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Les ONG et le PAFT: de meilleurs alliés

B. Cabarle

Bruce Cabarle, ingénieur forestier, est chargé de recherche sur l'Amérique latine à l'Institut mondial pour les ressources. Basé à Washington, D.C. (Etats-Unis), il est spécialisé dans les questions de foresterie et d'utilisation des sols.

«Le succès du Programme d action forestier tropical (PAFT) dépendra [...] de l'appui et de la participation des petits exploitants et des collectivités villageoises, des ONG locales et nationales [...]» (FAO, 1987)

S'il est normal que les gouvernements aient un rôle dirigeant dans la planification de la gestions des ressources naturelles, il est cependant regrettable que ce processus soit traditionnellement dominé par les pouvoirs publics et les donateurs extérieurs, qui sollicitent rarement l'intervention de la population et la tolèrent à peine. Dans les années 80, des ONG ont commencé à jouer un rôle important parmi les groupes d'intérêt ayant un rôle légitime à jouer dans la conservation et la mise en valeur des ressources. Le PAF T a été une des premières initiatives internationales à admettre la participation des ONG, reconnaissant officiellement qu'elles avaient une contribution clé à apporter aux activités visant à assurer la conservation et une exploitation durable des ressources forestières. Depuis son lancement, le PAFT a suscité un débat intensif; et parfois beaucoup de controverses. Parmi les différentes questions qu'il soulève, une de celles qui ont provoqué le plus de réactions et de diatribes, tant de la part des accusés que des accusateurs, est celle de la participation des ONG.

En 1985, lorsqu'à été lancé le Plan d'action forestier tropical, (PAFT) (rebaptisé Programme d'action forestier tropical en 1991), beaucoup ont pensé que cc serait un mécanisme particulièrement efficace pour susciter un large dialogue sur les politiques et priorités à adopter pour s'attaquer aux causes fondamentales du déboisement et promouvoir une gestion et une exploitation durables des forêts. Des ONG représentatives de l'expérience, des points de vue et des préoccupations des collectivités locales et de la population en général devaient jouer un rôle clé en faisant participer la base à ce processus de planification (FAO, 1985; WRI, 1985). D'ailleurs, le premier PAFT et la Déclaration finale de la Conférence de Bellagio sur les forets tropicales (2 juillet 1987) soulignaient tous deux l'importance de la participation des populations pour le succès du processus et le rôle central des ONG dans les relations entre les collectivités locales et les gouvernements.

Cependant, les organisations populaires des pays en développement n'étaient guère intervenues dans l'élaboration du concept du PAFT (Cort, 1991; Winterbottom, 1990), et le rôle que prévoyaient pour elles les concepteurs du PAFT s'est très vite révélé problématique. Ce rôle devait se borner à faciliter la participation des populations et la mise en œuvre des projets. La contribution qu'elles auraient pu apporter en suscitant un débat publie plus large ou dans l'analyse des orientations et le suivi de la mise en œuvre n'a pas été reconnue, et, par conséquent, ces aspects restaient implicitement du seul ressort des gouvernements (Hazlewood, 1987; Shiva, 1987: The Ecologist, 1987).

Esmeraldas, Equateur. Réunion de village dans la commune de nié Santiago-Cayapas pour discuter des révisions à apporter à la proposition d aménagement de l'utilisation des terres de la communauté, soumise au PAFT/Equateur

Même après nombre de consultations avec les ONG et de déclarations sur leur rôle éventuel, les documents ultérieurs du PAFT ont mis du temps à reconnaître qu'il y avait d'autres aspects auxquels les ONG apportaient ou pourraient apporter une contribution importante, ou à officialiser des lignes directrices précisant comment les organisations pourraient être associées au processus.

