Table des matières - Précédente - Suivante


LES STRUCTURES DE DISSIPATION DE L'ENERGIE DU RUISSELLEMENT

Au cas où les pluies dépassent la capacité d'infiltration du sol, on peut aussi gérer des nappes ruisselantes en veillant à les disperser tout au long de la surface du versant plutôt que de les concentrer dans les canaux et des exutoires qui posent problème.

On peut disperser leur énergie en maintenant leur vitesse inférieure à 25 cm/sec, vitesse qui correspond à l'énergie nécessaire pour permettre l'arrachement des particules du sol par l'énergie propre au ruissellement (Hjulström, 1935) (figure 20).

Cette dispersion tout au long du versant se fait d'une part par les techniques culturales entretenant la rugosité de la surface du sol (état motteux, nombreuses tiges d'herbe, influence des adventices et du paillage, etc...) et d'autre part, par des structures du type "micro-barrages perméables" qui ralentissent temporairement l'écoulement, permettent une certaine sédimentation, un étalement de la crue, une réduction des débits de pointe et une amélioration de l'infiltration.

Les bandes d'arrêt enherbées (tableau 35) ont réduit le ruissellement à 30 ou 60 % du témoin et l'érosion à 30 et jusqu'à 10 % du témoin.

Les haies vives, constituées de deux à trois lignes d'herbes ou d'arbustes plantés en quinconce, fonctionnent également comme des micro-barrages perméables très efficaces.

König (1992), dans la station expérimentale de Ruhande près de Butare au Rwanda, a montré que sur une pente de 27 % où l'érosion sur sol nu peut atteindre 550 t/ha/an, les arbres isolés ont peu d'efficacité. Par contre, les haies vives de Calliandra ou de Leucaena implantées tous les 10 m réduisent l'érosion à moins de 7 t/ha/an. Les haies de Setaria, quant à elles, sont encore deux fois plus efficaces pour réduire l'érosion (0,3 t/ha/an), mais s'épuisent au bout de 3-5 ans d'exploitation fourragère (tableau 36).

Ndayizigiyé (1992), à la station ISAR de Rubona, à une vingtaine de kilomètres de Butaré (Rwanda), a comparé l'efficacité antiérosive des haies arbustives de Calliandra, Calliandra plus Setaria et Leucaena (deux lignes à 50 cm de distance) plantées à sept mètres d'intervalle sur une pente de 24 % sur un sol ferrallitique sablo-argileux très désaturé.

TABLEAU 35 : Influence des bandes d'arrêt et du travail du sol suivant les courbes de niveau en zone tropicale humide et sèche (expérimentations en parcelles d'érosion) (d'après Roose et Bertrand, 1971)

Bandes d'arrêt

Largeur

0 m

2 m

4 m

Rapport efficacité

Adiopodoumé (1965)






Pluie: 2300 mm

KR %

16,5

10,3

6,0

1-0,6-0,3

Manioc

E t/ha/an

18,9

5,7

1,8

1-0,3-0,1

Pente 7 %






Bouaké (1965-66)






Pluie: 1180 mm

KR %

12,6

5,1

3,8

1-0,4-0,3

Arachide/maïs

E t/ha/an

7,6

0,9

0,6

1-0,1-0,08

Pente 4 %






Traitements
Allokoto (1966-71)
Pluie: 437 mm
Arachide, mil, sorgho, coton
Pente 4%

témoin culture traditionnelle Haoussa

bandes d'arrêt 50 cm
dh = 40 cm
°labour + billonnage
°binages fréquents

murets pierres
dh = 80 cm
°labour + billonnage
°binages fréquents

bourrelets armés
dh = 80 cm
°labour + billonage
°binages fréquents

Rapport efficacité

R %

17,6

5,2

3 8

0,9

1-0,3-0,2-0,5

E t/ha/an

9,5

1,1

0,5

0,3

1-0,1-0,05-0,03

TABLEAU 36 Effet sur l'érosion des haies vives en graminées (Setaria) ou en arbustes (Leucaena ou Calliandra) (sur la colline de Ruhande près de Butare au Rwanda) (d'après König, 1991)

