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DEUXIEME PARTIE - ANALYSE D'IMPACT SUR LES POPULATIONS DES PROJETS FORESTIERS


Ce qui a donné une forte impulsion à la nouvelle génération de projets forestiers, ce sont les préoccupations croissantes des pays en développement, des organismes donateurs et des ONG quant aux impacts sur l'environnement, aux inégalités dans la distribution des avantages et au caractère éphémère des impacts positifs liés à de nombreux types conventionnels de projets forestiers. La reconnaissance des liens étroits qui existent entre la foresterie et d'autres secteurs a aussi joué un rôle dans la façon dont la nouvelle génération de projets forestiers a pris forme dans la pratique.

Avec l'introduction d'un nombre croissant d'objectifs sociaux et écologiques importants et compte tenu de la place plus grande faite aux utilisations non commerciales des forêts et des arbres, de nouvelles stratégies et approches sont nécessaires pour analyser les impacts potentiels et réels des projets forestiers. De nouvelles questions doivent être posées et de nouveaux instruments mis au point et utilisés pour y répondre. Les planificateurs de projets et les décideurs ont besoin d'évaluations à chaque étape du développement des projets pour pouvoir prendre des décisions concernant l'investissement des ressources, les modifications à apporter à l'orientation des projets et les politiques requises à l'appui des activités du secteur forestier.

Des évaluations d'impact plus réalistes sont aussi nécessaires pour justifier les investissements dans la nouvelle génération de projets forestiers. Autrefois, quand on investissait surtout dans des projets de foresterie industrielle et commerciale, les décideurs voyaient beaucoup plus clairement la nature des avantages et des coûts - étant donné qu'il s'agissait de produits commerciaux ayant une valeur marchande et que la plupart des coûts étaient exprimés en prix du marché. Avec la nouvelle génération de projets forestiers, les groupes politiques intéressés se sont considérablement élargis et une gamme plus vaste d'impacts suscite des préoccupations. Les administrateurs de terres forestières doivent être en mesure de communiquer efficacement avec ceux qui prennent des décisions concernant les investissements et les allocations de fonds.

Les liens entre la communication efficace des impacts potentiels du développement forestier et les types de problèmes institutionnels mentionnés dans la section précédente sont directs et souvent complexes et sont aussi décisifs pour déterminer si l'on doit créer les ressources nécessaires pour que le secteur forestier puisse contribuer au développement durable.

Grâce aux activités concrètes d'évaluation et de communication, les principaux décideurs au sein des gouvernements peuvent prendre conscience du rôle que la foresterie peut avoir ou a réellement eu par la passé. Pour développer ce type de communication, il est nécessaire de souligner les liens entre la communication du sommet à la base et de la base au sommet, ainsi que les liens entre la foresterie et les populations et non pas seulement entre la foresterie et la création de revenus, tout aussi importants qu'ils soient. Il importe également d'éviter de privilégier les objectifs matériels et de s'attacher à des objectifs qui répondent mieux aux besoins effectifs des populations.

Ce type de communication doit s'appuyer sur autre chose que sur des velléités ou de simples suppositions. Ainsi, pour recueillir les informations nécessaires à cette fin, il faut tout d'abord analyser les impacts des activités forestières passées; s'interroger systématiquement sur l'impact des nouveaux projets et investissements forestiers; enfin, acquérir de l'expérience et tenir compte de celle d'autres pays semblables.

Les messages adressés aux décideurs doivent souligner les besoins et problèmes institutionnels ci-après qui, dans la majorité des pays, ont une certaine pertinence:

A propos des besoins ci-dessus, il est indispensable de faire comprendre aux décideurs politiques les effets positifs que leur satisfaction peut avoir et a déjà eus. C'est là qu'intervient l'évaluation d'impact qui fait l'objet de la deuxième partie.

La deuxième Partie porte sur l'évaluation d'impact et les questions fondamentales auxquelles il faut répondre à ce propos au cours de l'élaboration et de l'exécution des projets. L'accent est mis sur les aspects qui intéressent en particulier la nouvelle génération de projets forestiers.

Les évaluations d'impact ont pour but principal d'identifier et d'analyser les changements qui ont lieu dans les conditions de vie des populations concernées directement ou indirectement par le projet. Afin d'atteindre cet objectif, il faut:

Ces quatre éléments font l'objet du chapitre 4. Le chapitre 5 examine ensuite certains problèmes stratégiques et opérationnels liés à la conception et à l'élaboration d'une approche efficace permettant d'analyser les impacts aux divers stades de développement des projets.

4. Comment identifier les questions fondamentales relatives aux impacts des projets sur les populations

Pour analyser les impacts (potentiels ou réels) des projets forestiers de la nouvelle génération, il est indispensable d'identifier tout d'abord clairement les diverses populations touchées, les principaux impacts sur elles et les questions prioritaires à ce sujet auxquelles l'évaluation doit répondre.

Identification des populations participant à un projet ou touchées par lui

Les décisions prises par différentes personnes concernant leur participation à un projet sont fonction de leurs intérêts et objectifs ainsi que de leur compréhension de l'impact qu'il aura sur elles. Afin d'atteindre les impacts souhaités et d'atténuer les conflits qui pourraient surgir dans le cadre d'un projet, il convient d'identifier les principaux groupes intéressés ayant des vues ou des programmes d'action différents et de tenir compte de leurs intérêts. La figure 5.1 fait ressortir les buts fondamentaux que poursuivent les principaux acteurs participant à un projet et leur influence probable sur le projet. Il importe de savoir que des programmes d'action divergents peuvent produire de graves conflits qui risquent de détourner le projet de ses objectifs déclarés. L'examen initial des conflits potentiels peut déboucher sur un débat explicite quant à la façon de les éliminer. Cette compréhension est déjà un grand pas en avant - surtout lorsque l'on reconnaît que les activités de développement ont le plus souvent de fortes implications politiques aux niveaux macro et micro. Indépendamment de l'identification des groupes et de leurs intérêts, il faut tout mettre en oeuvre pour associer les représentants des groupes à la conception des évaluations de façon à pouvoir en utiliser efficacement les résultats (Patton, 1986; Weirs et Bucuvalas, 1980).

Groupe

Programme d'action

Influence sur le projet

Organisme donateur

Crédits prévus pour des activités de développement conformes aux directives de fond et aux règles de procédure

Des plans détaillés seront rédigés pour obtenir approbation; par conséquent, d'éventuels problèmes d'exécution seront dissimulés

Ministère national

Cherche à maximiser le contrôle sur les ressources et la façon dont elles sont utilisées

Faible participation locale à la prise de décisions; faible soutien des organismes publics directement responsables de l'exécution du projet

Politiciens de niveau inférieur

Désirent s'attribuer le mérite du projet et s'assurer que la structure existante du pouvoir demeure en place

La répartition des avantages du projet reflètera les désirs de la structure du pouvoir existant

Personnel chargé du projet

Désire faire carrière, et avoir une qualité de vie que ne peut offrir le monde rural

Rotation rapide du personnel et absentéisme qui réduisent l'efficacité des efforts de renforcement des capacités et compromettent la permanence des avantages du projet

Bénéficiaires désignés

Moyens d'existence sûrs; peur des risques; liberté d'accepter, d'adapter ou de rejeter les interventions

Attentisme; besoin de souplesse; sous-estimation du facteur temps

Autres membres de la population locale

Activités et avantages du projet vus comme une menace ou un objet d'envie; formes quotidiennes de résistance paysanne

Retards ultérieurs dans la réalisation des objectifs du projet

Source: Tiré de Morss et Honadle 1985: 205-206.

Dans la nouvelle génération de projets forestiers, la participation des populations locales, par exemple populations autochtones et ruraux pauvres, est un facteur fondamental. En outre, on est plus sensible à ceux qui peuvent être touchés négativement ou positivement par des retombées écologiques ou des impacts externes, par exemple, la population mondiale au sens large affectée par le déboisement ou la perte de biodiversité ou les utilisateurs des terres en aval touchés par les modifications de l'exploitation des terres en amont. Les décideurs doivent se soucier de toute une série d'impacts écologiques, sociaux, économiques, financiers et institutionnels que les projets forestiers de la nouvelle génération peuvent avoir sur les populations (voir encadré 4.1).

Encadré 4.1. Groupes d'intérêts dans le cas d'un projet intéressant les forêts naturelles.

Dans le cas d'un projet qui entraînerait des modifications dans l'utilisation d'une forêt naturelle, nous pouvons identifier quatre groupes au moins qui ont des vues divergentes quant aux impacts potentiels et aux valeurs gagnées ou perdues. Ces groupes sont les suivants:

1. Les groupes ayant des intérêts commerciaux dans des parties ou des aspects spécifiques de la forêt. Ces groupes manifestent de l'intérêt pour les valeurs marchandes liées à l'exploitation de certaines parties de la forêt.

2. Les habitants locaux de la forêt qui songent aux valeurs de subsistance/survie. Ces groupes s'intéressent à la forêt qui est leur milieu naturel et leur assure des moyens d'existence.

3. Les groupes écologiques. Ces groupes s'intéressent à tous les biens et services écologiques que fournit et peut fournir la forêt de façon durable, y compris les valeurs pédagogiques et spirituelles liées à la conservation des forêts. Ils s'intéressent à la forêt globalement et non pas à des fins de consommation.

