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Préface

Depuis BENNET (1939), le père de la Conservation des Sols, une multitude de manuels concernant la lutte antiérosive ont été publiés dans le monde. La majorité de ces ouvrages sont rédigés en langue anglaise ou espagnole et relatent l'expérience des praticiens, les principes techniques à respecter, les méthodes mécaniques (et parfois biologiques) à mettre en oeuvre et donnent une série de recettes pratiques appliquées avec plus ou moins de succès dans une région donnée. Rares sont les auteurs qui, après avoir constaté sur le terrain le peu d'efficacité des méthodes généralement proposées, acceptent de remettre en cause les principes de lutte antiérosive développés jadis par Bennet dans des conditions écologiques et socio-économiques bien précises: les grandes cultures mécanisées peu couvrantes (arachide, coton, tabac, céréales) introduites par les immigrés européens dans la grande plaine semi-aride des Etats-Unis d'Amérique, à l'époque de la crise économique de 1930. Son approche de la conservation des sols (basée sur l'évacuation hors des champs cultivés des eaux de ruissellement dans des canaux à faible pente vers des exutoires aménagés) a ensuite été appliquée sans vérification dans des circonstances très différentes (par ex. chez les petits paysans survivant sur les montagnes tropicales) ... avec le peu de succès que l'on sait.

Or, depuis Bennet, la Science a fait des progrès considérables.

D'une part, on a découvert que l'énergie cinétique des gouttes de pluie peut être à l'origine de la dégradation des sols cultivés. Par conséquent, on peut réduire les risques de ruissellement et d'érosion en introduisant des systèmes de production couvrant mieux le sol (Ellison, 1944; Stallings, 1953; Wischmeier et Smith, 1960-78; Hudson, 1973; Roose, 1977, etc. . .).

D'autre part, on s'est rendu compte que les processus de dégradation des sols et d'érosion sont nombreux, leurs causes variées et les facteurs modifiant leur expression sont multiples et parfois contradictoires. En soignant l'érosion en nappe, on a quelquefois augmenté les risques de glissement de terrain (cas des marnes).

Enfin, on analyse mieux la diversité des paysages physiques et les conditions socio-économiques de l'efficacité des méthodes antiérosives. On ne traite pas de la même façon les crises érosives des grands propriétaires progressifs des zones tempérées et les problèmes de survie d'une population pauvre et nombreuse accrochée sur des pentes tropicales.

On ne peut donc plus se contenter de décrire des recettes qui ont donné de bons résultats quelque part... Il faut apprendre à évaluer la diversité des situations et à jouer avec les forces de la nature plutôt que de tenter de s'y opposer: modifier progressivement l'allure d'un versant en ralentissant les nappes de ruissellement et en orientant les travaux culturaux pour aboutir à des terrasses progressives, plutôt que de saigner la montagne à l'aide de bulldozers puissants pour créer rapidement des structures, souvent instables et coûteuses à entretenir.

Dans cet ouvrage, l'auteur voudrait rappeler aux agronomes que la lutte antiérosive n'est pas seulement l'affaire de spécialistes que l'on charge de restaurer les terres déjà dégradées par une exploitation minière productiviste: il faudra désormais intégrer le point de vue de l'aménagiste, gestionnaire de l'eau et de la fertilité des sols, lors de la mise au point de systèmes de culture à la fois rentables et durables, sans danger pour l'environnement rural et urbain.

Depuis les années 1980, de nombreuses critiques se sont élevées pour dénoncer les échecs observés dans la majorité des programmes intégrant la lutte antiérosive. On admet aujourd'hui qu'il existe deux domaines dans la lutte antiérosive.

Le domaine de l'État, qui réagit aux catastrophes et délègue ses ingénieurs pour maîtriser les glissements de terrain, corriger les torrents, reforester les montagnes, aménager les rivières qui menacent les ouvrages d'art, les voies de circulation, les zones habitées, les aménagements hydrauliques, l'envasement des barrages. Pour l'intérêt public, les représentants du pouvoir central imposent des équipements hydrauliques en milieu rural. C'est coûteux, cela ne plaît pas aux paysans, mais c'est indispensable pour contrôler la qualité des eaux (logique aval) et seul l'Etat est capable d'assurer ces travaux mécaniques importants.

Le domaine paysan de la protection des terres (logique amont) que seule la communauté rurale peut maîtriser à condition qu'on l'aide à poser les bons diagnostics sur l'origine de la crise érosive et les moyens les mieux adaptés afin d'améliorer à la fois la protection du milieu, la production de la biomasse, et son niveau de vie.

C'est essentiellement dans ce dernier domaine, celui de la gestion conservatoire des eaux de surface, de la biomasse et de la fertilité du sol, GCES ou land husbandry des anglophones (Shaxson et al., 1987; Hudson, 1992), que cet ouvrage voudrait faire le point des connaissances en faisant surtout appel aux travaux de recherche des pédologues, agronomes et géographes francophones, en particulier de l'ORSTOM et du CIRAD, ayant travaillé principalement en Afrique où les problèmes évoluent plus vite qu'en Europe. Les travaux des anglophones dans ce domaine sont déjà connus par ailleurs (Wischmeier et Smith, 1978; Hudson, 1992).

L'auteur présente un point de vue personnel et provocateur: une approche nouvelle et plus constructive des problèmes posés aux paysans dans leur lutte contre la dégradation de leurs terres. Ce n'est pas un manuel qui présente des recettes à appliquer en face de chaque problème d'érosion, mais un ouvrage permettant aux chercheurs, formateurs et agronomes de terrain, de découvrir la diversité des situations, de poser un diagnostic sur l'origine des crises et de proposer une palette de solutions techniques dans laquelle une petite communauté rurale {une famille, un quartier, un village, un versant, une colline ou un microbassin versant) pourra choisir le paquet technologique répondant le mieux à ses problèmes. On trouvera ailleurs des exposés plus pédagogiques pour former les animateurs ruraux (Dupriez et De Leener, 1990; Inades, 1989) et des manuels plus techniques pour la correction torrentielle et les glissements de terrain (Heusch, 1988, documentation Cemagref) ou sur la fertilisation des sols (Piéri, 1989).

Ce document a servi de base pendant 8 ans à la formation en "GCES, en tant qu'instrument de la gestion de terroir" pour 700 ingénieurs agronomes ou forestiers du CNEARC et de l'ENGREF à Montpellier (France), de l'ENDHA en Haïti, ainsi que pour 50 techniciens supérieurs en hydraulique de l'ETSHER à Ouagadougou (Burkina Faso). Nous espérons qu'il pourra s'enrichir de vos remarques et de nouvelles expériences au cours des éditions futures. Il aura atteint son objectif s'il permet à un grand nombre d'aménagistes et d'agronomes de trouver des éléments de réflexion pour développer des systèmes agraires intensifs et durables bien adaptés à la diversité des situations écologiques et socio-économiques locales.


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