Ce n'est qu'en 1989 qu'ont été publiées des directives pour la participation des ONG au PAFT (FAO, 1989), qui précisaient que les ONG locales et nationales avaient un rôle déterminant à jouer pour mobiliser la participation de la base et devaient être associées de façon systématique et efficace aux activités du Plan. Il était recommandé de mettre à contribution les connaissances spécialisées des ONG internationales dans leur domaine de compétence et de définir ces domaines dès les premiers stades de l'élaboration des plans forestiers nationaux, en instaurant un dialogue constructif avec la communauté des ONG. Dans le cadre des préparatifs du plan forestier national, il fallait notamment dresser un bilan des réalisations et des résultats obtenus par les ONG et le secteur privé dans les cinq domaines visés par le Plan (foresterie et utilisation des terres, bois de feu et énergie, conservation des écosystèmes forestiers, développement industriel basé sur la forêt, institutions), organiser des consultations pour analyser les obstacles rencontrés et les moyens d'agir plus efficacement, et donner aux ONG et au secteur privé la possibilité de suggérer des mesures pour accroître et améliorer leur contribution dans ces domaines (NDLR: la subdivision en cinq secteurs a été supprimée depuis, car elle était jugée trop restrictive).

Ces directives ajoutent qu'il faut associer les représentants des organisations populaires ou autochtones et les organismes gouvernementaux responsables de l'amélioration des conditions de vie des populations concernées au processus du Plan et recenser les pratiques en matière de gestion des ressources naturelles et les connaissances écologiques traditionnelles des populations rurales, ou les étudier lorsqu'elles ne sont pas connues (FAO, 1989).

Ces principes fondamentaux ont été importants dans la mesure où ils ont permis de commencer à promouvoir une participation réelle des ONG aux plans forestiers nationaux mais leur portée était encore très limitée. Ils ne reconnaissaient pas les autres fonctions importantes que pouvaient avoir les ONG, notamment en donnant un point de vue indépendant sur les documents et en les commentant, en fournissant des informations et en défendant les intérêts des populations pauvres rurales.

La participation et le processus de planification du PAFT

«La participation... découle naturellement du droit de choisir et du droit d'objecter-elle ne s'organise pas depuis le centre, elle ne se décrète pas.»
Mazide N'Diaye
(cité dans Talbott 1990)

La participation peut être vue comme Ut contrat conclu entre différents groupe d'intérêt qui négocient les termes de leur relation, tirent avantage de leurs apport. réciproques et conviennent d'un mécanisme pour mettre en œuvre, contrôler et, au besoin modifier les conditions de leurs relations. L'idéal est de définir d'emblée, par consensus les droits et responsabilités de chacun dans la relation et de les officialiser par écrit et/ou par des actions. L'information sur laquelle se fondent les décisions doit être transparente et analyse en commun. Les résultats obtenus seront satisfaisants si les besoins de chaque partenaire sont identifiés, s'ils s'engagent sur des objectifs et des moyens communs et s'ils prévoient des mécanismes pour concilier les divergences probables qui pourraient inciter certains à ne pas respecter leurs obligations. Les participants ne seront pas nécessairement d'accord sur tous les points mais seulement sur ceux qui, de l'avis de tous les intéressés, correspondent à des besoins communs (Reck et Long, 1989; Talbutt, 1990).

Dans le cadre du PAFT, comme dans t d'autres situations, la participation peut exister à différents niveaux et sous différents formes. Contrairement à certains discours actuels, il n'est pas nécessaire, ni souhaitable, que tous les groupes d'intérêt participent à tous les aspects du processus de planification. Par exemple, la participation des ONG peut être superflue dans les études de fond, de caractère très spécialisé, visant à combler certaines lacunes de l'information. Cependant, il est indispensable de définir les problèmes clefs, de vérifier les informations, d'élaborer des solutions viables qui déboucheront sur une action et de définir les priorités et les responsabilités.

Tous les groupes ne sont pas capables au même degré de défendre leurs intérêts et de faire valoir leurs besoins. Un PAFT «participatif»» cherchera à élargit, à ouvrir et à protéger l'espace nécessaire pour que toutes les organisations puissent formuler leurs besoins et apporter des informations contribuant au choix des orientations. Il faut donc mettre en place des contre-pouvoirs et des mécanismes de régulation pour faire en sorte que les intéressés soient effectivement représentés et que les responsables soient obligés de rendre des comptes.

