, mai 1984, p. 3.

Le développement des transports a mené à une évolution similaire à celle des pêcheries. L'avènement du navire à vapeur a certes transformé l'ensemble des transports maritimes et leur a donné une impulsion nouvelle. Mais ce sont surtout les énormes mouvements de transport d'hydrocarbures, répondant à des besoins énergétiques accrus, qui ont provoqué une extraordinaire double évolution, tendant d'une part à multiplier le nombre des navires et d'autre part à augmenter leur tonnage6. Les activités de transport maritime se sont développées de telle sorte que l'emprise qu'elles entraînent sur le milieu marin représente une source de conflit importante. Il a été nécessaire de réglementer en détail les opérations de transport, d'établir des dispositifs obligatoires de séparation de trafic et d'aides à la navigation, de sécurité et de communication. Malgré toutes les précautions, les accidents ne sont pas rares et leurs effets sur l'environnement, s'ils demeurent globalement limités, n'en sont pas moins spectaculaires.

6 Le tonnage mondial de la marine marchande en 1984 s'élevait à quelque 680 millions de tonnes de port en lourd ou 420 millions de tonneaux de jauge brute.

Malgré l'importance grandissante des pêcheries et des transports maritimes, ce sont les hydrocarbures et, de façon moindre, les minéraux solides en mer qui, au cours des récentes décennies, ont contribué le plus à accroître la valeur du produit marin. L'exploration et l'exploitation d'hydrocarbures en mer se sont développées à un rythme accéléré; ces activités se poursuivent actuellement au large des côtes de plus de 80 pays et concernent quelque 800 gisements d'hydrocarbures. Les travaux entrepris sur les plateaux continentaux progressent à des profondeurs toujours plus grandes, et de nombreuses régions qui ne semblaient pas avoir de potentiel économique sont à présent réévaluées. La proportion du pétrole en provenance des gisements pétrolifères situés au large est passée de 15,4 pour cent en 1975 à 22,7 pour cent en 1983 et augmentera vraisemblablement encore dans l'avenir. On prévoit que les futures découvertes de gisements pétrolifères se répartiront approximativement en trois catégories: un tiers sur terre, un tiers au large des côtes, sur le bord extérieur du plateau continental à des profondeurs inférieures à 200 m, et un tiers au large en eau profonde et dans les régions polaires. Autrement dit, pour chaque baril de pétrole découvert sur terre, deux devraient être découverts au large des côtes7.

7 International Petroleum Encyclopedia, Tulsa (Oklahoma), Pernell, 1984.

En dehors des hydrocarbures, de nombreux pays ont développé leur production de minéraux industriels et de minéraux de placer. Parmi les minéraux industriels figurent le sable et le gravier, le carbonate de calcium et le sable quartzeux. Les gisements de placer comprennent notamment la cassitérite (étain), la chromite (chrome), les diamants, l'or, la phosphorite et le zircon8. Malgré l'absence de statistiques précises, il ne fait pas de doute que ces ressources représentent un apport économique considérable, qui a suscité un intérêt accru de la part des Etats côtiers.

8 Voir: Tendances et faits nouveaux intervenus sur les plans économiques et techniques dans le domaine des affaires de la mer, rapport du Secrétaire général des Nations Unies, document E/1985/79, 18 juin 1985.

Quant aux nodules polymétalliques comprenant du nickel, du cuivre, du cobalt et du manganèse, qui se trouvent dans les grands fonds marins à des profondeurs de 3 000 à 5 000 m, c'est précisément leur utilisation aux fins de développement des pays du tiers monde qui a été à l'origine en 1967 de l'initiative de l'ambassadeur de Malte à l'Assemblée générale des Nations Unies qui, ultérieurement, a conduit à la 3e Conférence sur le droit de la mer. Avec le développement des connaissances scientifiques et techniques, d'autres ressources ont été ou vont être exploitées en mer. Il suffit de penser à l'utilisation de l'espace marin lui-même en tant que support d'installations telles que les îles artificielles, les usines ou les diverses structures fixes ou semi-submersibles. On pourrait encore ajouter que les mers et les océans sont une source constante d'énergie renouvelable qu'une technologie appropriée pourrait utiliser à des coûts qui ne seront pas toujours prohibitifs. Outre l'intérêt grandissant porté à l'utilisation économique de la mer, les Etats ont pris conscience de la fragilité de l'environnement marin. Ils ont reconnu qu'il était important de préserver ce dernier d'une pollution excessive, en faisant appel à la solidarité internationale pour y parvenir, ce qui a contribué à élargir le concept de politique marine.

L'IMPACT DE LA CONFÉRENCE SUR LE DROIT DE LA MER

A la veille de la 3e Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, on pouvait classer les principales composantes des politiques marines de la majorité des Etats en cinq grandes catégories: i) les aspects militaires et de défense nationale; ii) le transport et le commerce; iii) les pêcheries; iv) les ressources minérales et l'énergie; v) la protection de l'environnement marin9. Cependant, ces composantes n'étaient nullement intégrées, et peu d'Etats semblaient prêts à transcender les approches traditionnelles fondées sur une considération sectorielle des différents intérêts étatiques dans le domaine de la mer.

9 Voir Gerald J. Mangone: Marine Policy for America, Lexington Books. 1977.

Dans une très large mesure, c'est la durée et la nature des négociations politiques qui aboutirent finalement à l'adoption en 1982 d'une Convention sur le droit de la mer qui ont eu pour conséquence directe une prise de conscience universelle non seulement de l'importance des espaces marins et de leurs ressources, mais encore de l'interdépendance étroite qui existe entre les différentes utilisations de la mer, imposant la nécessité d'adopter des «politiques marines intégrées». En effet, il faut se rendre compte que pendant une dizaine d'années, des milliers de représentants venant de plus de 150 pays participèrent directement à l'élaboration de cette constitution pour les océans. En outre, une multitude de spécialistes eurent une participation indirecte dans la mesure où ils furent appelés à préparer des notes, des études et des analyses sur des questions spécifiques ayant trait à certains intérêts maritimes nationaux.

Les sujets couverts par la 3e Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer étaient aussi complexes que variés, étant donné que la convention à adopter devait englober l'ensemble des utilisations de la mer et de ses ressources, y compris le développement de ressources potentielles telles que les nodules polymétalliques des fonds marins. Dans le cadre de son organisation, la Conférence établit trois grandes commissions se partageant le mandat global qui lui avait été imparti.

