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Le marché intérieur du bois: un important débouché pour les pays en développement

I. J. Bourke

Jim Bourke est forestier principal (analyse commerciale) au Département des forêts de la FAO.

Cet article examine de près le marché intérieur du bois dans les pays en développement et fait ressortir quelques-unes de ses caractéristiques et des difficultés à résoudre.

Plus de 90 pour cent du total de la production industrielle de bois rond des pays en développement sont utilisés sur place. En outre, les projections de la FAO (FAO, 1988) suggèrent que la consommation des principaux produits forestiers continuera d'augmenter fortement dans les pays en développement au cours des deux prochaines décennies (voir tableaux 1 et 2). Et pourtant, ni les gouvernements ni les grandes sociétés qui transforment et commercialisent les produits forestiers dans ces pays n'accordent généralement au marché intérieur l'attention qu'il mérite.

L'une des grandes raisons de ce défaut d'intérêt est que, dans de nombreux pays, le marché intérieur est éclipsé par le marché d'exportation. Il y a plusieurs explications à cela, notamment le fait que, dans de nombreux pays, les produits forestiers sont une source extrêmement importante de devises étrangères. En outre, la plus grande échelle et le caractère plus concentré des activités d'exportation les rendent mieux visibles, et il est donc plus facile aux gouvernements de s'en occuper. Souvent, la valeur des produits forestiers dans l'économie nationale est sensiblement sous-évaluée, d'où le peu d'attention des gouvernements.

TABLEAU 1. Croissance annuelle moyenne projetée de la consommation de produits forestiers, 1986-2000 (pourcentage)

Produit

Pays développés

Pays en développement

Bois de sciage

2,0

3,6

Panneaux dérivés du bois

4,4

6,3

Papiers et cartons

3,5

4,8

Source: FAO, 1988.

TABLEAU 2. Part des pays en développement dans la consommation mondiale de produits forestiers (pourcentage)

Produit

1986

2000*

Bois de sciage

22

30

Panneaux dérivés du bois

14

19

Papiers et cartons

16

24

* Projections.

Source: FAO, 1988.

Au niveau des sociétés, les grandes sociétés qui produisent et commercialisent des produits forestiers n'accordent généralement qu'une importance limitée au marché intérieur parce qu'elles tirent l'essentiel de leurs revenus des exportations. Elles peuvent aussi considérer que les profits additionnels à retirer d'un surcroît d'intérêt pour le marché intérieur sont limités. Il en est ainsi des sociétés d'Etat comme des sociétés privées, et cela peut tenir soit au fait qu'elles sont dans une situation de monopole, soit au fait que la demande est supérieure à leur capacité d'approvisionnement.

Mais, pour un certain nombre de raisons, il est extrêmement important de porter plus d'attention au marché intérieur. Dans les pays en développement, les besoins de logements d'une population croissante sont évidents, de même que ceux de développement et d'amélioration des infrastructures. Il est important de répondre à ces exigences aussi efficacement que possible.

Une utilisation accrue (et plus efficace) des produits forestiers peut aider à stimuler l'économie locale, ce qui permet ensuite d'accroître les possibilités d'emploi dans des industries orientées vers le marché intérieur et d'améliorer le flux des biens et services. En outre, il peut devenir possible de réduire les importations et d'économiser ainsi des devises.

Le marché intérieur offre un débouché à d'importantes quantités de bois industriel. C'est pourquoi il faut tenir compte des besoins et exigences de ce marché si l'on veut prendre des décisions valables pour mieux aménager les forêts et les utiliser efficacement. Mieux les marchés fonctionnent, mieux la ressource peut être utilisée et conservée.

Des politiques et méthodes de commercialisation plus efficaces permettront également aux organisations commerciales qui s'occupent de vendre les produits d'opérer plus efficacement et rentablement. Quant aux consommateurs, l'intérêt accru porté à leurs besoins leur permettra de se procurer plus facilement et à moindre coût des produits de meilleure qualité.

La physionomie du marché intérieur et les possibilités offertes par ce marché sont très variables d'un pays à l'autre. Le manque d'espace et, surtout, le manque d'informations détaillées s'opposent ici à toute tentative d'examen complet de la question. Le présent article s'efforce au contraire de faire ressortir les caractéristiques, difficultés et possibilités communes.