4. Les agriculteurs qui pratiquent la culture sur brûlis, les éleveurs et autres qui s'intéressent aux terres sur lesquelles poussent la forêt. Ce groupe attribue une valeur négative à la forêt elle-même, c'est-à-dire qu'il voudrait qu'elle soit défrichée et disparaisse. Pour eux, la forêt n'est qu'un obstacle: la conserver entraîne des coûts; elle abrite des animaux dangereux. On y trouve des animaux et des insectes qui attaquent les cultures avoisinantes; elle entrave les déplacements et la construction de routes; elle fait obstacle au progrès de l'agriculture et de l'élevage extensif. Du point de vue de ce groupe, la forêt qui s'élève sur les terres qu'il convoite a une valeur négative au moins égale au coût de son défrichement. Cela dit, il faut également souligner le fait que la forêt a une valeur positive pour la culture itinérante sur brûlis avec jachère forestière, dans la mesure où elle reconstitue les éléments nutritifs du sol. Nous reviendrons plus loin sur ces types de valeurs “cachées”.

Comment identifier les impacts des projets sur le bien-être des populations

Les projets forestiers de la nouvelle génération, tout comme les grandes activités forestières industrielles traditionnelles, provoquent des changements physiques, par exemple modification des forêts existantes, création de nouvelles forêts (plantations), variations des taux d'érosion, possibilités d'emploi accrues pour les populations, hausse de la productivité et modification des systèmes d'exploitation (par exemple grâce à l'adoption de technologies agroforestières). Lorsque ces changements concernent l'environnement naturel, nous parlons d'ordinaire d'effets écologiques.

Ces changements physiques/écologiques ont à leur tour des impacts sociaux et économiques sur les populations. On ne saurait assez insister sur ce point: pour que les changements ou impacts fondamentaux d'ordre physique/écologique aient un sens pour la plupart des décideurs, il faut les traduire en termes sociaux et économiques, c'est-à-dire du point de vue des effets sur le bien-être des populations. Cela n'atténue pas l'importance décisive qu'il faut accorder aux effets fondamentaux physiques et biologiques des projets. Toutefois, lorsque les décideurs comparent entre elles les diverses utilisations possibles de ressources peu abondantes, il comparent d'ordinaire les effets sur les populations, ou l'amélioration du bien-être des groupes cibles qui peut être obtenue grâce à des investissements de ressources alternatifs. Ils doivent examiner les impacts physiques/écologiques en fonction des effets sur les populations. Il importe de trouver des solutions aux problèmes d'impacts écologiques avant d'analyser les impacts sur les populations, car ceux-ci sont, dans la plupart des cas, le résultat direct de ceux-là.

Le processus de décision a négligé bon nombre des impacts positifs que peuvent avoir une gestion rationnelle des forêts et l'agroforesterie sur l'environnement, car ils n'ont pas été traduits en valeurs économiques et sociales pouvant être comprises par les décideurs. Les modifications physiques de l'environnement dues soit à des causes naturelles, soit à l'action de l'homme doivent bénéficier d'une priorité élevée dans les décisions relatives aux projets forestiers et agroforestiers. Toutefois, il faut les mettre en rapport avec les effets socio-économiques sur les populations, qui 1) sont les principaux, sinon les seuls, impacts pris en considération par la plupart des décideurs et 2) parce qu'un changement écologique peut avoir des impacts sociaux et économiques totalement différents selon la région, si bien qu'il devient difficile d'apprécier son importance sans en connaître l'impact sur l'homme (voir encadré 4.2).

Encadré 4.2. Traduire les impacts écologiques en termes économiques et sociaux.

Un forestier propose à un gouverneur régional une opération de reboisement et des activités connexes qui pourraient faire baisser de 7 tonnes par hectare et par an les taux d'érosion de terres agricoles abandonnées sur les versants d'une vallée fluviale. La réduction de l'érosion des sols est un effet écologique positif. Toutefois, la diminution de la perte de sol n'est pas forcément un avantage pour les être humains qui sont le principal souci du gouverneur. Le gouverneur demande donc immédiatement de quelle façon cet effet écologique agira sur les populations de sa juridiction, à savoir quels seront les impacts socio-économiques.

De fait, les effets socio-économiques en jeu dépendent directement de l'endroit où aura lieu l'impact écologique. Si la vallée fluviale est inhabitée et que le cours d'eau se jette dans l'océan sans que l'homme en tire parti ou envisage de le faire, les avantages que présente la diminution de l'érosion devraient être bien faibles du point de vue des valeurs sociales et économiques à court terme Très probablement, le gouverneur n'y verra aucun intérêt. En revanche, mettons que le cours d'eau alimente un barrage-réservoir qui fournit à des centaines de milliers d'habitants sur le territoire du gouverneur de l'énergie hydro-électrique ainsi que de l'eau pour usage domestique et pour l'irrigation. L'érosion réduite pourrait freiner la sédimentation et la perte de capacité requise du réservoir, ce qui éviterait ainsi des pertes en aval du barrage qui ont des impacts socio-économiques directs. Dans ce cas, le reboisement pourrait avoir des avantages sociaux et économiques considérables, même si l'effet sur l'environnement (la réduction de l'érosion) sera le même que dans le premier cas.

Pour la plupart des décideurs, l'effet écologique positif dû à la réduction de l'érosion n'aura guère d'importance tant qu'il ne s'exprimera pas en valeurs économiques et sociales, c'est-à-dire en impacts sur les populations (par exemple conservation des valeurs de production sur les lieux, réduction des pertes de vies humaines imputables aux inondations, diminution de la perte de cultures irriguées et d'énergie hydro-électrique.

En résumé, les évaluations d'impact écologique constituent une partie essentielle du processus de développement des projets et elles fournissent des informations importantes. Elles ne doivent cependant pas se limiter à identifier les changements physiques et biologiques, mais les relier aux impacts sur le bien-être des populations.

Les conséquences pour le bien-être relèvent des valeurs humaines; elles peuvent donc en général être évaluées en fonction des valeurs qu'on leur donne. L'encadré 4.3 fournit une classification de toute une série de valeurs positives liées à la forêt. Ces valeurs vont des mesures monétaires des prix du marché liées à l'exploitation forestière directe jusqu'aux valeurs psychologiques qualitatives (de non-usage) associées à l'existence même de la forêt. En théorie, on établit d'ordinaire une distinction nette entre les différents types de valeurs, les économistes revendiquant toutes celles qui peuvent être exprimées en termes monétaires. Dans la pratique, la distinction n'est souvent pas très nette. Dans la plupart des cas, il faut tenir compte de toutes les valeurs psychologiques, sociales et économiques.

Encadré 4.3. Valeurs d'usage et non-usage des forêts.

VALEURS D'USAGE DIRECT LIEES

à des utilisations à des fins de consommation

  • biens commerciaux/industriels (combustible, bois d'oeuvre, bois de pâte, perches, fruits, animaux, fourrage, médicaments, etc.)

  • biens et services locaux non présents sur le marché (combustible, animaux, peaux, perches, fruits, fruits à coque, etc.)

Utilisations à des fins de non-consommation

  • récréation (randonnées dans la jungle, safaris-photos, trekking)

  • science/éducation (études forestières de divers types)

VALEURS D'USAGE INDIRECT LIEES:

  • à la protection des bassins versants (protection des zones en aval)

  • à la protection des sols/amélioration de la fertilité (préservation de la fertilité des sols, importante surtout dans les régions tropicales)

  • à l'échange de gaz et stockage du carbone (amélioration de la qualité de l'air, réduction des gaz de serre)

  • à l'habitat et à la protection de la biodiversité et des espèces (sources potentielles de médicaments, de matériel génétique pour de futures plantes et animaux acclimatés)

  • à la productivité des sols sur les terres forestières converties (espace et productivité des sols pour l'agriculture, l'horticulture et l'élevage)

VALEUR DE NON-USAGE OU D'EXISTENCE

Les populations peuvent tenir à une forêt ou à un ensemble de ressources uniquement pour leur existence et sans envisager d'exploiter la ressource à l'avenir. Tout simplement, elles apprécient leur existence et désirent la prolonger. Nombreux sont ceux qui sont prêts à donner de l'argent, du temps ou d'autres ressources pour aider à préserver certains écosystèmes et espèces menacés. Ces valeurs d'existence qui se manifestent du point de vue économique peuvent se fonder sur des valeurs religieuses, spirituelles, culturelles ou autres appartenant à des individus ou à des groupes sociaux à l'intérieur d'une société. Bien que ces valeurs soient difficiles à mesurer, il faut en tenir compte lorsque l'on évalue la contribution des forêts au bien-être de l'homme.

Comment identifier les aspects du bien-être qui présentent un certain intérêt

En ce qui concerne la nouvelle génération de projets forestiers, quels sont les aspects et les critères de modifications du bien-être qui présentent un intérêt pour les décideurs? D'une façon générale, ceux-ci privilégient trois aspects, à savoir:

1. L'élément distribution (qui gagne et qui perd et comment accroître la participation locale à la prise de décisions et aux avantages?). Il s'agit des impacts sur les différents groupes touchés par le projet, classés de diverses façons, par exemple, par tranches de revenu, par régions ou emplacements, à différents moments, par sexe, âge, type d'occupation, etc. La pertinence des classifications dépendra des conditions particulières du projet et du milieu institutionnel dans lequel il s'insère.