La première commission avait la responsabilité de mettre sur pied un régime international pour le développement des ressources minérales des fonds marins au-delà des zones sous juridiction nationale. Il s'agissait essentiellement de prévoir un système d'exploitation des nodules polymétalliques devant permettre de traduire en termes pratiques le concept de patrimoine commun de l'humanité assigné à la zone internationale et à ses ressources. Il fallait créer des institutions, mais il importait avant tout de prévoir des règles visant l'exploration et l'exploitation des ressources minérales, ainsi que toutes les composantes technologiques, financières et économiques connexes. Dans le cadre de l'établissement de ce régime international, il avait été prévu expressément qu'il faudrait minimiser les incidences défavorables pouvant aller à l'encontre des pays en développement producteurs terrestres des mêmes minéraux que ceux qui seraient exploités dans la zone internationale. A ces fins, on prévoyait l'utilisation d'accords de produits, de compensations et surtout l'établissement d'une limite de production des minéraux des fonds marins. L'établissement d'une formule de limitation de production requérait des études économiques complexes et l'utilisation de modèles prospectifs. L'adoption de règles portant par exemple sur le transfert des techniques ou les éléments financiers des contrats nécessitait une connaissance approfondie de domaines qui, en règle générale, n'étaient pas ceux des envoyés plénipotentiaires désignés par leurs pays pour négocier la Convention.

Au sein de la première commission de la Conférence sur le droit de la mer, il se créa régulièrement des groupes techniques composés de spécialistes chargés d'aider les diplomates «classiques» à élucider certains problèmes. Ces diplomates eurent constamment besoin de données et d'éléments de négociation qui ne pouvaient leur être fournis que par des ingénieurs, des économistes ou des spécialistes de l'industrie extractive. De nombreux Etats inclurent directement dans leur délégation à la Conférence de tels spécialistes, mais beaucoup de délégations, en particulier des pays en développement, devaient se contenter de faire étudier les problèmes économiques et techniques par leurs spécialistes pendant les intersessions et participaient aux négociations sur la base d'informations qui leur avaient été remises avant leur départ de la capitale. Mais pour tous les Etats participant aux négociations, il se révéla nécessaire de demander le concours d'experts de leurs ministères économiques. Plus que toute autre partie de la Convention sur le droit de la mer, on peut dire que celle traitant du régime international est d'essence essentiellement politique, stratégique et économique, et fut rédigée sur la base de données établies par des services nationaux différents de ceux qui avaient la responsabilité suprême des négociations.

La deuxième commission devait avoir un caractère beaucoup plus juridique dans la mesure où elle devait se pencher sur les questions plus classiques du droit de la mer, telles les limites de souveraineté, la navigation ou les pêcheries. Très rapidement, cependant, les diplomates chargés de négocier les nouvelles règles du droit de la mer dans le cadre de cette commission se rendirent compte qu'il était impossible d'ignorer l'importance politique, stratégique et économique de leurs négociations. Il était clair que les questions ressortissant à la navigation, en particulier le passage inoffensif et le nouveau concept de passage en transit, impliquaient directement les ministères de la défense nationale ou de la marine d'une grande majorité d'Etats. La création d'une zone économique exclusive pouvant s'étendre jusqu'à 200 milles des côtes, et les dispositions concernant les pêcheries requéraient de la part de tous les pays des études approfondies que ne pouvaient mener à bien que leurs services nationaux spécialisés. Les questions se référant aux lignes de base, aux délimitations de différentes zones et surtout à la définition du plateau continental ne pouvaient être abordées sans l'apport technique de géographes, hydrographes et géologues, qui eurent à préparer une documentation de base sans laquelle les négociateurs n'auraient pu évaluer les applications des différentes propositions soumises et discutées au sein de la conférence.

Même dans le cadre des négociations visant des domaines dû droit de la mer aussi «classiques» que la mer territoriale ou la haute mer, les dispositions relatives à la navigation impliquaient une contribution de fond des ministères et services étatiques intéressés aux transports maritimes, aux communications ou à la marine de guerre.

Au sein de la troisième commission furent discutés des sujets qui, par définition, avaient un substrat scientifique et technique. Il s'agissait de la protection et de la préservation du milieu marin, de la conduite de la recherche scientifique marine, et du développement et transfert des techniques marines. Pour la grande majorité des Etats, la prise de conscience de l'importance de la préservation de l'environnement était relativement récente. La Conférence des Nations Unies sur l'environnement ne s'était tenue à Stockholm qu'en 1972, où elle avait établi le Programme des Nations Unies pour l'environnement, et ce n'est que très progressivement que des services nationaux et des ministères de l'environnement furent créés. Assez peu d'universités ou de laboratoires étaient spécialisés dans le domaine de l'environnement marin. De nombreuses organisations non gouvernementales étaient cependant fort actives, et toutes les sources d'information turent mises à contribution pour fournir aux négociateurs les informations nécessaires. Pour ce qui est de la recherche scientifique, elle était principalement concentrée entre les mains des instituts de recherche de pays ayant la capacité de s'y consacrer. Dans l'ensemble, elle n'était que rarement coordonnée de façon efficace au niveau gouvernemental, même si de nombreux pays possédaient des services ou ministères spécialement conçus pour la recherche scientifique. Le domaine du transfert des techniques marines dans le cadre de la troisième commission demeura extrêmement limité, et ce fut essentiellement pour négocier les dispositions concernant l'environnement marin et la recherche scientifique que les diplomates durent faire appel à des spécialistes qui, très souvent, venaient d'institutions non gouvernementales. Seule, peut-être, la partie de la Convention traitant du règlement des différends, qui fut négociée par la Conférence en séances plénières officieuses, faisait essentiellement appel à des compétences spécifiquement juridiques. Dès le début de la Troisième Conférence sur le droit de la mer, il était acquis que la Convention qui allait être négociée devait être globale, et le principe d'un «paquet» (package deal) ne fut jamais remis en cause. En pratique, cela signifiait que l'accord final devait être total ou ne pas être et que des compromis devraient être obtenus entre divers aspects du droit de la mer. Ainsi, la création d'une zone de juridiction étendue de l'Etat côtier pouvait être acceptée dans la mesure où un régime particulier plus favorable serait consenti pour la navigation, ou encore la définition du plateau continental pourrait être élargie si les Etats qui en bénéficieraient s'engageaient à contribuer en espèces ou en nature dans les cas où ils pourraient procéder à l'exploitation des ressources minérales de leur plateau au-delà de 200 milles marins. La nécessité d'avoir une compréhension totale sur le plan «horizontal» des différents sujets de négociation au sein de la Conférence requérait l'établissement d'une sorte de «centre de coordination». Lorsque des négociateurs de spécialités différentes participaient aux sessions de la Conférence, il était impératif qu'il y ait une concertation au sein même de leur délégation10.

10 Notons que les membres des délégations à la Conférence pouvaient aller d'un ou deux diplomates à quelques centaines de spécialistes, la moyenne au cours des 11 sessions s'établissant entre 5 et 50.