Il convient de noter dès le départ que cet article ne prend pas en considération le bois de combustible, en dépit du fait que, selon les estimations, 79 pour cent du bois récolté dans les pays en développement sont destinés à cette utilisation. Quoique le bois de combustible soit de plus en plus largement vendu à des conditions commerciales, il n'est dans la plupart des cas que partiellement rendu compte de ces opérations et les systèmes de commercialisation sont généralement primitifs.

Caractéristiques générales du marché

Niveaux de consommation

L'importance que revêt la consommation intérieure pour le secteur de la foresterie commerciale (aussi bien pour les grands que pour les petits opérateurs) varie considérablement d'un pays à l'autre. En Indonésie, par exemple, sur une production totale de 39 millions de m3 de bois industriel en 1989, 20 millions ont été utilisés dans le pays même. Le Nigéria et l'Inde consomment tout le bois industriel qu'ils récoltent. La Chine doit en importer des quantités importantes pour satisfaire ses besoins intérieurs, tandis que le Brésil, autre grand producteur ayant une nombreuse population, achemine l'essentiel de la production locale vers le marché intérieur. Indépendamment de leurs importations de papier et de carton, le Cameroun et le Libéria satisfont l'essentiel de leurs besoins de consommation intérieure avec leur propre production. En revanche, la Côte d'Ivoire exporte 70 pour cent de ses grumes de sciage et 60 pour cent de sa production de bois de sciage.

Dans l'ensemble, l'utilisation intérieure dans les pays en développement s'est notablement développée depuis quelques années. La consommation apparente totale des pays en développement est passée de 161 millions de m3 en 1970 à 395 millions de m3 en 1989. L'expansion des marchés intérieurs est liée dans une large mesure à la croissance parallèle de la population. Quoique les niveaux de consommation par habitant soient peu élevés par rapport à cc que l'on observe dans les pays développés, les volumes absolus de produits nécessaires pour satisfaire les besoins intérieurs sont substantiels. La comparaison avec la consommation dans les pays développés qui est présentée au tableau 3 fait ressortir les différences spectaculaires entre les niveaux de consommation par habitant et les quantités de bois utilisées pour répondre à la demande intérieure.

TABLEAU 3. Consommation intérieure de produits forestiers dans certains pays en 1989

 

Bois de sciage

Panneaux

Papier et carton

Total
(milliers de m3)

m3/1000 habitants

Total
(milliers de m3)

m3/1000 habitants

Total
(milliers de m3)

tonnes/1000 habitants

Inde

17465

21

427

1

2182

3

Malaisie

3156

198

429

27

432

27

Indonésie

7582

51

745

5

883

6

Pakistan

873

8

97

1

406

4

Malawi

31

4

7

1

10

1

Nigéria

2712

25

256

2

154

1

Cameroun

587

59

64

6

45

5

Tanzanie

151

6

14

-

50


Côte d'Ivoire

315

35

168

19

23

3

Brésil

17639

118

2236

15

3918

26

Etats-Unis

129349

526

34900

142

72298

294

Nouvelle-Zélande

1688

528

471

147

557

174

Note: les chiffres ont été arrondis.

Source: FAO 1991.

Distribution

Les problèmes de transport sont un obstacle majeur à l'amélioration de la transformation et de la commercialisation du bois, qu'il soit destiné au marché intérieur ou au marché d'exportation. Les grumes doivent souvent être transportées sur des distances notables depuis les forêts lointaines jusqu'aux ports ou aux principaux centres d'habitation. Par exemple, au Gabon, les exploitations forestières d'abattage et de débusquage sont situées à quelque 500-700 km de Libreville, et les distances sont encore plus grandes au Zaïre. Les usines de conversion sont habituellement installées en ces lieux, qui sont aussi les principaux débouchés d'exportation des grumes.

A partir de ces endroits, les produits sont transportés vers d'autres centres de population, souvent par de petits entrepreneurs privés qui vendent ensuite à d'autres intermédiaires ou à de petits fabricants qui produisent toute une variété d'articles tels que meubles, portes et fenêtres. Certaines sociétés plus importantes ont leurs propres sociétés de vente en gros dans les plus gros centres. Des acheteurs privés achètent les quantités dont ils ont besoin à de petits entrepreneurs qui gèrent des installations de vente en gros du bois, et des intermédiaires peuvent acheter directement le bois dans les ports à l'affréteur.

