par
M. CORBASSON et O. SOUVANNAVONG
Division Matériel Végétal - CTFT
45 bis, Avenue de la Belle Gabrielle
94736 Nogent-sur-Marne Cedex, France
AIRE NATURELLE ET PRINCIPALES CARACTERISTIQUES DE L'ESPECE 1
Terminalia superba est une essence de bois d'oeuvre de première grandeur de la forêt dense humide de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique Centrale, appartenant à la famille des Combretacées.
Son très vaste aire naturelle s'étend depuis la Sierra Leone et la Guinée à l'Ouest jusqu'à la Centrafrique à l'Est. Elle descend jusqu'au Sud de l'Equateur pour atteindre le Cabinda et le Zaïre au Nord-Ouest de l'Angola. La partie Sud qui intéresse le Congo, le Cabinda en Angola et le Zaïre se trouve séparée du reste de l'aire par le massif forestier du Gabon et les zones de savane des plateaux Batékés au Congo. On rencontre Terminalia superba depuis le niveau de la mer jusqu'à une altitude d'environ 1 000 m. C'est une espèce grégaire, héliophile de forêt semi-décidue à climat présentant une pluviométrie moyenne annuelle supérieure à 1 500 mm et une saison sèche inférieure à 4 mois. Cependant, on peut la trouver également dans des zones plus sèches. Mais elle se trouve alors cantonnée dans les galeries forestières. On la rencontre également parfois sous des climats à saison sèche de durée inférieure à deux mois. C'est cependant une essence exigeante en eau qui supporte mal les périodes de grande sécheresse mais tolère une gamme assez variée de sols.
Carte 1. Aire Naturelle de Distribution du Terminalia superba
Source: Corbasson, M. 1986 Limba, p. 184. In: Amélioration génétique des arbres forestiers. Revue forestière Française 38.
Le bois de Terminalia superba présente d'excellentes qualités, blanc crème, tendre à mi-dur, léger, peu nerveux, de sciage et d'usinage aisés, facile à peindre et à vernir. Il convient à de nombreux usages et est très utilisé (menuiserie intérieure, ou extérieure après traitement de protection, contreplaqué). Les bois provenant du Nord de l'aire (appellation Fraké en Côte d'Ivoire, White afara en pays anglophones, Akom au Cameroun) sont moins cotés, car assez souvent d'aspect déprécié par de fines piqûres internes, que ceux provenant du Sud de l'aire (appellation Limba du Congo et du Zaïre). Il a représenté une part très importante du commerce du bois du Congo jusque dans les années 1960 lorsque les peuplements du Sud-Congo se sont trouvés progressivement en voie d'épuisement.
NECESSITE DE L'AMELIORATION GENETIQUE
Les plantations de Terminalia superba ont débuté relativement tôt au Congo (6 500 ha entre 1949 et 1960) et au Zaïre (7 500 ha plantés en 1958).
Des plantations à grande échelle sont également réalisées en Côte d'Ivoire depuis 1972. Le rythme a été intensifié à partir de 1978 par l'utilisation de moyens mécanisés pour atteindre 2 000 à 3 000 ha par an.
Ces plantations ont jusqu'à maintenant été réalisées à partir de graines récoltées localement, les seules opérations d'amélioration ayant consisté, dans la mesure des fructifications disponibles, à opérer un certain choix parmi les semenciers.
L'utilisation de matériel végétal amélioré génétiquement apparaît de plus en plus comme une nécessité dans les pays où les plantations de Terminalia superba pour la production de bois d'oeuvre sont importants.
Cette orientation s'inscrit dans le contexte d'une sylviculture intensive visant à la fois la qualité des produits, le racourcissement des cycles de production, la réduction de la durée et de l'importance des opérations d'initiation des plantations.
Cette démarche d'intensification s'avère l'un des moyens nécessaires pour assurer à terme le maintien et le développement des ressources en bois d'oeuvre de nombreux pays tropicaux humides confrontés à un appauvrissement en qualité de leurs forêts et à des besoins importants en terre pour l'agriculture.
La stratégie d'amélioration génétique engagée par le CTFT est basée sur les quatre axes suivants:
EXPLOITATION DE LA VARIABILITE INTERPROVENANCE
Dans les années 1960, quelques essais mettant en comparaison divers provenances du Nord et du Sud de l'aire ont été réalisés. Le plus important d'entre eux est celui établi en 1969 en Côte d'Ivoire qui comparait 17 provenances selon un dispositif statistique. En dépit des difficultés rencontrées pour la mise en place de tels essais en forêt dense, dues notamment aux conditions d'hétérogénéité du milieu d'évaluation malaisée et de l'échantillonnage parfois insuffisant, ces premiers essais ont mis en évidence des différences significatives entre provenances pour les caractères en vigueur et de rapidité de croissance. Notamment dans tous les essais, les provenances “Limba” du Sud de l'aire se sont montrées de médiocre valeur pour ce qui est de la vitesse de croissance. On a noté également une grande variabilité individuelle des performances à l'intérieur des provenances.
