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Initiatives pilotes d'aménagement des forêts naturelles en Amérique latine: enseignements et possibilités

M. Kiernan, M. Perl, D. McCaffrey, R.J. Buschbacher et G. Batmanian

Michael Kiernan, Matthew Perl, Dennis McCaffrey, Robert J. Buschbacher et Garo Batmanian travaillent au Programme de foresterie tropicale du Fonds mondial pour la nature (WWF Etats-Unis). Le présent article s'inspire d'un document préparé pour le 10e Congrès forestier mondial.

Dans les milieux s'occupant de politique forestière, on se demande souvent si l'aménagement durable est possible ou non. S'il l'est, pourquoi est-il alors si difficile de trouver des exemples bien documentés? Cette question est décisive, étant donné que l'Organisation internationale des bois tropicaux a depuis peu pour objectif déclaré de fonder d'ici à l'an 2000 le commerce des bois tropicaux sur des ressources gérées de façon durable. La question intéresse également la Banque mondiale qui réévalue actuellement les investissements forestiers, le Programme d'action pour les forêts tropicales, les institutions d'aide bilatérale et de nombreux pays tropicaux. Le présent article porte sur la tentative faite par le Programme de foresterie tropicale du Fonds mondial pour la nature de contribuer au débat en identifiant et en rassemblant des représentants de certaines des initiatives les plus prometteuses d'aménagement des forêts tropicales en Amérique latine.

Les 60 pour cent des forêts tropicales humides mondiales situées en Amérique latine subissent une forte pression; elles risquent d'être utilisées à d'autres fins (par exemple pour le ranching et l'agriculture) qui passent pour être des activités plus lucratives que l'aménagement forestier. Malheureusement, bien des terres boisées ainsi converties ne peuvent assurer des rendements agricoles acceptables sur une période prolongée ni nourrir un nombre suffisant d'animaux, étant donné surtout les technologies existantes.

L'aménagement des forêts naturelles représente une autre solution prometteuse pour améliorer les moyens d'existence des ruraux et freiner le déboisement en Amérique latine. Il permet de conserver en permanence une couverture arborescente naturelle sur les terres boisées et d'introduire des pratiques sylvicoles et d'exploitation qui accroissent la quantité et la valeur des produits prélevés dans la forêt, tout en maintenant la capacité des forêts de se régénérer naturellement. L'aménagement des forêts naturelles est particulièrement important aux fins de la conservation dans les écosystèmes forestiers tropicaux de l'Amérique latine, en raison de la diversité immense des espèces végétales et animales que ces écosystèmes contiennent.

Culture de piments, l'une des composantes agroforestières du projet BOSCOSA au Costa Rica

L'ensemble des connaissances sur l'aménagement des forêts naturelles en Amérique latine est limité, et les exemples sont rares. En dépit du manque d'informations et d'expérience, pratiquement tous les pays d'Amérique latine possédant des forêts tropicales ont en cours une initiative pilote de gestion des forêts naturelles. Parmi ces initiatives, on trouve des activités forestières à but lucratif, des projets gouvernementaux, des efforts de recherche, ainsi que des projets locaux et indigènes de gestion forestière. Tous les projets, en dépit de leur diversité, se caractérisent par un trait commun: la volonté d'aménager les forêts naturelles tropicales humides de façon à obtenir des avantages économiques sans pour autant en détruire la capacité productive à long terme.

Le Programme forestier tropical du WWF, sur la base de l'expérience que plusieurs initiatives pilotes ont permis d'acquérir directement ces trois dernières années et grâce aux informations recueillies sur d'autres activités, a constaté que la communication entre les projets était insuffisante et irrégulière et que la plupart d'entre eux étaient demeurés des initiatives isolées avec de rares possibilités d'enrichissement mutuel, par le biais de la documentation ou par contacts directs. Il est nécessaire de rassembler ceux qui, sur le terrain, sont chargés de ces initiatives pilotes pour partager leur expérience sur les objectifs, les méthodologies et la composition institutionnelle de chaque activité; identifier les facteurs favorisant ou entravant le succès de chaque projet à ce jour; déterminer l'ensemble des conditions indispensables pour un aménagement durable des forêts naturelles en Amérique latine, avec des recommandations spécifiques en matière de politique.

