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L'ergonomie appliquée au secteur forestier chilien

E. Apud et S. Valdés

Elias Apud est directeur du Département de physiopathologie au laboratoire d'ergonomie de l'Université de Conceptión, au Chili.
Sergio Valdés est directeur général de Forestal Millalemu, à Chillán, Chili.

Le Chili est un pays traditionnellement producteur et exportateur de bois. Grâce à la croissance soutenue que connaît le secteur forestier depuis 20 ans, la production a atteint, en 1990, près de 12 millions de m3 de bois, dont 90 pour cent provenaient de plantations de Pinus radiata D'où une augmentation du nombre d'emplois forestiers, une mécanisation croissante des tâches et un intérêt de plus en plus marqué pour l'ergonomie, qui permet d'augmenter la productivité. Le présent article résume le développement au Chili de l'ergonomie appliquée aux opérations forestières. Ses auteurs espèrent qu'il pourra être utile aux chercheurs et aux chefs d'entreprise forestière qui s'intéressent à la question.

Le laboratoire d'ergonomie de l'Université de Concepción a été créé en 1972 pour appuyer l'enseignement, la recherche, l'information et l'assistance technique dans ce domaine. Le secteur forestier a bénéficié, dès le départ, d'une attention prioritaire.

D'un point de vue ergonomique, il s'agissait de relever deux défis: d'une part, améliorer les méthodes traditionnelles de travail manuel et, d'autre part, sensibiliser les chefs d'entreprise à la nécessité d'introduire des techniques appropriées, c'est-à-dire qui, tout en permettant une amélioration de la productivité, présentent le moins de risques pour la sécurité, la santé et le bien-être des travailleurs.

Si la logique des principes énoncés est irréfutable, leur mise en pratique présente une série de difficultés: au niveau de la direction des entreprises, la majorité des chefs ou propriétaires d'entreprise redoutaient une augmentation des coûts. Quant aux travailleurs, ils craignaient que les résultats des études entreprises soient utilisés pour justifier une augmentation de leur charge de travail. C'est pourquoi tout programme ergonomique doit commencer par un travail sérieux d'information, de façon que toutes les personnes impliquées - des travailleurs aux responsables - comprennent bien quels sont les objectifs des études ergonomiques et les bénéfices qu'elles peuvent en tirer. C'est la raison pour laquelle notre équipe organise depuis 1972 des activités de vulgarisation sous forme d'exposés oraux, de démonstrations pratiques et de cours d'ergonomie destinés aux différents secteurs de l'industrie forestière. Tout aussi importants sont les cours d'ergonomie destinés aux étudiants en ingénierie forestière et en ingénierie industrielle, qui ont permis aux nouvelles générations d'ingénieurs sortis de l'Université de Concepción de commencer leur vie professionnelle avec des idées claires sur les problèmes d'adaptation de l'homme au travail.

FIGURE 1. Travailleur forestier chilien soumis à un test de fatigue dans un laboratoire de terrain

La réalisation d'études ergonomiques, que ces mêmes entreprises demandent de plus en plus fréquemment à l'université, s'en est trouvée facilitée. Enfin et surtout, les résultats de ces études sont désormais appliqués au profit des travailleurs forestiers chiliens.

Les travailleurs forestiers chiliens

Pour commencer et comme condition préalable au déroulement de nos activités ergonomiques proprement dites, nous avons entrepris d'étudier les caractéristiques des travailleurs forestiers chiliens. Avant de pouvoir adapter les outils et les méthodes de travail aux travailleurs, il fallait d'abord connaître l'aptitude physique de ces derniers. A cette fin, des laboratoires ont été installés près des lieux de travail (voir figure 1).

FIGURE 2a. Dortoir dans un camp d'exploitation forestière en 1980...

FIGURE 2b ... et dortoir amélioré photographié en 1991

Les mesures (Apud, 1978; 1983) ont montré essentiellement que ces travailleurs présentent en général de très bonnes aptitudes physiques, dues en partie à la sélection naturelle et en partie à l'entraînement physique inhérent aux tâches exécutées. Mais il fallait aussi, pour améliorer la conception des outils manuels, disposer de références anthropométriques.

Les études réalisées ont révélé que les travailleurs forestiers chiliens sont plus petits que ceux qui travaillent dans d'autres secteurs, et sensiblement plus petits que leurs homologues du nord de l'Europe, de l'Amérique du Nord ou d'autres pays industrialisés fabriquant du matériel pour les entreprises forestières.