Un important programme d'exploration dans l'aire naturelle et de récolte de provenances a été engagé à partir de la fin de l'année 1981. Exécuté sous la responsabilité du CTFT (M. Cossalter) et avec la collaboration des organismes nationaux correspondants, il a concerné la Côte d'Ivoire (14 provenances), le Congo (7 provenances), le Cameroun (4 provenances), la Centrafrique (4 provenances). Une provenance ex situ du Burundi dont l'origine correspond au Mayombe zaïrois a également été récoltée.
30 lots de provenances regroupant au total 362 descendances sont aussi disponibles pour l'organisation des essais internationaux de provenances 1.
En principe, sauf exception, on a récolté sur des arbres distants de plusieurs centaines de mètres, de forme convenable, sans pour autant avoir toujours sélectionné uniquement des individus exceptionnels. Chaque arbre fait l'objet d'une identification et d'une description précise. L'identité du lot de graines issues de chacun des semenciers est conservée tout au long de la chaîne de traitement, allant de la récolte à la constitution des lots “provenances”.
L'expérience a confirmé combien il est essentiel, pour obtenir en fin d'opération des taux de germination élevés, que les lots de graines récoltées fassent l'objet de soins convenables dès le moment de la récolte. Si ces conditions sont remplies, les contrôles effectués montrent que les graines de bonne qualité au départ se conservent très convenablement à la température de 4° centigrade, à condition que l'on puisse maintenir un taux d'humidité réduit (emballages étanches, chambre à humidité contrôlée).
Dès 1982, les premiers dispositifs expérimentaux ont été mis en place en Côte d'Ivoire. Ils ont intéressé alors uniquement les provenances ivoiriennes car ce pays qui était engagé dans un programme important de plantations industrielles, basé à l'époque essentiellement sur Terminalia superba, souhaitait pouvoir rapidement disposer de résultats lui permettant d'utiliser au mieux les ressources génétiques nationales.
EXPLOITATION DE LA VARIABILITE INDIVIDUELLE ET PROPAGATION VEGETATIVE
On cherche à exploiter la variabilité individuelle existante en mettant en oeuvre deux voies utilisant toutes les deux la multiplication végétative et le bouturage à la fois comme outil d'évaluation des individus à sélectionner pour la constitution d'une variété multiclonale et comme procédé de diffusion rapide de clones sélectionnés.
Au Congo: la première action a été engagée à partir de 1974. Elle a consisté à explorer les peuplements naturels du Sud Congo: 1 000 arbres adultes (100 par provenance), 10 provenances ont été présélectionnées sur leur aspect général et sur des caractères importants pour ce qui concerne la qualité du bois et généralement assez héritables d'après ce que l'on sait chez les espèces forestières (forme du tronc, branchaison, élagage naturel).
Une sélection secondaire de 100 arbres parmi les 1 000 retenus à l'origine (10 par provenance) a été effectuée en faisant un contrôle de la vitesse de croissance des arbres présélectionnés par sondage à la tarière de PRESSLER (les cernes d'accroissement sont annuels chez le Limba).
La mobilisation du matériel sélectionné a consisté à récolter à la carabine des greffons devant constituer les 100 têtes de clones retenus, à les greffer en parc à clones, à bouturer en cascade le matériel ainsi sélectionné pour obtenir une réjuvénilisation satisfaisant.
L'installation des tests clonaux confirmant la valeur réelle des clones permet ensuite une sélection définitive.
Les clones finalement retenus sont ensuite multipliés en grand pour diffusion. Cette voie a l'avantage de la rapidité. Elle a de bonnes chances d'être efficace pour ce qui concerne les critères de forme. La sélection phénotypique risque cependant de ne pas être totalement efficace pour ce qui concerne la vitesse de croissance, etant donné les conditions d'environnement très variables qui caracterisent les peuplements naturels.
En Côte d'Ivoire la voie suivie à partir de 1982 a consisté à pratiquer des selections à un stade précoce (jeune plant issu de semis), dans la F1 (10 plants selectionnés par descendance) d'une population d'amélioration à large base génétique.
La multiplication par bouturage est utilisée pour:
Celle voie évite les aléas de la sélection phénotypique en forêt naturelle et la difficulté de réjuvénilisation d'arbres matures, mais son efficacité reste en définitive conditionnée par le niveau des corrélations juvénile-adulte que l'on peut espérer chez Terminalia superba.