Traitement


E t/ha/an

Témoin international

- jachère nue travaillée

557

Témoin régional

- culture traditionnelle de manioc

303


- idem + arbres Grevillea robusta + cultures associées

110


- culture en allée (Calliandra tous les 5 m) + manioc

16,1


- idem + cultures associées

2,8


- haie de Calliandra tous les 10 m plantée

12,3


- haie de Calliandra tous les 10 m semée

7,6


- haie de Leucaena tous les 10 m plantée

7,4


- idem + billons tous les 5 m

3,9


- haie de Setaria bouturée

3,2

° haies = trois lignes en quinconce sur terrasse horizontale d'un mètre de large, tous les 10 mètres
° culture en allée = deux lignes d'arbustes tous les 5 mètres
° pour que les haies soient efficaces, il faut créer une couche filtre au ras du sol à l'aide de paille de brousse, d'adventices ou des produits de l'émondage de la haie

° Noter:

- la faible influence des arbres isolés,


- l'influence raisonnable de la culture en allée,


- l'influence plus forte des haies d'herbacées que des haies arbustives, qu'on peut compléter en ajoutant des éléments de billons couverts tous les 5 mètres

Pour des pluies variant de 1000 à 1250 mm établies sur dix mois, le coefficient de ruissellement annuel moyen sur les terrains (sol nu ou cultures traditionnelles) reste modéré (6 à 12 %), mais il tend à augmenter à mesure que la surface du sol se dégrade. Il peut dépasser 45 à 50 % par les plus fortes averses en deuxième saison humide sur sol détrempé. A l'inverse, dans les parcelles protégées par les haies vives, le ruissellement tend à diminuer à moins de 2 % quel que soit le type de végétation, surtout depuis qu'on répand les émondes à la surface du sol entre les cultures et qu'on dispose les adventices collectées lors du sarclage au pied des haies vives.

L'érosion atteint 300 à 500 t/ha/an sur le témoin en sol nu, 100 à 250 t/ha/an sous culture traditionnelle, mais tend vers 1 t/ha/an sur les parcelles protégées par les haies vives. On peut donc considérer que les parcelles aménagées sont stables au bout de deux à trois années: la CES est réussie, mais qu'en est-il du rendement des cultures ?

Les essais montrent que la production de biomasse des haies arbustives croît progressivement de 1,5 à 3,2 kg/mètre linéaire, que la présence d'herbes (Setaria) au pied des arbustes donne de bons résultats dès la première année, mais qu'ensuite, le Calliandra pur produit plus que le Leucaena, et enfin que la remontée de nutriments grâce aux racines profondes des arbustes peut atteindre 78 kg d'azote, 10 kg de phosphore, et 17 kg/ha/an de potassium qui sont redistribués sous forme de paillage au cours de la croissance des cultures.

On avait espéré qu'en combinant l'apport des émondes des haies vives et 10 t/ha/an de fumier (poudrette de parc), on allait améliorer progressivement la production des cultures. En réalité, le niveau de production est resté médiocre (500 à 250 kg/ha de maïs, plus 500 à 800 kg/ha de haricots en première saison et 450 à 650 kg/ha de sorgho en deuxième saison). Ce n'est qu'en quatrième année qu'on a compris qu'il fallait restaurer la fertilité du sol (apport de 2,5 t/ha de chaux, plus 10 t/ha de fumier de parc, plus 300 kg/ha de NPK (17.17.17) pour que la production des cultures augmente significativement (plus de 2 t/ha de haricot, 1,4 t/ha de sorgho).

Les talus enherbés complexes: Les micro-barrages (bandes enherbées, haies vives, etc...) aboutissent en quelques années à la formation de terrasses progressives entrecoupées de talus à pente raide protégés par un tapis herbacé.

La figure 47 représente l'évolution d'un talus enherbé sur une pente de 10 à 60 % qui, en 5 à10 ans, atteint 1 à 1,5 m de haut, taille maximale au-delà de laquelle s'accroissent vite les risques de destruction (terriers creusés par les animaux, ravines, glissements de terrain) et les difficultés d'exploitation. (Roose, 1990).

Comme l'efficacité de telles mesures diminue si le talus n'est pas continu sur toute la colline, il est recommandé de le piqueter en totalité avec la communauté rurale, et de planter la première ligne de graminées représentant la courbe de niveau de base sur l'ensemble du versant ou de la colline, quitte à ce que chacun complète l'aménagement au cours des cinq années suivantes, chacun à son rythme sur son terrain. Si on impose à la communauté rurale tout l'aménagement de l'ensemble de la colline, on risque de déresponsabiliser les paysans qui négligent alors leur entretien (Ngarambe, 1991). Or, si la bande enherbée est discontinue, les eaux de ruissellement vont se précipiter dans cette brèche, creuser une ravine et miner tout l'aménagement.

