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Financement de l'aménagement des bassins versants en Amérique latine: Étude rapide de sept pays

E. Hernández-Becerra

Edgar Hernández-Becerra est directeur du Centre des études supérieures de la faculté des sciences forestières, Universidad de los Andes. Mérida. Venezuela.

Le présent article examine certains problèmes posés par le financement des activités d'aménagement des bassins versants dans sept pays de la région Amérique latine: Argentine, Colombie, Costa Rica, Equateur, Guatemala, Paraguay et Venezuela; il étudie les possibilités d'améliorer l'accès aux ressources financières. Les renseignements donnés sont tirés des réponses à un questionnaire non officiel envoyé à certaines responsables de l'aménagement des bassins versants dans chacun des sept pays (voir encadré). On se contente ici de dégager les problèmes fondamentaux sans prétendre présenter une analyse exhaustive.

L'aménagement intégré des bassins versants est un bon moyen d'harmoniser la conservation, la production agricole, l'élevage et la foresterie en altitude avec la gestion des ressources hydriques, notamment lorsque ces dernières ont une forte valeur économique pour les usagers en aval. En Amérique latine, toutefois, cet aménagement est entravé par divers facteurs, notamment le manque de moyens financiers. Dans plusieurs pays, nombre d'activités fondamentales liées à l'aménagement des bassins versants (reboisement et pratiques de conservation des sols, correction de torrents et vulgarisation, lutte contre les incendies, construction et amélioration de routes, mise en valeur des pêches, amélioration des cultures, formation en matière de conservation des sols, agroforesterie, protection de l'environnement et des sites archéologiques, etc.) ont été pratiquement paralysées par la réduction des crédits budgétaires due, entre autres, au service de la dette extérieure. Dans d'autres pays, comme au Costa Rica et au Guatemala, bien que des activités fondamentales aient été entreprises, le manque de fonds a bloqué les activités complémentaires envisagées dans le cadre des plans d'aménagement des bassins versants, notamment la remise en état des parcours, le cadastrage, la correction des torrents et l'utilisation accrue de produits chimiques en agriculture.

En mai 1990, en réponse à une demande d'Unasylva, l'auteur (avec l'aide de M. H. Hattinger (Autriche) et de M. E. Ramírez (Venezuela)) a élaboré un questionnaire simple sur le financement de l'aménagement des bassins versants, qui a été envoyé aux responsables de bassins versants de sept pays d'Amérique latine. Il ressort des réponses à ce questionnaire que les pays d'Amérique latine sont de plus en plus conscients qu'il importe de conserver de manière durable les ressources naturelles des terres d'altitude, pour en tirer des avantages à l'échelle locale et nationale. Toutefois, à la première question: «Le manque de fonds constitue-t-il un problème pour l'organisme d'aménagement des bassins versants pour lequel vous travaillez?», tous ont répondu par un «oui» sans ambiguïté. En outre, toutes les réponses indiquent que le manque de fonds constitue un obstacle à l'aménagement des bassins versants dans l'ensemble du pays et entraîne l'abandon d'initiatives qui avaient été identifiées comme essentielles pour conserver des zones de captage d'importance nationale.

Ainsi, le responsable de l'Institut forestier national d'Argentine qui a répondu explique que les activités d'aménagement des bassins versants prévues dans le cadre du programme national pour la conservation des infrastructures, élaboré par le Ministère des travaux publics de 1985 à 1989, sont aujourd'hui pratiquement interrompues. Devant le gonflement de la dette extérieure, le soutien (tant politique que financier) accordé par le gouvernement national aux programmes qui ne produisent pas directement et rapidement des avantages économiques a été réduit de manière draconienne. Par exemple, dans le cas de l'Argentine, le changement d'orientation politique a entraîné la suspension des négociations engagées pour obtenir le soutien de la Banque interaméricaine de développement aux activités d'aménagement des bassins versants.

