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La foresterie urbaine à Mexico

M. Caballero Deloya

Miguel Caballero Deloya est Chargé de recherche principal à l'Instituto Nacional de Investigaciones Forestales (Institut national de recherches forestières) du Mexique.

On a souvent décrit Mexico comme l'une des villes les plus polluées du monde. Il y a de nombreuses raisons à cela: la ville de Mexico au sens large compte 17 millions d'habitants et il arrive chaque jour 1000 personnes de plus. On recense 29 millions d'automobiles dans la zone la plupart d'entre elles vieilles et mal entretenues et quelque 30000 entreprises industrielles (Secrétariat du développement urbain et de l'écologie 1986). La circulation éolienne y est très faible ce qui favorise la formation de couches d'inversion thermale pendant l'hiver et la présence constante de particules polluantes dans l'air. Dans ce contexte le présent article fait le point de la foresterie urbaine à Mexico examine quel est son potentiel pour réduire les effets nuisibles de la détérioration de l'environnement et formule un certain nombre de suggestions concernant les mesures qui pourraient être prises a l'avenir pour aider à réaliser ce potentiel.

L'agglomération de Mexico est la plus grande et la plus importante zone métropolitaine du Mexique. Le Mexique est un pays très centralisé, et Mexico est le cœur politique, économique, social et culturel de la République. La ville, qui s'étend sur 1499 km2, est située à une altitude de 2240 m.

Mexico a un climat subtropical d'altitude, tempéré et semi-aride, sans hiver à proprement parler (Département du District fédéral, 1975). La température moyenne y est de 15° à 16°C, avec un maximum de 30°C l'été et des baisses occasionnelles en dessous de 0°C en décembre et janvier. Les précipitations annuelles moyennes y sont de 700 mm et la saison des pluies va de mai à octobre (Département du District fédéral, 1975).

La ville de Mexico a une grande valeur historique pour le peuple mexicain. C'est là qu'est née la civilisation «mexica» ou aztèque, là que fut fondée la grande Tenochtitlán, sa capitale, en 1325. Après la conquête espagnole, en 1521, la capitale de la «Nouvelle Espagne» fut bâtie sur ce même site. Lorsque le Mexique acquit son indépendance en 1824, le Congrès déclara que cette métropole serait le siège officiel du gouvernement du pays.

Pendant la période coloniale, les cours et le pourtour des églises ont été plantés d'arbres

Historique du développement de la foresterie urbaine

Avant l'arrivée des Espagnols, Tenochtitlán était un établissement indigène de 300000 habitants. De vastes espaces verts étaient préservés dans la ville et ses environs, par exemple Chapultepec, Ixtapalapa, Xochimilco (Benavides Meza, 1992). Ces Jardins étaient ouverts et de conception libre, et l'on y trouvait de nombreuses variétés d'arbres et d'arbrisseaux. C'est au Mexique, à Tenochtitlán et dans d'autres endroits, que sont apparus les premiers exemples d'art topiaire en Amérique (De Herrera, 1980).

Dans un faubourg de Mexico, des particuliers ont pris l'initiative de planter des arbres

Les conquistadors rasèrent Tenochtitlán et bâtirent à sa place la capitale de la colonie espagnole. Pendant la période coloniale, des jardins furent aménagés dans les cours et autour des églises construites à cette époque. Les Espagnols introduisirent à Mexico le concept du «jardin arabe», c'est-à-dire le jardin aménagé dans la cour intérieure des maisons et au centre des places publiques (Caballero Deloya, 1986). A Mexico comme dans les autres villes de la nouvelle Espagne, ces places étaient en général de forme géométrique régulière. De beaux jardins, avec des arbres et des fleurs, y étaient aménagés, et ils devinrent les lieux favoris de récréation et de rassemblement de toutes les classes sociales. Ainsi, l'Alameda Central, l'un des jardins publics urbains les plus liés à la tradition et à l'histoire du pays, date de 1529. Un an plus tard, un autre site, également historique, la «Forêt de Chapultepec», fut déclaré parc public; c'est aujourd'hui le parc le plus fréquenté de la capitale.

Pendant la période coloniale, on planta aussi d'arbres les principales avenues et promenades (Département du District fédéral, 1985).

Le Mexique devint un Etat indépendant en 1821. Pendant un certain nombre d'années, de fréquents épisodes de conflits armés monopolisèrent aussi bien les quelques ressources disponibles que l'attention des autorités et des citoyens mexicains. Malgré tout, ceux-ci réussirent à entretenir les jardins et parcs existants et, parfois même, à créer de nouveaux espaces verts (Benavides Meza, 1992). Pendant la période d'intervention militaire française au Mexique, entre 1864 et 1867, de nouveaux principes de conception de jardins furent introduits (en particulier une configuration très codifiée et géométrique, ainsi qu'en témoigne la reconception de l'Alameda central): cette influence persista jusqu'à la fin du siècle (Caballero Deloya, 1986).