FIGURE 47

: Modèle évolutif de structure antiérosive perméable en vue de la dissipation de l'énergie du ruissellement (d'après Roose, 1991)

------------------------------------------------------------------------------------------

COMMENTAIRES

Objectif

1. Briser l'énergie du ruissellement en étalant la nappe à la surface du sol protégée par un tapis dense de graminées.

2. Modifier la couverture pédologique en une suite de zones cultivées à pente faible et de talus protéges (hauteur 0,5 à 2 mètres selon l'épaisseur et la résistance du sol).

Méthodes

an 1:

Tracer la courbe de niveau (tous les 5 à 20 mètres selon la pente et l'épaisseur du sol) en plantant des graminées pérennes. Le labour va apporter 10 cm de sol en amont et retrancher 10 cm de sol en aval.

an 2:

Planter 2 lignes supplémentaires de graminées X légumineuses.

an 3:

Planter encore 2 lignes supplémentaires, puis planter des arbres à croissance vigoureuse au pied du talus pour réduire les risques de glissement.

La couverture pédologique étant devenue d'épaisseur variable, on peut faire pousser des plantes exigeantes en amont du talus (zone d'accumulation de sol, d'eau, de fertilité) et des plantes plus rustiques à l'aval du talus (zone de décapage à restaurer).

Avantages

Le terrassement se fait progressivement par érosion et surtout par le travail du sol ( + 20 cm de hauteur par an). L'aménagement est totalement maîtrisé par les paysans.

Cet aménagement ne demande pas de gros investissements, ni de gros entretiens: le piquetage n'exige pas une topographie aussi précise que les fossés.

Il n'y a pas de perte de terrain ( 6 à 20 % pour les fossés) car le talus est un lieu de production privilégié (bois, fruitiers, fourrages). L'efficacité est maintenue en cas de très fortes averses et augmente avec le temps.

FIGURE 48 : Exemples de micro-barrages perméables en milieu semi-aride (d'après Roose, 1989)

Alignement de pierres

(stone line) d'herbes, paille, piquets

• une seule rangée d'obstacles perméables
• ralentit et étale le ruissellement
• piège le sable éolien + fines du ruissellement
• fragile: bousculé par bétail + rigole, enterrée par le ruissellement.

Réseau en nid d'abeilles

• cloisonnement ® réduit les écoulements latéraux
• utilisé pour restaurer les sols en bas des collines gérées comme des impluvium

Cordon de pierres

(stone bund)

• au moins 2-3 niveaux de pierres solidaires
• consolidé par:

- herbes > < mouvements latéraux
- haie + arbres > < bétail (en aval)

• piège 5 à 15 cm de sable + M.O. + limon
• filtre les matières organiques flottantes
• étale les écoulements dans le temps/espace

Muret de pierres plates

• entassement soigné de pierres plates
• mur + filtre drainant en amont et dessous le mur
• aboutit à des terrasses progressives

Digue semi-filtrante

• gros cordon de pierres au travers d'une tête de Vallée
• crête horizontale renforcée
• ralentit l'écoulement
• noyau plus fin tassé si on veut retenir une lame d'eau

Les alignements de pierres, de piquets, de touffes d'herbe ou de paille (stone ou grass lines) (figure 48a et b)

Il s'agit d'obstacles perméables aux nappes d'eau ruisselantes établis en courbe de niveau sur une seule rangée. Ces alignements sont facilement observables en zone semi-aride soudano-sahélienne au Mali, Burkina et Niger. Ces alignements de pierres ralentissent le ruissellement qui s'étale en nappe de quelques centimètres d'épaisseur. A cause du ralentissement, ils provoquent la sédimentation des sables et par dessus, des particules plus fines qui colmatent plus ou moins la surface. Ces obstacles filtrent l'eau et retiennent les pailles, les fèces des animaux déposés durant la saison sèche sur les parcours, les divers résidus organiques flottants. Il se dépose donc une fumure localisée dans la zone de sédimentation et dans la zone d'alimentation hydrique. En saison sèche, ces alignements, s'ils sont bien orientés, provoquent le piégeage du sable qui circule par érosion éolienne. Ces alignements créent une hétérogénéité du potentiel de production en concentrant l'eau et les nutriments sur deux à six mètres en amont de l'obstacle et en le redistribuant vers l'aval au cas où il y aurait un excès d'eau.