Dans les zones rurales, les acheteurs acquièrent directement le bois auprès des petites scieries d'entreprises de sciage en long. Là où il existe des usines de conversion plus importantes, les acheteurs privés effectuent aussi des achats auprès d'elles; il s'agit habituellement de qualités à meilleur marché.

Produits

Comme dans tous les pays, les modes d'utilisation du bois dans les pays en développement reflètent les disponibilités de ce produit (aussi bien l'offre sur le marché intérieur que les importations), les politiques adoptées par le gouvernement, la culture et les traditions, le niveau des revenus et les prix des produits. La principale différence entre les structures de la consommation dans les pays développés et dans les pays en développement est que, dans le second groupe, la consommation intérieure est très fortement orientée sur des produits relativement non transformés, en particulier le bois de sciage. En outre, pour toutes les utilisations, le matériau employé et les articles produits sont généralement de basse qualité.

Malgré la nette prédominance des consommateurs qui n'ont guère besoin d'articles plus élaborés, il y a de grandes différences entre la situation et les exigences des divers groupes de la population. En particulier, les besoins et les ressources financières de la population rurale sont très différents de ceux de la population urbaine. Il existe en outre dans cette dernière d'importantes différences entre les besoins de ceux qui ont un faible revenu et de ceux qui ont un revenu plus élevé (souvent très substantiel). Quoiqu'il y ait souvent une couche de la population intéressée par des articles de haute qualité et ayant les moyens de les payer, les marchés intérieurs des pays en développement sont pour l'essentiel peu évolués et conscients des prix.

Une caractéristique fondamentale de nombreux pays en développement est que la consommation est étroitement liée à la disponibilité des produits, qui est elle-même généralement liée à l'activité exportatrice. Dans des pays tels que l'Indonésie, la Malaisie, le Chili, le Brésil, la République de Corée et Taiwan, où le secteur de l'exportation est important (allant des grumes et des bois de sciage à divers types de panneaux dérivés du bois, placages, moulures, meubles et, dans certains cas, pâte et papier), la consommation intérieure tend également à inclure ces articles.

Le transport est un obstacle majeur à l'amélioration de la transformation du bois destiné au marché intérieur et à l'exportation

Dans les cas où les marchés d'exportation de certains produits sont limités ou bien s'il est difficile au pays de soutenir efficacement la concurrence en ce qui les concerne, la production est restreinte et la consommation intérieure l'est aussi en conséquence. Par exemple, le Libéria, le Cameroun, la Côte d'Ivoire et le Ghana sont des exportateurs importants de grumes et (à l'exception du Libéria) de bois de sciage dont ils consomment tous de grosses quantités. Ils n'exportent que peu ou pas du tout de contre-plaqués. Mis à part la Côte d'Ivoire, dont la production de panneaux dérivés du bois est plus du triple de celle du Cameroun (deuxième producteur) et représente aussi presque le triple de la consommation de ce dernier, ces pays ne sont que de petits consommateurs de panneaux.

En Indonésie, la consommation intérieure de panneaux dérivés du bois a progressé parallèlement à l'expansion rapide de la production de contre-plaqué destiné à l'exportation. La consommation est passée de 100000 m3 en 1975 à, selon les estimations, 800000 m3 en 1989; autrement dit, elle est passée de 0,7 à 5,4 m3/l 000 habitants. La Malaisie, dont la production de contre-plaqué est moindre, en consomme aussi beaucoup moins.

Il vaut la peine de noter que, dans la plupart des cas, au moins initialement, l'accroissement de la consommation intérieure d'articles essentiellement destinés à l'exportation a pour conséquence que les articles dirigés vers le marché local sont les articles inexportables de basse qualité. A cet égard, le marché intérieur peut jouer un rôle complémentaire extrêmement utile en offrant des débouchés pour les produits impropres à l'exportation. En outre, il peut profiter d'articles vendus à moindre prix qui, autrement, ne seraient pas accessibles.