Niveau et sources de financement

Les personnes interrogées ont eu du mal à chiffrer les ressources totales affectées à l'aménagement des bassins versants dans leur pays sur une base annuelle, car les divers organismes concernés gèrent leur budget de façon autonome et n'ont pas de bureaux à même de fournir des informations générales actualisées. Cependant les estimations allaient de 1,5 million de dollars des Etats-Unis en Equateur à 6000 dollars seulement au Paraguay.

Les sources de financement de l'aménagement des bassins versants identifiées par les responsables peuvent être réparties en quatre grands groupes: institutions nationales; organismes d'aide internationaux; banques internationales; enfin, secteur privé local. Traditionnellement, l'Etat fournit directement la majeure partie des fonds pour les activités organisées d'aménagement des bassins versants. Cependant, comme le montre l'exemple de l'Argentine mentionné ci-dessus, ce mécanisme est de moins en moins viable. En conséquence, plusieurs pays de la région tentent d'appliquer des lois qui encouragent ou imposent le transfert de ressources monétaires vers la conservation et l'aménagement.

Une des tentatives les plus intéressantes dans ce domaine est l'adoption d'une loi qui stipule qu'une partie des profits tirés de la vente d'énergie par les compagnies hydroélectriques nationales doit revenir aux organismes chargés de la conservation des bassins versants qui fournissent cette énergie. En Colombie, la loi nationale n° 56, adoptée en 1981, prévoit que le produit de 2 pour cent des ventes totales d'énergie provenant de centrales électriques d'une capacité installée supérieure à 10 kW doit être consacré à l'aménagement des bassins versants.

Au Venezuela, les articles 50 et 51 du règlement sur les terres forestières et les eaux ont un objectif similaire. Néanmoins, au lieu de chiffrer les ressources à consacrer à la conservation et à l'aménagement, ils laissent fixer la somme à fournir par voie d'accord annuel entre les compagnies hydroélectriques et le Ministère de l'environnement.

Le Guatemala et le Costa Rica élaborent tous deux actuellement de nouveaux projets de lois sur l'eau selon lesquels 1 pour cent des recettes des ventes de services produits grâce à l'eau devra être investi dans la conservation des bassins versants qui fournissent cette eau.

La perception d'impôts fonciers constitue un autre moyen d'assurer le financement au niveau national de l'aménagement des bassins versants qui est actuellement mis à l'essai. La loi colombienne mentionnée ci-dessus stipule également qu'une part des recettes des impôts fonciers doit être affectée à l'aménagement des bassins versants. Par exemple la compagnie Valle del Cauca (voir encadré) lève un impôt sur les propriétés urbaines et rurales dont la valeur dépasse 100000 pesos colombiens.

Au Venezuela, des règlements sur les terres forestières et l'eau garantissent que les profits tirés de l'énergie hydroélectrique reviennent en partie à l'aménagement des bassins versants

Financement international

L'aide internationale multilatérale et bilatérale reste importante pour l'aménagement des bassins versants en Amérique latine. Ainsi, la Communauté économique européenne fournit, des fonds au Costa Rica: l'Agence pour le développement international et l'Organisation des Etats américains viennent en aide au Guatemala; la FAO fournit un soutien financier et technique au Mexique, au Honduras, à la Bolivie, à l'Argentine et à la Colombie; l'office d'aide bilatérale suisse participe activement à l'aménagement de bassins versants en Bolivie et en Equateur; et l'office correspondant du Japon est présent au Chili et au Venezuela.

Des comités de producteurs de café locaux ont participé au financement de l'aménagement des bassins versant

La compagnie Valle de Cauca en Colombie

L'expérience tentée par la Compagnie autonome de la Valle de Cauca (CVC) en Colombie mérite d'être examinée dans le cadre de la recherche de modèles locaux permettant d'obtenir des fonds pour les projets de bassin versant.

Le bassin versant d'Alta Cauca s'étend sur quelque 22000 km2. En 1986, le groupe d'aménagement du bassin versant de la CVC a adopté une nouvelle approche fondée sur l'analyse de chacune des 28 unités d'aménagement. Il s'agissait d'identifier les activités locales fondées sur la participation communautaire qui permettraient de lutter au meilleur compte contre la dégradation des bassins versants. L'approche reposait sur trois principes fondamentaux: faire participer la communauté dès la phase de planification; développer les activités ayant un impact important sur la production et la société; encourager la participation financière du secteur privé.