Ce n'est qu'en 1991 que le PAFT a reconnu officiellement les diverses fonctions des ONG et les contributions très variées qu'elles pourraient apporter. I es Principes opérationnels de 1991 reconnaissent l'importance des préoccupations des ONG concernant la biodiversité et la protection de l'environnement et entérinent la participation des populations à tous les stades du processus du PAFT (FAO, 1991). En outre, un poids accru est donné aux ONG dans les structures nationales du PAFT. Toutefois, ces principes ne prévoient rien en ce qui concerne l'étude des pratiques traditionnelles en matière d'utilisation des sols et des connaissances écologiques des populations forestières, alors que cet aspect figurait dans des documents antérieurs du PAFT. De plus, le rôle que pourraient jouer les ONG dans l'analyse des orientations choisies et la surveillance de la mise en œuvre des plans forestiers est toujours négligé.

Pérou. Le directeur du projet de potager intégré famille/communauté, mis en œuvre par l'Association interethnique la mise en valeur de la forêt péruvienne (AIDESEP), expose son interprétation des causes fondamentales du déboisement de l'Amazonie à un groupe d'organisations écologistes internationales

La théorie et la pratique

De 1988 à 1990, l'Institut mondial pour les ressources (WRI) a essayé de suivre et de documenter la participation des ONG au PAFT dans une publication périodique intitulée Status report on NGO participation in country-level TFAP activities (WRI. 1988, 1989a, 1990). Ces efforts ont permis de constituer une base de données couvrant 25 pays, essentiellement à partir d'informations obtenues grâce à un recensement détaillé des ONG nationales et locales et de renseignements fournis par plusieurs ONG internationales, par certains donateurs et par l'Unité de coordination du PAFT (Cort, 1991).

D'après Winterbottom (1990) et Cort (1991), les gouvernements ont rarement associé les ONG à l'élaboration des plans d'action forestiers nationaux et ils ne leur ont guère laissé d'influence sur le résultat final. Dans sept au moins des pays recensés, la participation des ONG a été négligeable ou nulle. Des réunions avec les ONG n'ont été organisées que dans sept pays, et, dans six de ces cas, les ONG ont dû beaucoup insister pour obtenir ce résultat. Les compétences et les contributions potentielles des ONG au PAFT n'ont été recensées que dans sept pays et, dans trois cas, elles l'ont été à l'initiative des ONG. Peu d'ONG ont été invitées à participer à l'analyse des premiers documents de fond du PAFT ou à la définition des mandats. Dans la moitié environ des pays examinés, les ONG ont été invitées à participer à des tables rondes et ateliers ou à commenter des rapports dans le cadre du PAFT. Des ONG ont présenté des propositions dans le cadre des projets nationaux d investissement au titre du PAFT dans cinq ou six pays, mais on ne sait pas très bien si ces propositions ont été reprises dans les versions définitives présentées par les gouvernements aux donateurs. La participation directe des organisations représentatives des populations locales et autochtones n'a pas été systématiquement recherchée, sauf, à des degrés variables, dans quelques pays comme le Costa Rica, l'Equateur et le Guatemala.

L'appui financier ou technique fourni par les donateurs ou par le gouvernement national aux ONG pour leur permettre de participer à des activités nationales dans le cadre du PAFT ou à l'élaboration des propositions de projet a été nulle ou très modeste. Dans la plupart des cas, cette aide a été fournie par des donateurs sympathisants à des ONG nationales ou locales par l'intermédiaire d'ONG internationales. Celles-ci, notamment Conservation International, Greenpeace, l'Institut international pour l'environnement et le développement (IIED), l'Alliance mondiale pour la nature (UICN), le Rainforest Information Centre, Nature Conservancy, le Fonds mondial pour la nature (WWF) et l'Institut mondial pour les ressources ont joué un rôle important dans six plans d'action forestiers nationaux et participé de façon plus modeste à cinq autres. Ils ont fourni une assistance technique pour des missions d'analyse sectorielle et/ou une aide financière modeste à des ONG nationales dans les pays suivants: Burkina Faso, Bolivie, Cameroun. Costa Rica. Equateur, Guatemala, Laos, Mali, Papouasie-Nouvelle-Guinée, République-Unie de Tanzanie, Viet Nam et Zaïre. Dans les pays dans lesquels les ONG ont reçu une aide, les plans d'action font une plus large place à la conservation des forêts, aux relations intersectorielles, à l'utilisation des sols et à la réforme des politiques forestières.