Dangers - Lorsque la nappe de ruissellement s'épaissit devant les obstacles, elle finit par trouver une issue. A cet endroit, le ruissellement s'accélère par effet Venturi, creuse une rigole à l'avale puis sous les cailloux et les enterre.

En s'étalant devant l'obstacle, la nappe crée un mouvement latéral qui peut aboutir à une concentration locale du ruissellement avec formation d'un chemin d'eau plus agressif, capable de creuser des rigoles et de déplacer des gravillons et des cailloux.

Ces alignements sont fragiles: d'un coup de sabot, le bétail qui divague peut déplacer une pierre et former une brèche où l'eau s'engouffre. Les rigoles évoluent alors en ravines.

La durée de ces alignements est limitée. Les piquets et les pailles pourrissent et sont attaqués par les termites. Les touffes d'herbe s'étouffent au centre, s'étalent et laissent des brèches néfastes. Les cailloux sont bousculés par le bétail ou enfouis sous le sable. Mais les matières organiques accumulées devant ces obstacles ont attiré les termites qui améliorent souvent la macroporosité et la capacité d'infiltration à ce niveau. Il se développe alors quantité d'herbes, d'arbustes et quelquefois d'arbres. Pour lutter contre les mouvements latéraux qui entraînent l'érosion du sol, on peut opter pour un cloisonnement latéral. Il s'agit de construire des petits bourrelets perpendiculairement à l'obstacle ou de cloisonner latéralement le champ pour lui donner une structure en nid d'abeilles souvent utilisée par les Mossi du nord-ouest du Burkina Faso pour restaurer les sols au bas des collines. On peut aussi attendre une année que se dessinent les chemins d'eau pour renforcer avec de grosses pierres ces zones plus fragiles où les eaux se rassemblent. Enfin, il faut entretenir l'état rugueux du sol par un travail régulier en vue de casser la croûte de battance ou de sédimentation qui bouche la surface du sol. Un sarclo-binage évoluant en buttage cloisonné réduit les risques de concentration des eaux. Enfin, un filtre de paille établi à l'amont des alignements de pierres, des touffes d'herbe et des haies vives, augmente beaucoup leur efficacité.

Les cordons de pierres (stone bonds) (figure 48c)

Il s'agit de deux à trois niveaux de pierres rangées en courbe de niveau de façon à se renforcer l'une l'autre. Ces aménagements sont courants dans la province du Yatenga au Burkina Faso. L'aménagement d'un hectare en cordons de pierres (400 m) exige environ 30 à 60 jours de travail, non compté le transport entre la carrière et le champ (1 jour de camion). Ces cordons de pierres ralentissent le ruissellement, l'étalent en nappes de telle sorte qu'il s'infiltre en moins d'une heure, provoquant ainsi la sédimentation successive des sables, des agrégats puis des particules fines humifères, lesquelles vont former une croûte de sédimentation. Seul l'excédent des eaux passe au-dessus du premier niveau de pierres. Le stockage d'eau est plus important que pour les lignes de pierres, et la nappe s'étend souvent sur cinq à huit mètres devant le barrage perméable. Ce cordon filtre les pailles, les fèces et diverses matières organiques flottantes, au point que les paysans considèrent que c'est là l'une de ses fonctions les plus utiles: garder en place la fertilité des sols.

Les cordons de pierres sont en principe installés perpendiculairement aux écoulements, mais pas forcément orientés perpendiculairement aux vents: ils ne piègent donc pas toujours les sables qui circulent en nappe en saison sèche.

Le premier niveau de pierres est "planté dans le sol" sur quelques centimètres et colmaté avec de la terre de manière à accumuler, en amont du cordon, 5 à 15 cm de terre sableuse organique filtrante pour améliorer la capacité de stockage d'eau du sol et former un nouvel horizon humifère.

Le deuxième étage et le troisième rang à l'aval, faits de pierres plus petites ou d'herbe, répartissent les écoulements excédentaires, absorbent l'énergie du ruissellement et suppriment le creusement de rigoles à l'aval lors des averses importantes. Le travail du sol dans la bande cultivée et l'érosion provoquent la formation rapide d'un talus qu'il faut stabiliser avec de l'herbe, par exemple de l'Andropogon ou du Pennisetum.