Liquidambar styraciflua fait partie des essences communément utilisées en foresterie urbaine à Mexico

Les espaces verts aujourd'hui

Au 20e siècle, Mexico a connu une énorme expansion, surtout au cours des dernières décennies. C'est maintenant la ville du monde qui a la plus grande concentration humaine. Cette explosion démographique a été le résultat d'un exode rural intensif, régulier et systématique, dont la cause fondamentale est le profond déséquilibre socio-économique entre les villes et les campagnes: la population rurale est restée extrêmement marginale pendant des siècles. Mais cet accroissement démographique ne s'est pas accompagné d'un accroissement égal des espaces verts, au contraire: en 1794, ils occupaient 14 pour cent de la surface de la ville, mais en 1910, ils n'en représentaient plus que 2,8 pour cent (De Quevedo, 1935). Aujourd'hui, on estime que les espaces verts de la ville occupent au total à peu près 33,1 km2, soit seulement 2,2 pour cent de toute la zone métropolitaine (Benavides Meza, 1992). En termes de surface boisée par habitant, il n'y a à Mexico que 1,94 m2 de jardin par habitant, c'est-à-dire beaucoup moins que les 9 m2 recommandés par l'Organisation mondiale de la santé.

Les énormes problèmes environnementaux qui affligent Mexico et certaines autres grandes zones métropolitaines du Mexique mettent au premier plan la nécessité d'intensifier le programme national de foresterie urbaine. Cela ne résoudra certainement pas tous les problèmes complexes des villes; mais on peut s'attendre qu'un tel effort permette de réduire les effets nuisibles de la détérioration de l'environnement urbain et d'améliorer la vie des citadins.

A l'heure actuelle, le programme de foresterie urbaine de la ville de Mexico a essentiellement les buts suivants:

· contribuer à atténuer les effets de la grave pollution de l'air dans la zone métropolitaine. On signale que «le brouillard qui enveloppe chaque jour la ville de Mexico comme une chappe grise est dû aux quelque 650 tonnes de particules de contaminants qui flottent dans l'air» (Secrétariat du développement urbain et de l'écologie, 1986);

· créer davantage de zones de récréation en plein air pour la population éprouvée de la capitale. Il est important de noter que les grands parcs métropolitains Chapultepec, Desierto de Los Leones, Parque Hundido, Deer Park et Cerro de la Estrella - ont pris une importance considérable pour les sports et les autres formes de récréation;

· rendre la ville plus belle et plus attrayante aux yeux de sa population.

Les besoins de foresterie urbaine dans les grandes zones métropolitaines varient en fonction de la situation de ces zones, que l'on peut classer en zones d'intérêt historique, zones de développement urbain planifié et faubourgs pauvres sans planification urbaine.

Zones d'intérêt historique

Il s'agit des vieux quartiers où les bâtiments, les églises, les parcs et les monuments sont des vestiges des époques passées. Ce sont traditionnellement les zones qui présentent le plus d'intérêt pour les touristes. Ces sites sont souvent agrémentés de grands arbres et de gracieux jardins qui ornent les places.

Le manque de personnel et de fonds explique la présence de beaucoup d'arbres morts parmi ceux qui bordent les rues

Zones de développement urbain planifié

Divers organismes de développement des terres ont été créés au cours des dernières décennies. Ils ont agrandi la zone métropolitaine en urbanisant de nouvelles terres, notamment au sud et à l'ouest de la ville. L'aménagement de ces nouvelles zones a parfois compris la création d'espaces verts, selon des conceptions modernes qui imitent les jardins des villes nord-américaines. Malheureusement, la construction de ces nouveaux quartiers a coûté cher, et seul un petit nombre de familles aisées peuvent y résider. En revanche, la plupart des initiatives de construction urbaine planifiée ont consisté à créer des logements économiques sur des espaces réduits dans les quartiers ouvriers; mais dans de telles conditions, les perspectives de reboisement urbain sont très restreintes, les obstacles étant trop difficiles à surmonter.