Quelques pays dont le marché intérieur est potentiellement assez grand (autrement dit dont la population est assez nombreuse) pour justifier économiquement cet investissement ont développé d'importants marchés nationaux qui ne sont pas liés aux exportations. C'est ainsi qu'en 1989 l'Inde, qui a 800 millions d'habitants, a produit 442000 m3 de panneaux et 1,94 million de tonnes d'articles en pâte et en papier, pratiquement tous destinés à la consommation intérieure. Le Nigéria, qui a 110 millions d'habitants, produit 2,7 millions de m3 de bois de sciage et 230000 m: de panneaux, tous destinés à l'utilisation intérieure. Dans les pays en développement plus petits, à population relativement peu nombreuse, la transformation sur place est limitée par la taille du marché.

Influence du gouvernement

Dans les pays en développement, la consommation intérieure est largement déterminée par le gouvernement dont les décisions et politiques ont une forte influence sur le marché. Le gouvernement contrôle habituellement une grande partie des ressources forestières et, dans de nombreux cas, il contrôle dans une mesure notable l'exploitation forestière ainsi que la transformation et la distribution des produits forestiers. Les programmes de développement des infrastructures (voies ferrées, téléphone et électricité, barrages, routes, etc.) et les programmes de construction entrepris par le gouvernement, ainsi que les activités nécessitant des coffrages pour béton ou des palettes pour le transport, absorbent également une grande partie des articles produits.

Les politiques adoptées par le gouvernement dans divers domaines par exemple, prêts pour le logement, programmes de logements sociaux, contrôle des loyers et restrictions des importations ont aussi une influence sur la consommation. Ces politiques ont des objectifs très variés, tels que l'amélioration des normes d'habitation, la protection des industries nationales, la conservation de rares devises étrangères, la sécurité. etc. Ainsi, en Chine, un rigoureux contrôle central est exercé sur une grande partie des ressources forestières, leur exploitation et leur utilisation finale. Depuis quelques années, ce pays poursuit énergiquement des programmes et politiques visant à réduire la consommation de bois aussi bien pour alléger la pression sur les ressources nationales que pour réduire les besoins de devises pour importer. A cet effet, des allocations sont prévues pour le bois dans le système de planification national, et des mesures ont été adoptées par exemple pour faire prévaloir l'utilisation de matériaux de remplacement du bois. insister sur l'emploi de briques et de béton dans les programmes de construction subventionnée par l'Etat, contrôler les importations, limiter directement l'utilisation de bois pour un certain nombre d'applications telles que poteaux électriques, traverses de chemin de fer, étais de mines et de tunnel, etc.

Dans de nombreux pays, le secteur du bâtiment et des travaux publics est étroitement associé aux programmes de logements sociaux. Par exemple, dans son Sixième plan quinquennal (19801985), le Gouvernement indien a affecté 21,14 milliards de roupies à la construction d'ensembles d'habitations. A ce titre, environ 1 million de logements ont été construits (Razadan, 1990).

Bien que le gouvernement exerce une influence prépondérante sur le marché intérieur du bois dans de nombreux pays en développement, les entreprises privées jouent aussi un rôle important. Dans la majorité des pays, des entrepreneurs privés locaux se livrent à toute une gamme d'activités allant de l'exploitation de scieries à la fabrication de mobilier sur une petite échelle. De grandes sociétés, dont beaucoup sont sous contrôle étranger, sont aussi fortement intéressées. Bien qu'une grande partie de ces entreprises aient été initialement créées en vue d'exporter des grumes, beaucoup ont développé par la suite des opérations de sciage, à la fois pour utiliser les grumes impropres à l'exportation et pour obtenir des contingents d'exportation de grumes. Plus récemment, les dispositions prises par les gouvernements pour encourager, ou rendre obligatoire la transformation dans le pays même, ont eu pour effet d'accroître la participation des sociétés à ces opérations.

Utilisations finales

La consommation intérieure et les applications du bois sont considérablement influencées par le niveau de développement du pays et le degré de perfectionnement du secteur de la transformation, ainsi que ses possibilités d'accès au matériau de base et son degré d'orientation vers le marché. Quoiqu'il y ait de très grandes différences entre les pays, les informations limitées dont on dispose permettent de penser que, dans la plupart des cas, les principales utilisations finales à l'intérieur du pays concernent le bâtiment, les infrastructures et l'industrie (industries extractives, traverses de chemin de fer, poteaux de transmission, etc.), l'emballage et l'ameublement.