Mais, au-delà de la prise de position harmonisée et de la recherche d'équilibres et de compromis au cours de chaque session sur des questions d'une variété extrême, il était essentiel qu'au siège des capitales, au sein des gouvernements, une position politique globale fût adoptée. La délégation d'un Etat participant à la Conférence se devait de connaître les divers éléments de la politique marine de son pays, vu qu'elle devait les défendre dans les différents forums de la Conférence. Cette délégation devait également être à même d'apprécier les compromis possibles entre ces divers éléments, les priorités et les courants de force s'exerçant au sein de son propre gouvernement. Cela n'était possible que dans la mesure où chaque gouvernement tenterait de réunir toutes les informations sectorielles provenant de spécialistes variés et établirait dans sa structure institutionnelle des mécanismes de coordination et d'harmonisation. Ainsi, sous l'emprise de la nécessité, des comités d'études, des groupes de travail et des cellules de réflexion furent créés très rapidement au sein de chaque gouvernement, afin de permettre d'établir les objectifs à atteindre et, fréquemment, de procéder aux arbitrages nécessaires au vu des priorités contradictoires présentées par divers secteurs. Ces dernières décisions devaient très souvent être prises au plus haut niveau du pouvoir exécutif, après avoir fait l'objet de discussions au sein des comités interministériels. En raison de la technicité et de la variété des sujets traités par la Conférence sur le droit de la mer, ainsi que de leur importance dans les domaines stratégiques, économiques, scientifiques et techniques, tous les Etats ont été amenés à mettre en place des mécanismes de réflexion interne sur les directions et les priorités de leur politique de la mer. Il n'était plus possible de se contenter d'approches sectorielles, et le besoin d'une intégration se fit sentir à des degrés divers, tout au moins aux niveaux les plus élevés des prises de décisions gouvernementales. La remise en cause des approches traditionnelles des espaces marins et de leurs ressources n'épargna aucun pays. Même ceux qui avaient de longues traditions maritimes furent obligés de créer des mécanismes institutionnels nouveaux, afin de coordonner les informations techniques provenant de sources multiples, de procéder à un arbitrage entre les priorités présentées par différents secteurs gouvernementaux et d'élaborer une position politique cohérente au sein de la Conférence. Mais ce furent surtout les pays en développement qui eurent à surmonter d'innombrables difficultés de choix et de prises de position dans le cadre d'une dimension qu'il leur était difficile d'appréhender dans toute sa complexité, compte tenu de la faiblesse de leurs ressources techniques et humaines. En dépit de ce handicap, la grande majorité des pays en développement surent à des degrés divers établir des structures institutionnelles reflétant leur compréhension de l'interdépendance des utilisations de la mer et de ses ressources.

Le mouvement général vers l'adoption de «politiques marines intégrées», s'il eut pour catalyseur la Conférence sur le droit de la mer, ne fléchit pas avec l'adoption d'une convention en 1982 et semble bien correspondre à une nécessité qui va en assurer la pérennité. De très nombreux pays ont réorganisé ou créé des institutions devant leur permettre d'élaborer et de poursuivre cette politique, soit pendant la Conférence soit à l'issue de celle-ci. Ces initiatives d'ordre institutionnel ont pris des formes variées, et il semble bien établi que, dans ce domaine, il ne peut exister de «modèle». Selon sa situation géographique, économique ou politique et selon son niveau de développement et ses priorités, chaque Etat doit adopter le système institutionnel nécessaire à l'établissement et à la conduite de la politique marine qu'il estime être la plus efficace et la plus appropriée pour lui. Dans beaucoup de pays, cependant, l'adoption de structures institutionnelles n'a pas suivi la prise de conscience de la nécessité d'adopter une politique marine correspondant à l'expansion et à la diversification des activités et à leur importance grandissante pour le développement du pays.

LES DIFFICULTÉS INSTITUTIONNELLES

Au-delà des demandes d'information et des réunions interdisciplinaires ad hoc, il est extrêmement difficile pour un gouvernement d'établir une structure institutionnelle lui permettant d'adopter une politique marine intégrée. En effet, il n'est pas rare de voir jusqu'à 10 ou 15 ministères ayant certaines compétences s'étendant aux espaces marins. De ce fait, la mise en place d'une infrastructure pour la formulation d'une politique intégrée est toujours complexe, tant d'un point de vue structurel que fonctionnel. Les structures de l'action gouvernementale se sont développées tout au long de l'histoire d'un pays, et les responsabilités ont été attribuées de manière progressive en fonction de l'intensité croissante et de la multiplication des utilisations de l'espace marin. A mesure que des secteurs marins inexploités commencent à faire l'objet d'une gestion systématique et que des secteurs déjà exploités le sont davantage, les différents organismes gouvernementaux, les groupements du secteur privé et les milieux scientifiques commenceront à s'intéresser davantage à la question, et de nouveaux acteurs entreront sur la scène politique et bureaucratique.11

11 Knecht, R.W. Cicin-Sain, B. et al.: The management of ocean and coastal resources in Colombia: an assessment, Woods Hole Oceanographic Institution, rapport technique 84-21, 1984.

Dans de nombreux pays, les difficultés institutionnelles relatives à l'adoption et à la conduite d'une politique marine tiennent à l'absence de priorités et d'objectifs clairs pouvant être identifiés au sein de la politique globale suivie par le pays. Les activités marines continuent à être menées de façon sectorielle sans assurer l'intégration nécessaire à l'intérieur des divers secteurs et sans poursuivre la coordination requise entre les secteurs.

En outre, les activités de formulation de politiques et de planification de leur exécution, lorsqu'elles existent, sont souvent conduites à partir d'informations insuffisantes. Il est rare qu'au cours de la mise en œuvre d'un programme, ses objectifs soient réévalués pour tenir compte du progrès de la technologie, de la diffusion de nouvelles techniques de gestion ou d'un changement de circonstances économiques ou politiques. Et lorsqu'une telle réévaluation a lieu, elle répond souvent à des impératifs externes plutôt qu'à des nécessités intrinsèques. Par ailleurs, le manque d'expérience en matière de planification intégrée conduit souvent à l'adoption de programmes d'ensemble composés de projets disparates dont les liens réciproques ne sont ni identifiés ni analysés. Enfin, le cadre législatif et réglementaire devant permettre une approche intégrée se révèle très souvent inadéquat ou insuffisant, et le poids des habitudes acquises et des systèmes bureaucratiques en place empêche fréquemment les nouvelles approches de voir le jour.

Si l'on veut surmonter ces contraintes afin d'adopter et de mettre en œuvre une politique marine intégrée, il faut avant tout que celle-ci soit bien définie au niveau le plus élevé du gouvernement, comprise et acceptée par tous les intéressés, et énoncée en termes clairs et précis. Il faut ensuite qu'elle puisse s'appuyer sur un cadre législatif et réglementaire approprié, qu'elle soit préparée sur la base d'informations aussi complètes que possible, qu'elle soit conduite dans le cadre d'un système institutionnel assurant un maximum de coordination et d'harmonisation entre ses différentes composantes et qu'elle s'appuie sur toutes les ressources techniques, scientifiques et humaines disponibles dans ce domaine.

Bien que l'ensemble de ces conditions soit rarement réuni, il suffit bien souvent d'aménager une institution existante ou de créer un nouveau service gouvernemental pour réunir la «masse critique» permettant la mise en œuvre d'une politique. Il semble préférable de concevoir la formulation de la structure institutionnelle dans une optique évolutive plutôt que d'adopter une démarche rigide visant à mettre en place un modèle institutionnel préconçu. Il est bien sûr essentiel de distinguer la formulation et l'adoption d'une politique marine de sa mise en œuvre pratique. Cependant, dans le cadre des considérations générales qui précèdent, il nous a paru important de ne pas dissocier de l'aspect conceptuel les aspects pratiques, afin de pouvoir souligner le flux permanent qui devra s'établir entre les organes de conception, de décision et d'exécution.