On a identifié des micro-bassins versants prioritaires, analysé leur situation, rédigé des plans d'action et chiffré l'accroissement prévu de la productivité (en amont) ainsi que les dégâts évités (en aval). Des projets d'investissement, comprenant des évaluations financières, ont été ensuite établis et soumis aux comités de producteurs de café, aux raffineries de sucre, aux autorités locales élues et à la communauté. Cette opération visait à présenter clairement aux investisseurs potentiels les avantages tangibles dont ils bénéficieraient, par exemple la diminution des dégâts causés par les inondations, l'amélioration de la qualité de l'eau et l'augmentation de la productivité agricole.

Dans le bassin versant secondaire du fleuve Desbaratado, la communauté et les entreprises locales, ayant été informées de la situation, ont accepté le plan et mis en place un fonds destiné à aménager le bassin. Le capital de départ, d'un montant de 20000 dollars des Etats-Unis, a été placé à la Fondation pour l'enseignement supérieur selon un accord de contrepartie garantissant que, pour chaque don de 1 dollar, une contribution supplémentaire de 50 cents serait versée. Le fonds, d'une valeur de 30000 dollars, est déposé auprès d'une banque commerciale qui accorde un taux d'intérêt de 36 pour cent par an. Le revenu sert, à concurrence de 70 pour cent, à financer les activités menées dans le cadre du plan, et de 30 pour cent, à alimenter le fonds.

Le rôle des pouvoirs publics consiste essentiellement à encourager les activités, à former du personnel à même de rédiger des projets d'investissement et à exercer une influence décisive sur les organes politiques qui prennent les décisions. Si des mécanismes de ce genre donnent de bons résultats, ils permettront de susciter un climat favorable à l'adoption de lois ou de décrets portant création de fonds spéciaux destinés à financer des plans nationaux d'aménagement intégré des bassins versants.

Bien que tous ceux qui ont répondu au questionnaire reconnaissent la contribution apportée par le financement extérieur, celui-ci est considéré comme une solution à court terme. Les activités mises en œuvre dans le cadre de projets d'aménagement bénéficiant d'un financement extérieur peuvent contribuer à stabiliser des bassins versants menacés, mais elles ne peuvent garantir leur conservation durable à longue échéance. Il convient d'élaborer des mécanismes permanents, afin qu'une fois le financement du projet achevé l'état du bassin versant ne se dégrade pas.

De plus, il ressort de plusieurs réponses que dans certains cas l'incapacité à rédiger des projets d'aménagement des bassins versants techniquement et financièrement viables aboutit à une situation où les fonds internationaux disponibles dépassent la capacité d'absorption du pays.

Le financement des projets concernant les bassins versants a aussi été assuré, à une échelle plus réduite, par les banques internationales. La Banque interaméricaine de développement finance des études au Guatemala et en Equateur, et le Venezuela lui a demandé de financer la mise en œuvre de projets dans trois bassins versants classes comme prioritaires. Toutefois, les prêts pour l'aménagement des bassins versants rencontrent les mêmes difficultés que les dons de fonds internationaux. Dès 1983, McGaughey et Gregersen remarquaient: «Un grand nombre d'informations techniques utiles circulent sur le secteur (forestier), mais elles servent rarement à élaborer le genre de renseignement dont les organismes de financement - publies ou privés - ont besoin pour déterminer les possibilités d'investissements productifs dans le secteur. Ainsi, le nombre de pro jets susceptibles d'être finances qui se trouvent dans les filières des organismes de prêt nationaux et internationaux est insuffisant.»

Une zone d'altitude au Costa Rica. Remarquez l'érosion au-dessus et au-dessous de la maison

Contributions du secteur privé à l'aménagement des bassins versants

Bien qu'aucun des responsables n'ait essayé d'évaluer en termes monétaires la participation du secteur prive à l'aménagement des bassins versants, la valeur de la participation locale implicitement de beaucoup de réponses. Par exemple, en Colombie, un responsable affirmait: «Une grande place doit être accordée aux activités de la communauté; l'homme est le facteur le plus important dans les plans d'aménagement et de conservation des bassins versants.»