Emploi de la traction animale pour l'exploitation forestière au Costa Rica

A cette fin, le WWF a organisé en décembre 1990 un atelier au Costa Rica, dans la péninsule d'Osa, avec le soutien de la Tinker Foundation et de la Fundación Neotrópica. Y ont pris part des représentants travaillant sur le terrain à 14 projets pilotes en Amérique latine. Les travaux se sont déroulés au Centre BOSCOSA, une station extérieure de la Fundación Neotrópica. Le Centre BOSCOSA se trouve dans la réserve forestière du Golfe Dulce, une des plus vastes zones boisées qui existent encore au Costa Rica et l'emplacement d'un projet prometteur de conservation et de développement intégré visant à démontrer la possibilité d'aménager durablement les forêts. Le présent article donne une synthèse des principaux points ou conclusions des réunions en petits groupes et en plénière. La dernière section résume quelques conclusions générales tirées par le Programme forestier tropical du WWF à la suite de l'atelier. L'article contient une brève description de chacune des initiatives présentées lors de l'atelier.

Projet Chimanes

Le projet a démarré au début de 1988 dans le Département de Beni (Bolivie). Il a pour objectif d'établir un modèle pour l'utilisation soutenue des ressources forestières, et notamment pour la protection et la conservation de la flore et de la faune. Y participent le Gouvernement bolivien, un groupe de concessionnaires forestiers et diverses organisations non gouvernementales. Le projet est mis en œuvre dans une zone boisée de 578000 ha, subdivisée en quatre types d'aménagement: extensif, intensif, réserve et recherche permanente. Au cours des 10 premières années, les modalités seront différentes, selon qu'il s'agit d'aménagement extensif ou intensif. Puis, la réserve forestière, représentant deux tiers de la superficie totale, sera gérée en fonction de l'expérience acquise les 10 premières années. Le plan d'aménagement comprend l'enrichissement après récolte et des traitements sylvicoles.

Projet CICOL

Entrepris en 1984 par le groupe indigène Centro Intercomunal Campesino del Oriente Lomerio (CICOL), en collaboration avec la Confederación Indígena del Oriente Boliviano (CIDOB), ce projet intéresse 130000 ha de forêts situées dans le département de Santa Cruz (Bolivie). Il vise au renforcement des droits sur les terres ancestrales, à l'utilisation rationnelle, la conservation et la protection des forêts communautaires, ainsi qu'à l'application de méthodes de sylviculture, d'agroforesterie et de reboisement dans la zone du projet. Bien que le projet CICOL ait démarré il y a plusieurs années, le volet foresterie est récent. Une nouvelle scierie, au centre des activités proposées de transformation du bois, est actuellement installée, et trois petites pépinières devraient commencer à fonctionner.

Projet MACA-BID

Ce projet a dé lancé au milieu de l'année 1989, dans le département de Santa Cruz (Bolivie), par le Subsecretaría de Recursos Naturales Renovables y Medio Ambiente del Ministerio de Asuntos Campesinos y Agropecuarios. Il vise notamment à mettre en œuvre un plan d'aménagement forestier convaincant pour obtenir une production commerciale soutenue de bois à la fois compétitive et rentable. Le programme est exécuté dans une concession de 57000 ha, dont 35000 ha de forêt de production. Une université et un concessionnaire forestier local coopéreront pour ce qui est de la récolte, de la transformation et de la commercialisation effectives. Le programme prévoit également des volets de recherche, formation et éducation à l'environnement.