ASPECTS FONCTIONNELS

Toute politique implique la mise en œuvre d'un certain nombre de fonctions essentielles, quels que soient les structures et les mécanismes institutionnels utilisés. Parmi ces fonctions, les plus déterminantes concernent la formulation, la planification, la coordination et l'évaluation, l'exécution des programmes, la réglementation et la mise à disposition des moyens.

Formulation de la politique. Dans tout système politique, il appartient aux échelons les plus élevés du gouvernement de procéder à la formulation de la politique car c'est à ce niveau que les objectifs nationaux sont en définitive globalement définis et établis. La politique marine nationale doit résulter d'un examen simultané des intérêts et objectifs des autres politiques et objectifs sectoriels établis et se prêter à une intégration globale cohérente. Tenant compte de ces impératifs, elle doit énoncer les principes ou critères de base qui doivent inspirer la détermination des priorités ainsi qu'une stratégie de développement et de préservation des espaces marins. Elle doit également s'inscrire dans un cadre législatif et réglementaire défini, et tenir compte des ressources financières, humaines, matérielles et institutionnelles nécessaires.

Planification. Les activités de planification représentent une des fonctions centrales, qui tend à mettre au point un programme intégré dans le cadre des objectifs énoncés dans la politique générale et à établir les procédures administratives et directives techniques applicables à la préparation et à l'exécution des programmes et projets, notamment en définissant les responsabilités respectives des divers participants. Il doit exister un courant permanent d'information entre les responsables de la formulation de la politique et ceux de la planification, car en l'absence de ce courant ni les uns ni les autres ne pourront s'acquitter de leur mandat. Il est impératif que les planificateurs fournissent aux «décideurs» les éléments leur permettant de procéder à une évaluation du bien-fondé de leur décision, tandis que ces derniers doivent communiquer aux planificateurs l'explication détaillée de leur décision afin qu'ils puissent en prévoir l'application.

Coordination et évaluation. La fonction de coordination des éléments d'un programme marin est essentielle pour assurer une utilisation optimale des ressources et l'élimination des conflits et doubles emplois.

Cette fonction est souvent exercée par des organismes qui doivent également suivre les activités des agents d'exécution. Selon la tradition administrative des Etats, les fonctions d'évaluation peuvent être exercées par les mêmes organismes ou par des institutions indépendantes, le but étant de déterminer les progrès réalisés dans l'accomplissement des objectifs. L'exercice de ces fonctions doit permettre une modification des programmes, compte tenu des changements de circonstances ou d'un infléchissement de la politique suivie.

Exécution des programmes. Très souvent, l'une des difficultés auxquelles se heurte la mise en œuvre d'un programme marin tient au fait que l'élaboration des projets qui le composent n'a pas toujours été précédée par la formulation claire d'une politique générale. Les organes de planification consultés approuvent des projets sans que leurs effets et leurs résultats escomptés aient été au préalable évalués en profondeur dans le contexte général des priorités nationales. Dans certains systèmes institutionnels, l'absence de coordination et de liaison entre les organes de prise de décision, de planification et d'exécution conduit à une mise en œuvre de projets qui ne correspond pas exactement aux objectifs visés. La situation est parfois aggravée par la décentralisation et le partage de compétences entre organismes centraux, régionaux ou locaux. Un consensus au niveau le plus élevé ne garantit pas nécessairement une cohésion et une participation constructive aux échelons inférieurs où les plans doivent être traduits dans la réalité.

Adoption d'un cadre législatif et réglementaire. Tout Etat constitué possède un ensemble législatif et réglementaire, mais celui-ci n'est pas nécessairement adapté à la conduite d'une politique marine intégrée. Le cadre normatif dans lequel opèrent les institutions existantes est tributaire de l'évolution historique et économique du pays. De façon générale, ce cadre correspond à des approches sectorielles et, dans le cas des utilisations de la mer, il vise des activités telles que le développement des ressources minérales en mer, les pêcheries, les transports maritimes, les ports, la pollution marine ou la protection du littoral. Très souvent, un pays ne souffre pas de l'absence de cadre législatif mais de la difficulté de l'utiliser de façon intégrée et de son inadéquation aux exigences modernes. A cette carence correspond une infrastructure administrative inadaptée.

Mobilisation des ressources humaines et techniques.

Sans vouloir ignorer le rôle déterminant que joue la disponibilité des ressources financières, il faut souligner l'importance que revêt la mise à disposition des ressources humaines et techniques nécessaires à l'exécution d'un programme. Surtout dans les pays en développement, qui possèdent des ressources humaines et techniques limitées, il est essentiel de pouvoir mobiliser ces dernières dans un effort concerté, quel que soit le cadre institutionnel dans lequel elles se trouvent. Il est en effet très rare qu'il n'existe aucune compétence dans le domaine marin. Mais ces compétences peuvent se trouver dans des organismes gouvernementaux, des universités, des centres de recherche ou des institutions et des industries privées. Pour les pays en développement n'ayant pas ou ayant peu d'infrastructures institutionnelles consacrées aux affaires de la mer, il sera essentiel de créer un mécanisme leur permettant de mobiliser les capacités existantes. L'expérience a démontré que très souvent un pays en développement sera tenté de requérir une assistance extérieure pour des raisons de rapidité et de facilité, alors qu'avec quelques efforts internes il serait parvenu à satisfaire l'essentiel de ses besoins dans le secteur concerné. Combien de consultants étrangers ont été engagés, qui, une fois arrivés sur leur lieu de travail, ont découvert dans des tiroirs d'institutions locales des travaux exécutés par des prédécesseurs sur les questions qui avaient fait l'objet de leur propre engagement.

ASPECTS STRUCTURELS

Les fonctions inhérentes à la conduite d'une politique marine sont exercées par des organes dont les structures peuvent être extrêmement variées. Tout d'abord, on peut rappeler quelques considérations générales, la première visant la nécessité d'utiliser un système institutionnel rationnel, efficace et surtout adapté aux traditions et aux caractéristiques du pays. Tout Etat, quel que soit son niveau de développement et quel que soit son système économique (capitaliste, mixte ou à économie planifiée) ou politique (que le pouvoir soit concentré entre les mains d'une personnalité ou d'un groupe, ou partagé dans le cadre d'une démocratie parlementaire, ou autre forme), possède un certain nombre d'éléments institutionnels concernés par la politique marine.