Toutefois, il ne suffit pas de compter le nombre de cas dans lesquels des ONG ont envoyé des représentants à des réunions et ateliers du PAFT, ou le nombre de propositions établies par des ONG, pour se faire vraiment une idée de l'importance de leur participation au processus. La reconnaissance des ONG comme participants légitimes au processus du PAFT par les organismes officiels de planification, les effets de leur participation sur les politiques retenues ou des éléments montrant que le PAFT permet vraiment de mettre à contribution la spécificité des ONG donneraient probablement des indications plus valables sur ce point.

Les ONG: des participants légitimes

Certaines ONG ont réussi à faire entendre leurs préoccupations dans les milieux officiels. Dans les pays qui ont entériné la participation des ONG, le PAFT a contribué à légitimer leur point de vue. Plusieurs ONG, même lorsqu'elles ne sont pas satisfaites des résultats finals, reconnaissent que le PAFT est le premier processus de planification globale qui ait tenu compte de leur contribution.

Par exemple, le groupe principal pour les questions d'environnement en Indonésie, Wahana Lingkungan Hidup Indonesia (WALHI), a indiqué que le PAFT était la seule structure de décision publique qui faisait officiellement participer des ONG à ses travaux. Au Guatemala, l'Académie des langues maya souligne que le PAFT est la première activité de planification publique à laquelle les populations maya sont associées. En Bolivie, en Colombie, en République dominicaine, en Equateur et au Guatemala, des ONG ont été invitées à participer aux comités directeurs nationaux du PAFT, ce qui a ouvert un dialogue avec les gouvernements. La signature de mémorandums d'accord entre le gouvernement et des ONG en Equateur et au Guatemala et la création d'une division d aide aux ONG au sein du comité directeur du PAFT en Papouasie-Nouvelle-Guinée ont permis de légitimer les activités des ONG et de les mettre à contribution (Cabarle, 1991a, 1991b; Rietbergen, communication personnelle, 1992).

A des degrés variables, les ONG ont bénéficié d'une tolérance des gouvernements grâce à laquelle ils ont pu s'exprimer sur le PAFT dans des structures publiques et des organes de presse. En Amérique latine, notamment, les gouvernements participants ont manifesté leur considération pour le secteur indépendant en acceptant que des ONG participent aux comités, groupes de travail et tables rondes du PAFT et leur ont demandé leur avis sur des documents officiels et des propositions de projets. Au Guatemala et dans le cadre du PAFT régional pour l'Amérique centrale, les responsables de la planification ont établi une collaboration fructueuse avec des ONG en utilisant des réseaux déjà existants et en les invitant à inscrire l'examen du PAFT à l'ordre du jour de leurs réunions. En Equateur et en Thaïlande, des ONG, mécontentes des conditions de leur participation au PAFT, ont exercé des pressions efficaces en utilisant les médias et des enceintes publiques pour amener le gouvernement à tenir compte des problèmes de conservation dans l'établissement de plans fortement influencés par l'industrie forestière.