Réserve extractive de Chico Mendes

Le Conselho Nacional de Seringueiros (CNS) a été créé en 1985 pour mobiliser les habitant traditionnels des forêts qui gèrent les terres dans l'Amazonie brésilienne, essentiellement pour la production de caoutchouc et de noix du Brésil. Le CNS a lancé et encouragé l'établissement de «réserves extractives», qui garantissent à long terme aux récolteurs de caoutchouc le droit d'exploiter en commun les forêts où ils vivent depuis longtemps. Le CNS participe à toute une série d'activités d'aménagement forestier, notamment recherche, formation, organisation d'une coopérative de producteurs et commercialisation internationale des produits forestiers. Les partisans du concept de réserve extractive commencent à étudier la possibilité d'englober le bois d'œuvre parmi les produits pour lesquels les réserves sont aménagées.

Principales questions soulevées au cours de l'atelier

Les participants à l'atelier ont non seulement échangé des renseignements sur leurs initiatives respectives, mais ont également examiné ensemble les facteurs techniques, sociaux, économiques et institutionnels qui influent sur tous les projets pilotes d'aménagement des forêts naturelles. Le débat s'est appuyé sur l'expérience acquise dans le cadre de divers projets, mais les solutions présentées ont un caractère général et synthétisent les points s'appliquant à pratiquement toutes les situations forestières rencontrées, qui toutefois ne reflètent pas forcément les conditions réelles de chaque projet particulier.

Aspects techniques

L'aménagement des forêts naturelles représente une solution viable et techniquement faisable d'utilisation des terres boisées, qui permet de conserver en permanence la forêt tout en tirant des avantages économiques et écologiques. La forêt primaire, la forêt primaire perturbée et la forêt secondaire peuvent toutes être gérées de façon à assurer un rendement soutenu de produits forestiers. Les techniques spécifiques varient selon le type de forêt et les objectifs d'aménagement particuliers. Souvent, le système d'aménagement le plus approprié ne peut être déterminé qu'après avoir comparé entre eux les résultats obtenus avec des traitements sylvicoles effectués sur une petite échelle.

S'il est nécessaire de poursuivre la recherche scientifique, les connaissances sont cependant déjà suffisantes pour entreprendre de petits projets d'aménagement des forêts naturelles. Il est indispensable d'élargir la base des informations techniques et d'améliorer la formation de ceux qui s'occupent des forêts naturelles, afin que les pratiques appropriées d'aménagement soient appliquées à de plus vastes superficies boisées.

Reboisement d'un terrain an pente a Rancho Quemado, Costa Rica

Selon les objectifs particuliers d'un projet, les activités ci-après devraient être insérées dans le projet à mettre en œuvre:

· classification des terres pour déterminer les zones appropriées à la production, à la protection et à la conversion à d'autres utilisations;

· inventaires des ressources renouvelables, y compris estimations quantitatives de la composition de la forêt et ventilation des essences commerciales et non commerciales;

· établissement d'un rapport bien défini entre le projet, les habitants de la zone forestière et leurs conditions socio-économiques;

· planification, mise en œuvre et contrôles efficaces des opérations d'exploitation;

· prévention ou réduction des effets sur l'environnement de l'exploitation forestière et des opérations d'extraction;

· meilleure utilisation des produits récoltés;

· surveillance des zones productives, des volumes récoltés et de l'impact social et environnemental;

· surveillance des taux de croissance, de la régénération, des opérations sylvicoles et des effets de l'aménagement sur les produits ligneux et non ligneux.

Aspects sociaux

Les initiatives d'aménagement des forêts naturelles s'inscrivent dans des contextes sociaux et organisationnels très divers (par exemple société privée, secteur public, coopérative, initiative communale ou individuelle). Si les structures administratives qui influent sur les divers types de projets peuvent être différentes, la participation des populations locales demeure toutefois une condition essentielle du succès des projets d'aménagement forestier. Néanmoins, la participation locale n'est pas une panacée. Souvent, il n'est pas possible de concilier l'impératif d'aménagement forestier et le besoin des populations d'affecter les terres à la production vivrière. Les tentatives d'aménagement des forêts naturelles risquent aussi d'entraîner des conflits entre groupes d'intérêt rivaux, notamment lorsque l'aménagement forestier suppose l'abandon de méthodes conventionnelles d'exploitation du sol.