Le troisième aspect de notre étude concernait la composition de la masse corporelle, qui est un indicateur important de l'équilibre énergétique. On a mesuré sur un grand nombre de travailleurs, d'une part, la masse graisseuse, principale réserve d'énergie, et, d'autre part, la masse libre de tissus adipeux, dont l'importance est liée au développement des muscles et du squelette. D'après ces mesures, on a pu déterminer que cette population, tout en étant mince, avait un apport énergétique alimentaire suffisant et présentait un développement musculaire et squelettique adapté à sa taille et à l'effort physique fourni. Aux lecteurs intéressés par les méthodes d'évaluation de l'aptitude physique, des caractéristiques anthropométriques et de la composition corporelle, nous recommandons la lecture d'un texte d'Apud et al., (1989).

Malgré les résultats mentionnés ci-dessus, ces travailleurs, en bonne forme physique, avaient un rendement peu satisfaisant. Nous avons donc recherché les causes de ce phénomène. La première hypothèse qui vient à l'esprit est que les bas salaires sont très peu motivants. Mais les observations faites sur le terrain montraient que, tout en étant important, ce facteur n'était pas déterminant. C'est la raison pour laquelle nous avons centré notre analyse sur le milieu de travail.

En raison des caractéristiques géographiques du Chili, le travail forestier se déroule presque toujours dans des zones éloignées des centres urbains. La majorité des travailleurs forestiers doivent donc vivre dans des campements qui leur tiennent lieu, provisoirement, de foyer. Or, si l'ergonomie s'applique théoriquement au travail lui-même, c'est-à-dire à la relation entre l'homme, ses instruments de travail, les méthodes qu'il emploie et le milieu qui l'entoure, il n'est pas raisonnable, à notre avis, d'espérer qu'un travailleur soit motivé si ses conditions de vie laissent à désirer. Cette préoccupation nous a conduits à étudier le problème et à rechercher des solutions essentiellement au niveau de l'infrastructure des camps et du régime alimentaire des travailleurs.

Les conditions de vie dans les camps de travailleurs forestiers sont généralement déplorables. Par exemple, la Superintendencia de Trabajo a constaté, dans une étude réalisée en 1980, que 41 des 42 campements forestiers inspectés ne répondaient pas aux normes minimales d'hygiène et de confort. Les campements en question appartenaient à des entrepreneurs qui fournissaient des services à des entreprises plus importantes. Depuis lors, des efforts importants ont été faits pour améliorer l'infrastructure et l'entretien des camps. Quelques grandes entreprises ont financé des études pour la conception de prototypes et confié elles-mêmes la gestion des camps aux entrepreneurs, en exigeant d'eux en retour qu'ils assurent leur entretien. Même si, d'après nos propres observations, beaucoup de problèmes persistent, il faut bien reconnaître que des progrès ont été accomplis et que les camps, comme celui que montre la figure 2a, sont progressivement remplacés par des camps mieux conçus, comme celui de la figure 2b.

Apport alimentaire

Une autre de nos préoccupations initiales était d'étudier le régime alimentaire des travailleurs forestiers chiliens. Apud (1983) et Apud et Valdés (1986; 1988) ont montré que la ration alimentaire oscille, selon les entreprises, entre 2800 et 3500 kcal par jour (11721 et 14651 kJ). En règle générale, les opérateurs de scies à moteur sont mieux nourris que les travailleurs moins qualifiés. Ces études montrent que le régime est composé principalement d'hydrates de carbone. On observe également une faible consommation de fruits, de légumes et de protéines d'origine animale et un déficit marqué en vitamine A.

Les études d'Apud (1983) sur le bilan énergétique révèlent que les travailleurs forestiers chiliens ont un poids et des tissus adipeux satisfaisants. Autrement dit, lorsque l'apport énergétique alimentaire est insuffisant, plutôt que de faire appel à leurs réserves énergétiques, ils réduisent leur temps de travail au détriment de la production, et même de leur revenu, puisqu'ils sont en général payés à la pièce. Ainsi, le temps réel de travail sur un site d'exploitation commerciale a pu être évalué à quatre heures environ de travail effectif pour une journée de travail de neuf heures (Apud, 1983).