Les participants à la première Rencontre forestière maya, qui s'est tenue en janvier 1991 à Poptun (Guatemala), avant la troisième table ronde PAFT/Guatemala (conduite en divers dialectes maya)

On demande à des agriculteurs indonésiens de donne leur opinion sur les priorités en matière d'utilisation des terres

Cependant, il ne suffit pas d'obtenir un siège au comité directeur national du PART; encore faut-il pouvoir s'y faire entendre et y voter. Le WALHI a estimé que plusieurs de ses recommandations ont été ignorées et n'étaient pas mentionnées dans les comptes rendus officiels des tables rondes (Barber, 1991; Hafield, communication personnelle). En Equateur, plusieurs ONG ont démissionné du comité directeur national pour protester contre le refus des fonctionnaires gouvernementaux d'examiner ce qu'elles estimaient être des questions fondamentales, comme celles des limites de l'exploitation forestière durable, des programmes d'établissement dans les forêts et de l'exploitation des gisements pétroliers.

Dans la plupart des pays, le rôle des ONG a été limité et dicté par les responsables gouvernementaux de la planification du PAFT. En Malaisie et en Indonésie, seules les ONG «fiables» ont été invitées, occasionnellement, à des réunions et, souvent, elles n'ont pas eu accès aux documents du PAFT. Au Ghana et en Bolivie, les ONG qui n'ont pas été consultées dans le processus du PAFT, ainsi que d'autres qui l'avaient été au départ mais ont ensuite cessé d'y participer, se sont aperçues qu'elles étaient désignées comme responsables de l'exécution de projets dans des documents du PAFT présentés à des donateurs. Malgré ces quelques progrès, on peut donc dire que les ONG sont encore rarement considérées comme des interlocuteurs légitimes dans le processus du PAFT au niveau national.

A l'arrière-plan, les participants envoyés par des ONG au séminaire régional du Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS) sur le PAFT, février 1992, Cap-Vert

Influence des ONG sur les orientations

Le PAFT a permis d'améliorer l'accès des ONG à l'information et donc d'accroître leur influence sur les processus de prise de décisions. Pérou et au Costa Rica, des membres d'ONG ont été invités à participer à titre personnel à des groupes de travail du PAFT et ont donc contribué à la formulation des documents officiels. En République dominicaine, elles ont fortement influencé le choix des projets prioritaires et ont d'importantes responsabilités dans l'exécution de projets proposés dans les programmes d'investissement du PAFT. En Equateur, une campagne d'information lancée par des ONG aurait réduit l'influence de l'industrie forestière, qui avait beaucoup marqué les premiers projets du Plan d'action forestier national. De même, la LIDEMA en Bolivie et la Fundacion Natura en Colombie auraient réussi à mieux défendre la conservation des écosystèmes forestiers grâce à leur participation au PAFT.

Les enquêtes et ateliers organisés par des ONG ont aussi fourni aux planificateurs une information qui a influencé les programmes du PAFT. Ainsi, en République-Unie de Tanzanie, une enquête rurale faite dans le cadre du PAFT a abouti à un programme de vulgarisation novateur associant plantations d'arbres, nutrition et soins de santé primaires, géré conjointement par un bureau de district du Ministère de la foresterie et de l'apiculture et un hôpital de district. Au Guatemala, un atelier organisé par des ONG a montré que les activités de ces organismes et leur champ d'action géographique étaient beaucoup plus importants qu'on ne le pensait, ce qui a entraîné une révision de plusieurs projets envisagés dans le PAFT. Au Costa Rica, des agriculteurs ont pu dialoguer avec des fonctionnaires gouvernementaux et obtenir un accès aux primes de reboisement jusque là réservées aux gros propriétaires fonciers. Dans ces cas, le PAFT a joué un rôle de catalyseur et mobilisé des ressources humaines et financières du secteur indépendant, sensibilisé le grand public et influencé les responsables politiques (Cabarle, 1991b; Rietbergen, communication personnelle, 1992).