En Amérique latine, les communautés et les organisations coopératives locales n'ont pas, pour la plupart, les moyens techniques ou financiers d'entreprendre sans aucune aide l'aménagement des forêts naturelles. Cependant, une assistance technique et financière bien conçue, souvent relativement limitée, peut leur permettre d'entreprendre cet aménagement. Dans de nombreux cas, l'aide initiale doit donner la priorité à l'organisation des communautés et à l'identification de leurs besoins.

Les sociétés privées qui se lancent dans l'aménagement des forêts naturelles ne se heurtent pas aux mêmes difficultés organisationnelles que les coopératives ou les communautés. De façon générale, elles ont des objectifs plus clairs et plus restreints, ainsi que des structures organisationnelles et administratives plus solides. En dépit de ces différences, les sociétés désireuses d'aménager les forêts doivent tenir compte des facteurs sociaux. La forêt qu'elles entendent gérer est rarement inhabitée, et les populations sont souvent impatientes de s'établir dans les zones boisées, dans l'espoir d'utiliser les infrastructures du projet pour accéder à de nouvelles terres. Les sociétés qui insèrent les intérêts des populations locales dans leurs plans de production ont plus de chances de désamorcer les conflits potentiels relatifs à l'utilisation des terres.

Pente déboisée dans la péninsule d'Osa au Costa Rica

Le souci à long terme de conserver les forêts est une exigence fondamentale pour l'aménagement des forêts naturelles, indépendamment du type de structures organisationnelles. Les investissements faits aujourd'hui porteront des fruits d'ici de nombreuses années. Les populations tendront à éviter de tels investissements dans un climat d'incertitude, surtout en ce qui concerne les droits à la forêt et à ses produits. Il est donc essentiel pour ceux qui se lancent dans l'aménagement des forêts d'obtenir la sécurité des droits de propriété, soit par un titre de propriété, soit par l'acceptation du droit foncier coutumier. Les exploitants doivent être certains de pouvoir exercer leurs droits à l'avenir.

D'une façon générale, les pratiques d'aménagement forestier se prêtent à des formes extensives d'utilisation des terres.

Il est donc recommandé d'envisager de créer d'autres unités d'aménagement des terres, telles que les réserves forestières communautaires, les réserves extractives ou les réserves indigènes. Ces types de régime foncier communautaire peuvent faciliter l'aménagement des forêts car ils prévoient la sécurité à long terme des droits de propriété pour les générations présentes et futures. Ils favorisent en outre l'élaboration de plans d'aménagement forestier et fournissent une meilleure base pour organiser les membres des communautés.

Projet FUNTAC/Antimari

Situé dans la forêt domaniale d'Antimari, dans l'Etat d'Acre (Brésil), ce projet a été lancé en 1989 par la Fundação de Tecnologia do Acre (FUNTAC), un institut de recherche public, avec le soutien de l'Organisation internationale des bois tropicaux (ITTO). Il cherche à mettre au point des techniques pour un aménagement durable polyvalent, dans des contextes sociaux, économiques et écologiques appropriés. Divers types d'inventaires - hydrologique, floristique, édaphique et socio-économique - sont effectués pour servir de base à l'élaboration et au contrôle du plan d'aménagement. Des inventaires des ressources ayant une importance économique, telles que caoutchouc, noix du Brésil, bois d'œuvre, faune, bambou et plantes médicinales sont aussi en cours. Les plans futurs prévoient des études sur l'exploitation forestière et la sylviculture, ainsi qu'une analyse du potentiel de transformation et de commercialisation du bois et d'autres produits forestiers.

Projet Tapajos

Ce projet, qui se fonde sur huit ans de recherche, envisage d'expérimenter à l'échelle commerciale un plan d'aménagement pour la forêt nationale de Tapajos, dans l'Etat de Para (Brésil), à peu près à mi-chemin entre les villes de Manaus et de Belém. Un plan d'aménagement a été conçu en 1980 avec l'appui de la FAO mais n'a jamais été mis en œuvre. En 1989, le projet a été reformulé, afin d'exploiter 1000 ha de forêt primaire pendant cinq ans. Les résultats de cet essai d'aménagement devraient servir à la gestion à rendement soutenu d'une superficie totale de 132000 ha. Il s'agit de la première tentative d'appliquer un plan d'aménagement à la forêt nationale de l'Amazonie.

