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La nouvelle politique forestière nationale de l'Australie

F.H. McKinnell

Frank H. McKinnell est directeur de la gestion des projets au Département de la conservation et de l'aménagement des terres, Perth (Australie occidentale).

La nouvelle politique forestière nationale de l'Australie a été conçue en 1992 comme une initiative conjointe du gouvernement fédéral et des gouvernements des Etats, avec de vastes possibilités d'apport du public pendant la phase d'élaboration. Cette politique est exposée dans un document détaillé qui fixe un certain nombre de nouvelles orientations importantes: attention accrue à l'amélioration de la gestion des forêts privées, encouragement au développement des plantations sur les terres privées défrichées, et amélioration de la coopération entre gouvernement fédéral et Etats. Ces nouvelles orientations émanent d'une vision partagée de la gestion écologiquement viable des forêts du pays. La mise en œuvre de cette politique sera complexe et nécessitera quelques changements législatifs au niveau des Etats.

En Australie, les Etats ont la responsabilité constitutionnelle des activités d'aménagement des terres à l'intérieur de leurs limites. Le gouvernement du Commonwealth est, lui, responsable de coordonner l'approche adoptée à l'échelle nationale pour résoudre les problèmes environnementaux et les problèmes du développement industriel. Jusqu'à ces dernières années, il ne s'occupait pas des questions d'aménagement des terres au niveau des Etats.

Chaque Etat a son organisme - ou ses organismes - de gestion forestière et, ensemble, ils possèdent environ 75 pour cent des forêts. Lorsqu'il existe plusieurs régimes fonciers différents, divers organismes peuvent prendre part à cette gestion. Par exemple, il peut y avoir un service forestier qui gère les forêts dans lesquelles la production de bois commercial est autorisée, tandis que les parcs nationaux boisés (et autres) sont gérés par un service spécialisé. Ces organismes forestiers d'Etat existent sous diverses formes à peu près depuis 1920. Depuis 1960, les services forestiers ont de façon générale interprété leur mandat comme consistant en la gestion des forêts domaniales vouées à des utilisations multiples, couvrant toutes les valeurs des forêts. Dans certains Etats, les lois le spécifient, dans d'autres non.

Avec le temps, les divers services forestiers ont mis au point des approches quel que peu différentes de la gestion forestière, reflétant les diverses influences historiques, biogéographiques, économiques et politiques qui s'exercent à l'intérieur des Etats et entre eux.

Plantation privée d'Eucalyptus globules. La nouvelle politique forestière australienne met davantage l'accent sur la foresterie privée

La coordination des activités de foresterie au niveau national est la responsabilité du Conseil forestier australien (AFC), qui est formé des ministres d'Etat chargés des services forestiers et du ministre du Commonwealth responsable des affaires forestières. L'AFC, qui se réunit annuellement, bénéficie du soutien d'un Comité permanent pour les forêts, essentiellement composé des chefs des différents services forestiers des Etats.

Ce dispositif a permis d'assurer de façon satisfaisante la coordination et le développement de la politique générale jusqu'au milieu des années 70. Cependant, il n'a pas réussi à donner des réponses aux changements rapides intervenus dans la perception de la gestion forestière par le grand public, à la suite d'un certain nombre de controverses intenses sur des questions forestières soulevées depuis lors. L'AFC avait bien formulé une politique forestière nationale en 1986, mais elle se limitait à des principes généraux et omettait de prendre en compte un certain nombre de problèmes spécifiques importants, tels que la gestion des forêts anciennes ou la mise au point d'un système de réserves pour la conservation des forêts qui soit représentatif.

De ce fait, il s'est créé un vide dans la politique forestière, qui a donné lieu à un certain nombre de conflits importants entre le gouvernement du Commonwealth et celui des Etats au sujet des questions forestières. Un bon exemple en est le conflit qui oppose de longue date les gouvernements du Commonwealth et de la Tasmanie à propos de l'utilisation des terres forestières. Ces conflits ont fréquemment été compliqués par des problèmes plus vastes associés à l'équilibre de pouvoir entre les deux niveaux de gouvernement et au pouvoir politique croissant du mouvement écologiste. Tout cela doit être replacé dans le contexte plus général de l'évolution, pendant la période 19751992, de l'attente du public en ce qui concerne le rôle des forêts, suivant les mêmes tendances que dans d'autres parties du monde.

Elaboration de la politique forestière nationale

Pour combler ce vide en matière de politique et atténuer les conflits, le Commonwealth et les Etats sont convenus en 1991 de coopérer pour élaborer une nouvelle politique forestière nationale (PFN).