Toutefois, dans la plupart des pays, les ONG n'ont pas eu d'influence appréciable sur le processus du PAFT. Elles ne sont généralement pas représentées aux comités directeurs nationaux et, même lorsqu'elles le sont, l'après Cort (1991), elles ne voient guère d'intérêt à participer à un processus de planification qui leur apparaît dominé par les gouvernements et les donateurs. Beaucoup d'entre elles pensent qu'on ne fait pas grand cas de leur opinion et que l'investissement requis en temps et en énergie n'est pas justifié. Elles craignent aussi que leur participation ne soit vue comme une cooptation, impliquant qu'elles approuvent les politiques gouvernementales. Elles doutent généralement que les pouvoirs publics soient disposés à remettre en question les modèles de développement actuels ou à s'attaquer aux difficiles problèmes politiques qui sont associés au déboisement notamment en matière de distribution des terres et de modes de faire-valoir. Globalement, les résultats de la participation des ONG et des collectivités locales au PAFT sont très décevants, comparés aux attentes initiales et aux besoins des millions de familles pauvres des zones rurales.

Alors qu'on avait annoncé que le PAFT romprait avec les habitudes, de nombreuses ONG ont été déçues lorsqu'il est apparu que les changements souhaités ne se réalisaient pas. Pour d autres observateurs, la faible participation des ONG au PAFT n'est pas étonnante et elle reflète les obstacles plus généraux rencontrés dans le processus de développement et qui ne sont pas particulièrement liés au PAFT: les structures institutionnelles sont très hiérarchisées, ont tendance à considérer les organisations locales comme une menace pour l'autorité gouvernementale et ne savent pas comment s'y prendre pour susciter la participation du public et tenir compte de ses réactions; les ONG ont souvent des orientations politiques incompatibles avec les positions officielles; différents aspects du développement sont en concurrence pour des fonds publics limités; la coopération intersectorielle est souvent négligée; de puissants intérêts privés sont en jeu; la corruption n'est pas rare; etc.

Que faire?

Pour que le PAFT remanié constitue une amélioration, il devra prêter beaucoup plus d'attention aux obstacles rencontrés par son prédécesseur. Cela demandera davantage de souplesse, de décentralisation, de ressources, de temps, de patience et de tolérance pour les divergences de duc à tous les niveaux. Les exemples présentés ici montrent que le changement, même s'il est difficile, est possible et qu'il est même souhaitable pour toutes les parties intéressées. Les ONG ont aussi leurs défauts et devront s'améliorer. Comme elles sont jeunes (moins de 30 pour cent des ONG des pays en développement existent depuis plus de 15 ans), elles sont souvent faibles en tant qu'institutions et mal coordonnées. Leur personnel se renouvelle rapidement et leur mémoire institutionnelle est courte. La plupart d'entre elles pourraient être mieux gérées et se comporter de façon plus professionnelle et plus responsable vis-à-vis des intérêts qu'elles représentent. Seules les ONG ayant des structures démocratiques pourront représenter convenablement les populations marginalisées qu'elles essaient d'aider et que les responsables du PAFT souhaitent atteindre.

Les diverses évaluations du PAFT mécanismes de remaniement permanent ont proposé de nombreuses structures et recommandations pour améliorer le processus de planification et le fonctionnement du PAFT. Beaucoup de ces recommandations visent certains aspects de la participation des ONG (WRI, 1989b; Cort, 1991; Colchester et Lohmann, 1990; FAO 1990; Winterbottom, 1990; Meyers, 1991). On trouvera à la fin du présent article un bref aperçu de quelques-uns des problèmes les plus importants et des suggestions sur la façon de les régler, qui s'adressent principalement aux organes de direction du PAFT au niveau national. Cependant, l'Unité de coordination centrale aura aussi un rôle à jouer en appelant l'attention des gouvernements sur ces problèmes.

· Il convient d'élaborer un ensemble de critères pour définir qui doit participer au processus du PAFT, afin que tous les intérêts y soient représentés.