Dangers - Si la crête de la diguette n'est pas strictement horizontale (cas des courbes isohypses lissées), la nappe de ruissellement s'écoule vers les points bas et forme des chemins d'eau où le ruissellement accélère et creuse des rigoles évoluant en ravines qui drainent tout le versant. Si par contre, on cherche à suivre la ligne isohypse stricte, on aboutit à des largeurs de champ cultivés très variables (écart de 10 m à la moindre termitière sur des pentes de 2 %) ce qui gêne la culture mécanisée. Même dans ces cas, on observe la formation de petits chemins d'eau. On peut alors intervenir de diverses manières:

- en renforçant avec de grosses pierres les zones où les eaux se rassemblent et en effectuant un aplanissement progressif;

- en augmentant la rugosité du sol par un travail grossier aux dents, des sarclages répétés et un buttage cloisonné;

- en semant des herbes (Andropogon) en amont et autour du cordon pour freiner la circulation de la nappe;

- en cloisonnant le champ sur 5 m en amont du cordon, par des billons en terre ou par des cordons de pierres, mais ceux-ci sont gênants pour la mécanisation. (Serpantié et Lamachère, 1991).

La dégradation du cordon par la divagation du bétail peut être réduite par la plantation d'herbes qui couvrent les pierres, et d'une haie vive à l'aval ainsi que d'arbres qui finissent par cloisonner les paysages (embocagement). Dans les régions où il manque de pierres, on peut semer entre deux bilions isohypses (hauteur 20 cm) une bande d'herbe (Andropogon) de 50 cm ou une haie vive (au moins trois rangs en quinconce) pour obtenir le même effet (Roose, Rodriguez, 1990). Dans les régions montagneuses, les paysans ramassent souvent les pierres affleurantes et les entassent à la limite des champs (en particulier talus de bordure des champs). Si des tas de pierres sont disposés le long des courbes de niveau, ils fonctionnent comme des cordons pierreux.

Une équipe de chercheurs de l'ORSTOM (Serpantié, Lamachère, Martinelli et al., 1986-1992) ont étudié les effets conjugués d'un aménagement en cordons pierreux combiné au labour et comparé au témoin sous un impluvium dans la région de Bidi, près de Ouahigouya dans le Yatenga, au nord-ouest du Burkina Faso (tableau 37, figure 49).

Les murettes de pierres sèches (stone walls) (figure 48d)

Il s'agit d'un mur construit soigneusement en empilant des pierres plates calées par de petits fragments de roche. On en trouve fréquemment dans les massifs montagneux gréseux, comme près de Bamako au Mali. Pour construire un muret de pierres sèches, il faut d'abord creuser une tranchée en courbe de niveau jusqu'à un horizon cohérent, mettre en place, au fond et sur la paroi de la tranchée, un filtre drainant constitué d'une couche de sable et de gravier.

Sur pente moyenne à forte, on aboutit rapidement à des terrasses progressives par le rejet de la terre de la tranchée vers l'amont, par érosion hydrique et surtout par érosion mécanique sèche lors des travaux culturaux.

Danger - La pression exercée par la couverture pédologique et par la nappe hydrique directement sur le mur peut déformer celui-ci en "un ventre": le muret va finir par s'écrouler si on n'a pas prévu un bon drainage à l'amont du mur et une couche de gravier sous le mur.

Au cours du temps, le pied du mur va être déterré par érosion hydrique ou par les travaux culturaux dans le champ à l'aval du mur. Pour réduire cette évolution, il faut enherber le talus qui se développe au pied du mur ou y planter des arbres fruitiers qui empêcheront la terre de ramper vers le bas de la colline.

Les digues filtrantes perméables et semi-perméables (figure 48e et 52)

Il s'agit d'entasser des grosses pierres sur une ligne, la crête étant en courbe de niveau, pour barrer une tête de vallée en vue de ralentir les écoulements et de favoriser l'alimentation de la nappe phréatique. La construction de ces énormes cordons de pierres peut prendre 300 à 600 jours de travail pour construire une digue de 100 à 300 m de long et de 1 à 2 m de haut. La largeur de la digue dépend de sa hauteur et de la profondeur du ravinement en chaque endroit. Il faut que la crête de la digue soit absolument isohypse et que cette digue soit posée dans une fosse de fondation (H = 20 à 40 cm) recouverte elle aussi d'un lit filtrant. Le ruissellement au fond de la vallée, est ralenti par cet obstacle, mais il passe vite entre les grosses pierres à moins que l'on ait prévu un noyau filtrant de graviers plus fins. Celui-ci peut retenir les eaux pendant quelques jours.

