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Arbres et cultures: Interactions entre végétation spontanée et agriculture chez les Moru du sud du Soudan

R.W. Sharland

Roger W. Sharland a récemment terminé son doctorat à l'Université de Reading. Département de la vulgarisation agricole et du développement rural, au Royaume-Uni. Après avoir travaillé plus de 10 ans dans le sud du Soudan, il est maintenant basé au Kenya.

Le pays moru correspond au district de Mundri, qui fait partie de la province de Western Equatoria dans le sud du Soudan. C'est une région de savanes boisées au relief plat ou mollement ondulé coupé de cours d'eau encaissés. La pluviométrie, moyennement élevée, est concentrée sur une saison humide de cinq à six mois. Les isohyètes 1200 et 1300 mm traversent le pays moru, mais ce qui caractérise le plus les pluies et a une importance considérable pour l'agriculture, c'est leur variabilité et leur imprévisibilité marquées d'une année à l'autre.

Le Soudan est à présent déchiré par la guerre civile, mais, comme cette étude se rapporte à une période antérieure, l'économie décrite correspond à des conditions de paix. Les Moru pratiquent essentiellement une agriculture de subsistance fondée sur les cultures en sec, et complétée par la chasse et la cueillette. La culture de base est le sorgho, semé à la volée en association avec le sésame, les haricots doliques, le mil à chandelle et l'éleusine. Ces mélanges ne sont pas faits au hasard, mais sont relativement codifiés en types de champs distincts (Sharland, 1989). Chaque type de champ correspond à des exigences écologiques, un calendrier de travaux et des mélanges de cultures reconnus, et représente ainsi l'unité de base du système agricole (Schlippe, 1956). Il y a trois types principaux de champs de sorgho, et un certain nombre de types secondaires plus de nouveaux types à base de cultures originaires du nouveau monde qui ont pris de l'importance dans le régime alimentaire. Les risques sont atténués grâce à la diversification et au mélange de cultures et de variétés de chaque culture.

Les Moru vivent au Soudan, dans une zone de savane arborée plate

En raison de la faible densité de population les surfaces cultivées sont modestes par rapport à l'étendue de brousse environnante. Le jardin qui entoure immédiatement la maison, nommé turu'du dri ou inju dri, peut être cultivé pendant de nombreuses années. On l'utilise pour les cultures qui ont besoin d'un appoint de fertilisation fourni par les déchets ménagers, ou d'une protection contre les animaux sauvages. Les principaux champs de sorgho et de sésame, en revanche, sont traditionnellement éloignés de la maison, sur des défrichements de brousse qui ne sont cultivés que deux ou trois ans. Ces champs sont exploités par un certain nombre de membres de la famille élargie, qui ont leurs propres secteurs autour d'un point central appelé katiri (Catford, 1951). L'interaction entre terres cultivées et brousse est très importante, la production agricole se concentrant sur les féculents de base et les oléagineux, tandis que le milieu naturel fournit une bonne part des aliments de complément. Les aliments sauvages comprennent des légumes, des tubercules, des fruits, des oléagineux, du sel extrait de cendres, des champignons, des insectes - en particulier les termites. La chasse, la pêche et la récolte du miel sont également des activités économiques et sociales importantes. La brousse fournit aussi des matériaux de construction, du combustible et des fibres.

La propriété du sol est collective, chaque famille ayant un droit d'usage conféré par le chef coutumier. En dehors des abords de Mundri et des petites agglomérations, la terre est abondante, et les litiges sont rares. L'habitat est fondé sur la famille élargie, entourée de ses jardins. Les familles sont unies en clans sous l'autorité de chefs coutumiers, mais il y a peu de groupements en villages.

Importance de l'arbre pour l'agriculteur Moru

Traditionnellement, le système cultural moru et le maintien de la fertilité des sols reposent sur la culture itinérante, avec une période relativement longue de jachère arbustive au cours de laquelle le recrû de végétation ligneuse contribue à la restauration de la fertilité. Cette jachère dure de 5 à 15 ans selon les cas, mais, comme on le verra ci-après, ce n'est pas le temps écoulé depuis la dernière culture qui est le principal critère pour réutiliser le sol.