Les responsables du PAFT doivent comprendre que les ONG ne constituent pas un front unifié et ne parlent pas d'une seule voix, ce qui d'ailleurs n'est pas souhaitable. Comme c'est le cas pour les pouvoirs publics et les milieux économiques, il faut que les activités de planification nationales dans le cadre du PAFT fassent intervenir un échantillon représentatif du secteur des ONG. Il convient donc d'élaborer un ensemble de critères pour éviter d'oublier des groupes clés. Parmi les ONG dont la participation s'impose, figurent celles qui peuvent fournir des renseignements précis nécessaires pour le processus de décision, celles qui représentent les populations locales affectées par les décisions concernant l'utilisation des terres forestières, celles qui peuvent analyser les questions et tendances dans ce domaine ou diffuser des informations et celles qui ont des droits légaux ou coutumiers sur les ressources forestières. Ces critères peuvent donner une première indication en vue de la définition des besoins communs et de la négociation des conditions de participation des différents partenaires au processus, activités qui devraient être une des fonctions majeures des comités directeurs nationaux.

· La participation exige que toute l'information liée au PAFT soit divulguée et qu'elle soit largement diffusée par les comités directeurs nationaux dans la forme et les langues appropriées pour que toutes les parties intéressées puissent les commenter.

Les informations les plus légitimes sont celles qui sont partagées et analysées en commun. Le contrôle et la supervision nécessitent un accès aisé et continu à l'information. Cette transparence permettra de déceler plus facilement les lacunes et de vérifier les données employées dans le processus de décision.

Une fois l'information diffusée, il faut prévoir suffisamment de temps pour que les ONG puissent l'analyser et la commenter. Les mécanismes d'information du PAFT devraient établir systématiquement des rapports sur la participation de tous les intéresses, y compris les ONG et les collectivités locales et sur les questions qu'ils soulèvent. Il faudrait affecter des crédits suffisants à la traduction des documents officiels dans les langues locales.

· Il convient de mettre au point une stratégie de participation et d'activer les mécanismes consultatifs appropriés dès le début des activités nationales au titre du PAFT.

Les modèles traditionnels de planification dans le secteur forestier sont mal adaptés à la participation des ONG et des collectivités locales. Lorsque c'est possible, il convient d'activer les réseaux et circuits d'information existants du groupe cible pour permettre aux ONG de mener le processus de consultation avec les collectivités qu'elles représentent. La stratégie et les mécanismes doivent être conçus, et leur application contrôlée, par des personnes compétentes en matière de participation, en consultation avec des représentants de la collectivité des ONG. Ce processus doit être interactif et itératif et il doit s'appuyer sur une identification et une compréhension réciproques des besoins, des problèmes, des solutions et des stratégies. Il faut affecter un certain pourcentage des crédits de planification à ces activités, et le montant exact des ressources nécessaires devrait être déterminé en consultation avec les ONG participantes.

· Les ONG devraient mieux démontrer la spécificité de leur apport potentiel pour être associées au processus du PAFT.

Les ONG accroîtront leurs chances d'être associées au processus du PAFT si elles peuvent démontrer qu'elles représentent bien les besoins des populations locales, par des consultations préalables avec ces collectivités, par une analyse approfondie et un recensement systématique des besoins et des préoccupations locaux ou d'autres informations importantes et, enfin, en facilitant un débat public et une participation des populations locales à l'élaboration et à la mise en œuvre des stratégies. Il ne faut pas oublier que la participation n'est pas un droit acquis. Les ONG devront établir leur légitimité et leur crédibilité pour pouvoir être prises en considération.

Conclusion

Les ONG doivent être responsables et crédibles pour pouvoir participer pleinement et consécutivement au processus du PAFT, mais il faut aussi que les organismes de planification reconnaissent leur responsabilité et leur crédibilité ainsi que leur diversité et les contributions qu'elles peuvent apporter. En définitive, il est dans l'intérêt des planificateurs responsables du PAFT et des donateurs d'accepter ou, mieux encore, d'encourager les ONG à participer au processus, que ce soit en qualité de collaborateurs ou de critiques. Les ONG peuvent sensiblement faciliter l'accès des gouvernements centraux aux populations locales et améliorer la légitimité, l'intégrité et la pluralité du processus de planification du PAFT. Sans une participation plus poussée des ONG et des collectivités locales, le Programme d'action forestier tropical aura peu de chances d'atteindre ses objectifs et d'améliorer la gestion des forêts tropicales et la qualité de la vie des populations qui en dépendent.

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