2. L'aspect durabilité ou sécurité des moyens d'existence (les changements positifs apportés au bien-être peuvent-ils s'inscrire dans la durée?). Le Groupe sur l'alimentation, l'agriculture, la foresterie et l'environnement de la Commission Brundtland a fait de la sécurité des moyens d'existence un concept global et l'a définie comme la combinaison de ressources et biens suffisants pour satisfaire les besoins de base, assurer l'accès aux ressources productives et préserver la productivité des ressources à long terme (Alimentation 2000, 1987).

3. L'aspect efficacité économique, par exemple les changements dans les avantages et coûts totaux qui découlent du projet pour la nation ou la région, évalués en fonction de ce que les populations sont prêtes à payer pour des choses (ce qui peut ne pas être égal à ce qu'elles ont effectivement à payer pour les choses, comme on le verra plus loin); et le rapport entre avantages et coûts supplémentaires (mesures d'efficacité économique telles que taux de rentabilité, valeur actualisée nette et rapport coûts/bénéfices).

Les mesures tant monétaires que non monétaires sont utilisées pour analyser l'ampleur et l'importance de ces trois aspects des impacts des projets.

Pratiquement tout type de changement physique/écologique imputable à un projet peut être lié à toutes les trois dimensions des impacts des projets mentionnées ci-dessus. Par exemple, si le projet crée de nouveaux emplois:

Les divers types d'impacts sur la nature et l'environnement liés à la nouvelle génération de projets forestiers, et les questions qu'ils soulèvent sont innombrables. Il s'agit en fait de réactions en chaîne. Ainsi, un changement (un accroissement) des disponibilités en bois de feu (produit) peut influer sur l'emploi qui, à son tour, influe sur la santé et les disponibilités alimentaires, etc., pour finalement apporter un changement dans le bien-être/la satisfaction pour un ou plusieurs groupes.

Les impacts et les questions connexes qui auront la priorité dans une évaluation donnée devraient être fonction des conditions dans lesquelles se déroule le projet, ainsi que des groupes d'intérêts. Pour certains, l'emploi peut avoir la priorité absolue; pour d'autres, ce peut être les recettes en devises; alors que pour d'autres encore, ce peut être l'élargissement des pouvoirs locaux, l'amélioration de la santé ou encore la stabilité politique. Ce sont enfin de compte les décideurs, tenant compte, il faut l'espérer, des intérêts des divers groupes en jeu, qui feront un choix entre les catégories d'effets. En résumé, la nouvelle génération de projets forestiers met l'accent sur 1) la distribution des avantages aux pauvres et aux groupes défavorisés, notamment la délégation de pouvoirs aux participants locaux aux projets; 2) la durabilité de l'environnement et la contribution des projets à la sécurité des moyens d'existence au-delà de leur durée explicite; et 3) l'efficacité économique en ce qui concerne l'utilisation des ressources dans le cadre du projet (c'est là la dimension traditionnelle qui a toujours retenu l'attention des décideurs et qui demeure importante pour une évaluation globale d'impact des projets forestiers de la nouvelle génération. Dans la suite du chapitre, les questions pertinentes de l'étude d'impact seront examinées sous l'angle de ces trois aspects.

Questions relatives aux impacts sur la distribution

Un des objectifs sociaux fondamentaux des projets forestiers consiste à assurer un accès plus équitable aux ressources du développement et à la distribution des avantages qui en résulte. Ainsi, les impacts de l'intervention sur la distribution doivent être étudiés de façon détaillée pour déterminer qui en tire profit et de quelle manière. Il importe de discerner les divers groupes et leurs intérêts et besoins différents. Il en va surtout ainsi des hommes et des femmes dont les intérêts et l'accès aux ressources disponibles diffèrent (FAO, 1990c). Souvent, la situation des femmes est différente en ce qui concerne la propriété des arbres et les droits aux arbres. Elles ont ou n'ont pas les mêmes droits que les hommes à la terre et aux arbres et il arrive qu'en vertu de certaines traditions, il leur soit interdit de planter certaines essences d'arbres sur l'exploitation familiale (Bruce, 1989).

Les femmes et les hommes utilisent les arbres de manière différente. Dans le cas du bois de feu par exemple, les femmes peuvent se préoccuper avant tout de le trouver et de le récolter pour la maison, alors que les hommes peuvent s'y intéresser principalement parce qu'il rapporte de l'argent. Dans le cas de produits forestiers secondaires, ce sont les femmes avant tout qui sont chargées de la cueillette pour nourrir la famille et de trouver du fourrage pour les petits animaux élevés près de la maison. Par contre, les hommes, d'une manière générale, ne s'intéressent guère aux aliments de cueillette provenant de la végétation naturelle. Ainsi, une décision visant à limiter l'accès à ces ressources - comme dans le cas d'une réserve naturelle ou d'un parc national - portera préjudice directement aux femmes et, indirectement à l'ensemble de la famille (Hoskins, 1983).

Cela s'applique également aux groupes ethniques minoritaires et aux communautés forestières dont les intérêts ont peut-être été ignorés. Les projets forestiers doivent s'assurer que leurs droits sont respectés et leurs intérêts intégrés dans les activités proposées (Ingersoll, 1990). Faute de quoi, de graves problèmes sociaux et politiques peuvent surgir à brève échéance.

Différents groupes locaux sont tributaires des forêts et des arbres de diverses manières - pour leur subsistance, pour la création de revenus ou pour la production d'excédents. Le niveau et le degré de dépendance varient, encore que bien souvent ce soit les pauvres qui sont les plus dépendants. Ils peuvent donc être les plus vulnérables à tout changement apporté à la nature des arbres et des forêts - qu'il s'agisse de l'exploitation, de la disponibilité ou de l'accès. Il importe d'identifier qui sont ces groupes et ce que représentent les forêts et les arbres pour eux - aliments forestiers, matériaux de construction, plantes médicinales, bois de feu, fourrage, matières premières pour entreprises forestières, biomasse pour les engrais naturels, pour ne citer que quelques unes des utilisations plus communes (Peluso, 1991).

Les questions spécifiques posées d'ordinaire dans les évaluations d'impact des projets forestiers de la nouvelle génération sur la distribution sont les suivantes:

Q.1. Comment les avantages et les coûts du projet sont-ils répartis entre les différents groupes?

Cela se réduit à se demander qui paie et qui gagne? Les coûts et avantages aussi bien non monétaires que monétaires sont inclus. Les pays se soucient souvent des impacts des investissements publics sur la redistribution du revenu, c'est-à-dire du problème d'équité. Dans la plupart des projets, on met l'accent sur les différentes tranches de revenu (les membres les plus pauvres de la société obtiennent-ils plus d'avantages que les riches?), sur les groupes régionaux (la région X bénéficie-t-elle de plus d'avantages que la région Y?), ou sur les groupes culturaux (le clan A a-t-il plus d'avantages que le clan B?) ou encore sur les spécificités de chaque sexe (les hommes tirent-ils plus d'avantages que les femmes?). Les questions d'équité entre les générations doivent aussi être prises en compte (comment les générations futures seront-elles touchées; quels seront les avantages ou les coûts du projet pour la prochaine génération?). Cette dernière question revêt aussi une importance directe lorsqu'on examine la durabilité.

Q.2 Plus précisément, comment le projet aide-t-il les déshérités, comme les femmes, les paysans sans terre et les minorités?

Les activités forestières sont mises en oeuvre uniquement au profit des économiquement faibles en milieu rural étant donné le rôle que les arbres jouent dans l'économie domestique où la place des femmes est décisive, dans la remise en état des terres dégradées dont peuvent tirer parti les paysans sans terre et dans la sécurité des moyens d'existence des habitants forestiers qui dépendent fortement des arbres et de leurs produits. Ce rôle est renforcé par la conscience croissante du rapport entre dégradation de l'environnement et atténuation de la pauvreté. Pour répondre à cette question, il faut discerner soigneusement et bien connaître les divers groupes vivant et travaillant dans la zone du projet.

C'est beaucoup plus facile à dire qu'à faire car souvent ces groupes demeurent invisibles, à moins que l'analyste ne fasse un effort conscient et délibéré pour leur parler. On appelle touristes du développement ceux qui font de brèves visites dans les campagnes, car d'ordinaire ils accordent leur attention de préférence aux élites, aux hommes, aux personnes saines, aux utilisateurs des services, à ceux qui adoptent les technologies. Les pauvres, les femmes, les malades, les vieux, les infirmes et les malades mentaux sont exclus (Chambers, 1983). L'approche du dialogue villageois, utilisée au Népal pour la conception et l'exécution de projets de gestion des ressources locales permet notamment de lutter contre ce préjugé (Messerschmidt, 1987). Une fois que le dialogue s'établit entre l'équipe d'évaluation et l'ensemble du village, l'équipe encourage les villageois à se diviser en groupes homogènes pour la discussion, par exemple, bergers sans terre, artisans dirigeant des entreprises de transformation du bois, femmes, petits exploitants, etc., pour mieux comprendre les questions liées aux ressources qui touchent tous les niveaux de la société locale, tout en évitant la cooptation par l'élite locale. Lorsque le village entier se réunit à nouveau, les membres qui ne font pas partie de l'élite parlent plus franchement.

Q.3 Qui sont les perdants et comment?

Dans certains types de projets, il y en a qui ont tout à perdre des interventions prévues. Par le passé, cela a souvent été le cas des projets de colonisation agraire - où des populations ont été parfois déplacées de force dans des zones où d'autres populations vivaient déjà. Sur une plus petite échelle, cela peut aussi se produire lorsqu'une restructuration des activités commerciales risque d'évincer les négociants ou intermédiaires traditionnels. Parfois, certaines couches de la population peuvent être exclues du fait des conditions imposées par le projet. Par exemple, lorsque les femmes jouent un rôle important dans la gestion et la production, un projet axé sur les hommes - explicitement ou non - peut constituer une menace pour les femmes et peut-être aussi pour leurs enfants (Partridge, 1984).