Cette condition péremptoire n'infère cependant aucunement qu'il existe un «modèle» préétabli de système institutionnel. Certains principes s'appliquant aux structures institutionnelles demeurent immuables, mais leur mise en œuvre peut s'accommoder de différentes formes selon le niveau de développement, l'importance des espaces marins, les priorités d'action, les traditions bureaucratiques et les objectifs globaux de l'Etat qui désire établir et poursuivre une politique marine. Cela est particulièrement vrai pour les pays en développement, et de nombreux exemples illustrent les approches institutionnelles différentes adoptées par ces derniers pour répondre aux besoins qu'ils ont identifiés au cours des dernières années. Dans leur volonté d'adopter des politiques marines intégrées, les pays en développement ont parfois créé de nouvelles institutions. Dans d'autres cas, ils ont élargi les compétences d'institutions existantes ou encore restructuré certains organismes et réorganisé leurs attributions fonctionnelles. Il faut se souvenir que, lorsque l'on considère un système institutionnel pour la conduite d'une politique marine, on ne part jamais d'une situation vierge. Aussi réduites qu'elles soient dans certains cas, certaines structures préexistent.

Bien qu'encore une fois il soit vain de prétendre établir un modèle d'application universelle, on peut cependant concevoir certaines approches susceptibles d'être adaptées aux conditions propres à la majorité des pays en développement.

On peut éliminer la solution institutionnelle qui consisterait à créer un «super-organe» chargé des affaires océaniques dans leur ensemble. Compte tenu de la nécessité de séparer les fonctions de prise de décision de celles de planification et d'exécution et de la multiplicité des activités marines allant du secteur militaire au secteur économique et social en couvrant les aspects mésologiques et juridiques, il ne semble pas possible de concevoir un seul organe ayant un mandat aussi large et des connaissances et compétences aussi vastes. Même dans les cas où un ministère de la mer a été créé, celui-ci n'a reçu spécifiquement que certaines attributions sectorielles et, tout en assumant un rôle de promoteur et de coordonnateur, il n'a pas supplanté les responsabilités maritimes confiées à d'autres ministères. Il s'est en général appuyé sur des structures de coordination au niveau de la conception de la politique et de sa planification et a fait usage d'institutions et d'organismes d'exécution spécialisés. Dans de très nombreux cas, la décision d'adopter une politique marine intégrée s'est traduite par la restructuration de certaines institutions, afin de promouvoir l'intégration de certaines activités, et par l'établissement de systèmes d'information et de coordination à différents niveaux. L'aspect important qu'il faut souligner ici est la nécessité au niveau le plus élevé d'organiser la participation de tous ceux qui détiennent certaines responsabilités marines. Dans la plupart des cas, entre 5 et 15 ministères différents ont des responsabilités dans ces domaines, et la création d'un comité interministériel paraît une précondition à l'adoption d'une politique intégrée. C'est à ce niveau que les décisions politiques devront être prises au vu des arguments respectifs de chaque ministère. En cas de désaccord, le président du comité interministériel, qui peut être un ministre spécialisé ou le premier ministre ou encore le chef de l'Etat, devra arbitrer. Pour s'acquitter de sa tâche, un tel comité interministériel doit avoir une vue d'ensemble tant des activités marines en cours que des activités potentielles, ainsi que de leur interaction. Il s'ensuit qu'il devra être assisté par un organe technique multidisciplinaire chargé de rassembler et de regrouper les informations et les données provenant de sources sectorielles et d'en faire la synthèse. Un tel organe, qui pourrait se situer au sein d'institutions de planification, pourrait établir périodiquement un «livre bleu» des activités marines réalisées dans le pays, ainsi que des différentes options de développement qui pourraient lui être proposées par certains ministères. En s'appuyant sur le travail de cet organe préparatoire, le comité interministériel devrait être à même d'établir les directives de politique générale, de fixer les priorités et de déterminer les moyens d'exécution. Ces décisions générales seraient alors transmises pour planification détaillée aux organes compétents et devraient être mises en œuvre sous la responsabilité des ministères sectoriels appropriés qui utiliseraient les différentes institutions qui leur sont rattachées. Ces institutions elles-mêmes peuvent être à l'origine des informations recueillies aux fins de planification. Un flux constant s'établirait entre les organismes spécialisés dans certains secteurs marins et les organes de planification intégrée et de prise de décision au niveau ministériel. De façon très schématique et pour résumer les arrangements institutionnels susmentionnés, les grandes lignes d'une structure institutionnelle pour la conduite d'une politique marine intégrée comprendraient au moins deux niveaux horizontaux multisectoriels: le comité interministériel à caractère politique et les organes de préparation, de coordination, de planification et de contrôle (qui peuvent être séparés ou joints selon les cas) à caractère technique. En outre, il existerait une structure multiple verticale couvrant les ministères sectoriels et les organismes chargés d'entreprendre et surtout d'exécuter les programmes et les projets12. (Voir schéma.)

12 Dans le cas d'un Etat fédéral, les mêmes concepts demeurent valables à condition de tenir compte dans leur mise en œuvre de la répartition des compétences entre l'Etat fédéral et les Etats fédérés et des mécanismes additionnels créés afin d'harmoniser leurs activités respectives.

Le schéma ci-après, simplifié à l'extrême, semble pouvoir offrir la structure institutionnelle la plus souple et la plus abordable pour de nombreux pays en développement qui souffrent d'un manque de ressources financières, humaines et techniques, mais qui ont pris conscience de l'importance de promouvoir une politique marine intégrée. Bien entendu, ce schéma est susceptible de variantes au gré des besoins et des forces politiques internes. Ainsi, le rôle d'arbitre, au lieu d'être confié à un premier ministre, pourrait être attribué à un ministre spécialisé ou au ministre des affaires étrangères, qui présiderait le conseil interministériel. Ou encore ce conseil pourrait être doublé d'un comité consultatif des affaires de la mer qui réunirait les représentants de tous les secteurs actifs dans le domaine marin: universités, centres de recherche, industriels, professionnels de la mer, responsables de l'aménagement du littoral, de l'environnement marin, du tourisme côtier, etc. Ce comité pourrait être chargé de soumettre des propositions et de prendre l'initiative dans la formulation de la politique marine. Au niveau de l'information, de la coordination, de la planification et du contrôle, selon l'importance de la mer pour un pays en développement et selon ses traditions administratives, le nombre d'organes pourrait varier, allant d'un bureau central unique chargé de toutes ces fonctions à une série d'institutions distinctes placées sous contrôle administratif approprié.


Dans le cadre de l'exécution des projets, différentes approches peuvent également être utilisées. Cependant, quelles que soient les formes spécifiques adoptées, l'élément central devra consister en une vision intégrée et intersectorielle des questions marines, qui ne pourra être obtenue que par la constitution à un niveau relativement élevé dans la hiérarchie gouvernementale d'un ou de plusieurs organes qui seraient appelés à dépasser l'examen des différents secteurs marins individuellement pour les considérer dans une optique globale. Ces organes tiendraient compte des conflits et des complémentarités, seraient à même d'évaluer les coûts et les avantages de certaines alternatives et pourraient ainsi établir les composantes et les priorités de la politique marine nationale.