L'agriculteur moru doit connaître les caractéristiques des arbres qui poussent dans sa zone, tout d'abord pour tirer le meilleur profit de leur capacité de régénération, et ensuite - ce qui a plus d'importance immédiate pour lui et sa famille - pour éviter un travail inutile de défrichement. L'évaluation des relations entre les arbres et les cultures est importante pour comprendre l'agriculture moru et pour assurer une production agricole viable à l'avenir, lorsque la pression sur les terres rendra difficile ou impossible la jachère traditionnelle.

Depuis quelques années, on s'intéresse à l'élaboration de techniques agroforestières rationnelles, comme moyen d'assurer la pérennité de la production agricole en Afrique. L'étude des systèmes traditionnels de jachère forestière révèle que nombre de concepts existent déjà dans les pratiques traditionnelles (Rocheleau et al., 1989), telles que celles des agriculteurs moru.

Le sort des arbres dans le défrichement moru

Lorsqu'il défriche une terre pour la cultiver - qu'il s'agisse de brousse vierge ou de recrû secondaire -, l'agriculteur moru a vis-à-vis des arbres trois comportements possibles, selon leur espèce, leur taille et leur condition générale:

· Certains arbres adultes sont laissés en l'état.

· La plupart des arbres et arbustes sont coupés à une hauteur de 60 à 90 cm. Les arbres sont très rarement dessouchés; c'est là un facteur très important pour la régénération étant donné que la plupart des espèces rejettent à ce niveau, et qui a également des conséquences pour la culture car il permet la culture à la houe mais non le labour à la charrue.

· Quelques arbres de grande taille ou très vigoureux sont tués, habituellement par le feu.

Arbres à fruits comestibles

Amvorobem, amvorowe, zambirika

Kyeleku

Annona senegalensis

Sterculia setigera

Dolome

Kyiyi

Diospyros mespiliformis, D. abyssinica

?

Fola

Ladra

Antidesma venosum

?

Gorokomba

Lagba

Bridelia sp. (nr. B. scleroneura)

Balanites aegyptiaca

Goromono

Lengo

Vangueria apiculata

?

Itu

Lira

Borassus aethiopium

Securinega virosa

Kawa

Liwa, lindri

Butyrospermum niloticum

Phyllanthus muelleranus

Kidru

Logo

Lannea sp.

Nauclea latifolia

Ki'du

Mbelegu

Ficus salicifolia

Rhopalapilia umbellulata

Ki'du tore

Motro

Ficus sp.

Parkia africana

Kinju

Njuku'de

Grewia mollis

Ximenia americana

Kiroro

Nyo ga

Gardenia sp.

?

Kokokolo, akangia (ma)

Ngo'ba

?

Carissa edulis

Kyedo

Ngutru

Vitex madiensis, V. doniana

? (Pterocarpus)

Kyele

Titi

Sclerocarya caffra

Tamarindus indica

Arbres préservés

Les arbres laissés sur pied sont généralement ceux qui ne risquent pas de nuire aux cultures par leur ombre, ce que les Moru expriment par ice se fu inya ku (les arbres qui ne tuent pas le sorgho).

Ces arbres sont épargnés pour diverses raisons pratiques. Le travail supplémentaire nécessaire pour les éliminer peut ne pas paraître justifié, notamment s'ils ont une cime élevée. C'est le cas d'essences telles que gwari (Khaya spp.), a'ba (Isoberlinia doka) et kasa (Daniellia oliveri).

Autre raison, l'arbre peut fournir des fruits jugés utiles par les adultes. Les plus importants à cet égard sont kawa (Butyrospermum niloticum), kyedo (Vitex madiensi), itu (Borassus aethiopium) et titi (Tamarindus indica). En conséquence, certains arbres fruitiers, notamment les palmiers, ont tendance à devenir plus abondants dans les zones de culture (Johnson, 1985). Il faut noter que, si de nombreux fruits sont consommés (voir encadré), ils ne sont pas tous appréciés de la même manière. Ainsi, certains arbres donnent des fruits qui ne sont consommés que par les enfants ou en période de disette, auquel cas les adultes ne les maintiennent pas spécialement dans les zones cultivées, bien que l'on puisse noter leur présence à proximité immédiate de l'habitation et du jardin familial.