Sciages produits dans l'île de Santo Antão, au Cap-Vert. Dans les pays en développement, la consommation intérieure porte surtout sur des produits relativement peu transformés, comme les sciages

Scierie au Bangladesh. Le marché intérieur est alimenté par des petits producteurs dispersés, qui disposent de matériel assez peu performant et sont mal informés des débouchés

Selon les indications données, quelque 20 pour cent du bois d'œuvre et d'industrie utilisé en Chine en 1985 ont été absorbés par le secteur du bâtiment (Waggener, 1989). En République-Unie de Tanzanie, 90 pour cent du bois de sciage utilisé ont servi au secteur du bâtiment et des travaux publics (Kahuki, 1990); pour la Malaisie, le chiffre est de 50 pour cent (Asia-Pacific Forest Industries Development Group APFIDG - date non précisée); enfin, au Népal, selon une estimation, 50 pour cent du bois de sciage sont utilisés dans le bâtiment (Shaikh et al., 1989).

Le bois de sciage est principalement utilisé dans les secteurs du bâtiment et de l'emballage. Dans le premier, il sert essentiellement au coffrage du béton car le béton et les briques sont les principaux matériaux de construction utilisés, et à la fabrication de portes et de fenêtres. Cette utilisation est conditionnée à la fois par les pratiques locales de construction, la disponibilité de matériaux de remplacement et les prix relatifs des divers matériaux. Cependant, le fait qu'on utilise relativement peu de bois comme matériau de construction fondamental est aussi étroitement lié au défaut de classement et de contrôle de qualité des produits acheminés vers les marchés intérieurs. Peu de bois de sciage est classé ou séché, et rares sont les pays qui ont adopté et mis en vigueur des systèmes rationnels de contrôle de qualité pour assurer l'adéquation du matériau à de nombreuses utilisations finales.

Cette situation est influencée par deux facteurs principaux. En premier lieu, les moyens financiers des consommateurs sont limités et ils recherchent donc le produit le moins coûteux. En conséquence, même les grandes scieries qui seraient à même de le faire fournissent rarement du bois classé et séché, l'acheteur n'étant pas disposé à payer le supplément que cela suppose.

C'est parce que la majorité des consommateurs est très consciente des prix, que les tentatives faites dans un certain nombre de pays par les transformateurs pour mettre en place des systèmes de classement des bois ont échoué, les consommateurs ne voulant pas ou ne pouvant pas payer davantage pour un matériau de plus haute qualité. Au Malawi, par exemple, les efforts entrepris pour vendre du bois de sciage classé se sont heurtés à des difficultés parce que du bois provenant de petits établissements de sciage en long était disponible à moindre prix. A la Dominique, le problème est inverse: comme le marché intérieur est petit, il s'est révélé moins coûteux d'acheter le matériau importé des Etats-Unis que d'améliorer les techniques de transformation et le contrôle de qualité pour alimenter ce marché.

En deuxième lieu, lorsque la demande est supérieure à l'offre ou lorsqu'il existe des conditions de monopole, comme c'est le cas dans certains pays en développement, les producteurs ne sont guère incités à améliorer leurs articles puisqu'ils sont en mesure de vendre la totalité de leur production si les prix sont maintenus à un faible niveau. Semblable situation est souvent liée au fait que le gouvernement peut imposer des mesures de contrôle des prix pour assurer qu'un produit peu coûteux est à la disposition des consommateurs; la capacité des producteurs d'améliorer leurs méthodes de production et de commercialisation s'en trouve ainsi limitée.

Un autre facteur contribuant à la mauvaise qualité des matières premières et des produits qu'elles servent à fabriquer est le fait que les fournisseurs du marché intérieur ont tendance à être de petits producteurs dispersés; l'équipement dont ils disposent est relativement peu perfectionné ou médiocre, et ils n'ont que des informations limitées sur le marché. Dans les pays les plus pauvres, les producteurs de bois de sciage peuvent même être de simples particuliers utilisant des techniques de sciage en long.