CONSERVATION DES RESSOURCES GENETIQUES - TRAVAUX REALISES
La conservation des ressources génétiques de cette espèce pose des problèmes particulièrement aigüs dans les pays où les besoins en terre pour l'agriculture sont pressants par exemple au Bénin ou au Nigéria, ou dans les zones où l'exploitation de la forêt naturelle est intense comme en Côte d'Ivoire.
Dans ce dernier pays, le Centre Technique Forestier Tropical de Côte d'Ivoire et la Société pour le Développement des Plantations Forestières (SODEFOR), organisme national chargé des plantations industrielles de bois d'oeuvre ont saisi l'occasion que présentait l'organisation des campagnes de récoltes de graines destinées aux programmes d'amélioration génétique et d'essais internationaux de provenances, pour établir à partir de la moitié des graines récoltées en Côte d'Ivoire, un millier d'hectares de parcelles conservatoires de provenances dans quatre localisations différentes. Dans ces dispositifs, les descendances correspondant à une même provenance sont mélangées, l'identité de chaque provenance installée séparément étant bien entendu conservée.
En Côte d'Ivoire également un programme de conservation et d'aménagement de forêts classées est en cours de développement et devrait contribuer à la conservation des ressources génétiques de l'espèce.
Sur un autre plan, des recherches sont également entreprises dans un laboratoire du Centre National de la Recherche Scientifique français associé au CTFT (POVAR) pour la mise au point de techniques de conservation à long terme des graines de Terminalia superba par cryoconservation et lyophilisation: les résultats obtenus s'avèrent déjà positifs et la méthode paraît susceptible d'applications pratiques dans le cas de matériel végétal particulièrement rare ou précieux à conserver sur une longue période.
AUTRES TRAVAUX DE RECHERCHE ENGAGES SUR TERMINALIA SUPERBA
Au delà des essais de provenances et utilisant les possibilités offertes par les collections de semences réunies, un ensemble de travaux de recherche concernant la variabilité naturelle et la reproduction du Terminalia sont menés en zone tropicale et en France.
Citons parmi les travaux en cours ceux concernant:
L'étude par électrophorèse des protéines enzymatiques du Terminalia superba qui a déjà apporté des données partielles intéressantes concernant la variabilité dans l'aire naturelle de répartition de l'espèce, la structure génétique des populations échantillonnées lors des récoltes de graines pour essais internationaux de provenances, les distances entre provenances (ainsi par exemple le polymorphisme enzymatique des provenances ivoiriennes est beaucoup plus important que dans celles du Congo), l'éventualité d'obtention d'effet d'hétérosis par croisement entre provenances, la distribution de la variabilité. On retrouve dans les provenances étudiées du Cameroun et de Centrafrique tous les allèles présents dans le matériel Côte d'Ivoire et le matériel Congo, ce qui pourrait laisser supposer que là se trouve l'origine de l'espèce.
Les premiers dispositifs de terrain en place en Côte d'Ivoire qui devraient fournir à plus ou moins long terme des informations préliminaires sur la variabilité au niveau interprovenance des provenances ivoiriennes, ainsi qu'au niveau famille de demi-frères, sur la corrélation juvénile-adulte, sur l'efficacité de certains tests de sélection précoce, sur les performances à attendre de premiers vergers à graines de clones installés.
L'optimisation des techniques de multiplication végétative: bouturage utilisable pour la diffusion de clones sélectionnés, greffage, culture in vitro utilisable comme outil pour la récupération de génotypes intéressants (indépendamment des possibilités qu'offre la récolte des graines), pour la réjuvénilisation de têtes de clone à multiplier par bouturage et éventuellement si la méthjode s'avère performante pour la multiplication à grande échelle de clones.
La biologie florale, la phénologie du Terminalia superba, la sexualisation des bourgeons, la possibilité de réaliser des croisements contrôlés, font également l'objet de recherches.
Les études sur la morphogénèse et la croissance en condition strictement contrôlée menées au phytotron du CNRS ont des objectifs divers:
comprendre les modalités et le déterminisme de la croissance de Terminalia superba;
établir les conditions de milieu les plus favorables;
étudier les phénomènes de corrélations susceptibles d'intervenir au niveau du développement;
explorer les possibilités de détermination d'éventuelles critères de sélection précoce;
et enfin, aborder le problème du déterminisme de la foraison, des modalités d'induction de cette floraison en conditions artificielles en vue de surmonter l'obstacle que constitue pour les programmes d'amélioration, la longue phase juvénile précédent la mise à fleur.
Si certaines de ces études ont un caractère prospectif, d'autres conduisent à des applications déjà importantes.
Récolte de graines de Terminalia superba, Côte d'Ivoire 1981
(Photo: C. Cossalter)
1 Voir l'encadré, page 34, à propos de l'étude sur la variabilité génétique de Terminalia superba