L'ombrage des arbres est important pour le repos (et la cuisine) lors des travaux dans les champs. En revanche, ils servent de perchoir aux oiseaux, universellement reconnus comme des nuisibles redoutables.

Certains arbres sont respectés pour des motifs rituels. Il peut s'agir de bosquets qui ont une importance religieuse de par leur emplacement, ou d'essences qui ont un attribut particulier, tels que l'arbre de pluie, kyeleku (Sterculia setigera). D'autres arbres sont également épargnés: kiroro (Gardenia sp.), payi (Dalbergia melanoxylon), ladra, lokpo (Terminalia bronii), manja (Piliostigma thonningii) et lodo (Kigelia africana).

Soin des arbres près des habitations

Arbres coupés (mais non tués) dans les zones cultivées

La majorité des arbres sont coupés à 3060 cm de hauteur lors du défrichement. Lorsque les Moru défrichent une savane arborée, qu'ils appellent lowo, le défrichement se fait au même moment que le travail du sol et les semailles. La main-d'œuvre manque alors, et ils considèrent que le travail supplémentaire qui serait nécessaire pour dessoucher les arbres ou tuer la souche n'est pas justifié. C'est sans doute le travail requis qui est le facteur déterminant, même si, comme on le verra ci-après, on apprécie l'intérêt à long terme de laisser les arbres pour la régénération du sol.

A la deuxième et à la troisième année de culture, les rejets de souche sont facilement rabattus. Les branches ainsi coupées ne sont pas une gêne très importante; elles font partie de ce que les Moru considèrent comme les mauvaises herbes ou kangwa. En revanche, lorsqu'après la troisième saison de culture on laisse la parcelle en jachère, les souches ont tôt lait de refaire de la biomasse et de redonner des arbres, ce qui accroît considérablement la valeur de la jachère. Les Moru reconnaissent qu'une brousse dense, qu'ils appellent kwokye, se régénère plus vile et qu'une jachère bien plus courte est suffisante, alors qu'une savane claire exige une plus longue période de jachère.

Elimination des arbres indésirables

L'ombre projetée par les grands arbres freine parfois la croissance du sorgho. Ces arbres, et ceux qui repoussent avec trop de vigueur, doivent être tués, ce qui se fait parfois par annélation circulaire mais plus souvent par le feu. Le paysan moru entasse tous les bois provenant du défrichement autour du pied de l'arbre à éliminer, et les laisse sécher avant d'y mettre le feu; ce procédé est appelé en moru edene asi si. Les feux d'herbes de saison sèche sont fréquents, de sorte que les essences qui subsistent, tout au moins dans la plus grande partie des zones de cultures, sont résistantes au feu; c'est pourquoi il faut un feu très intense pour les tuer.

L'arbre considéré comme le concurrent le plus dangereux pour les cultures - bien que, comme on le verra plus loin, il améliore aussi le sol - est karanyi (Anogeissus leiocarpus), parce que ses racines font sentir leur influence loin de son pied et qu'il se propage rapidement pour former des peuplements denses. De même kirilo (Harrisonia abyssinica) est considéré comme très indésirable, parce qu'il pousse en bouquets serrés dont l'ombre fait dépérir le sorgho. Les racines du kirilo font également sentir leur influence loin du tronc. En conséquence, on l'élimine toujours par le feu. D'autres essences auxquelles on fait subir le même traitement sont kurugu (qui améliore aussi le sol), kidro (Lannea sp.) miri (Afzelia africana) et karajeje.

Les troncs des grands arbres ne gênent pas la culture une fois qu'ils ont été tués, et on les laisse sur pied dans les champs. Toutefois, quand ils s'abattent, on les brûle pour débarrasser le champ. Leur cendre est considérée comme bonne pour le sol, et est particulièrement appréciée des Moru pour l'éleusine (kyifo).