Difficultés rencontrées sur les marchés intérieurs du bois

En général, un certain nombre de facteurs limitent l'efficacité des opérations sur le marché intérieur des pays en développement. Les principaux problèmes qui doivent retenir l'attention sont énumérés ci après:

Qualité médiocre et/ou variable des produits. Généralement, les produits sont de basse qualité et ils sont donc souvent mal adaptés à certaines utilisations finales. En outre, les acheteurs ne peuvent être assurés d'une qualité homogène.

Choix limité de produits. L'éventail de produits disponibles et le choix à l'intérieur de celui-ci sont limités. Les consommateurs ne sont pas en mesure de sélectionner les articles et les qualités les mieux adaptés à leurs exigences.

Concurrence excessive ou insuffisante. Dans de nombreux pays, les entreprises opèrent dans un environnement protégé. Cela peut tenir soit aux dispositions réglementaires adoptées par le gouvernement, soit au fait qu'un monopole est exercé sur la ressource. Dans d'autres cas, l'absence de mesures de contrôle a pour conséquence une concurrence excessive entre un grand nombre de petites sociétés inefficaces. Les contrôles des prix peuvent fausser le marché et aboutir à une utilisation inappropriée des ressources. Ces facteurs limitent à la fois l'efficience et le rapport coût/efficacité des marchés, ainsi que leur aptitude à répondre aux exigences des consommateurs.

Influence excessive du gouvernement. La très forte participation du gouvernement a pour effet de restreindre le libre jeu des forces du marché. L'intervention du gouvernement fausse le marché, et la très forte participation à celui-ci d'unités opérationnelles protégées par le gouvernement peut limiter son fonctionnement rentable et efficace. En outre, le fait de nombreuses utilisations finales dépendant de décisions prises par le gouvernement (par exemple, programmes de construction d'habitations, développement des infrastructures, etc.) signifie que les modifications des politiques peuvent avoir une influence abusive sur le secteur.

Insuffisance des informations sur le marché. Les informations sont limitées aux prix, aux produits disponibles et à leurs caractéristiques. Il est donc difficile de comparer les produits et leurs sources. Le manque de renseignements de ce genre empêche le marché de fonctionner librement et dans des conditions économiques, et impose des restrictions aux consommateurs et, dans certains cas, aux producteurs. Il limite également les possibilités de participation de producteurs potentiels.

Efficience réduite du marché. Par suite des autres limitations, les coûts sont supérieurs à ce qu'ils seraient autrement, les marges des intermédiaires sont souvent excessives, et il arrive fréquemment que les recettes soient insuffisantes pour attirer des entreprises nouvelles et plus efficientes ou pour permettre d'apporter des améliorations.

Demande ou offre excessives. Les mesures de contrôle stimulent une demande excessive si les prix ou les normes sont maintenus à des niveaux artificiellement bas. Dans d'autres cas, une offre excessive peut être encouragée. Lorsque les coûts véritables sont cachés, le système économique ne peut pas fonctionner de manière à assurer que les ressources soient effectivement affectées à leur utilisation la plus appropriée.

Inefficacité des systèmes de distribution. Les problèmes vont du coût excessif de certains systèmes à l'impossibilité d'acheminer les produits vers des zones où ils pourraient être nécessaires pour répondre efficacement aux besoins des consommateurs.

Formation insuffisante des administrateurs et du personnel. Cette lacune réduit leur aptitude à mettre sur pied et à administrer des entreprises efficaces, à reconnaître les activités dans lesquelles il faudrait investir et à gérer efficacement et rentablement les entreprises.

Mobilier de production locale sur un marché au Nicaragua

Plantation de pins à Fidji. Pour alléger la pression exercée sur les ressources par une demande intérieure croissante, il faut multiplier les plantations

Expansion et développement futurs

Les marchés intérieurs revêtent déjà de l'importance en raison des effets stimulants de l'activité commerciale sur l'économie et de la contribution qu'ils apportent à l'amélioration des conditions économiques et sociales. Quoique l'ordre de priorité à accorder aux marchés intérieurs soit discutable et qu'il diffère d'un pays à l'autre, la plupart de ces marchés devront encore être développés dans l'avenir.