Celulosa y Papel de Colombia S.A.

Cette succursale de Carton de Colombia gère depuis 1974 une concession de 61000 ha sur la côte Pacifique de la Colombie. A peu prés 60 pour cent de la superficie totale sert à des fins autres que la foresterie, notamment terres destinées aux habitants locaux et réserve forestière. Les 24000 ha restants sont considérés comme forêt de production et sont gérés afin de donner 80000 m3 de feuillus mélangés par an pour la fabrication de pâte, selon un cycle de coupe de 30 ans. La récolte se fait à l'aide de cables aériens, pour éviter dans la mesure du possible de perturber le sol. Il ressort d'études effectuées que la régénération naturelle peut assurer une production soutenue. Toutefois, les pressions sociales dans la région sont telles que la plupart des superficies exploitées le sont à nouveau par les populations locales, ce qui interrompt le processus de régénération.

Projet ASACODE/ANAI

Situé dans la cordillère de Talamanca, dans le sud-est du Costa Rica, ce projet récent est exécuté par l'Asociación San Migueleña de Conservación y Desarrollo (ASACODE) de concert avec l'Asociación ANAI. L'ASACODE est un groupement local de huit petits producteurs agricoles qui contrôlent une superficie boisée totale de 62 ha. Le projet a pour but de mettre en place une industrie de travail du bois génératrice de valeur ajoutée, fondée sur de petites exploitations forestières. Il cherche en outre à aménager la forêt en vue d'obtenir du bois e d'autres produits non ligneux tels que les plantes ornementales et médicinales, et de conserver la faune sauvage

Aspects économiques et financiers

L'aménagement des forêts tropicales naturelles exige des investissements financiers qui ne sont pas nécessaires lorsque les forêts sont simplement exploitées, sans souci de la productivité future. Les coûts réels doivent tenir compte des investissements nécessaires pour conserver la capacité de la forêt naturelle de donner des recettes à long terme. Les marchés de produits forestiers en Amérique latine ne reflètent pas l'augmentation de la valeur de ces produits, imputable à la rareté croissante des forêts naturelles. Ce qui prédomine, ce sont des prix extrêmement bas pour les produits forestiers finis et des coûts élevés, le gaspillage et l'inefficacité de l'exploitation, du transport et de la transformation. Les fournisseurs de produits forestiers et les entrepreneurs locaux ne reçoivent souvent qu'une fraction de la valeur des articles finis commercialisés, ce qui les décourage d'adopter des pratiques d'aménagement durable.

L'amélioration des méthodes d'exploitation et des moyens de transformation des produits forestiers ligneux et non ligneux, un transport plus efficace et une meilleure utilisation des matières premières contribueraient à accroître la valeur des produits forestiers, entraînant ainsi une hausse des prix du bois sur pied et d'autres produits de la forêt. Si les prix payés aux propriétaires forestiers étaient plus élevés, cela les encouragerait à entreprendre l'aménagement des forêts naturelles.

Equipement de traitement sous pression dans la coopérative forestière de Yanesha, vallée de Palcazu, Pérou

Réunion des membres de la coopérative forestière de Yanesha

En théorie, les coûts supplémentaires qu'entraîne l'aménagement des forêts naturelles représentent un investissement économique judicieux car ils se justifient par leur rentabilité à long terme. Mais les données précises sur les coûts effectifs et sur la valeur réelle des avantages de l'aménagement des forêts naturelles sont trop insuffisantes pour permettre une quantification fiable.

Aspects administratifs et institutionnels

L'aménagement des forêts naturelles a plus de chances de succès si les organismes gouvernementaux, le secteur privé et les communautés et organisations locales peuvent agir de concert dans un environnement politique et juridique favorable. Mais de nombreux facteurs institutionnels entravent la capacité d'entreprendre efficacement et de poursuivre cet aménagement des forêts naturelles.