Bois de feu

Le défrichement en vue de la culture produit une grande quantité de bois de feu. De fait, le combustible ne manque jamais dans les zones rurales et le ramassage ne demande pas beaucoup de temps. Lorsqu'on a besoin de bois de feu, on ramasse toujours du bois qui est déjà mort et sec, de sorte que les arbres sont tués en vue de la culture, mais jamais simplement pour le bois de feu. C'est plus une question de commodité que de principe, étant donné que le bois de feu est ramassé pour être utilisé immédiatement plutôt que mis en réserve. Le bois de feu est normalement fourni par les branches mortes que l'on casse sur l'arbre, car les termites détruisent très rapidement tout le bois tombé à terre.

Les Moru appellent tout le bois sec tiza, ce qui signifie bois de feu. Cependant, ils considèrent certaines essences comme convenant particulièrement pour le combustible, telles que manja (Piliostigma thonningii), kinju (Grewia mollis), la'da (Combretum sp.) et karanyi (Anogeissus leiocarpus). Pour justifier cette préférence, ils expliquent notamment que, une fois allumé, le feu continue de brûler sans que le bois à demi brûlé (kyele) se consume trop vite: c'est un point important car souvent les femmes laissent la marmite sur le feu pendant qu'elles vont travailler dans les champs ou dans le potager. Manja (Piliostigma thonningii) est particulièrement apprécié à cet égard, parce qu'un feu de ce bois peut être couvert le soir et rallumé le matin en soufflant dessus. Les Moru apprécient aussi ces bois car ils font peu de fumée. Karanyi (Anogeissus leiocarpus) est même réputé ne pas fumer du tout.

Un second groupe comprend des essences qui sont également utilisées comme bois de feu mais sont moins appréciées, telles que a'ba (Isoberlinia doka), qui est bon mais donne de la fumée; ngelebe (Combretum sp.), qui dure longtemps mais fume aussi; kawa (Butyrospermum niloticum), qui est un bon bois de feu mais rarement utilisé car l'arbre est préservé comme producteur de beurre de karité; gwari (Khaya spp.); yowari, qui brûle bien mais pas très longtemps; lagba (Balanites aegyptiaca), qui est un bon bois de feu mais peu commode à utiliser parce qu'il est épineux; lokpo (Terminalia bronii), qui est un bon bois de feu mais peu apprécié car son écorce se carbonise facilement lors des feux de brousse et la récolte est très salissante.

Le feu étant souvent allumé à l'intérieur de la case, la fumée est en général considérée comme un inconvénient parce qu'elle pique les yeux. Elle présente toutefois aussi certains avantages, notamment parce qu'elle élimine les insectes dans la toiture, ou dans les magasins à grain si le feu de cuisine est allumé en dessous: dans ces cas, on peut utiliser des bois qui ne sont habituellement guère appréciés. Ngungu (Pterocarpus sp.) est une essence particulièrement intéressante en raison de sa fumée odorante qui éloigne les moustiques.

Certaines essences sont considérées comme franchement mauvaises pour le bois de feu et ne sont utilisées que si l'on n'a rien d'autre à brûler. Citons katraka (Hymenocardia acida), angyiriya (Crossopteryx febrifuga) et karikye.

Quelques essences enfin, ne sont pas utilisées en raison de croyances traditionnelles. Kiroro (Gardenia sp.) est évité par certains, qui affirment que, si on le brûle, les léopards vous attaquent. On croit aussi que si l'on utilise le kiroro les enfants naissent avec une grosse tête. Le simple fait de casser du bois de kurukuru (nom scientifique non déterminé) provoquerait des maladies de la volaille.