Pour remédier à cette situation, certaines grandes entreprises forestières ont financé des études visant à améliorer le régime alimentaire des travailleurs, tant du point de vue de la qualité que de l'apport énergétique. Mais il fallait aussi tenir compte des conditions imposées par les entreprises, c'est-à-dire proposer des menus d'un coût modéré, qui soient du goût des travailleurs et faciles à préparer dans des campements dépourvus, la plupart du temps, d'eau potable et d'électricité.

Avant même d'analyser la composition du régime alimentaire, il a fallu déterminer l'apport énergétique alimentaire nécessaire à ces travailleurs forestiers. Les études effectuées ont permis de calculer que la majorité des activités forestières exigent un apport calorique quotidien d'au moins 4000 kcal (16744 kJ). Il ne s'agit, toutefois, que d'un chiffre très général, qui peut varier en fonction de l'environnement, du travail spécifique et des caractéristiques individuelles. Mais comme il est impensable que l'on puisse préparer dans les camps des menus individualisés, il convient de prévoir une alimentation qui convienne aux travailleurs ayant les besoins énergétiques les plus importants, tout en les éduquant pour qu'ils ajustent eux-mêmes leur régime, ce qui prendra beaucoup plus de temps.

Pour mettre au point un menu type, on a réalisé une étude sur un groupe de travailleurs vivant dans un campement. Un cuisinier ayant reçu une formation spécialisée a préparé des menus, puis les a modifiés en fonction des préférences du groupe. On est ainsi parvenu à établir un plan de repas d'un coût raisonnable, qui apporte environ 4000 kcal par jour (16700 Kj) réparties en trois repas, et qui comprend des éléments habituellement absents de l'alimentation de cette population. Toujours riches en hydrates de carbone, les menus comprennent aussi des légumes, des fruits et des protéines d'origine animale en quantités supérieures aux niveaux minimaux recommandés par le Comité mixte FAO/OMS d'experts sur la nutrition (1974).

Il est évident que nous sommes encore loin de l'alimentation idéale; les menus se répètent d'une semaine à l'autre, et il a été impossible de modifier les habitudes d'ouvriers hostiles à tout changement dans la répartition de l'apport énergétique tout au long de la journée. Toutefois, une étude récente (Apud et Ilabaca, 1991), qui portait sur 50 entreprises fournissant des repas aux travailleurs forestiers, a révélé une nette amélioration des régimes alimentaires, puisque 43 de ces entreprises ont adopté, avec quelques modifications, des plans de repas analogues à ceux proposés au départ. Qui plus est, il existe aujourd'hui au Chili des entreprises spécialisées qui offrent des services de restauration aux entrepreneurs forestiers et qui disposent d'équipes de nutritionnistes veillant à ce que les repas proposés soient équilibrés et préparés dans de bonnes conditions d'hygiène. L'étude en question montre que 17 des 50 entreprises évaluées ont recours à des services de ce type.

Recherche de technologies appropriées pour les gros travaux manuels

Avant de décrire les études ergonomiques en cours de réalisation au Chili, il est important de mentionner que nous avons essayé de nous conformer à la norme fixée par l'Organisation internationale du travail en matière de rendement (OIT, 1981), défini comme la production moyenne que les travailleurs qualifiés peuvent assurer sans fatigue excessive par jour ou par journée de travail, étant entendu qu'ils connaissent et acceptent la méthode de travail et sont motivés pour l'appliquer.

Les études sur les technologies appropriées ont été réalisées sur des équipes pilotes, qui travaillaient comme n'importe quel autre groupe de travailleurs mais disposaient de tous les éléments nécessaires pour bien faire leur travail. Pendant les périodes de travail, les ouvriers vivaient dans des camps propres et confortables et mangeaient des repas copieux préparés par un cuisinier ayant reçu une formation. Le camp disposait également d'installations et de matériel de loisir de base (téléviseur, cartes à jouer, etc.). En ce qui concerne le travail, les ouvriers possédaient une formation correspondant aux tâches qu'ils exécutaient, et les normes fondamentales de sécurité étaient respectées.

Ces conditions peuvent apparaître comme excessivement privilégiées. Mais il ne servirait à rien de réaliser des études sur des travailleurs qui vivent dans de mauvaises conditions, mangent mal, sont peu formés ou exposés à des risques d'accident. Nous sommes convaincus que l'amélioration de la productivité n'est synonyme de développement que si les conditions de vie des personnes qui y contribuent par leur travail s'améliorent en même temps. Une partie des revenus supplémentaires engendres par l'augmentation de la productivité devraient être utilisés pour augmenter les salaires des travailleurs et améliorer leurs conditions de vie et de travail dans les camps.