Dans de nombreux pays d'Amérique latine, la politique gouvernementale et les lois font obstacle à l'aménagement des forêts naturelles. Par exemple, la législation agraire a souvent des effets préjudiciables sur les forêts et sur la mise en œuvre d'un aménagement forestier durable. Par le passé, nombre d'Etats d'Amérique latine ont jugé l'existence des forêts incompatible avec le développement. Les politiques relatives à la propriété des terres ont exigé le défrichement des forêts comme preuve d'utilisation productive du sol et donc de la propriété. Les propriétaires de terres défrichées sont juridiquement protégés contre l'expropriation et les revendications de tiers, ce qui n'est pas toujours le cas pour les propriétaires de terres boisées. De façon générale, il importe de déterminer si les lois et les politiques qui régissent la réforme agraire, le régime foncier et les concessions de terres publiques sont compatibles avec la promotion de l'aménagement des forêts naturelles.

Conclusions générales tirées par le programme forestier tropical du WWF

Bien que les initiatives présentées à l'atelier diffèrent beaucoup du point de vue des structures organisationnelles, des ressources et du contexte social, chacune d'entre elles peut sans aucun doute tirer profit de l'expérience des autres. Chaque initiative peut sensiblement contribuer sur le plan technique, social, économique ou institutionnel à comprendre et à mettre en œuvre l'aménagement des forêts naturelles. Par ailleurs, aucune des activités présentées ne traite de façon complète toutes les questions pertinentes. A la conférence, chaque participant semblait conscient des lacunes de son projet et demandait volontiers l'avis de ceux qui avaient obtenu de meilleurs résultats dans ce domaine particulier. Etant donné la large gamme représentée, les réalisateurs de projets ont pu proposer des solutions qui avaient réussi dans des conditions très diverses. Ainsi, ce qui à première vue semblait une collection de projets en quelque sorte incompatibles entre eux était en réalité un groupe d'initiatives très complémentaires.

Coupe rase en bandes dans la coopérative forestière de Yanesha, vallée de Palcazu, Pérou

Il est évidemment nécessaire d'intensifier l'interaction entre ces projets, étant donné le manque de communication par le passé. Certains participants ignoraient totalement les activités en cours dans d'autres pays en raison de la rareté des informations écrites à ce sujet. Pour faciliter l'échange d'informations en cours, les participants ont demandé que soit mis en place un mécanisme propre à promouvoir la communication future et l'enrichissement réciproque entre les initiatives d'aménagement des forêts naturelles.

Ils ont proposé qu'un réseau sur l'aménagement des forêts naturelles soit organisé précisément dans ce but, et le WWF est convenu de le mettre sur pied. Le réseau permettra d'informer les projets participants des progrès réalisés par d'autres et il devrait servir à faciliter l'assistance technique.

Enfin, quelle est la portée générale de cette série impressionnante d'activités d'aménagement forestier? Certes, de nombreuses tentatives intéressantes et positives sont faites pour élaborer des systèmes d'aménagement durable des forêts en Amérique latine. Toutefois, aucune initiative ne donne visiblement de bons résultats en œ qui concerne tous les éléments nécessaires. Les initiatives en sont à leur début; il leur faut plus de temps pour se développer, élargir l'éventail de leurs effets et surmonter les obstacles qui subsistent. Le WWF se rallie aux conclusions de l'atelier selon lesquelles l'aménagement durable des forêts est techniquement possible et est une option socio-économique viable pour les forêts tropicales. Mais de nombreux changements doivent être apportés avant que œ potentiel ne puisse être réalisé.

· Le climat politique général doit s'améliorer afin d'encourager ce type d'initiative. Les gouvernements ont souvent pour politique de dévaloriser les ressources forestières, ce qui favorise l'expansion insoutenable à terme des industries du bois, la destruction rapide des ressources ligneuses et le défrichement excessif des forêts. Un aménagement forestier plus durable n'apparaîtra pas rentable s'il lui faut rivaliser avec une autre option fondée sur la transformation du patrimoine naturel en espèces sonnantes et trébuchantes.