Dans le cas de la foresterie, l'aménagement des bassins versants s'est avérée problématique à cet égard. Dans un seul bassin versant, il peut y avoir une grande variété de structures foncières, de groupes sociaux stratifiés, de systèmes d'exploitation et de modes d'utilisation des terres (Cernea, 1985). Souvent, plusieurs ressources sont en jeu car la régénération des bassins versants déboisés exige non seulement un aménagement forestier et la plantation massive d'arbres, mais aussi la lutte contre les inondations et la conservation des sols, toutes choses qui utilisent des moyens mécaniques mais aussi des interventions sur la végétation. Il peut y avoir des changements dans les droits à la terre, les droits de succession, les structures de la colonisation et le nombre d'habitants (Uphoff, 1986).

Lorsque les populations ont subi des pertes à la suite des interventions organisées, il importe de savoir quelle forme d'aide ou d'assistance le projet pourrait éventuellement apporter pour atténuer leurs pertes. Parfois, mais bien rarement, ces risques ont été pris en compte dans la conception des projets.

Q.4 De quelle façon le projet encourage-t-il la distribution équitable des avantages et des coûts dans la population locale?

Etant donné la nature humaine et les résultats de nombreux projets forestiers à ce jour, la distribution équitable des avantages et des coûts des projets se fait rarement d'elle-même, surtout lorsque divers groupes et parties intéressés luttent pour obtenir les ressources souvent rares de développement. Pour parvenir à cette fin, il faut introduire des mécanismes permettant de parvenir à un consensus sur ce qui est équitable, suivre les progrès et au besoin imposer certains critères concertés de distribution des avantages. On peut avoir recours à divers moyens - la création d'un organisme représentatif comme un comité, une équipe spéciale ou un groupe de travail, la délégation de pouvoirs à un organisme local ou une forme ou une autre de mandat central. La question est de savoir dans quelle mesure le projet en tient compte et de quelle façon les mesures/solutions appropriées pourront avoir un effet à long terme.

Q.5 Comment le projet influe-t-il sur la participation au développement?

Même si tout le monde s'accorde sur la nécessité de la participation populaire pour assurer le succès des projets de développement, la plupart des projets ne sont pas encore planifiés dès le début à l'aide d'une approche participative résolue. Par exemple, les organisations rurales sont un élément clé aussi bien pour la planification participative que pour la durabilité et la continuité du projet une fois qu'il a démarré. Toutefois, les décideurs les regardent souvent avec méfiance, les considérant au mieux comme des gêneurs et au pire comme une menace pour leur pouvoir. Ces organisations, structurées ou non, peuvent cependant jouer un rôle fondamental dans la durabilité. Il importe donc de savoir quel rôle elles peuvent jouer dans le projet et quel effet le projet exerce sur elles.

Le fait que les populations tirent parti des ressources et services offerts par le projet - dans les conditions dictées par le projet - ne signifie pas forcément qu'elles participent activement à ce qui se passe. Ici, l'accent est mis sur la façon dont la population locale doit participer à la conception, à l'exécution, au suivi et à l'évaluation du projet - c'est-à-dire dans quelle mesure elle soit être habilitée à soutenir les avantages découlant du projet.

Il faut donc analyser la capacité et la volonté des organisations et groupes locaux d'entreprendre les activités du projet et déceler les principales contraintes qui les empêchent de remplir leur mandat actuel. Aux fins de la durabilité, l'évaluation doit aussi identifier les mécanismes possibles de gestion locale des activités du projet. Les liens fonctionnels avec d'autres organisations et institutions chargées du projet sont tout aussi importants. Ces liens, à tous les niveaux - en aval et en amont, horizontaux et verticaux - sont essentiels pour que l'appui politique et l'accès à l'information et aux ressources soient assurés.

Q.6 Au cas où la réussite du projet dépend des groupes participant financièrement au projet, cette participation est-elle acceptable du point de vue financier (rentable) pour eux?

Les principaux groupes privés reçoivent-ils des incitations financières suffisantes pour participer? Quels sont les coûts et avantages pour les investisseurs privés ou pour les agriculteurs et propriétaires terriens qui participent au projet? (S'ils ne jugent pas le projet assez intéressant, il peut alors être nécessaires d'envisager de leur accorder des incitations ou des subventions.)

Q.7 Quelles sont les incidences budgétaires du projet pour les différents organismes ou groupes?

Le projet reste-t-il dans les limites budgétaires des différents groupes intéressés? Quels fonds seront nécessaires pour couvrir les dépenses d'exploitation? Quand des fonds seront-ils nécessaires pour soutenir le projet (sorties) et quand des recettes (rentrées) pourront-elles être encaissées? Quels seront à l'avenir les frais généraux nécessaires, par exemple, pour l'entretien des routes, l'aménagement forestier? Il s'agit ici de toute la question du flux des liquidités et de la capacité de le maintenir et il faut également examiner les effets probables sur la durabilité.

Q.8 Comment le projet influe-t-il sur le commerce international et les flux de devises? Comment agit-il sur d'autres secteurs et sur la stabilité financière du pays ou de la région?

Cette question concerne les impacts sur les devises et sur la façon dont le projet, sous l'angle de la distribution, influe sur d'autres secteurs comme l'agriculture, les transports, etc.

Dans les pays ayant une sortie nette considérable de devises, cette question peut avoir une importance décisive et peut influencer les décisions concernant les dépenses en devises des projets, ainsi que le niveau des subventions et des tarifs douaniers. Par ailleurs, les impacts que le projet peut avoir sur la stabilité des revenus et des emplois au niveau régional doivent ausi être pris en compte. Par exemple, un projet de tourisme écologique peut procurer des avantages extrêmement saisonniers et entraîner une forte instabilité du point de vue des revenus dans ce secteur.

Questions concernant les effets sur la durabilité et sur la sécurité des moyens d'existence

La sécurité des moyens d'existence est essentielle pour mieux comprendre le rôle que les trois grands types de projets forestiers - développement industriel, développement rural et pérennité de l'environnement - peuvent jouer dans la vie des populations locales. Comme nous l'avons déjà mentionné, le Groupe sur l'alimentation, l'agriculture, la foresterie et l'environnement de la Commission Brundtland a fait de la sécurité des moyens d'existence un concept unifiant et l'a défini comme un ensemble de ressources et de biens suffisants pour satisfaire les besoins de base, assurer l'accès aux ressources productives et maintenir la productivité des ressources à long terme (Alimentation 2000, 1987).

Pour les initiés, la pauvreté est d'ordinaire synonyme de dénuement et elle est évaluée en fonction des flux, qu'il s'agisse du revenu ou de la consommation. On ne tient pas compte des ressources et biens, ni du rôle qu'ils jouent, en assurant aux ménages un niveau de vie de base acceptable. Et on ne s'est pas non plus penché sur la question de savoir ce que les gens font de ces ressources et biens lorsque les possibilités de production commencent à diminuer. Cependant, ceux qui sont définis comme vivant au-dessous du seuil de pauvreté ont élaboré diverses stratégies adaptatives de survie, qui peuvent varier selon la saison et l'endroit. Même dans des conditions de pauvreté modérée, de nombreux ménages investissent en dehors de l'exploitation. Si cela ne suffit pas, ils chercheront à obtenir un soutien de leur famille élargie. Et si ce soutien s'avère insuffisant, ils commenceront à se défaire de leurs biens productifs, tels que le petit bétail ou à demander un prêt à un commerçant local. De plus en plus, les arbres sont perçus de la même manière que le bétail. Dans le cas de Haïti par exemple, les mauvaises récoltes sont si fréquentes et le marché du bois et du charbon de bois si sûr, que les agriculteurs préfèrent conserver leurs arbres en prévision de crises futures (Murray, 1987).

Cela étant, l'approche conventionnelle du développement consiste à tenter d'assurer aux agriculteurs un emploi, une formation ou un bien qui leur permettra de subvenir à la totalité ou presque de leurs besoins. Mais une solution plus viable pourrait consister à renforcer leurs stratégies existantes, où les biens productifs jouent souvent un rôle clé (Chambers et Leach, 1987). Le désir de moyens d'existence suffisants, sûrs et décents, garantissant un bien-être physique et social (qui comprend la protection contre la maladie, les décès prématurés et l'appauvrissement) est une priorité courante et peut-être universelle des populations rurales. Mais une fois que la survie est garantie, dans des conditions de sécurité, alors apparaît une forte propension à économiser et épargner, lorsque l'occasion s'en présente, et à penser à l'avenir - par exemple, les sacrifices que feront les parents pour investir dans l'éducation de leurs enfants ou la ténacité extraordinaire avec laquelle les agriculteurs luttent pour conserver leurs droits à la terre. Assurer à la population la base nécessaire pour préparer l'avenir est une condition préalable nécessaire de toute bonne administration (Chambers, 1989).