Faubourgs pauvres

Plusieurs faubourgs de l'est de la ville, dans l'Etat de Mexico ont dû absorber le gros des migrations rurales vers la ville. Cet afflux de population s'est fait sous une forme (occupation de terres absolument démunies de toute infrastructure urbaine) beaucoup trop anarchique pour comporter l'aménagement d'espaces verts. En outre, la forte densité démographique de ces zones laissait peu de marge pour réaliser des programmes appropriés de reboisement urbain. Quelques habitants de ces faubourgs, conscients de la nécessité d'aménager des espaces verts, ont entrepris de planter eux-mêmes des arbres, mais ces initiatives sont restées sporadiques, irrégulières, sans plan ni stratégie concrète (Caballero Deloya, 1986). Pratiquement aucune assistance technique n'a été fournie par les autorités, de sorte que les intéressés n'ont pas pu obtenir les conseils dont ils auraient eu besoin concernant les types d'arbres à planter, les calendriers de plantation, la façon de préparer le terrain et d'effectuer les plantations, le type de soins à apporter aux nouvelles plantations, etc.

Aspects techniques et administratifs de la foresterie urbaine

Etant donné les énormes dimensions de la ville de Mexico et la complexité de ses problèmes, son administration est répartie en 16 sous-districts politiques, qui sont très hétérogènes en termes de surface, de population, de problèmes sociaux et économiques, de degré d'urbanisation, etc. Par exemple, deux sous-districts comptent moins de 200000 habitants, tandis que deux autres en comptent plus d'un million chacun. Dans chaque sous-district, il existe un bureau des parcs et jardins qui dispose de modestes dotations en équipement, outils et personnel spécifiquement destinés au reboisement urbain. Ces bureaux sont notamment chargés du remplacement des arbres malades ou morts, des travaux d'entretien des arbres (élagage et arrosage), des opérations d'assainissement (application d'insecticides et de fongicides) et de la création de nouveaux espaces verts. A cause des limitations financières, la priorité a dû être donnée aux trois premiers types d'activités, le quatrième restant très dépendant des disponibilités de ressources supplémentaires. En outre, l'entretien des zones boisées urbaines est pratiquement limité au centre de Mexico, à la vieille ville et aux quartiers résidentiels. Mais dans les quartiers et les faubourgs pauvres, il laisse beaucoup à désirer.

Globalement, on estime que le taux de survie des arbres plantés dans la zone urbaine de Mexico n'est que de 40 à 50 pour cent. Les arbres meurent principalement pour les raisons suivantes:

· Pollution grave et généralisée de l'air dans la ville. Les arbres les plus endommagés sont ceux qui se trouvent le long des principales artères ou à proximité de celles-ci. Dans une enquête effectuée pour évaluer l'état actuel des pins (Pinus radiata) utilisés pour le reboisement urbain à Mexico, il a été établi que 75 pour cent des arbres étudiés présentaient des symptômes graves de dégradation, allant des troncs tordus à l'hyperfoliation et à l'écoulement exagéré de la résine. Des signes de nanisme ont aussi été observés sur 80 pour cent des spécimens étudiés. (Nieto de Pascual, 1988).

· Utilisation d'essences non appropriées et application de techniques de gestion inadéquates. Les problèmes de planification, l'insuffisance des ressources, etc. ont abouti à une situation où une grande partie des plantules produites dans les pépinières ne sont pas adaptées au reboisement urbain.

· Vandalisme, en particulier dans les zones socialement marginalisées.

Reboisement urbain dans un faubourg de Mexico

Stratégie de foresterie urbaine

Chaque jour, la société mexicaine prend davantage conscience de la nécessité de promouvoir le reboisement dans les villes et de veiller à l'entretien des arbres afin d'assurer non seulement le bien-être mais tout simplement la survie des citadins. Voici quelques exemples qui témoignent de cette prise de conscience:

· Création des comités forestiers municipaux. Dans le cadre d'une initiative du Secrétariat de l'agriculture et des ressources hydriques, de tels comités sont en cours d'établissement dans tous les Etats du pays. Ils ont pour tâche de promouvoir la participation directe des citoyens à la réalisation de divers objectifs forestiers, notamment la création d'autant d'espaces verts urbains que possible.

· Prolifération de groupes écologistes qui, à travers les médias, font pression sans relâche afin que soient intensifiés les efforts de foresterie urbaine. Le Movimiento Ecologista Mexicano (MEM) en est un exemple.

· Organisation de groupes ayant pour vocation spécifique de s'occuper du renouvellement des zones boisées urbaines. L'un d'entre eux, le groupe des «Amis de la forêt de Chapultepec» vient, dans le cadre d'une récente campagne nationale, de rassembler des fonds pour restaurer le parc le plus fréquenté de la capitale.