A mesure que la pression démographique s'accroît autour de la ville de Mundri et, dans une moindre mesure, des centres ruraux les essences les plus recherchées pour le bois de feu se raréfient. Tant que la valeur des bonnes essences à bois de feu est reconnue il y a des possibilités d'encourager la plantation ou l'aménagement de peuplements pour le bois de feu, notamment s'il s'agit d'arbres à usages multiples. Il ne semble pas y avoir de coutumes qui s'opposent à la plantation d'arbres ou à la coupe d'arbres plantés spécialement pour le bois de feu. Toutefois, le fait que tout le bois de feu est à présent récolté à partir de bois morts est important, parce que la plantation d'arbres qu'il faut couper et entreposer pourrait encourager l'exploitation d'arbres spontanés.

Le charbon de bois est également utilisé chez les Moru mais moins couramment que le bois de feu. A la différence du bois de feu, la fabrication de charbon de bois comporte généralement la coupe délibérée de bois vert qui est ensuite mis en meules recouvertes de terre que l'on allume pour la carbonisation. Le meilleur charbon de bois est fait à partir de karanyi (Anogeissus leiocarpus) et de lagba (Balanites aegyptiaca). Manja (Piliostigma thonningii) et kinju (Grewia mollis) donnent également un bon charbon, mais il est difficile de trouver de gros morceaux. Gwari (Khaya spp.), kawa (Butyrospermum niloticum) et kidru (Lannea sp.) sont aussi souvent utilisés. Les forgerons, qui ont besoin d'un charbon donnant un feu très chaud préfèrent le weri (Prosopis africana), mais ce bois n'est pas utilisé par les ménagères parce qu'il ne brûle bien qu'à condition d'activer le feu avec un soufflet.

Connaissance des arbres et de la fertilité chez les Moru

La science traditionnelle du paysan moru comporte une compréhension claire de la notion de régénération, même s'il ne l'exprime pas dans les mêmes termes qu'un scientifique occidental. Par exemple, il dira que les feuilles qui tombent des arbres font pousser un beau sorgho. C'est l'effet de la fertilité, plutôt que les propriétés chimiques ou la structure du sol, qui est noté.

Avant de défricher une parcelle pour la cultiver, le paysan apprécie sa valeur d'après l'état du recrû ligneux et les graminées et autres espèces herbacées qui prédominent en fonction de la fertilité relative du sol. Les techniciens ou les chercheurs qui demandent au paysan d'estimer la durée de la jachère ne se placent donc pas sur son plan de perception: le paysan ignore souvent combien de temps la terre est restée en repos, mais il sait toujours très clairement quand elle est prête à être cultivée.

Les arbres, indicateurs de fertilité

Les Moru jugent la fertilité du sol non en étudiant le sol lui-même, mais en regardant ce qui y pousse. Ils considèrent d'une part, la composition spécifique de la végétation, d'autre part, la taille ou la vigueur des diverses espèces. Certains arbres, en particulier sont considérés comme indiquant un sol fertile et favorable aux cultures (soit pour toutes soit, dans certains cas, pour des cultures déterminées). Karanyi (Anogeissus leiocarpus) notamment, indique un bon sol. C'est une essence très vigoureuse, qui se propage rapidement pour donner un peuplement dense appelé kwokye en moru. Il faut donc plus de travail pour défricher une terre où le karanyi est abondant, mais on considère généralement que ceux qui s'en donnent la peine seront récompensés par de belles récoltes.

L'arbre épineux kurugu est une autre essence qui améliore le sol mais ombrage trop les cultures et doit être éliminée. Karanyi et kurugu enrichissent tous deux le sol en matière organique. La graminée dodo, qui pousse souvent sous ces deux arbres, est également considérée en elle-même comme une indicatrice de bon sol. Il faut noter que ces arbres sont si vigoureux qu'ils ne conviendraient pas pour la culture en couloirs ou autres formes élaborées d'agroforesterie.

Les paysans apprécient l'ombre des arbres pour se reposer lorsqu'ils travaillent dans les champs

Une autre espèce qui est reconnue comme enrichissant le sol en matière organique est l'arbuste introduit Lantana camara (parfois appelé tiltyan ou dasira en moru). C'est une espèce très envahissante, qui se propage rapidement autour de Mundri. Elle n'est pas facile à extirper parce qu'elle est épineuse, mais les paysans ne la considèrent pas forcément comme nuisible; en effet, on l'utilise pour renforcer les murs de torchis, et elle améliore la fertilité du sol.