A ces remarques générales on peut ajouter que toute politique devra être énoncée clairement, afin d'être comprise par l'ensemble de la population et de bénéficier du soutien nécessaire à sa mise en œuvre. Il en sera ainsi en particulier lorsque son exécution requerra une participation multiple, soit dans le domaine organique (instituts de recherche, entreprises publiques ou privées), soit dans le domaine administratif (région, département, ville). Il sera essentiel d'assurer un flux constant d'information entre les différents niveaux institutionnels. Partant de la base (par exemple instituts de recherche ou universités), on devra s'assurer que toutes les informations parviendront au sommet (par exemple au centre de planification marine) et, à l'inverse, une fois la décision politique prise (par exemple par le comité interministériel), il faudra qu'elle soit expliquée et détaillée aux organes d'exécution sectoriels (par exemple un centre hydrographique).

Outre l'importance de l'élément «information», il faut souligner la difficulté de l'aspect «coordination». C'est sans doute dans ce domaine que de nombreux gouvernements ont rencontré le plus de difficultés. Pour qu'une coordination soit efficace, elle doit être acceptée et non imposée, c'est-à-dire qu'il faut que les institutions à coordonner aient le sentiment de bénéficier de cette coordination. Cela peut souvent être accompli en utilisant la valeur que représente l'information elle-même ou en attribuant des subventions. Dans la mesure où la coordination peut se fonder sur un échange d'information, de données et même parfois d'assistance dont tous sont susceptibles de bénéficier, elle sera couronnée de succès.

Finalement, le suivi et le contrôle de l'exécution de la politique doivent théoriquement, pour être objectifs et efficaces, être conduits par des organismes politiquement indépendants. En tout état de cause, ils ne peuvent être confiés aux organismes qui eux-mêmes exécutent les projets (on ne peut être juge et partie). De manière générale, de nombreux pays en développement ont adopté des approches institutionnelles conformes aux grandes lignes du schéma exposé. Dans la plupart des cas, ils ont restructuré des institutions existantes ou créé de nouvelles institutions. Ainsi, au Brésil, où il n'existe pas de ministère centralisant toutes les affaires de la mer, un comité interministériel (CIRM), créé en 1974, est chargé de coordonner le financement par l'Etat des sciences marines. En 1980, un décret a défini la politique nationale en matière de recherches marines et a énoncé des directives tendant à orienter davantage la science et la technique vers la mise en valeur des ressources marines. En mars 1983, une commission maritime nationale a été créée afin d'élargir encore plus les efforts déployés dans ce domaine. Sans vouloir multiplier les exemples et tout en rappelant qu'il n'existe pas de «modèle» absolu, les solutions particulières adoptées par deux pays en développement, l'Inde et Sri Lanka, peuvent être source d'inspiration pour d'autres pays et justifient une brève présentation.

EXEMPLES D'APPROCHES NATIONALES

Parmi les initiatives récentes les plus intéressantes, on se doit de signaler la création par l'Inde d'un service gouvernemental totalement nouveau placé sous l'autorité du premier ministre. La constitution du Département pour le développement des océans (Department of Ocean Development) par la notification présidentielle n° CD 800/81 en date du 24 juillet 1981 correspondait à une volonté déterminée de Mme Indira Gandhi de doter son pays de l'infrastructure nécessaire à la conduite d'une politique marine intégrée. Dès les années 70, l'Inde, qui exploitait intensément ses ressources halieutiques et énergétiques et consacrait des efforts considérables à l'acquisition de connaissances sur la mer et les fonds marins ainsi qu'à la construction de structures offshore, voulait se doter de structures institutionnelles efficaces. De très nombreux organismes, instituts, centres de recherche et universités travaillaient dans le domaine marin, et des structures bureaucratiques existaient au niveau des Etats aussi bien qu'au niveau central. C'est sur la base d'informations recueillies systématiquement auprès de ces institutions et de la tenue de réunions spécialisées traitant des perspectives d'avenir des différents secteurs marins que le gouvernement demanda à l'Indian Institute of Management (IIM) de préparer le cadre organisationnel et fonctionnel du nouveau Département pour le développement des océans (DOD).

LE DÉPARTEMENT POUR LE DÉVELOPPEMENT DES OCÉANS (INDE)

Objectifs. Les principaux objectifs du nouveau Département sont énoncés dans un document intitulé Ocean Policy Statement, qui a été discuté par les deux chambres du Parlement. Ces objectifs sont les suivants:

i) obtenir une connaissance suffisante des espaces marins indiens;

ii) mettre au point des techniques appropriées permettant de mettre en valeur les ressources marines (l'accent étant mis notamment sur l'évaluation des ressources) et de préserver l'environnement marin, ce qui suppose à la fois un développement des technologies locales et la capacité de négocier l'acquisition de techniques;

iii) mettre en place une infrastructure d'appui;

iv) établir un système efficace de gestion et de contrôle de l'ensemble de l'entreprise.

La réalisation de ces objectifs exige, pour le nouveau Département, la mise en place d'un système centralisé de données et de services de formation, de même que le renforcement et la coordination des organismes existants.

Fonctions. Le Département pour le développement des océans est responsable:

i) des questions intéressant les océans ne relevant pas spécifiquement de la responsabilité d'un autre département du ministère;

ii) des politiques à adopter en matière de coordination, de sécurité, de réglementation et de développement dans les espaces marins et portant notamment sur: la recherche (y compris la recherche fondamentale) et le développement des utilisations des espaces marins; le développement de la technologie; les études de prospection des ressources tant biologiques que non biologiques; la préservation, la conservation et la protection; le développement des compétences appropriées et la formation du personnel; la collaboration, y compris la collaboration technique; les lois touchant toutes les questions susmentionnées;

iii) de la Commission océanographique;

iv) de l'Association scientifique panindienne;

v) du Conseil des sciences et techniques marines.

Le Département pour le développement des océans doit également s'occuper des nouveaux programmes de mise en valeur des océans aux échelons tant national qu'international. Dans le cadre de ses fonctions, le Département a identifié sept domaines d'activité sur lesquels il ferait porter son attention: ressources biologiques; ressources non biologiques; gestion navale; planification de la main-d'œuvre; collaboration internationale et programme de l'Antarctique; rassemblement et diffusion de données; régime juridique.

Activités. L'une des premières tâches entreprises par le Département pour le développement des océans a consisté à établir le canevas d'un plan de travail dans le secteur marin. A cette fin, le Département a organisé une série de groupes d'étude portant sur différents aspects du développement des océans. Ce travail a mené à la définition tant de directives générales que de programmes.