Les marchés intérieurs sont d'un intérêt capital car il est nécessaire de fournir aux populations nationales croissantes des produits adéquats et, plus spécialement, d'améliorer les logements et les infrastructures.

L'amélioration du revenu de certains groupes de la population offre également, dans de nombreux pays, une occasion de développer l'utilisation locale du bois. Celle-ci est un moyen d'accroître les possibilités d'emploi dans des branches d'activité orientées vers le marché intérieur, et de soutenir l'économie nationale en intensifiant le flux de biens et de services. Elle est aussi un moyen de réduire les importations et donc d'économiser les devises.

De manière analogue, le marché intérieur peut offrir la possibilité de développer les connaissances et compétences techniques et d'améliorer les produits afin de permettre l'exportation d'articles de plus haute valeur marchande. Les industries qui ont un marché intérieur assuré peuvent généralement exporter sur des bases plus sûres. Elles sont également à même d'améliorer leurs produits dans un environnement moins exigeant que le marché d'exportation compétitif. Inversement, les entreprises qui développent de façon satisfaisante leurs activités d'exportation peuvent et doivent à leur tour améliorer les produits et services qu'elles fournissent au marché intérieur.

L'expansion du marché - aussi bien intérieur que d'exportation - doit aussi être considérée en tenant compte des pressions exercées en vue de réduire le déboisement et d'inciter les pays à ajuster le taux d'exploitation des ressources à leur capacité de régénération.

Bon nombre des facteurs qui entravent le développement des marchés intérieurs sont étroitement interdépendants. Pour éliminer une condition limitante, il faut parallèlement en améliorer une autre.

Des pressions sont susceptibles de résulter des exigences croissantes du marché intérieur. Dans le cas des pays exportateurs, il peut y avoir une intensification de la concurrence entre la demande pour l'exportation et la demande intérieure. L'augmentation de la seconde peut rendre plus difficile de satisfaire à la première, ce qui risque de peser sur le budget national, à moins que les contrôles exercés par le gouvernement ne soient maintenus. Des pressions croissantes seront exercées sur les gouvernements pour qu'ils fassent en sorte que les marchés d'exportation, même s'ils sont plus rentables, ne continuent pas à attirer les produits en priorité. Cela pourrait aboutir à des modifications des politiques nationales propres à assurer qu'une partie au moins de la demande intérieure soit satisfaite, même si les marchés d'exportation semblent plus attrayants.

Atelier d'affûtage des lames de scies en Inde. Il faut apprendre au personnel à utiliser et à entretenir le matériel moderne pour améliorer les produits destinés aux marchés intérieurs

De nombreux pays qui encouragent actuellement l'accroissement de la demande intérieure s'efforcent de réduire les pressions résultantes par l'extension des plantations. Un certain nombre de pays en développement, notamment le Brésil, le Chili, Fidji, l'Indonésie, le Kenya, la Malaisie, les Philippines et la République-Unie de Tanzanie, ont créé des plantations de ce genre ou sont en train de le faire. Une autre option serait d'accroître le nombre d'essences indigènes acceptées sur les marchés. Une décision de ce genre, de même que celle d'accroître les superficies plantées, doit être fondée sur une évaluation des exigences du marché. Si ces essences doivent être vendues sur le marché intérieur qui, dans la plupart des cas, est actuellement habitué aux bois de feuillus, il convient de mettre au point des programmes de commercialisation efficaces pour convaincre les consommateurs que les nouvelles variétés sont acceptables et capables de répondre à leurs besoins.

Il y a également lieu de mettre sur pied des installations de transformation appropriées, car les essences de plantation ont des caractéristiques physiques très différentes de celles de nombreuses essences actuellement utilisées. Si l'on veut que les plantations atteignent leurs buts et soient des entreprises profitables, il faudra faire un effort considérable dans les domaines de la transformation et de la commercialisation. L'aptitude variable de différentes essences à répondre à diverses exigences doit être clairement établie, et les difficultés que cela peut soulever doivent être précisées avant de rechercher des solutions.