· Le type d'initiative mis en lumière ici nécessite un appui régulier à long terme, tant financier que technique. L'horizon lointain de la foresterie et le caractère expérimental de ces initiatives les rendent institutionnellement fragiles. Elles ont besoin pendant de nombreuses années de financements extérieurs, mais aussi de temps et d'espace pour mûrir sans croître trop rapidement; l'appui extérieur doit donc garder des proportions limitées et privilégier la régularité, la cohérence et le soutien technique. Les investisseurs et les donateurs doivent veiller à ne pas se précipiter sur des projets qui semblent fonctionner et à ne pas leur donner trop d'importance, car cela peut faire plus de mal que de bien.

· Les facteurs sociaux liés à ces initiatives revêtent une importance particulière pour leur succès à long terme. Il importe souvent davantage de résoudre les conflits politiques locaux et de répartir avec soin les avantages provenant de l'aménagement forestier que de s'attacher à des considérations d'ordre purement technique.

· En outre, une analyse bien étayée qui tienne compte de tous les aspects fait défaut dans de nombreux projets. Une analyse économique précise est nécessaire aux investisseurs et réalisateurs potentiels de projets, au niveau communautaire, privé et industriel, afin qu'ils puissent mieux évaluer la viabilité financière de l'aménagement des forêts naturelles.

En résumé, un nouveau paradigme peut se dégager de l'aménagement des forêts tropicales. Si cette forme plus durable d'aménagement forestier doit prendre de l'ampleur, ce courant doit s'appuyer sur une large base. Aucun type de projet n'a la formule magique. Au contraire, les réalisateurs de projets, étant donné leur grande diversité (entreprises commerciales, instituts nationaux de recherche et organisations communautaires locales), détiennent tous une partie de la réponse. Lorsqu'on élabore une initiative pour un lieu donné, il faut choisir et combiner les éléments appropriés provenant de chaque approche, en fonction des conditions prédominantes. Il est nécessaire à cette fin de diffuser un plus grand nombre de renseignements sur les tentatives existantes.

Enfin, dans le cadre de la campagne visant à influer sur la politique forestière, il ne nous faut pas ignorer les apports décisifs des résultats obtenus sur le terrain. Trop souvent, la réforme de politique devient une fin en elle-même, coupée de la base et des activités de terrain, où elle devrait puiser force, intégrité et crédibilité. De fait, la législation forestière existante et les lois connexes de nombreux pays contiennent d'excellentes dispositions juridiques qui, si elles étaient appliquées, feraient beaucoup avancer la cause de l'aménagement des forêts naturelles. Le problème réside dans le fait qu'elles ne sont souvent pas mises en application; la multiplication des initiatives de politique prises dans les capitales ne changera rien à l'affaire. Les responsables politiques doivent prêter plus d'attention à l'action quotidienne des réalisateurs de projets qui a prise sur la réalité.

Projet BOSCOSA

Le projet BOSCOSA est une initiative de conservation et de développement intégrée, effectuée dans la péninsule d'Osa, dam le sud-ouest du Costa Rica, dans la réserve forestière du golfe Dulce, qui s'étend sur 70000 ha Le projet, mis en route en 1988, vise à stabiliser l'utilisation des terres dans la réserve forestière et à conserver ce qui reste du couvert forestier comme zone tampon pour le parc national voisin de Corcovado. Le projet est mis en œuvre par la Fundación Neotrópica, organisation costaricienne privée de conservation, à but non lucratif. Au cours des trois premières années de fonctionnement, le projet s'est concentré sur l'obtention du consensus et de l'appui des communautés locales et sur le renforcement des organisations locales. Il donne actuellement des avis à huit associations dans les domaines de l'aménagement forestier, de la petite industrie forestière, de l'agroforesterie, de l'administration des projets et de l'éducation à l'environnement. Deux des groupes ont acheté du matériel pour travailler le bois et sont en train d'aménager les forêts sur environ 700 ha. Des organisations locales ont reboisé en outre 100 ha et en ont consacré 100 autres, au cours des trois dernières années, à la culture de plantes vivaces.