Le participant du Paraguay, pays où pratiquement aucune activité organisée d'aménagement des bassins versants n'est en cours, a affirmé la nécessité d'«inciter la population locale touchée par la dégradation des bassins versants à s'organiser et à participer aux activités de conservation, notamment celles qui contribuent à accroître la production agricole». Le participant du Costa Rica a recommandé de promouvoir de petits projets englobant diverses activités.

Manifestement, d'autres tentatives doivent être faites pour dégager et chiffrer la contribution du secteur privé, et notamment des petits exploitants des terres hautes, à l'aménagement des bassins versants. Le secteur privé est déjà, et doit rester, un pivot de l'aménagement des bassins versants, notamment lorsqu'il est possible de tirer de celui-ci des avantages économiques et sociaux bien visibles.

Conclusion

Les informations réunies au cours de la préparation du présent article montrent clairement que, malgré les graves problèmes de financement que rencontre l'aménagement des bassins versants en Amérique latine, on tente d'élaborer de nouveaux mécanismes qui permettent d'affronter cette tâche difficile avec une énergie accrue à l'avenir. Cela exige de la créativité, de la volonté et de la persévérance, ainsi que des moyens de faire circuler entre les pays les renseignements utiles.

Nous devons réussir à montrer que l'aménagement des bassins versants en vue d'activités productives donne des avantages écologiques, économiques et sociaux, en d'autres termes que les dépenses consenties pour inverser les processus de dégradation de l'environnement et d'abandon social sont justifiées et qu'elles constituent un investissement sûr et rentable pour l'avenir.

Nous avons aussi toujours besoin du soutien des organisations internationales, qui occupent une position d'impartialité dans le contexte international, pour faire largement connaître les cas intéressants, encourager l'action et permettre aux pays de la région de développer encore leur capacité de mener à bien les programmes et projets relatifs à la mise en valeur et à la conservation des bassins versants.

Questionnaire

Financement des activités de conservation et d'aménagement des bassins versants

1. Le manque de moyens financiers constitue-t-il un problème pour l'organisme d'aménagement des bassins versants pour lequel vous travaillez?

2. Quels sont les organismes qui contribuent au financement des activités d'aménagement des bassins versants ministères, industries hydroélectriques, autorités régionales et locales, communautés locales, etc.)? Si possible, indiquez si les fonds sont destinés principalement à la réalisation d'études, à la mise en oeuvre et/ou à l'entretien.

3. Quel est le montant approximatif (en dollars des Etats-Unis) de la contribution de chacun des organismes cités ci-dessus, et quelle part (en pourcentage! des dépenses totales consacrées à l'aménagement des bassins versants représente cette contribution?

4. Quels sont les types de travaux ou d'activités financés? (Reboisement, conservation des sols, construction et amélioration de routes, barrages ou autres mesures de correction des torrents, vulgarisation forestière ou éducation en matière d'environnement, prévention et lutte contre les incendies, etc.)

5. Existe-t-il des lois ou d'autres dispositions légales qui encouragent ou obligent à financer des activités d'aménagement des bassins versants?

6. Décrivez une expérience significative (positive ou négative) que vous avez eue en matière de financement des activités d'aménagement des bassins versants.

7. Quels mécanismes ou stratégies pourrait-on appliquer pour assurer un financement plus important de l'aménagement des bassins versants, aujourd'hui et à l'avenir (par les gouvernements, les sources privées et internationales)?

8. Existe-t-il dans votre pays d'importants projets de bassin versant qui ont été élaborés mais n'ont pu être mis en œuvre faute de fonds? 9. Souhaitez-vous formuler d'autres commentaires, évoquer des problèmes ou formuler des suggestions?

Bibliographie

McGaughey, S.E. & Gregersen, H., éd. 1983. Forest-based development in Latin America. Washington, D.C., Banque interaméricaine de développement.


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