Dans la pratique, cela signifie que les activités de développement devraient avant tout aider les populations locales à développer leurs ressources productives et, si ces ressources sont limitées ou insuffisantes, les aider à en créer de nouvelles. Voici quelques exemples:

Ces conclusions sont en partie corroborées par un rapport récent, qui fait partie d'une étude plus vaste financée par l'AID concernant la gestion des ressources naturelles dans le Sahel (Shaikh et al., 1988). Le rapport porte sur toute une série d'activités de production agricole sur l'exploitation qui semblent prometteuses pour la croissance agricole durable en Gambie, au Mali, au Niger et au Sénégal. L'accent est mis sur ce qui fonctionne et, au total, 70 initiatives réussies de gestion des ressources naturelles - dont un bon nombre de faible envergure et très localisées - ont été passées en revue.

Les interventions qui ont eu le plus d'impact ont été celles qui ont résolu les problèmes de la population locale, - et non pas celles qui intéressaient l'environnement en soi. C'est précisément parce que la dégradation de l'environnement menace aujourd'hui visiblement les systèmes de production locale et leur capacité de survie que les agriculteurs se sont tournés vers la gestion des ressources naturelles pour atteindre deux objectifs: premièrement, pour protéger les ressources en sols et en eau dont dépend leur production; et, deuxièmement, pour fournir de nouvelles possibilités de revenu, telles que production de perches, vergers, jardins, bois de feu et vente de fourrage.

Les évaluations d'impact des projets forestiers de la nouvelle génération sur la durabilité et la sécurité des moyens d'existence abordent d'ordinaire les questions ci-après:

Q.9 Quels sont les impacts sur la sécurité des moyens d'existence - l'accent étant mis avant tout sur le contrôle des ressources et la création de revenus?

On privilégie ici les impacts positifs des interventions prévues sur la vie des populations locales, et notamment sur les aspects productifs à long terme. Du point de vue social, les activités de développement devraient avant tout aider les populations locales à développer leurs ressources productives et, au cas où ces ressources sont limitées ou insuffisantes, les aider à en créer de nouvelles, ce qui assurerait des conditions plus favorables pour une meilleure gestion de la base des ressources naturelles. Ce qu'il faut déterminer, c'est comment les avantages examinés dans le cadre de la question 2 ont contribué ou non à la sécurité des moyens d'existence.

Si l'objectif est l'aménagement durable des arbres et des forêts, alors la participation locale à la gestion est essentielle - le contrôle local sur les ressources en question, s'il n'est pas total, peut prendre la forme d'un système d'aménagement communal ou de cogestion (voir aussi le chapitre 3). Le rôle des ressources communautaires (forêts, savanes boisées et terres incultes) et la mesure dans laquelle elles satisfont les besoins locaux en aliments de cueillette, produits forestiers et bois de feu, suscitent un intérêt croissant. On reconnaît aussi que cette gestion collective des ressources forestières locales est en crise, en raison de la privatisation, du défrichement illicite et de l'appropriation du sol par les gouvernements (Arnold, 1991a). Pour résoudre ce problème, on a introduit des systèmes de congestion, où la responsabilité est partagée entre la population locale et les services forestiers compétents. L'exemple le plus connu est celui des régions montagneuses de l'Inde (Poffenberger, 1990). Le principe sociologique de base est le suivant: créer un lien évident entre un petit groupe bien défini et une zone forestière bien définie qui doit être protégée ou plantée avec le soutien actif et la participation des services forestiers, notamment pour délimiter la zone des ressources communautaires et la protéger contre l'utilisation par des tiers et le défrichement illicite. Les membres du groupe doivent comprendre clairement la corrélation entre leurs contributions et les profits qu'ils obtiennent (Cernea, 1989).

Lorsque ce contrôle accru sur les ressources locales n'est pas possible, il faut veiller à ce que les interventions prévues créent des emplois. Les plantations commerciales peuvent fournir des possibilités d'emploi directes et indirectes à certaines populations rurales. Par ailleurs, les forêts sont une source de revenu et d'emploi pour de nombreuses familles qui dépendent de l'argent gagné grâce au ramassage, à la vente et à la transformation des produits forestiers pour acheter leur nourriture et autres articles de première nécessité. Pour les pauvres, et aussi pour les femmes, ce sont souvent une des seules sources de revenu en espèces. Les produits particuliers en jeu varient d'une région à l'autre, selon les débouchés, les traditions locales, les possibilités d'emploi alternatif et les types de ressources forestières disponibles dans la région (FAO, 1989b).

Q.10 Les avantages se prolongent-ils dans le temps?

Il est question ici des avantages qui devraient se perpétuer, une fois que l'aide extérieure, ou le projet lui-même, aura pris fin. Il peut s'agir de tous les avantages ou, plus probablement, de certains avantages spécifiques. Les moyens d'assurer la durabilité devraient être indiqués et l'analyse doit comprendre des informations sur les mesures spécifiques prises par le programme pour assurer la sécurité économique et politique nécessaire, afin que les individus et les institutions recherchent la durabilité comme ils l'entendent. Ces informations doivent aussi comprendre les obligations et responsabilités de chacune des parties intéressées à la durabilité. Enfin, l'analyse devrait brièvement identifier les principaux obstacles à la réalisation des objectifs.

Dans l'évaluation du projet décentralisé d'agroforesterie à Haïti, dont la deuxième phase est en préparation, la durabilité est devenue une question majeure, notamment dans le contexte du développement, étant donné que le Gouvernement central avait effectivement décliné toute responsabilité, laissant les ONG, souvent fortement tributaires de financements extérieurs, se débrouiller comme elles pouvaient. Au cours de l'évaluation, il est apparu que la formation des agriculteurs et l'institutionnalisation de la demande locale étaient les questions les plus importantes et pertinentes, compte tenu de la situation institutionnelle et politique du pays (Lowenthal, 1991). Dans plusieurs régions, les participants tentaient déjà, de leur propre chef, de multiplier sur les exploitations les arbres provenant du projet dans les exploitations, sans encouragement direct du projet. Cette initiative spontanée - bien que manifestement le résultat des interventions du projet au sens large de ce terme - augure bien de la pérennité des plantations d'arbres relativement vastes au-delà de la durée du projet.

Les agriculteurs haïtiens comprennent que les arbres sont une culture de production qui peut être exploitée et incorporée dans des pratiques culturales améliorées. La demande de plants des nouveaux planteurs et des replanteurs est donc forte et est loin d'être satisfaite. La durabilité de la seconde phase exige la stimulation constante d'une forte demande permanente des agriculteurs vivant sur les versants des montagnes en ce qui concerne les graines et plants de feuillus, et notamment d'arbres de haie. Si cette demande persiste une fois le projet achevé, le projet aura atteint ce que peu d'autres projets ont été en mesure de faire en Haïti - créer un environnement où la demande des agriculteurs jouera un rôle important pour que le type d'aide et de vulgarisation soit adapté à leurs besoins.

Q. 11 Quels sont les impacts du projet sur la viabilité budgétaire et financière (frais généraux)?

Une des raisons fréquentes pour lesquelles les avantages des projets introduits par un organisme ou un groupe extérieur disparaissent avec le temps est l'incapacité ou le refus des institutions locales de couvrir les frais généraux nécessaires pour poursuivre les activités du projet, par exemple les dépenses d'entretien des routes. Pendant la durée du projet, la capacité de financement des organisations locales doit être renforcée et développée, afin d'être en place une fois que le projet à proprement parler aura pris fin.

Questions relatives aux impacts sur l'efficacité économique

La troisième dimension du bien-être concerne le rapport général entre les coûts et avantages liés au projet. Comme dans le cas des questions financières ci-dessus, par exemple, dans la section relative à la répartition des impacts sur le bien-être, les évaluations d'efficacité économique utilisent des unités monétaires comme indicateurs d'impact. La question 6 intéresse l'efficacité financière (les profits, ou la différence entre les coûts et les recettes aux prix du marché) des participants privés au projet. Il existe deux différences importantes entre les indicateurs d'efficacité économique et ceux d'efficacité financière, à savoir:

1) Quels coûts et bénéfices (ou impacts positifs et négatifs) sont inclus dans l'évaluation; dans l'analyse financière, seuls les coûts et les recettes directs aux prix du marché sont pris en compte, alors que dans l'analyse d'efficacité économique, on estime et inclut aussi dans l'évaluation le plus grand nombre possible de coûts et d'avantages non commerciaux (impacts négatifs et positifs).

2) Comment ces coûts et avantages (impacts) sont évalués; l'analyse financière utilise toujours les prix du marché; l'analyse économique utilise de préférence des estimations de la disposition des personnes à payer pour des biens et services. Dans l'analyse économique, les prix du marché sont souvent ajustés pour refléter plus correctement les valeurs sociales ou économiques. Ces prix sont appelés prix de référence. Par exemple, s'il y a un chômage structurel considérable et qu'un projet emploie des chômeurs, alors dans l'analyse d'efficacité économique, nous pouvons appliquer à la main-d'oeuvre une valeur inférieure aux salaires en vigueur pour refléter le coût d'opportunité plus faible de cette main-d'oeuvre qui sinon serait sans emploi.

Le tableau 4.1 résume les différences entre les diverses étapes du processus d'évaluation.

On entend par analyse financière une analyse qui ne concerne que les flux monétaires effectifs, c'est-à-dire les coûts et recettes pour des particuliers ou des groupes de particuliers déterminés à l'intérieur de la société - agriculteurs, entreprises privées ou publiques, etc. Dans ce sens, elle permet de mesurer les impacts sur la distribution. Elle ne porte que sur les biens et services pour lesquels les membres de la société paient ou sont payés, par exemple, pour la main-d'oeuvre, le capital, la terre. Elle doit toujours s'effectuer d'un point de vue spécifique, par exemple celui d'un organisme gouvernemental, d'une société privée ou d'un particulier, d'une coopérative, etc. Ainsi, les impacts financiers rentrent dans la catégorie générale des impacts sur la distribution examinés plus haut.