Nous avons été particulièrement attentifs également au critère de fatigue, qui entre lui aussi dans la définition du rendement formulée par l'Organisation internationale du travail (OIT, 1981). Traditionnellement, à part quelques cas isolés, les études sur la main-d'œuvre ne comportent pas d'évaluation objective de la fatigue physique qu'impose une tâche déterminée. Nous avons donc appliqué des techniques d'évaluation de la dépense d'énergie et de la charge cardiovasculaire, en ayant recours à des unités télémétriques pour mesurer le rythme cardiaque (figures 3a et 3b). Le lecteur souhaitant une description détaillée de ces techniques peut se reporter au texte d'Apud et al. (1989).

En règle générale, les études ont porté sur des tâches précises liées à la gestion et à la production forestières. Nous résumerons brièvement une étude sur l'élagage à mi-hauteur (de 3 à 6 m) réalisée pour analyser deux méthodes de travail différentes et une autre sur un travail d'exploitation illustrant le travail en équipe.

Ebranchage à mi-hauteur

Au Chili, il y a quelques années encore, l'élagage en hauteur se pratiquait avec une scie dotée d'un manche de 6 m de long. Comme on peut le voir sur la figure 4a, le travailleur qui reste au sol coupe les branches en restant à distance de la zone d'élagage, ce qui entraîne des coupes défectueuses. En outre, le travail est réalisé dans une position très inconfortable pour le cou, les épaules et les bras, qui sont soumis à une charge statique importante. Une autre méthode consiste à utiliser une échelle, de sorte que l'élagueur, se tenant à une distance rapprochée de l'objet de son travail, coupe avec une scie appropriée (voir figure 4b). Cela permet une coupe de meilleure qualité et réduit les problèmes liés à la posture du travailleur. Il y a malgré tout un risque plus important d'accidents; ces derniers peuvent être évités en adoptant des systèmes adéquats de fixation de l'échelle aux arbres.

Une équipe pilote, composée de 10 élagueurs, a permis d'évaluer comparativement les deux systèmes de travail. Les deux forêts sur lesquelles l'élagage a été pratiqué, de même que le terrain et le climat, présentaient des caractéristiques analogues. La charge physique pour chaque travailleur a été estimée en mesurant le rythme cardiaque (fréquence cardiaque) toutes les deux minutes pendant toute la journée de travail. Au Chili, est considéré comme fatigant tout travail qui, en moyenne dans une journée, élève la fréquence cardiaque à des niveaux supérieurs à 115 battements par minute chez les travailleurs jeunes, seuil abaissé pour les travailleurs plus âgés (Apud et al. 1989). La figure 5 donne un exemple graphique du rythme cardiaque enregistré pendant une journée d'élagage.

Les résultats ont révélé que les travailleurs utilisant une échelle avaient un rendement moyen de 125 arbres par jour, tandis que ceux effectuant le même travail à partir du sol n'élaguent en moyenne que 96 arbres par jour. Dans les deux cas, la fréquence cardiaque moyenne tout au long de la journée de travail est assez semblable, avec 100 battements de cœur par minute, ce qui est tout à fait acceptable pour une journée de huit heures. Qui plus est, ce chiffre n'est pas plus élevé avec la méthode permettant d'obtenir de meilleurs rendements, alors qu'elle oblige les travailleurs à monter et à descendre de l'échelle. Il y a deux explications à cela: l'élagueur qui travaille au sol doit, d'une part, se déplacer constamment pour trouver une position qui lui permette de voir les branches, et, d'autre part, soutenir et actionner son outil à bout de bras. Il faut ajouter que la qualité des coupes est bien supérieure quand elles sont réalisées à partir d'une échelle. Enfin, les travailleurs ne sentaient aucune fatigue dans les bras ni dans les jambes et se plaignaient moins de douleurs au cou et à l'épaule. On a donc recommandé l'utilisation de l'échelle pour les avantages que présente cette méthode, et aujourd'hui une grande partie des entreprises forestières l'ont adoptée de préférence à d'autres.