Le Département a donné un appui prioritaire à deux grands programmes: le Programme de recherche sur l'Antarctique et le Programme de prospection de nodules polymétalliques dans l'océan Indien. Ainsi, il a organisé en 1981/82 et 1982/83 deux expéditions dans le sud de l'océan Indien et dans l'Antarctique, afin de rassembler des données scientifiques régionales, qui sont également utiles pour l'économie indienne. Le Programme de prospection de nodules polymétalliques s'inscrit dans le cadre du statut d'«investisseur pionnier», qui a été reconnu à l'Inde par la Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, compte tenu des investissements préparatoires effectués par ce pays dans les activités pionnières de prospection des nodules polymétalliques. Le projet indien doit avoir deux phases: la première doit permettre d'identifier des secteurs d'exploitation grâce à des études régionales, et la seconde doit tendre à l'intégration du système d'exploitation et des opérations pilotes effectivement réalisées. Les études prévues dans le cadre de la première phase sont en cours, le Département pour le développement des océans assurant la coordination des activités des institutions de recherche spécialisées du pays.

Indépendamment des deux grands programmes susmentionnés, le Département a lancé d'autres activités, dont une bonne part a pour but d'appuyer la réalisation des deux programmes principaux, et qui portent sur: l'acquisition de navires océanographiques; l'affrètement de navires; la formation de personnel; la création de nouveaux postes de scientifiques, de techniciens et d'agents d'appui dans les institutions s'occupant des affaires océaniques; enfin, la fourniture de servies d'appui aux autres programmes de recherche.

L'initiative prise par le Gouvernement indien constitue sans doute une des réponses les plus complètes au défi institutionnel posé par le besoin d'adopter une politique marine intégrée. Le Département pour le développement des océans a en effet établi un réseau de liaisons avec la quasi-totalité des institutions indiennes actives dans des questions marines, et, dans une liste annexée à son rapport annuel, le Département en mentionne plus d'une quarantaine, allant des laboratoires de la marine nationale à diverses universités, en passant par des services de météorologie ou de télédétection par satellite. Dès sa création, le Département organisa une série de six ateliers de travail consacrés à l'examen de divers aspects de la politique de développement marine. A ces réunions participèrent aussi bien des scientifiques que des techniciens ou des administrateurs et, à la suite de leur travail, le Département prépara une Déclaration de politique marine (Ocean Policy Statement), qui fut soumise aux deux chambres du Parlement indien et fit l'objet d'une discussion sérieuse. Enfin, le Département pour le développement des océans reçut une dotation financière importante, reflétant la priorité attachée par le Gouvernement indien à sa politique maritime.

Un certain nombre de facteurs expliquent le succès de l'initiative indienne. En premier lieu, il faut souligner l'approche systématique adoptée dans l'élaboration d'un document de politique marine. Ce document a été préparé sur la base d'une étude des divers secteurs marins. Il y a eu une participation active et générale des principaux intéressés aux affaires de la mer. L'administration indienne a poursuivi un effort constant d'explication dont le point culminant a été une discussion parlementaire. Le nouveau département a été créé de manière telle qu'il ne supplante aucune des institutions existantes. Au contraire, il renforce l'action de certaines d'entre elles, et son rôle de coordination et de promotion est reconnu et accepté compte tenu des retombées politiques que l'ensemble de la communauté marine escomptait retirer de son action. Son financement a été établi sur des bases solides lui permettant non seulement de promouvoir certains programmes dont il était seul maître d'œuvre, mais encore de financer l'activité d'institutions spécialisées. Finalement, l'élément le plus déterminant a peut-être été la volonté politique qui s'est manifestée et l'engagement personnel du premier ministre de l'époque, Mme Indira Gandhi. L'expérience semble montrer que le succès avec lequel un pays établit une politique marine dépend bien plus de la volonté politique au plus haut niveau que de la forme des structures institutionnelles adoptées.

A cet égard, on se doit de souligner l'importance fondamentale que revêt l'existence au sein d'un pays d'une «force politique» agissante permettant de promouvoir l'adoption d'une politique marine. Il en a été ainsi dans de nombreux pays en développement, et très souvent cette force politique a eu pour catalyseur l'assistance technique d'une ou de plusieurs organisations du système des Nations Unies.

Il serait hors de propos dans cet article de mentionner les nombreux projets du système des Nations Unies ayant contribué à l'adoption de programmes et de politiques marines par les pays en développement, mais il faut rappeler que, même dans ce cas, l'origine de l'initiative prise se trouve toujours au sein du pays concerné et que le type de structure institutionnelle dépend totalement de ses conditions nationales propres. Très peu de pays ont suivi une approche aussi radicale que celle adoptée par le Gouvernement indien. Au stade actuel, il semble qu'une majorité de pays en développement préfèrent procéder par création progressive ou élargissement des fonctions d'institutions marines et par établissement de mécanismes de coordination au niveau politique. Cette approche particulièrement flexible semble plus facile à adopter pour beaucoup de gouvernements. Un exemple particulièrement réussi peut être trouvé dans la création par Sri Lanka de l'Agence nationale des ressources aquatiques (NARA).

L'AGENCE NATIONALE DES RESSOURCES AQUATIQUES (SRI LANKA)

En dépit de son insularité, Sri Lanka ne possède pas de longue tradition maritime. L'intérêt suscité par les mers adjacentes a pendant fort longtemps été limité à la pêche artisanale. Selon les termes mêmes du président de l'Agence nationale des ressources aquatiques: «Les droits reconnus sur de vastes zones maritimes dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer ont posé un défi: les institutions maritimes et les moyens nationaux de Sri Lanka étaient soit inexistants soit insuffisants pour lui permettre d'assurer la responsabilité de ses zones maritimes et de les contrôler. Pour résoudre le problème il a fallu adopter une approche pluridisciplinaire...»13. Tel a été le point de départ du concept de gestion des ressources «aquatiques». L'Agence nationale des ressources aquatiques a été créée par une loi de 1981 en tant que «principale institution nationale chargée de s'occuper de toutes les ressources biologiques des zones maritimes». Par la même loi, le gouvernement a créé un organe consultatif intitulé «Conseil national pour la gestion des ressources aquatiques».

13 Les informations concernant Sri Lanka sont extraites d'une étude préparée par M. Hiran Jayawardene, Président de la NARA, pour un groupe d'experts sur les aspects institutionnels du développement des ressources marines. Document des Nations Unies: ST/ESA/144, juillet 1984.

Conformément à cette loi, la structure actuelle des organismes marins à Sri Lanka comporte trois principaux éléments. Il y a d'abord le Comité ministériel des affaires marines, qui comprend le Sous-Comité des affaires économiques du Cabinet (qui existait déjà) et le Ministère des pêcheries. Ce comité est responsable de la formulation de la politique nationale.

Il y a ensuite le Conseil national pour la gestion des ressources aquatiques, qui comprend des représentants de différents organismes gouvernementaux s'occupant des affaires marines. Le Conseil donne des avis au Ministre des pêcheries pour toutes les questions liées à la gestion des ressources aquatiques.

La NARA est chargée de l'application des compétences scientifiques et techniques, de la réalisation du programme national de développement des ressources aquatiques et de la promotion des activités de recherche connexes. Cet organisme est également responsable de la coordination des activités liées aux océans, de la diffusion de l'information et de la formation.