Lorsque les questions d'efficacité financière et d'efficacité économique sont posées, elles sont généralement traitées ensemble, car elles ont beaucoup de points en commun sur le plan des besoins d'information et des modalités. Les étapes de l'analyse financière sont moins complexes et leur concept est plus clair. C'est pourquoi, les évaluations commencent d'ordinaire par répondre aux questions de rentabilité financière pour des groupes donnés et les résultats de cette étape servent ensuite de point de départ à l'analyse de l'efficacité économique.

L'efficacité économique (ou l'efficacité financière d'ailleurs) est d'ordinaire évaluée du point de vue des recettes, ou avantages, par coût unitaire. Dans les évaluations d'impact économique pour la nouvelle génération des projets forestiers, l'un des problèmes réside dans le fait que divers groupes ont des idées différentes à propos de l'unité de compte qu'il convient d'utiliser. Ainsi pour certains, il s'agit de la rentabilité par unité de capital, pour d'autres de la rentabilité par unité de main-d'oeuvre, pour d'autres encore, de la rentabilité par hectare de forêt (voir encadré 4.4).

L'analyse d'efficacité économique, en revanche, s'occupe des coûts et avantages pour l'ensemble de la société, indépendamment de qui paie et qui gagne. C'est pourquoi elle ne tient pas compte des impacts sur la distribution. Elle concerne les avantages évalués en fonction de ce que la société est disposée à payer pour les biens et services et les coûts mesurés en fonction des coûts d'opportunité en jeu, par exemple, les valeurs des possibilités sacrifiées du fait que la ressource est utilisée à une certaine fin et non pas de la façon la plus rentable. Ces concepts sont valables, indépendamment du fait que de l'argent est dépensé ou non pour un bien ou un service. On trouvera un examen beaucoup plus détaillé des évaluations financières et économiques dans Gregersen et Contreras (à paraître).

De façon générale, l'évaluation des impacts sur l'efficacité économique soulève une question:

Q.12 Le projet comporte-t-il une utilisation rentable des ressources de la nation?

En d'autres termes, les avantages pour la nation, ou pour la partie intéressée de la nation sont-ils supérieurs aux coûts du projet, lorsque les deux sont correctement évalués? S'il est possible d'utiliser plus efficacement les ressources de la nation, alors la réponse est “non”. Il nous faut donc nous demander: pouvons-nous éliminer une des composantes dissociables du projet et obtenir des avantages nets plus élevés ou pouvons-nous obtenir les mêmes avantages à moindre coût ou en utilisant moins de ressources? Lorsqu'un projet a pour principal objectif d'accroître les avantages économiques globaux (biens et services) découlant de l'utilisation des ressources limitées du pays, alors la question de l'efficacité économique devient une préoccupation centrale pour les décideurs du secteur public.

Les divers groupes, par exemple exploitants forestiers commerciaux, écologistes, agriculteurs pratiquant la culture sur brûlis, etc., ont une perception différente des valeurs forestières. Les écologistes s'intéressent à l'ensemble des valeurs d'usage et de non-usage présentes et futures. Pour eux, ce qui est d'ordinaire important, c'est la valeur de la forêt du point de vue de sa superficie, sur la base des hectares, c'est-à-dire la valeur totale d'un espace forestier donné.

Les autres groupes pour qui la forêt a une valeur positive s'intéressent principalement à des valeurs ou des avantages partiels dont ils profitent directement en tant que consommateurs et producteurs de produits forestiers, ou en tant qu'habitants des forêts. Les groupes de producteurs commerciaux peuvent s'intéresser à la valeur nette de leurs produits par unité d'investissement de capital. Ceux qui ont tout juste de quoi vivre s'intéressent à la valeur des produits qu'ils peuvent obtenir par unité de travail qui est souvent la seule ressource dont ils disposent et qui est donc leur étalon de valeur. Enfin, il ne faut pas oublier le groupe qui apprécie principalement les terres sur lesquelles pousse la forêt.

Tableau 4.1. Rapport entre les étapes de l'analyse financière et de l'analyse économique

Analyse financière

Analyse d'efficacité économique

1. Identification et quantification des apports et produits

Les apports directs fournis par l'entité financière et les produits pour lesquels elle est payée sont inclus

Outre les apports et les produits directs, les effets indirects, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas inclus dans l'analyse financière car ils ne sont ni achetés ni vendus dans le cadre du projet, sont inclus. Ce sont des effets subis par d'autres membres de la collectivité

2. Evaluation des apports et produits

Les prix du marché sont utilisés. Pour les apports et produits qui interviendront à l'avenir, les prix futurs du marché sont évalués.

La disposition à payer (d.a.p.) du consommateur sert d'unité de valeur de base. Lorsque les prix du marché reflètent bien la d.a.p., ils sont utilisés. Sinon, on considère que les “prix de référence” sont le meilleur critère d'évaluation de la d.a.p.

Les apports et les produits sont multipliés par les prix du marché pour obtenir les coûts et recettes globaux qui sont ensuite portés au tableau des flux de liquidités. Les paiements de transfert (taxes, subventions, prêts, etc.) sont ajoutés à ce tableau

Les apports et les produits sont multipliés par les valeurs économiques unitaires pour obtenir les coûts et avantages économiques totaux qui sont ensuite portés au tableau des flux des valeurs totales. Les paiements de transfert ne sont pas traités séparément, mais inclus, comme il convient, dans les coûts et avantages économiques

3. Comparaison entre coûts et avantages

En utilisant le tableau des flux de liquidités, calculer les indicateurs retenus pour mesurer la valeur globale du projet ou la rentabilité commerciale

Calculer les indicateurs retenus pour mesurer l'efficacité ou la valeur économique à l'aide des renseignements du tableau des flux de valeurs totales (taux de rentabilité, rapports coûts-avantages)

4. Prise en compte de l'incertitude: l'analyse de sensibilité

Tester l'incertitude des résultats en faisant varier les valeurs des principaux paramètres dans une analyse de sensibilité

Tester l'incertitude des résultats en faisant varier les valeurs des principaux rapports/paramètres dans une analyse de sensibilité

Ce qui complique encore les choses lorsque les décideurs tentent de séparer les différents groupes et les divers impacts que les projets ont sur eux, c'est que la plupart des membres d'une collectivité appartiennenet à plus d'un groupe, par exemple au groupe écologiste et au groupe de consommateurs ou de producteurs commerciaux. Ainsi, ceux qui préconisent la protection de la forêt consomment aussi ses produits, presque sans exception, et s'insèrent donc dans le groupe des producteurs/consommateurs commerciaux. Concilier les différents points de vue des deux groupes signifie affronter le problème des divers rôles et valeurs qui se recoupent des individus à l'intérieur des groupes. Mais cette question sort du cadre du présent document, qui porte sur l'élaboration de critères de valeur à utiliser dans la prise de décisions.

Plusieurs conclusions se dégagent de l'examen entrepris dans ce chapitre des divers points de vue relatifs aux valeurs:

1. Il n'existe pas de critère absolu de la valeur économique d'une forêt et de la terre où elle pousse. Toutes les valeurs économiques sont relatives, selon le point de vue adopté et les conditions de l'offre et de la demande que rencontrent les différents groupes exploitant la forêt. La perception des valeurs peut changer rapidement avec le temps.

2. Le plus souvent, les divers points de vue ne sont pas complémentaires mais entrent en conflit direct.

3. En raison de ces conflits de points de vue et d'idées sur les valeurs, il est difficile de savoir quelles valeurs retenir pour la prise de décisions. Chaque groupe ayant son propre point de vue attribuera un ensemble différent de valeurs aux produits ou aux utilisations potentielles d'un espace forestier donné. En outre, les décideurs doivent tenir compte des revendications et des valeurs perçues de ceux qui voudraient défricher la forêt et utiliser la terre à d'autres fins. Ainsi, pour parvenir à une décision, il faudra faire des choix difficiles entre les différentes façons de percevoir les valeurs.

Encadré 4.4.

Il ressort d'une étude qu'une certaine partie de la forêt amazonienne, si elle est aménagée de façon durable pour obtenir des produits ligneux et non ligneux, a une valeur estimée en capital de quelque 6 000 dollars/ha, contre 1 600 dollars/ha si la terre est affectée à l'agriculture sur brûlis.[2] On peut en conclure que la forêt a une valeur beaucoup plus grande si elle est conservée comme réserve extractive et aménagée de façon durable pour en obtenir des produits. Pourtant, les agriculteurs forestiers locaux continuent de pratiquer la culture sur brûlis sur ces terres. Pourquoi?

Le dilemne tient en partie aux différences de perspectives des valeurs. La valeur de la réserve extractive s'exprime en valeur du produit par unité de superficie, alors que pour l'agriculteur local, la valeur s'exprime en unité de son travail nécessaire pour obtenir divers avantages, car pour lui, il s'agit d'une ressource rare et il veut en maximiser le profit. Etant donné que l'agriculteur pense que les activités extractives durables sont moins rentables par unité de travail, il est également persuadé que son travail sera plus rentable s'il pratique la culture sur brûlis, en commençant peut-être par récolter certains produits forestiers avant de passer au défrichement et au brûlis. Pour l'agriculteur, la terre est abondante, la main-d'oeuvre est une ressource rare. Selon un raisonnement économique, il faudrait donc maximiser la rentabilité par unité de main-d'oeuvre.