L'exploitation forestière comme exemple de travail d'équipe

Au Chili, l'exploitation forestière est un travail d'équipe. L'ouvrier qui manie la scie à moteur abat les arbres, puis un groupe de travailleurs les ébranche à la hache. Une fois effectuée cette opération, un ouvrier les amarre à un tracteur qui les transporte jusqu'à la zone de tronçonnage. Le tracteur est attendu par un ouvrier qui détache les grumes. Ensuite, celles-ci sont tronçonnées à la scie à moteur par d'autres ouvriers et empilées par autant d'ouvriers forestiers qu'il y a d'ébrancheurs. Il existe beaucoup d'autres variantes, selon que le travail est plus ou moins mécanisé mais en règle générale les équipes sont organisées comme on vient de le décrire et comprennent 10 personnes.

Après évaluation d'une opération traditionnelle de coupe rase, Apud et al. (1990) ont conclu que toutes les tâches effectuées dans la forêt - abattage, ébranchage et débusquage - sont plus pénibles que les tâches effectuées au dépôt. Ils recommandent d'établir une rotation des tâches entre les travailleurs et étudient la possibilité de mécaniser l'ébranchage en utilisant des scies électriques.

A cette époque, plusieurs entreprises intéressées ont loué les services d'une organisation suédoise, qui a envoyé au Chili des formateurs pour y introduire une nouvelle méthode de travail. Celle-ci peut être décrite, grosso modo, comme suit: deux opérateurs de scies à moteur abattent et ébranchent les arbres, pendant qu'un troisième les tronçonne sur le parc à grumes. Le reste du travail est fait par quatre personnes, de sorte qu'avec ce système l'équipe est réduite à sept personnes. Les arbres sont transportés de la forêt au parc à grumes par tracteur. A mesure que cette méthode s'est répandue, diverses inquiétudes sont apparues à son sujet, justifiant une étude supplémentaire.

FIGURE 3a. Ouvrier forestier soumis à un test cardiaque à l'aide d'un appareil de transmission à distance fabriqué au Chili...

FIGURE 3b. Le signal est reçu et enregistré par l'ergonomiste

FIGURE 4a. L'élagage à l'aide d'une échelle a été jugé plus efficace et plus productif que l'élagage à la scie à long manche

FIGURE 4b

Les travaux de Apud et al. (1990) ont révélé que l'abattage avec une scie à moteur n'est pas précisément un travail facile. Si, en plus, les mêmes ouvriers doivent ébrancher, le travail peut devenir très pénible. D'autre part, on a démontré que le tronçonnage à la scie à moteur est moins pénible que l'abattage effectué avec le même instrument, de sorte qu'il semblait logique de recommander une rotation des tâches. Comme, en règle générale, il faut deux opérateurs de scie à moteur pour abattre et ébrancher les arbres, pour un qui les tronçonne sur le parc à grumes, on a appliqué un système de rotation ternaire, c'est-à-dire que chacun des trois opérateurs de scie à moteur abat et ébranche pendant les deux tiers du temps et tronçonne pendant le tiers restant. On a pu ensuite comparer les rendements avec ceux des travailleurs occupés à abattre et ébrancher les arbres toute la journée. Les résultats sont résumés dans le tableau. Le système de rotation a permis d'augmenter le rendement quotidien des ouvriers, ainsi que le rendement par heure d'utilisation du tracteur, qui est l'élément le plus coûteux de l'opération. En même temps, le rythme cardiaque moyen est réduit de 10 battements par minute.

FIGURE 5. Variations du rythme cardiaque pendant la journée de travail d'un ouvrier forestier de 35 ans au Chili Noter l'interruption du test pendant l'heure du déjeuner.

L'augmentation de près de 10 pour cent du rendement quotidien est extrêmement révélatrice puisque les forêts, le terrain et le climat des zones où ces évaluations ont été effectuées sont très similaires. Comme les travailleurs sont payés à la pièce, ils ont commencé par rejeter le système de rotation, craignant qu'il ne leur fasse perdre du temps. Mais une fois qu'ils se sont habitués au nouveau système, ils se sont montrés très enthousiastes, ayant pu constater qu'il leur permettait de gagner plus d'argent en se fatiguant moins. Il est important de signaler que, pour l'instant, seuls les opérateurs de scies à moteur ont été étudiés. Le risque existe qu'en augmentant leur rendement on alourdisse les autres tâches associées à l'exploitation, au détriment de la sécurité des autres travailleurs. Des recherches sont en cours pour déterminer la meilleure configuration possible des équipes de travailleurs forestiers.