TABLEAU 37 : Expérimentation sur l'effet des cordons pierreux et du travail du sol sur le ruissellement, l'érosion et les rendements en mil à la station de Bidi (Samniweogo), nord Yatenga, Burkina Faso (d'après Serpantié, Lamachère, 1991)

Sol ferrugineux tropical, sablo-argileux bien drainant, profond de 25 à 220 cm sur cuirasse. Pente 2,5 %. Parcelles de 3 100 m2 recevant jusque fin 1987, le ruissellement d'un impluvium de 1 250 m2.

Année

Pluies mm + 2

Traitements

Ruissellement

Erosion t/ha/an

Rendements kg/ha




KRA M %

Sol lisse humide

KR Max %


biomasse

grain






lisse sec

rugueux




1985

239

1. Traditionnel

29

35

34

75

-

1080

137

+ impluvium


2. T + cordon pierreux

24

40

32

57

-

1470

136

1986


1. T

24

34

67

42

(2,80)

2520

233

+

530

2. T + CP

23

48

49

30

(1,96)

3010 ( + 19%)

406 ( +4%)

impluvium


3. T + CP + Labour






4640 (+54%)

837 (+ 106%)

1987


1. T

11

62

32

29

1,01

1770

346

+

400

2. T + CP

9

60

16

11

0,32

2330(+32%)

443(+28%)

impluvium


3. T + CP + L

3

16

0

10

0,40

3140 (+35%)

679 (+53%)

1988


1. T

18

50

23

34

1,60

1890

385

+

520

2. T + CP

10

24

14

16

0,57

2090 ( + 11 %)

362 (-6%)

cloisons - impluv.


3. T + CP + L

13

35

20

19

1,30

2290 ( + 10%)

438 ( + 21 %)











Effet moyen sur 2-3-4 ans

Infiltration

Erosion

Biomasse

Grain

cordon - témoin

+ 4 %

- 34 %

+ 22 %

+ 22 %/4 ans

cordon + labour - cordon

+ 4,3 %

+ 52 %

+ 48 %

+ 61 %/3 ans

35 = Nettement différent du traitement de référence

Notes concernant le tableau 37

Les traitements sont les suivants:

a.

1. T = culture de mil traditionnelle + fumure légère: 7 N + 10 P + 7 K semis direct à 45 000 pieds puis 2 sarclages - débuttage.


2. T + CP = idem 1 + cordons pierreux isohypses à 40 kg/m2, soit deux lignes de blocs de cuirasse tous les 20 mètres + cloisons latérales à partir de 1980.


3. T + CP + L = idem 2 + labour aux boeufs entre 15 juin et 15 juillet et semis le jour même.

b. Les cordons pierreux mis en place ont peu d'action sur le ruissellement global et lors des pluies qui surviennent sur un sol rugueux (KRAM) mais bien plus sur les débits de pointe, le retard et l'étalement des écoulements et les risques d'érosion. Le fonctionnement hydrodynamique dépend des interactions entre les cordons et la rugosité du sol. L'impact sur les rendements dépend du volume des pluies et de leur répartition en partie lors de la floraison et du remplissage des grains.

c. Le travail du sol, combiné ici à la structure antiérosive, permet d'améliorer significativement l'infiltration des 100 premiers millimètres de pluie. Au-delà, les croûtes de battance et de sédimentation sont si développées que les gains d'infiltration dus aux cordons de pierres, deviennent négligeables.

d. L'apport dû à l'impluvium est surtout sensible sur les parcelles amonts tant que les sols sont suffisamment absorbants: il augmente les risques de drainage à l'amont des cordons pierreux.

e. Les améliorations des conditions d'alimentation hydrique des plantes posent le problème du renouvellement des éléments nutritifs disponibles des sols: l'accroissement de production de biomasse non restituée accélère l'appauvrissement des terres.

f. L'effet positif du labour sur les gains d'infiltration et des rendements diminue d'une année à la suivante tandis que les pertes par érosion augmentent. Il semble que le labour fragilise le sol et le rend plus érodible en accélérant la minéralisation de l'humus du sol.