Bien entendu, l'un ou l'autre chiffre concernant la valeur pourrait être utilisé, selon le contexte dans lequel la décision est prise ou le point de vue adopté. Pour un écologiste d'un pays développé qui s'inquiète du déboisement tropical du point de vue de la superficie (hectares) détruite et de la superficie sauvée de la destruction, la valeur par hectare peut être pertinente. Pour l'agriculteur, dont le travail est une ressource limitée, la rentabilité plus élevée par heure de travail dépensée pour la culture sur brûlis est importante. La question est la suivante: qui prend les décisions et donc quel est le point de vue pertinent?

Aucun point de vue ou ensemble de valeurs particulier n'est juste - si ce n'est aux yeux de chacun des groupes d'intérêt. Afin de comprendre les différentes valeurs, il faut avoir recours à toute une série de techniques d'évaluation. Le prochain chapitre passe sommairement en revue les principales techniques disponibles et leur utilité potentielle sur le terrain.

Remarques finales

Il y a certes d'autres questions, ou des variantes des douze questions examinées ci-dessus, qui peuvent être pertinentes dans des cas particuliers ou pour des groupes donnés. Toutefois, compte tenu de l'expérience acquise, si les questions susmentionnées sont traitées comme il se doit, alors le décideur peut être pratiquement sûr qu'il a affronté les principaux problèmes liés aux impacts de la nouvelle génération des produits forestiers sur la distribution, la durabilité et l'efficacité.

5. Comment planifier les évaluations

Le chapitre précédent a exposé les principaux types de questions intéressant l'évaluation des impacts potentiels ou réels de la nouvelle génération de projets forestiers. Dans le présent chapitre, on examine les problèmes liés à l'élaboration de l'évaluation. Avant d'opter pour une méthode ou une technique particulière afin de répondre à chacune des questions pertinentes, il importe de tenir compte:

La première considération est nécessaire pour que l'évaluation soit en mesure de répondre aux bonnes questions. Trop souvent, une évaluation démarre sans qu'on ait précisé dans le détail quel devrait être le produit final, c'est-à-dire quel type de réponse on cherche. Sans cette spécification appropriée, les efforts peuvent être dépensés en pure perte.

La deuxième considération est nécessaire pour deux raisons. Premièrement, les mêmes questions sont d'ordinaire pertinentes à chaque stade du projet, mais les approches pour y répondre différeront (les techniques appropriées ne dépendent pas seulement du type de question posée mais aussi du stade, selon qu'il s'agit d'un examen préalable ou d'un examen rétrospectif). Ainsi, dans les premiers stades, les questions sont posées a priori; dans les stades ultérieurs, une fois que le projet est mis en oeuvre, les mêmes questions sont souvent posées a posteriori, pour savoir si le projet a de fait les impacts qui étaient escomptés au début. Deuxièmement, on peut éviter le chevauchement des efforts dans les stades ultérieurs si l'on se souvient sciemment que les mêmes questions doivent être affrontées pendant toute la durée du projet. Ainsi par exemple, il est possible de constituer des bases de données communes qui peuvent être améliorées pendant le déroulement du projet.

La troisième considération est importante pour trois motifs: 1) pour pouvoir allouer correctement les ressources limitées afin de répondre à chacune des questions prioritaires; pour pouvoir décider de l'échelonnement et de l'intensité des efforts en fonction des besoins et de la rareté des ressources; et 3) pour pouvoir tenir compte du souci de crédibilité et de fiabilité du décideur (par exemple, pour assurer la transparence de l'évaluation afin qu'elle soit acceptée).

Dans la suite du chapitre, chacune des trois considérations fait l'objet d'un examen plus approfondi.

Nécessité de préciser clairement chaque question abordée

Il se peut que les décideurs posent une question sans donner suffisamment de détails pour que les analystes puissent fournir des réponses. Dans ce cas, il appartiendra à l'analyste de préciser la demande. Par exemple, si le décideur se contente de demander quelle est la valeur financière du projet, l'analyste devra découvrir de quelle valeur financière il s'agit, c'est-à-dire de quel point de vue et quelle est la mesure de la valeur financière que le décideur veut connaître. De même, une analyse de l'efficacité économique peut être effectuée sur le plan national, régional ou local. Il faut donc préciser de quel point de vue il s'agit, car les renseignements nécessaires et les résultats obtenus en dépendront.

Quant aux questions de distribution du revenu, il faut savoir très exactement quels sont les groupes d'intérêt et pour qui ils ont de l'importance. Par exemple, lorsque nous posons la question: quels sont les avantages pour les économiquement faibles?, qu'entendons-nous par là? Comment définir dans l'évaluation le terme économiquement faible? Il se peut que le décideur et l'analyste doivent se consulter au plus tôt pour parvenir à un accord sur ces questions.

Les décideurs, lorsqu'ils proposent d'effectuer une évaluation d'impact économique, oublient parfois de tenir compte de l'optique et des questions de tous les groupes en jeu. Les divers groupes administrent des ressources et doivent décider s'ils veulent ou non les affecter à un projet donné, et en quelle quantité. Le spécialiste de l'évaluation doit y penser lorsqu'il détermine l'ensemble des questions à poser. Par exemple, si un projet est très intéressant sur le plan de la rentabilité économique nationale, mais ne l'est pas du point de vue financier pour toutes les entités privées qui doivent y engager les ressources, il ne sera pas entrepris comme prévu.

Un projet qui n'est pas financièrement intéressant peut le devenir si le gouvernement (le secteur public) fournit des subventions (incitations). C'est l'ampleur requise de ces subventions par rapport à l'excédent économique découlant du projet (avantages économiques moins coûts économiques ajustés comme il convient) qui déterminera si elles se justifient du point de vue socio-économique. De même, les analyses qui indiquent qu'un projet semble plus intéressant sur le plan financier qu'économique, peuvent permettre de comprendre l'opportunité d'imposer les groupes en cause.

Les interventions envisagées apporteront des changements et donneront des avantages qui pourront avoir un impact à divers niveaux - ménage, communauté, pays, région/monde (FAO, 1989a). L'analyse doit proposer des moyens propres à suivre et mesurer les avantages prévus de ces interventions. Cela veut dire aller au-delà des questions portant sur les résultats, nombre de pépinières créées, de techniciens formés ou volume de bois récolté et s'intéresser aux effets qu'ils auront, plus précisément aux avantages concernant les aspects retenus du bien-être. A cette fin, il importe d'identifier de simples indicateurs clés d'impact, pouvant être utilisés pour répondre à ces questions.

Par exemple, un indicateur préconisé du statut social dans les zones rurales du tiers monde est le ménage. Sous sa forme la plus simple, on compte le nombre de toits de tôle pour mesurer la richesse ou la pauvreté relatives des familles ou des villages, à un moment donné ou pendant un certain temps (Chambers, 1985). Mais cette méthode a ses limites. Dans le cas du programme de développement provincial dans le centre de Java, en Indonésie, deux séries d'indicateurs ont été établies concernant la prospérité relative des bénéficiaires (Soetoro, 1979). La première était axée sur les articles courants de la richesse matérielle qui pouvaient être observés dans la maison ou aux alentours, notamment le type de matériaux utilisés pour la construction des murs, des fenêtres, du plancher et du toit. La deuxième liste privilégiait l'avis d'un groupe particulier de villageois sur qui était prospère et qui ne l'était pas. Encore que pour quelqu'un venant du dehors, il ait été plus facile et plus rapide de contrôler la première série, la seconde - que l'on peut voir au tableau 5.1 - faisait davantage appel aux connaissances et aux valeurs de la population locale.

Tableau 5.1. Indicateurs de pauvreté dans le centre de Java

Un homme est pauvre s'il n'a pas de terre ou s'il doit la donner en location.
Un homme est pauvre si la construction de sa maison coûte moins de 10 000 roupies (16 dollars) et si personne ne veut l'acheter.
Un homme est pauvre s'il doit travailler comme travailleur salarié.
Un homme est pauvre si, quand il veut aller quelque part, il doit emprunter une bicyclette.
Un homme est pauvre s'il ne peut pas vivre uniquement d'agriculture et doit travailler comme artisan.
Un homme est pauvre si, outre le riz, il doit cultiver du manioc et du maïs.

Source: Soetoro, 1979.

Cette seconde approche a les trois avantages ci-après (Honadle, 1982):

1. Elle a une plus forte probabilité de continuer à être utilisée comme étalon une fois que l'aide extérieure au projet aura cessé, car elle est ancrée dans le contexte local.

2. Elle diminue le risque que le personnel technique puisse oublier des catégories sociales définies localement.

3. Elle mobilise les connaissances locales, les articule et amorce un processus où les catégories analytiques se fondent sur l'optique des ruraux.

Evaluation des projets à leurs divers stades

Les décideurs et ceux qui sont touchés par les projets ont besoin de réponses aux diverses questions mentionnées au chapitre 4, aux divers stades de déroulement du projet. Il s'agit de quatre phases principales, à savoir l'identification, la préparation, l'exécution et le suivi. La figure 5.1 illustre ces phases. Les types de questions posées ne sont pas les mêmes pour un projet potentiel ou proposé, un projet en cours ou un projet achevé ou passé.

