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Éditorial: Les incendies

La plupart des anthropologues pensent que l'homme est en mesure d'allumer du feu depuis environ 20000 ans, et qu'il y a plus de 500000 ans il savait déjà «garder» et maîtriser le feu produit par la nature. D'abord utilisé comme moyen de chauffage, pour cuire les aliments et stimuler la croissance de divers produits forestiers à usage alimentaire, le feu est vite devenu un adjuvant indispensable au défrichage des terres forestières destinées à l'agriculture et à l'élevage. Tout au long de l'histoire et dans pratiquement toutes les civilisations, le feu a été utilisé comme instrument d'aménagement.

Dès qu'on a commencé à l'utiliser comme outil dans la préparation des terres à usage agricole, on s'est rendu compte que, s'il échappait à notre contrôle, il pouvait avoir des effets secondaires destructeurs qui, souvent, dépassaient de loin les avantages attendus. Avec, d'autre part, l'augmentation de la pression démographique sur une ressource, renouvelable certes mais limitée, et avec l'apparition des concepts d'utilisation multiple et de foresterie polyvalente, il est devenu essentiel non seulement d'employer le feu, mais de le faire de manière contrôlée sur une étendue pré-établie.

Le présent numéro d'Unasylva contient deux articles de R. Vélez, dans lesquels il examine la situation des incendies de forêt en Méditerranée et les possibilités offertes par la sylviculture de protection.

Les ravages du feu ne sont en aucune façon la prérogative de l'Europe méridionale. Les incendies dévorent chaque année un nombre incalculable de millions d'hectares de la savane africaine. En Asie, un unique incendie a ravagé, à Kalimantan (Indonésie), plus de 3,6 millions d'ha en 1982. En Amérique du Nord, malgré des efforts de lutte et de prévention très étendus et extrêmement sophistiqués, plus de 2,3 millions d'ha de terres forestières brûlent encore chaque année. Dans certaines régions de l'Amérique latine caractérisées par de longues saisons sèches, une grande partie de la végétation forestière actuelle manifeste une certaine adaptation au feu. Une interview de M. Salazar, chef de la protection des forêts auprès de la Société hondurienne de mise en valeur des forêts, dresse un tableau des méthodes de lutte contre les incendies de forêt dans le contexte centraméricain.

Le souci croissant de conserver et d'utiliser judicieusement les ressources forestières a eu comme corollaire un effort de mobilisation contre les feux non contrôlés. Pratiquement tous les pays ont maintenant des services et des programmes nationaux contre les incendies de forêt. Même si le coût à l'hectare de la maîtrise des incendies de forêt est relativement bas, la superficie à couvrir est si étendue que la dépense totale est appréciable. Dans le monde entier et spécialement dans les pays en développement, une telle entreprise exige une utilisation efficace de ressources rares. Pendant plus de 20 ans, la FAO a fourni aux pays en développement une assistance technique en matière de lutte contre les incendies de forêt, comme le rappelle dans son article J. Troensegaard, forestier principal à la FAO chargé des plantations et de la protection. R. Saigal décrit quant à elle un projet pilote exécuté en Inde avec l'aide de la FAO pour mettre au point et expérimenter des méthodes modernes et socio-économiquement acceptables de lutte contre les feux de forêt. Dans ces deux articles, l'importance de la participation des populations locales à la lutte contre le feu ressort clairement.

Les campagnes conçues pour sensibiliser les populations locales aux effets potentiellement néfastes des incendies non contrôlés ont eu souvent, malheureusement, l'inconvénient de faire apparaître le feu exclusivement comme un ennemi insidieux à supprimer complètement. Plus récemment, toutefois, on s'est mieux rendu compte que cette façon de voir était à la fois injustifiée et irréaliste. Correctement maîtrisé et employé à des fins appropriées, le feu est un instrument utile, aussi bien pour l'aménagement des forêts que pour la préparation des terres en vue de leur exploitation agricole ou pastorale. Dans beaucoup de régions du globe, sinon dans la plupart d'entre elles, le feu est encore pour les populations locales l'outil d'aménagement le plus efficace et le plus abordable qu'elles aient à leur disposition. La modification des écosystèmes au moyen d'engins lourds, d'herbicides et autres techniques fortes consommatrices d'énergie se heurte souvent aux réalités sociales et économiques. L'article de D. Wade décrit en détail l'utilisation des brûlages dirigés dans le sud-est des Etats-Unis et illustre les avantages que l'on peut tirer d'un usage maîtrisé du feu dans l'aménagement des forêts.

Selon les objectifs que l'on se fixe en matière d'aménagement des terres, selon aussi toute une foule de variables liées à l'environnement, le feu peut être un ennemi ou un ami; mais presque toujours, il continuera d'exercer une puissante influence sur les écosystèmes naturels et leurs ressources. C'est pourquoi il faut, dans tous les plans d'utilisation des terres et programmes de mise en valeur des forêts, tenir dûment compte des effets potentiels (tant positifs que négatifs) de l'élément feu. D'autres aspects de cette question complexe seront traités dans les prochains numéros d'Unasylva.


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