D'autres arbres sont reconnus comme indicateurs de bon sol, mais ont moins de vigueur et on peut se contenter de les couper et de les laisser se régénérer ensuite. La plupart poussent aussi sur des sols pauvres, mais ils sont considérés comme reconstituant un bon sol plus rapidement lorsque la terre est laissée en jachère, ce qui est confirmé par le fait qu'il s'agit souvent de légumineuses. Une terre sur laquelle poussent beaucoup d'ori (Acacia seyal) est normalement bonne, notamment pour l'éleusine (kyifo). Fu'du (Dichrostachys cinerea); 'bopi et katraka (Hymenocardia acida) sont comparables à cet égard. Cependant, bien que ori et fu'du soient des légumineuses et enrichissent le sol, ils sont tous deux épineux et ne sont en conséquence guère compatibles avec la culture, étant donné que les paysans travaillent souvent pieds nus et désherbent à la main. Une autre légumineuse, payi (Dalbergia melanoxylon), améliore aussi la fertilité du sol, mais elle pousse très lentement.

Lira (Securinega virosa) est une espèce qui, bien que pouvant dans une certaine mesure pousser sur un sol peu fertile, est généralement considérée comme indiquant un bon sol lorsqu'elle est bien établie, et comme améliorant le sol. Une terre où abonde lira sera considérée comme particulièrement bonne pour la variété moru de sorgho nyara go, que l'on cultive la première année suivant le défrichement (Sharland, 1989).

D'autres espèces sont signes de fertilité, en ce qu'elles ne poussent pas sur un sol infertile, ou encore qu'elles répondent bien à la fertilité du sol et le montrent clairement par leur croissance. Citons les arbustes kinju (Grewia mollis) manja (Piliostigma thonningii) rere, et l'espèce herbacée kabalili (Dolichos scweinfurthii), qui est un indicateur de fertilité particulièrement reconnu. La vigueur de la croissance de ces arbres manifeste la présence d'un bon sol. Toutefois, leur simple présence à l'état de souches dans un défrichement ne signifie pas qu'ils amélioreront particulièrement le sol. Dans un sol pauvre, ils sont peu vigoureux et incapables de concurrencer les autres essences.

Le fait que les Moru reconnaissent certaines essences comme indicatrices de bons sols, et les divisent en essences améliorantes et en essences simplement indicatrices de fertilité, traduit une bonne compréhension des différentes relations entre les arbres et le sol. Cela devrait faciliter le maintien de la productivité à long terme, d'autant qu'il y a un lien très étroit avec les légumineuses. Il importe par conséquent de ne pas confondre les espèces améliorantes avec les espèces simplement indicatrices.

Un intéressant exemple d'interaction: les rateliers de séchage du sésame

Une autre relation intéressante entre les arbres et les cultures est fournie par les rateliers servant au séchage du sésame. Les capsules de sésame, étant très déhiscentes, doivent être séchées avec soin pour éviter de grosses pertes de graines. On utilise à cet effet des rateliers appelés doro en moru, qui sont formés de longues perches horizontales fixées par des ligatures sur une rangée de pieux verticaux. La longueur du ratelier dépend de l'importance de la récolte de sésame, mais, comme c'est une des principales cultures, les besoins de bois correspondants ne sont pas négligeables. Le problème de l'approvisionnement en perches est d'autant plus grave que le séchage du sésame se fait à une époque de l'année où l'herbe de la savane est haute, rendant difficile la circulation en brousse. A mesure que les terres cultivées s'étendent, il devient de plus en plus difficile de trouver des perches convenables dans certaines zones. Lorsque l'idée de planter des arbres autour des habitations a été introduite, certains agriculteurs ont cité la production de perches pour les séchoirs à sésame comme l'une des principales raisons de planter des arbres.