Comme le Département pour le développement des océans ou la NOAA des Etats-Unis, la NARA se distingue des autres institutions marines nationales par deux caractéristiques: premièrement, elle s'inscrit dans le cadre des préoccupations relatives aux «pêcheries», à la fois pour des raisons historiques et pour des raisons de compétence; deuxièmement, dans ses opérations, elle joue un rôle directeur plutôt qu'un rôle de coordination, étant donné qu'il n'existe pas d'autres centres scientifiques et techniques marins, tandis qu'il en existe aux Etats-Unis et en Inde.

Le principal problème, lorsque la nouvelle institution est devenue opérationnelle, a été l'absence de personnel spécialisé pouvant à la fois définir une politique marine générale et gérer comme il convient des domaines spécifiques comme l'océanographie et la technologie marine.

Les activités actuellement réalisées par la NARA tendent à mettre en place les dispositions appropriées pour la formation du personnel chargé de réaliser les programmes de coopération, pour la conduite des activités en mer et pour la création de plusieurs stations de recherches marines. La création d'un centre de données et d'un système d'information ainsi que le développement des instituts de recherches océanographiques reçoivent la priorité dans le cadre d'un projet financé par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

Le coût de la recherche scientifique marine et de l'acquisition de données océanographiques de base dépasse souvent les moyens financiers d'un pays en développement. Sri Lanka pourrait financer son programme marin au moyen de trois types d'arrangements: dans le cadre du programme national du PNUD et grâce à un soutien d'autres organismes internationaux ou à un soutien bilatéral; au moyen d'accords de «jumelage» avec des institutions analogues, particulièrement d'autres instituts océanographiques; et enfin dans le cadre de programmes régionaux et mondiaux appropriés.

Grâce à l'assistance externe qui lui a été fournie et aux efforts nationaux considérables, après quelques années d'existence, la NARA est à présent à même de remplir les fonctions nationales qui lui avaient été assignées.

L'Agence est composée d'un certain nombre de divisions placées sous la direction d'un directeur général, qui dépend lui-même d'un conseil de direction. Le ministre des pêches est ministre de tutelle de l'Agence mais répond de ses actions à un conseil interministériel qui, en dernière analyse, peut soumettre ses délibérations à l'arbitrage du président de l'Etat. Un conseil consultatif (Management Council) a été créé (voir l'organigramme de la NARA).

Il est intéressant de noter que, contrairement à l'Inde qui a mis sur pied son infrastructure marine en mobilisant des ressources nationales, Sri Lanka, pour des raisons économiques, a fait appel à des facilités offertes par le système des Nations Unies.

Si nous mentionnons cet aspect c'est, d'une part, qu'il peut offrir un exemple de voie à suivre par de nombreux pays en développement qui voudraient s'adresser à des organismes internationaux d'assistance et, d'autre part, parce qu'il a directement impliqué l'action de Jean Carroz, Sous-Directeur général de la FAO, à la mémoire de qui cet article est dédié. C'est sous sa direction qu'une mission interdisciplinaire s'est mise à la disposition du Gouvernement de Sri Lanka afin de contribuer à réunir les éléments de sa politique marine. La participation à cette mission de fonctionnaires de différentes institutions du système des Nations Unies correspondait à l'approche intégrée que le Gouvernement de Sri Lanka entendait poursuivre14.

14 Au cours de sa mission, Jean Carroz fut accompagné par le Secrétaire de la Commission océanographique intergouvernementale (COI), M. Mario Ruivo, et par l'auteur de cet article.

De nombreux autres pays en développement ont su faire appel au système des Nations Unies dans l'établissement et la poursuite de leur politique marine. La plupart du temps, cette assistance internationale a pris la forme de projets spécifiques qui ont été intégrés dans l'oeuvre de planification générale du développement économique du pays. Les types de projets ont été extrêmement variés - allant de projets sectoriels, tels que le développement des pêcheries, l'aménagement d'un port ou la formation de spécialistes dans certaines disciplines marines (et dans ce cas l'assistance fournie ne représentait qu'un apport limité à la conduite d'une politique marine intégrée), jusqu'à la création d'un organisme maritime national à caractère multidisciplinaire servant de force motrice à cette politique. Cependant, il serait faux de penser qu'une politique marine puisse être définie et menée grâce à des projets spécifiques. Ceux-ci ne peuvent que combler certaines lacunes existantes et ne peuvent en aucune manière se substituer à la volonté politique et à la prise de décision au plus haut niveau, compte tenu des intérêts multiples et souvent conflictuels qui existent dans les activités marines.

CONCLUSIONS

Malgré la complexité des politiques marines intégrées et les difficultés inhérentes à leur conception et à leur mise en œuvre, la plupart des pays en développement ont adopté de telles politiques ou sont en voie d'en adopter. Certes, les niveaux d'intégration demeurent variables, mais la compréhension du caractère multidisciplinaire de la «dimension marine» est générale. Cette prise de conscience des relations étroites, complémentaires ou conflictuelles existant entre les différentes activités marines ne se traduit malheureusement pas toujours en une approche intégrée. Trop souvent, il existe un écart entre l'acceptation conceptuelle et la mise en œuvre pratique. Cela peut provenir de différents facteurs. Dans certains cas, assez rares heureusement, le pays en développement souffre d'une carence totale de moyens, ce qui le pousse à développer de façon totalement sectorielle le seul domaine de priorité susceptible de lui procurer un bénéfice économique immédiat. Dans la majorité des cas, toutefois, ce sont les résistances inhérentes à la pesanteur bureaucratique, aux traditions et aux avantages acquis, ainsi que les plus grandes difficultés de mise en œuvre, qui restreignent les programmes intégrés.

Il est évidemment beaucoup plus complexe de tenir compte de très nombreux aspects que d'envisager un projet sur la base d'un seul critère, par exemple son impact politique, social ou économique, sans tenter de l'intégrer à d'autres projets marins. Cependant, compte tenu des avantages considérables qui découlent d'une prise en compte de toutes les interactions et d'une vision globale des activités marines, on ne peut que recommander à ceux qui détiennent le pouvoir politique de consacrer les efforts nécessaires à l'établissement des rouages institutionnels et à l'adoption du cadre législatif et administratif qui leur permettront de conduire, à défaut d'une politique marine intégrée «globale», à tout le moins une politique marine qui s'appuie sur une reconnaissance des interactions et des relations étroites existant entre ses différentes composantes. Une prise en compte même limitée des impacts, conflits, complémentarités et priorités relatives permettra aux pays en développement de maximiser les bénéfices qu'ils pourront tirer des espaces marins et de leurs ressources, tout en mobilisant de la façon la plus efficace le capital financier, humain ou technique souvent limité qui est à leur disposition.

C'est à cet ultime objectif que Jean Carroz a consacré sa vie professionnelle, et les progrès accomplis dans tous les pays qui ont bénéficié de son apport témoignent de l'importance du rôle qu'il a joué.

La poursuite des initiatives qu'il a prises et leur pleine réalisation dans le cadre de politiques nationales, telles que brièvement illustrées dans cet article, assureront sans aucun doute la pérennité de ses idées et la reconnaissance de la valeur de son apport.


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