Projet COSEFORMA

Ce projet, mis en œuvre au Costa Rica, a démarré au début de 1990. Il cherche à promouvoir l'utilisation soutenue et efficace des ressources forestières dans la région septentrionale du pays, qui se caractérise par une propriété foncière extrêmement fragmentée et des îlots boisés isolés. Le projet comprend des éléments de politique et de terrain et bute de rassembler des entités gouvernementales et des organisations non gouvernementales locales pour favoriser un ensemble de conditions propres à stimuler l'aménagement des forêts naturelles.

PORTICO

Située sur la côte est du Costa Rica, cette initiative privée a été lancée en 1987 en vue d'approvisionner de façon continue en caoba de Guinea (Carapa guianensis), sorte d'acajou, une société qui fabrique des portes de haute qualité destinées à l'exportation. La société possède une superficie boisée totale variant entre 12000 et 15000 ha, divisée en parcelles isolées et aménagées selon un cycle d'abattage de 15 ans. L'entreprise PORTICO concentre ses efforts sur le caoba, mais elle récolte également d'autres espèces, qu'elle vend sur le marché ordinaire sous forme de bois brut en grumes.

Organización de Ejidos Productores Forestales (OEPF)

Cette organisation, implantée sur la côte des Caraïbes dans la zone maya du territoire de Quintana Roo (Mexique), est composée de sept groupes communaux ou ejidos, qui s'emploient à gérer leurs forêts pour obtenir une production soutenue d'acajou, de cèdre et d'autres essences. Elle a été créée en 1985, conformément au modèle «Plan Piloto» mis au point par une organisation d'ejidos voisine, dans le cadre d'un accord conjoint entre le Gouvernement mexicain et le Gouvernement allemand. Le groupe gère actuellement 155000 ha au total et profite directement à plus de 2700 familles. Les ejidos se chargent de l'inventaire permanent des forêts, élaborent des plans de coupe, s'occupent de l'exploitation et de la commercialisation. Plusieurs ejidos participants effectuent également sur place diverses opérations de transformation génératrices de valeur ajoutée. Ils entendent investir les revenus futurs dans du matériel de transformation plus sophistiqué, étant donné qu'ils visent à long terme à transformer directement le bois en produits finis.

Coopérative forestière de Yanesha

Située dans la vallée de Palcazu au Pérou, sur les contreforts orientaux des Andes, cette coopérative a été organisée en 1985 comme élément d'un vaste projet routier et de développement financé par l'Agence pour le développement international (AID). Le groupe applique le système novateur d'aménagement forestier avec «rideaux-abris», pour une gestion forestière avec rendement soutenu, selon un cycle d'abattage de 40 ans. Afin de réduire au minimum la superficie des forêts exploitées, la coopérative maximise la valeur ajoutée en récoltant tous les produits ligneux sur le site d'exploitation et en les transformant sur place. La coopérative a vendu plusieurs fois du bois à des acheteurs écologiques (verts), aux Etats-Unis et en Europe.

Projet de régénération naturelle de Celos

Il s'agissait au départ d'une initiative de recherche du Service forestier du Suriname, lancée en 1982. Son objectif était de produire de façon soutenue des bois marchands prélevés dans la forêt naturelle. Le projet était situé sur une parcelle pilote de 600 ha dans une forêt de production de 65000 ha. Les traitements sylvicoles se fondaient sur l'abattage judicieux et l'extraction de grumes à partir d'une récolte sélective initiale, suivis par trois opérations de nettoiement (annélation avec phytocide des tiges de moindre valeur qui luttent pour la lumière avec d'autres arbres d'essences appréciées) et sur une nouvelle récolte après 20-25 ans. Les résultats indiquent que l'exploitation soigneusement planifiée coûte effectivement moins que l'exploitation incontrôlée typique de la région qui cause plus de dégâts, et que les traitements sylvicoles ont permis de porter le volume commercial de 0,5 à 1,4 m3 par hectare. Les activités ont été suspendues en 1986 pour des raisons de sécurité dans la région, et depuis lors rien n'a été fait.


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