Ces résultats suscitent quelques commentaires:

1° On constate que le gain d'infiltration, par ralentissement de la nappe ruisselante sur les cordons de pierres, est relativement faible si le sol reste lisse, mais devient beaucoup plus important lorsque la rugosité du terrain est entretenue par le travail du sol, le sarclage et le buttage. Il y a donc une interaction très positive entre le travail du sol, la rugosité du terrain et l'efficacité des cordons pierreux (figures 50 et 51).

2° L'effet principal des cordons de pierres étant de retarder les écoulements en les étalant au-devant de ces obstacles, les débits de pointe du ruissellement au bas du versant sont plus faibles, les écoulements plus durables après la pluie, la vitesse des écoulements en nappe plus faible, et donc les transports solides décroissent très sensiblement (moins 50 %).

3° La biomasse produite est généralement plus forte avec cordons de pierres sauf lorsqu'il y a des engorgements qui gênent la croissance du mil. Quant à la production de grains de mil, elle a été accrue de 15 à 50 % sur le champ aménagé en cordons et de 50 à 80 % si le travail du sol est associé aux cordons de pierres. Cependant, lors des années les plus sèches (1985), la production est aussi faible qu'en dehors de l'aménagement. L'aménagement en cordons ne réduit donc pas les risques de famine en année particulièrement sèche. La production de mil peut aussi souffrir d'engorgement lorsque les pluies mensuelles dépassent 200 mm.

4° L'action d'un cordon de pierres se fait sentir surtout à l'amont mais aussi à l'aval:

- A l'amont, par l'étalement du ruissellement en nappe, dépôt de sable et de matières organiques sur 2 à 6 m; le cordon de pierre se colmate sur 5 à 15 cm et améliore ainsi l'horizon humifère. Cette zone reçoit un apport supplémentaire d'eau qui peut améliorer l'alimentation hydrique des cultures, mais qui peut parfois présenter des risques d'engorgement et de lixiviation des nutriments par le drainage (le sorgho y est moins sensible que le mil).

- A l'aval, des filets d'eau se faufilent entre le sommet des pierres et peuvent ou bien s'étaler en nappe et irriguer à nouveau toute la surface, ou bien se concentrer en quelques rigoles creusant des chemins d'eau (nappe ravinante) qui vont drainer, creuser et assécher la partie aval avec risque de destruction locale du système de cordon, par érosion régressive. L'action positive étant localisée aux abords des cordons, il vaut mieux poser des petits cordons tous les 20 m (25 % de sol touché par l'aménagement), que de gros cordons tous les 50 m (seulement 10 % de surface enrichie par l'aménagement), d'autant plus que les grosses pierres ont tendance à concentrer les écoulements en gros filets et donc augmentent les risques de fortes concentrations d'eau.

5° Le ralentissement de la nappe de ruissellement entraîne l'accumulation des eaux en flaques le long du cordon. Les eaux vont alors migrer latéralement pour rejoindre une issue, un point bas dans les cailloux et peuvent provoquer une érosion latérale et une concentration dangereuse des eaux. Les solutions proposées pour réduire les mouvements obliques de ces eaux sont nombreuses: billonnage cloisonné ou débuttage formant une grande rugosité à la surface de la parcelle, cloisonnement perpendiculaire au cordon ou implantation d'herbes (Andropogon) stabilisant le pourtour du cordon.

FIGURE 49

: Plan d'ensemble du dispositif expérimental de Bidi (Burkina Faso)

FIGURE 50

: Comparaison des ruissellements : parcelle témoin/parcelle aménagée. Pluies standards

FIGURE 51

: Comparaison des ruissellements: parcelles témoin/parcelles aménagées en fonction de l'agressivité des pluies (d'après Lamachère, Serpantié et Guillet, 1990)

FIGURE 52

: Digue filtrante ou semi-filtrante

Effets:

• rendements sorgho
• sécurité
• ralentit le ruissellement
• érosion en ravine

Problèmes:

• coût: env. 500.000 CFA + travail collectif profite à 1 ou 2 propriétaires
• zones

± humides
± engorgées
± sédimentées

Si on veut garder une nappe d'eau à l'amont (pour faire un barrage semi-filtrant), par exemple pour produire du riz, il faut aménager un noyau argileux derrière le filtre de gravier.