Des évaluations d'impact sont faites tout au long de l'élaboration et de la mise en oeuvre du projet. Etant donné qu'elles sont conçues en fonction de questions spécifiques, une évaluation à un stade donné du projet peut différer à certains égards des évaluations effectuées à d'autres stades.

Encore que le stade du projet ait de l'importance, il y a de nombreuses similitudes dans le type de question qui doit être posé aux différents stades. En outre, des méthodes d'évaluation analogues sont utilisées à chaque stade du projet et exigent des types analogues d'informations. Toutefois, les moyens d'obtenir des renseignements et le niveau de détail requis peuvent varier d'un stade à l'autre. Certaines de ces différences apparaissent si l'on examine le processus d'évaluation financière.

Au stade de l'identification du projet, des estimations sommaires des coûts et recettes peuvent être suffisantes pour déterminer s'il vaut la peine ou non de poursuivre l'examen de projets potentiels. Au stade de la préparation, il se peut qu'il soit nécessaire d'entrer beaucoup plus dans le détail et d'être plus précis pour analyser d'autres conceptions possibles de projets. Aux deux stades, les données sur les coûts et recettes sont des estimations d'événements futurs. Ces estimations sont entachées d'incertitude et il faut reconnaître que les résultats des évaluations à ces stades se fondent sur des estimations qui ne sont jamais très sûres.

Au stade d'exécution du projet, on s'efforcera de mesurer les coûts et les recettes effectives, de surveiller les dépenses et recettes en cours et d'estimer celles qui sont à prévoir. A ce moment, le temps et les fonds peuvent permettre ou non de faire des observations appropriées pour déterminer les véritables coûts et avantages. Il peut être difficile de tirer des informations sur les coûts et avantages passés des registres, qui sont ou ne sont pas disponibles, complets, exacts et présentés sous une forme utile à l'analyste. Etant donné que le projet n'est pas encore achevé, il faut faire aussi des estimations des coûts et avantages futurs, avec toutes les incertitudes qui y sont liées. Des systèmes de tenue de registres doivent être envisagés dès le début du projet, afin d'appuyer les activités d'évaluation dans les phases ultérieures.

Figure 5.1. processus de développement des projets

Une fois le projet achevé, les coûts et avantages sont estimés sur la base des faits inscrits dans les registres, s'ils sont disponibles, ou à l'aide d'observations des conditions existantes. Plus l'espace de temps qui s'est écoulé depuis l'achèvement du projet est long, plus faible est la probabilité que les registres des activités et résultats du projet soient disponibles.

S'il est difficile d'obtenir et de coordonner les renseignements aux divers stades du projet, c'est parce que l'évaluation à chaque stade est souvent isolée de celle effectuée à d'autres stades. Un analyste à un stade avancé du projet, risque donc de n'avoir que peu ou pas d'informations provenant d'évaluations du même projet à des stades antérieurs. L'obtention d'informations est coûteuse et il faut s'employer à les utiliser utilement et efficacement. L'évaluation d'impact d'un projet doit être conçue d'une façon systématique, dans le cadre du processus de développement. Il faut veiller à lier aussi étroitement que possible les activités d'évaluation tout au long du projet, sans pour autant compromettre les fonctions d'indépendance et de vérification de certains types d'évaluation.

Indépendamment du stade de déroulement du projet, une évaluation doit se faire par approximations successives. Les décideurs proposent des questions pour lesquelles ils veulent des réponses et suggèrent des limites quant aux fonds et au temps consacrés à l'évaluation proposée. Le personnel technique détermine quelles méthodes d'évaluation pourraient être utilisées pour répondre aux questions et si les données et informations requises par les méthodes sont disponibles ou pourraient être obtenues dans les limites de temps et d'argent spécifiées. Il se peut qu'il ne soit pas possible de répondre à toutes les questions proposées d'une façon aussi détaillée qu'on le voudrait, étant donné les fonds et le temps à disposition. Dans ce cas, le décideur doit peut-être modifier les questions ou les contraintes; ou il peut être nécessaire de modifier les méthodes d'évaluation pour arriver à un compromis acceptable.

Pendant les phases d'identification et de préparation des projets, l'activité effective d'évaluation doit aussi comporter un processus itératif. Personne ne veut gaspiller des ressources pour une évaluation détaillée d'options ou de solutions qui seront rejetées au cours du prochain stade du projet. C'est pourquoi les décideurs et analystes peuvent commencer par concevoir sommairement des projets potentiels et par effectuer un rapide examen préalable de ceux-ci. Ces examens préalables peuvent utiliser des estimations rudimentaires des apports et produits, de la faisabilité et de l'opportunité, avec un degré de détail suffisant uniquement pour éliminer les projets qui ne sont ni réalisables ni souhaitables.

Par exemple, dans le cadre d'un projet visant à produire du bois rond industriel dans des plantations, on peut commencer par examiner les essences qui pourraient être plantées et déterminer lesquelles... conviendraient à l'industrie et lesquelles seraient adaptées aux sites envisagés pour la plantation. Celles qui ne sont pas appropriées peuvent alors être éliminées. A la prochaine approximation, on peut classer les essences appropriées en fonction des coûts et avantages potentiels (grosso modo, élevés, moyens et faibles) liés à leur plantation. Toute chose étant à peu près égale, les essences ayant des avantages élevés et de faibles coûts devraient être préférées à celles ayant des avantages moyens ou faibles et des coûts moyens ou élevés. Après une analyse initiale sommaire des diverses options, le décideur et l'analyste sont en mesure d'éliminer les moins souhaitables. Celles qui passent l'examen initial peuvent ensuite servir à la conception du projet et à une évaluation plus détaillée, à l'aide de données et d'informations plus précises. Ce type d'interaction entre la conception et l'examen préalable, qui progresse par étapes de plus en plus détaillées et affinées est une approche utile de l'analyse d'impact.

Obstacles techniques et institutionnels aux évaluations

Dans les paragraphes précédents, on a exposé les facteurs fondamentaux qu'il faut prendre en compte pour concevoir une stratégie et une approche d'évaluation. Pour choisir une approche empirique particulière aux fins de l'évaluation ou pour répondre aux diverses questions d'impact posées, il faut tenir compte non seulement des qualités techniques des diverses approches, mais aussi des objectifs en jeu et des critères utilisés pour juger l'utilité et la crédibilité d'une évaluation (figure 5.2). La meilleure méthode d'évaluation du point de vue technique est celle qui produit des résultats conformes aux besoins du décideur et non pas celle qui produit des résultats trop tard pour être utile ou qui est trop coûteuse.

Lorsqu'on choisit l'approche à utiliser pour une évaluation, il faut examiner attentivement les facteurs techniques, l'objectif et l'utilisation primaire de l'évaluation, son utilité du point de vue de l'opportunité, de la pertinence et la crédibilité probable des résultats. Ce dernier point est important, encore qu'il soit parfois négligé. Si les résultats de l'évaluation doivent servir à justifier aux yeux de tiers les activités de projets futurs ou passés, on doit alors se préoccuper de la façon dont ces tiers percevront les résultats de l'évaluation. Si la réputation des analystes est suspecte, si les résultats ne sont pas faciles à comprendre, s'il y a un degré élevé d'incertitude et de controverse quant aux données et aux informations utilisées ou produites par l'analyse, si les résultats contredisent les informations provenant d'autres sources, et si les conseillers en matière de projet ne peuvent les accepter, l'évaluation, même si elle est correctement effectuée du point de vue technique, ne devrait pas servir son objet.

En résumé, lorsqu'ils décident quelle approche adopter et comment effectuer l'évaluation, les planificateurs de projets et les décideurs doivent reconnaître les limites pratiques imposées aux évaluations par:

Nombreuses sont les façons d'effectuer des évaluations et nombreuses sont les techniques qu'un analyste peut retenir; elles vont d'un examen des renseignements existants à la réalisation d'une étude de cas approfondie. Toutefois, indépendamment de la technique ou des techniques particulières utilisées, certaines étapes pratiques peuvent être indiquées qui contribueront à rendre l'approche aussi claire que possible. La première consiste à fixer des priorités et à identifier les besoins d'information. Les questions qu'il ne faut jamais oublier sont: Qui utilisera ces informations et à quelle fin? La réponse à ces deux questions devrait déterminer ce qu'il faut demander et comment présenter les résultats.

Selon le type de projet forestier et le stade qu'il a atteint dans son déroulement, ceux qui participent directement doivent préciser quels renseignements sont nécessaires, pourquoi ils sont nécessaires et qui les utilisera. Il est aussi important de savoir combien cela coûtera de les recueillir, de les traiter, de les analyser, de les présenter et combien de temps cela prendra. Pour faciliter ce processus, Chambers (1981) a préconisé la pratique de l'ignorance optimale et de l'imprécision appropriée. La première se réfère au minimum d'information nécessaire pour prendre des décisions rationnelles; la capacité de déterminer exactement quel est ce niveau s'acquiert avec l'expérience. La seconde se rapporte au fait que, si l'imprécision n'est pas une vertu, économiser du temps et de l'argent l'est. Le degré de précision dépend fortement de la nature des questions posées. Par exemple, dans le cas d'un projet visant à promouvoir l'aménagement des bassins versants, il vaut peut-être mieux disposer de renseignements plus précis sur les incitations individuelles que, sur les technologies disponibles.

Figure 5.2. Facteurs déterminant le choix de l'approche pour évaluer les effets des projets forestiers.


[2] Valeur actualisée des recettes futures estimées de la forêt et de la terre.

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