· Création, en 1982, d'un Secrétariat d'Etat chargé de s'occuper des problèmes urbains et environnementaux de Mexico, qui a été incorporé dans le nouveau Secrétariat pour le développement social (SEDESOL) créé en 1992.

Objectifs d'avenir

Les autorités du District fédéral sont convaincues que la campagne de reboisement de la ville n'a aucune chance de réussir sans la participation dynamique des citadins. Des campagnes intensives ont été menées ces dernières années uniquement pour obtenir une telle participation. Dans le cadre de la campagne de 1990, qui avait pour thème «Un arbre pour chaque famille», plus de 1,8 million de jeunes pousses d'arbres ont été plantées dans les 16 sous-districts politiques. Le reboisement est maintenant un mot d'ordre national, qui rallie toutes les couches sociales et les autorités à tous les niveaux: le Secrétariat de l'éducation publique œuvre pour promouvoir cette cause dès l'école; le Secrétariat de l'agriculture distribue gratuitement des plantules et veille à la promotion de leur utilisation à l'échelle nationale; l'armée mexicaine participe tous les ans au reboisement national; le Secrétariat du développement social fournit des ressources et soutient les efforts de reboisement des communautés urbaines et rurales. Les groupes écologistes et les organisations urbaines et rurales s'efforcent d'obtenir la participation des populations à divers niveaux. Nous assistons là à un effort de vaste envergure, mais qui se fait de façon morcelée et comporte un certain nombre de grandes lacunes. Pour que ce précieux travail donne de bons résultats, il faut:

· préparer et appliquer de façon responsable des plans-cadres à moyen et à long terme pour la foresterie urbaine;

· coordonner les efforts de reboisement des divers organismes et institutions, qui agissent encore de façon indépendante et non coordonnée. A Mexico, les sous-districts politiques du Département du District fédéral devraient coopérer entre eux et avec les autres organisations;

· planifier la récolte des semences et la production de plantules dans les pépinières à moyen et à long terme, en tenant compte des besoins futurs et des programmes de reboisement prévus par le plan-cadre;

· former les agents du Département du District fédéral et des organismes d'Etat chargés du reboisement urbain à l'utilisation des techniques et équipements modernes;

· former des équipes d'experts qualifiés et leur confier la responsabilité de l'application des plans-cadres;

· élaborer des programmes permanents d'éducation et de sensibilisation pour apprendre aux populations des villes les principes fondamentaux de la foresterie urbaine, et en particulier les façons dont le bien-être des êtres humains dépend des plantes, les techniques de reboisement et les soins à apporter aux arbres dans les villes.

Récemment, les gouvernements de la ville de Mexico et de deux Etats voisins (Mexico et Morelos) ont signé deux accords importants: l'un avec la Banque interaméricaine de développement (BID) et l'autre avec le Gouvernement du Japon. Grâce à ces accords, la ville de Mexico bénéficiera d'un prêt international substantiel pour financer une campagne intensive de reboisement de la zone urbaine (prêt de la BID) et de la zone suburbaine du District fédéral et des Etats de Mexico et de Morelos (prêt japonais). Une partie des fonds prêtés sera utilisée à des fins de formation et de consultation et pour l'achat d'équipement moderne. On est très optimiste quant aux réalisations que ces projets internationaux devraient permettre.

Bibliographie

Benavides Meza, H.M. 1992. Current situation of the urban forest in Mexico City. J. Arboriculture, 18(1): 33-36.

Caballero Deloya, M. 1986. Urban forestry activities in Mexico. J. Arboriculture, 12(10): 251-256

De Herrera, A. 1980. Décadas. Mexico, Edit. Porrúa.

De Quevedo, M.A. 1935. El origen de la cuestión forestal en México. México Forestal 1(3): 105-116.

Département du district fédéral. 1975. Memoria de las obras del sistema de drenaje profundo del Distrito Federal, Vol 1. Mexico, Dépt district féd.

Département du district fédéral. 1985. Manual de la planeación, diseo y manejo de las áreas verdes urbanas del Distrito Federal. Comisión Coordinadora para el Desarrollo Agropecuario del Distrito Federal. Mexico, Dépt. district féd.

Encyclopaedia Britannica. 1985. Todo México. Enciclopaedia de México, Mexico Encyclopaedia Britannica. 607 p.

Nieto de Pascual, P.C. 1988. Evaluación del pino radiata en el Area Urbana del Distretto Federal. In Primera Reunión Científica Forestal Agropecuaria. Mexico, INIFAP.

Secrétariat du développement urbain et de l'écologie. 1986 Informe sobre el estado del medio ambiente en México. Mexico, Gouvernement mexicain.


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