Les défis à venir

L'évolution du travail forestier au Chili et ses perspectives de croissance ont fait comprendre à quelques chefs d'entreprise que, pour améliorer la productivité, il leur faut rendre le travail plus attrayant et moins dangereux, sans oublier qu'une amélioration des salaires est indispensable. Par conséquent, l'une de nos préoccupations actuelles est de consolider un effort de recherche orienté vers l'obtention de rendements normalisés fondés sur les critères de l'Organisation internationale du travail (OIT, 1981). Le problème est complexe du fait que ces nommes doivent être élaborées en fonction de la charge de travail physique que les travailleurs peuvent supporter sans fatigue excessive, de la difficulté des tâches à accomplir et des obstacles propres au terrain et au climat. A cette fin, les études doivent être réalisées dans des forêts présentant des degrés variés de difficulté, puisque les fonctions obtenues doivent refléter les situations auxquelles le travailleur sera exposé. D'autre part, lorsque toutes les variables sont prises en compte, il est possible de dériver des fonctions qui peuvent servir à prédire les variations de la production avec une marge d'erreur minime.

TABLEAU. Comparaison des systèmes de travail en forêt1

Résultat2

Système

Sans rotation

Avec rotation

Production par journée de travail (m3)

129,9

141.0

Production par heure d'utilisation du tracteur (m3)

15,4

17.0

Rythme cardiaque moyen par minute

106

96

1Abattage, ébranchage et tronçonnage.
2Production et rythme cardiaque moyens des opérateurs de scie à moteur qui accomplissent les mêmes tâches toute la journée (abattage et ébranchage), comparés à la production et au rythme cardiaque moyens des ouvriers qui, grâce au système de rotation, abattent et ébranchent pendant les deux tiers de la journée et tronçonnent pendant le tiers restant Le rendement indiqué représente une moyenne pour une équipe de sept personnes, dont trois actionnent les scies à moteur.

Une discussion détaillée des modèles élaborés à ce jour dépasserait les limites du présent article. Qu'il nous suffise de mentionner que nous avons obtenu des équations extrêmement intéressantes et reproductibles pour estimer les rendements de diverses tâches qui nous permettent pour l'instant d'étudier divers systèmes de rémunération. Celui qui semble donner le plus de satisfaction à ce jour consiste en un salaire fixe, complété par des primes de production que les travailleurs peuvent obtenir sans mettre en danger ni leur sécurité, ni leur santé.

L'autre défi est celui de la mécanisation croissante des tâches. A quelques rares exceptions près, dans notre milieu, les machines sont encore sélectionnées en fonction d'un seul critère, leur coût, lié à la possibilité d'augmenter la production. Toutefois, derrière chaque machine, il y a un ouvrier qui l'actionne et dont les besoins doivent être pris en compte pour garantir l'efficacité d'utilisation desdites machines. Nous sommes convaincus que le développement technologique doit s'appuyer sur une prise de conscience des ingénieurs et des planificateurs, qui devront modifier leurs critères, tâche à laquelle nous nous employons.

En conclusion, on soulignera que le chemin parcouru n'a pas été facile et qu'il reste encore beaucoup à faire. Il est possible que les chercheurs des pays en développement aient été nombreux à connaître les mêmes difficultés. L'étude de l'homme dans son milieu de travail exige une approche rigoureuse, et les ressources nous font défaut. Les recherches réalisées dans nos pays sont parfois critiquées en raison de la modicité des moyens employés. Toutefois, tout en sachant qu'il existe des méthodes plus précises, il ne faut pas oublier que les mesures effectuées sur les lieux de travail et sur les travailleurs ne sont qu'un moyen pour parvenir à une fin, et que celle-ci consiste à améliorer le milieu de travail, ce qui est souvent une affaire de simple bon sens.

Au Chili, l'ergonomie s'est développée presque exclusivement avec des ressources locales. Les premiers travaux se sont heurtés à de nombreuses difficultés, mais une fois les premiers résultats obtenus, les entreprises elles-mêmes ont contribué au financement des études. Cela nous a permis d'améliorer progressivement nos méthodes d'évaluation en vue de concilier l'efficacité et le bien-être des travailleurs forestiers. Un fait en particulier augure bien de l'avenir, à savoir la constitution du Groupe de production forestière rassemblant 17 grandes entreprises et coordonné par la Fundación Chile. Ce Groupe, qui se consacre à l'étude de divers problèmes liés à la production forestière, finance un projet sur les ressources humaines, qui permettra d'élargir le dé bat, l'analyse et la recherche de solutions aux principaux problèmes ergonomiques que pose le travail forestier au Chili.

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