Le sésame tient une place importante dans la culture moru

Interactions entre arbres et animaux domestiques

De nombreux Moru de l'est élèvent des moutons et des chèvres. Les chèvres broutent la plupart des végétaux mais les jeunes garçons qui les gardent savent identifier les espèces qu'elles choisissent lorsque la nourriture est abondante et celles auxquelles elles donnent juste un coup de dent en passant. Plusieurs de leurs arbres et arbustes favoris sont aussi des espèces améliorantes, notamment ori (Acacia seyal) lira (Securinega virosa), rere, payi (Dalbergia melanoxylon), et fu'du (Dichrostachys cinerea). Ces espèces peuvent par conséquent être intéressantes non seulement pour leurs relations avec les cultures, mais également comme espèces fourragères, en particulier pour les utiliser en saison des pluies lorsque l'herbe brûlée n'a pas encore repoussé et que le fourrage de qualité est rare. Les branches coupées lors de la culture et du désherbage peuvent être utilisées pour nourrir le bétail.

Les bovins ne peuvent vivre dans la plus grande partie du pays moru, mais dans une certaine zone on trouve une race traditionnelle résistante à la trypanosomiase. Les vaches se nourrissent d'herbe beaucoup plus que de fourrages ligneux. Il y a cependant quelques arbres et arbustes qui sont réputés être particulièrement appréciés des bovins, notamment lira (Securinega virosa), katraka (Hymenocardia acida) et mele (Lonchocarpus sp.).

Conclusion

Les arbres sont reconnus par les Moru comme ayant des relations bien définies avec l'agriculture et l'élevage. Certaines essences sont conservées sur les terres cultivées, tandis que d'autres considérées comme nuisant aux cultures sont coupées ou tuées. Les différentes manières dont les arbres sont traités montrent une nette différenciation entre essences.

Certains arbres et arbustes sont aussi considérés comme améliorant le sol, et on connaît des relations positives aussi bien que négatives entre certains arbres et certaines cultures. De nombreuses essences indigènes, mais pas toutes, conviendraient probablement pour la culture en couloirs et autres formes élaborées d'agroforesterie, la jachère étant remplacée dans le temps et dans l'espace par des rangs d'arbres d'essences améliorantes appropriées.

Contrairement à ce qu'on suppose généralement, toutes les essences ne sont pas considérées comme équivalentes pour fournir du bois de feu. La conservation et la plantation d'essences favorites, associées à une agriculture permanente viable, ont des chances de pouvoir se développer chez les Moru, et pourraient contribuer à conjurer le risque de pénurie de bois de feu, face à la pression démographique croissante.

Le besoin de fourrages ligneux pour les chèvres coïncide étroitement avec les espèces qui contribuent à enrichir le sol. Ce besoin, et les nombreux autres usages que les Moru font des divers arbres et arbustes qui poussent dans leur région, souligne les possibilités de développement de systèmes agroforestiers plus élaborés.

Plus importante encore sans doute est la connaissance qu'ont les Moru des interactions entre un grand nombre d'espèces ligneuses et un grand nombre de plantes cultivées. C'est une précieuse mine de connaissances pour les chercheurs et les vulgarisateurs dans le domaine de l'agroforesterie, car ces interactions si familières aux Moru sont celles-là même sur lesquelles la science officielle manque d'information.

Le meilleur charbon de bois pour la cuisine est fabriqué avec karanyi (Anogeissus leiocarpus) et lagba (Balanites aegyptiaca)

Bibliographie

Catford, J.R. 1951 Katiri cultivation in the Moru district of Equatoria. Sudan Notes & Rec., vol. 32.

Johnson, D.V. 1985. Palms in shifting cultivation. Ceres, juillet-août.

Rocheleau, D. et al. 1989. Local knowledge for agroforestry and native plants. In Chambers, R., Pacey, A. & Thrupp, L.A. Farmer first. Londres, Intermediate Technology Publications.

Schlippe, P. 1956. Shifting cultivation in Africa: the Zande system of agriculture. Londres, Routledge Kegan.

Sharland, R.W. 1989. Using indigenous knowledge in relation to subsistence sector extension. Reading University, AERDD. (Thèse de doctorat.)


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