Améliorations nécessaires

Les marchés intérieurs et les industries qui les approvisionnent doivent être soutenus et, dans de nombreux cas, stimulés. En premier lieu, il faut que tous les intéressés, en particulier les gouvernements et les grandes sociétés, reconnaissent que les marchés intérieurs sont importants et qu'ils doivent donc retenir leur attention.

Les politiques adoptées par le gouvernement doivent faire l'objet d'une évaluation approfondie et doivent être adaptées de manière à permettre plus de liberté sur le marché et à mieux encourager le développement d'entreprises efficaces à même de répondre à ses besoins. Lorsque les contrôles exercés et les réglementations adoptées par le gouvernement faussent les conditions de rentabilité ou protègent des sociétés contre la concurrence, il y a lieu de les rationaliser. Il faut toutefois trouver un équilibre entre, d'une part, la volonté de libérer et ouvrir l'économie et, de l'autre, la nécessité de travailler compte tenu des moyens financiers du pays. L'important est d'assurer que les mesures de contrôle n'aient pas d'effets inutiles de protection ou de distorsion sur le secteur.

La mise en place de programmes de formation, l'amélioration des systèmes de distribution, l'amélioration de la qualité des produits et le développement d'entreprises de taille suffisante pour permettre l'emploi de techniques améliorées sont des aspects qui sont tous importants et justifient tous un soutien. Dans de nombreux cas, ces améliorations peuvent être apportées en aidant les producteurs à coopérer et à agir de concert plutôt qu'individuellement. D'autres aspects exigent que le gouvernement ait la ferme volonté d'améliorer l'infrastructure, d'assurer la mise en place de systèmes de contrôle de qualité et de laisser jouer suffisamment la concurrence pour encourager une meilleure gestion. Le secteur de l'exportation a été stimulé et rationalisé dans de nombreux pays et le secteur national justifie la même attention.

L'amélioration des techniques de transformation et des compétences en matière de commercialisation, qui est rendue possible dans le cadre des programmes d'aide, est un moyen d'améliorer les produits acheminés sur le marché intérieur. Dans de nombreux pays, les installations de transformation, spécialement les scieries, sont désuètes, inefficaces et incapables de produire rentablement des articles acceptables. Leur amélioration et l'installation de nouvelles usines de conversion d'un type approprié sont un domaine dans lequel la FAO et d'autres organismes d'aide fournissent une assistance. La FAO a donné une très haute priorité à l'organisation de cours de formation en matière de techniques de transformation et en matière de commercialisation. Un projet régional FAO/PNUD basé à Kuala-Lumpur a organisé des cours dans ce second domaine en Malaisie et en Papouasie-Nouvelle-Guinée, à l'intention de participants de la région Asie-Pacifique, et des cours de formation en matière de sciage et de traitement du bois dans d'autres pays de la région. Le projet régional FAO/PNUD en faveur des pays africains, qui est basé au Cameroun, prévoit également des activités de formation dans ces deux domaines. D'autres activités de cette nature seraient extrêmement utiles pour les pays en développement.

L'amélioration de la transparence du marché aiderait, si elle était associée à d'autres améliorations, à encourager plus efficacement la concurrence. Elle permettrait de fournir à de nouveaux entrants possibles de meilleures informations sur lesquelles fonder leur décision d'investir dans une entreprise. Dans un certain nombre de pays, les marges substantielles prélevées par les intermédiaires seraient réduites.

Conclusion

Les marchés intérieurs des pays en développement offrent des débouchés toujours plus importants aux articles produits dans les pays eux-mêmes. Dans la majorité d'entre eux, ces marchés ne fonctionnent pas efficacement et ils ne fournissent pas non plus aux acheteurs des produits adéquats à des prix réalistes. De nombreux facteurs sont responsables de cette situation, depuis les politiques et mesures de contrôle et d'incitation adoptées par les gouvernements jusqu'au défaut d'encouragements à l'amélioration du fonctionnement des marchés et à l'amélioration des compétences techniques des sociétés participantes. La taille des marchés intérieurs et les exigences de populations de plus en plus nombreuses suggèrent qu'il faudrait s'y intéresser bien davantage qu'on ne le fait actuellement.

Bibliographie

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FAO. 1988. Produits forestiers - Perspectives mondiales: projections 1987-2000. Etude FAO: Forêts n° 84. Rome, FAO.

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