La sédimentation à l'amont de la digue pierreuse est fine et lente (un mm par an) en paysage ondulé peu dégradé, mais elle peut être rapide (10 à 50 cm par an) dans des zones collinaires ravinées (zone au nord de Ouagadougou: Dezilleau et al., 1988).

Les dangers - Si la filtration est trop rapide à travers la digue de grosses pierres, on peut observer l'érosion creuser des "renards" sous la digue et en aval. Si la sous-pression est trop forte, il se creuse une ravine qui, par érosion régressive, va finir par former une brèche dans la digue. Pour ralentir le ruissellement, il faut donc construire un filtre de gravier et de sable que l'on coule dans la cuvette de fondation sous la diguette ainsi qu'entre les grosses pierres du coeur de la digue (figure 52).

Si la nappe d'eau dépasse la digue de plus de 20 cm, celle-ci risque d'être emportée par la vitesse du courant. Pour empêcher le courant d'emporter la digue, on fait mettre sur la crête, des grosses pierres ou mieux, un petit gabion, de même que sur la face arrière de la digue (pente 2/1).

Normalement, les eaux s'écoulent rapidement après la fin de la pluie, mais les terrains directement en amont sont détrempés. Il arrive alors que le sorgho qui occupe traditionnellement les fonds des vallées plates pourisse, souffre d'engorgement alors qu'il n'y a pas d'eau suffisamment longtemps pour faire pousser du riz, céréale très recherchée pour les fêtes. Seuls les jardins de contre-saison et les arbres fruitiers situés autour de la vallée profitent alors d'une amélioration d'alimentation en eau de là nappe grâce à la digue filtrante. Il faut donc bien préciser les objectifs. Les digues filtrantes améliorent l'alimentation de la nappe mais retiennent peu d'eau, en tout cas, pas assez pour produire du riz quatre années sur cinq dans la région de Ouahigouya (Serpantié). Si on veut créer une rizière, il vaut mieux choisir une digue en terre, imperméable, retenant une lame d'eau suffisamment importante pour cette culture.

Il faut noter aussi les risques de problèmes fonciers. En effet, la construction d'une digue filtrante exige un travail communautaire important (15 personnes pendant 30 jours) et le déplacement d'un volume impressionnant de cailloux (de 100 à 500 m3; coût moyen, de 4 à 10 000 FF). Or cette structure qui a demandé tant d'efforts à la communauté ne permettra d'améliorer que 0,5 à 1 hectare appartenant probablement à une seule famille. Pour éviter les palabres, il faut prévoir à l'avance la redistribution des terres aménagées aux participants de l'aménagement, ce qui n'est pas toujours possible. Une autre solution est de négocier une forme de paiement du bénéficiaire aux voisins qui l'aident, en créant une banque qui avance les fonds et les récupère sur les récoltes améliorées des années suivantes (repas offert sur le terrain, salaire en espèces ou engagement d'aller travailler plusieurs jours chez les autres).

Pour le même effort et le même volume de pierres, on pourrait aménager 10 à 20 ha de versants appartenant à une vingtaine de familles qui peuvent réaliser seules l'aménagement de cordons de pierres. Il reste à savoir si cet aménagement des versants apportera la même sécurité de production que l'aménagement des bas-fonds. En effet, si certains bas-fonds sont complètement inondés en saison des pluies, dans les années particulièrement sèches, ces bas-fonds sont les seuls endroits où les villageois peuvent assurer une certaine production.

Il est donc essentiel pour la sécurité alimentaire d'un ménage de mettre en valeur à la fois des terres de bas-fonds qui produiront même en années sèches, et des terres de versants qui produiront mieux les années humides.

En tout cas, il faut retenir que cette méthode (comme les autres d'ailleurs) n'est pas la solution universelle. Elle est valable dans certains bas-fonds ravinés mais beaucoup moins dans des fonds plats où il se produit très peu de sédimentation.

En conclusion, les micro-barrages semi-perméables sont très variés. Ils ont l'avantage d'être facilement maîtrisés par les villageois et de modifier les conditions topographiques (l'inclinaison de la pente). Cependant, ils laissent perdre une partie du ruissellement ainsi que des nutriments et des colloïdes qui font la richesse de ces terres. Ces eaux peuvent être récupérées en aval dans des aménagements d'irrigation.


Table des matières - Précédente - Suivante