Dès le départ, il a été reconnu que ce ne serait pas une entreprise facile. Pour ce qui est du Commonwealth, deux départements ont participé, le Département des industries primaires et de l'énergie, qui s'intéresse aux industries basées sur les forêts, et le Département des arts, sports, sciences, environnement et territoires, qui s'occupe de façon générale des questions de conservation. D'autre part, les Etats, tout en souhaitant atténuer les conflits à propos de la politique forestière, voulaient limiter toute nouvelle ingérence du gouvernement central dans ce qu'ils considéraient comme leurs affaires. A cela s'ajoutait un autre facteur; à savoir l'intérêt de la bureaucratie écologiste représentée par le Conseil australien et néozélandais pour l'environnement et la conservation (ANZECC) - pour la conservation de la flore et de la faune dans les écosystèmes forestiers.

Deux facteurs ont cependant contribué à faciliter l'élaboration de la PFN. L'un a été la publication en 1992 d'un rapport sur le développement écologiquement viable de la foresterie et des industries basées sur les forêts (Gouvernement australien, 1991) et l'autre le rapport final de l'Enquête sur les forêts et le bois conduite par la Commission de l'évaluation des ressources (Commission de l'évaluation des ressources, 1992), les deux rapports ayant aidé à identifier les problèmes que pose la gestion des forêts, fournissant ainsi les bases d'un débat. De façon très concrète, le public avait déjà largement participé à l'élaboration de la PFN pendant la préparation de ces deux rapports.

L'élaboration de la PFN a été longue et difficile. Le travail a été entrepris par une équipe mixte d'experts du Commonwealth et des Etats, qui se sont rencontrés fréquemment au cours d'une période de 12 mois. Cette équipe comprenait des forestiers, des biologistes et un économiste. Ils sont finalement convenus d'un texte à publier en juillet 1992, ayant pour but de recueillir les observations du public. Des sessions d'information sur le projet de politique ont été organisées dans les capitales des Etats ainsi qu'à Canberra, auxquelles on a pris soin de faire participer, par l'intermédiaire des associations professionnelles et de divers types de groupes communautaires, en particulier en provenance des zones rurales, tous les membres de la communauté intéressés. Un délai de deux mois a été prévu pour recueillir les observations, puis un document définitif a été établi par un petit groupe de travail mixte Commonwealth/Etats. Quelque 150 commentaires substantiels ont été envoyés par le grand public et une large gamme d'institutions gouvernementales. Quoique cet apport du public n'ait donné lieu à aucun changement majeur d'orientation, il a entraîné une modification sensible de l'importance accordée à certains aspects, par exemple la taxation.

Le texte définitif de la PFN a été signé par le premier ministre du Commonwealth et les premiers ministres de tous les Etats, sauf la Tasmanie, en décembre 1992. La Tasmanie n'a pas signé à ce moment-là parce que le Commonwealth refusait de cesser d'insister pour obtenir une modification de la stratégie de cet Etat dans le secteur des industries forestières. On espère cependant qu'elle signera dans un proche avenir.

Comme on pouvait s'y attendre, la PFN n'a pas pleinement satisfait tout le monde. Comme elle devait être acceptable d'un point de vue politique, à un moment où l'utilisation des forêts était au centre d'intenses controverses et où les points de vue étaient fortement polarisés, elle a déçu beaucoup de gens, par exemple les écologistes de pointe (Fondation australienne pour la conservation). Cependant, elle constitue un grand pas en avant et prend effectivement en considération tous les principaux problèmes actuels.

La politique forestière australienne accorde davantage de valeur aux forêts pour le tourisme

Description sommaire de la PFN

La PFN australienne fixe 11 buts nationaux importants:

Conservation: veiller à la permanence des forêts indigènes, maintenir leur extension et les gérer d'une façon écologiquement viable pour toute la gamme des avantages que l'on peut en retirer.

Production de bois: établir des industries basées sur les forêts qui soient concurrentielles au plan international et qui maximisent les possibilités de valeur ajoutée à l'intérieur de l'Australie.

Intégration et coordination au niveau des prises de décisions: simplifier les décisions concernant l'utilisation des terres et réduire les conflits entre Etats et Commonwealth.

Forêts indigènes privées: encourager le maintien et une meilleure gestion des forêts indigènes privées, à la fois parce qu'elles constituent une ressource et pour des raisons de conservation.

Plantations: développer la création de plantations commerciales sur des terres privées défrichées, à la fois pour accroître les ressources en bois et pour aider à résoudre les problèmes de dégradation des terres agricoles.

Production d'eau: assurer la protection des bassins versants.

Tourisme: mieux reconnaître la valeur des forêts pour le tourisme et veiller à ce que cette utilisation n'entraîne pas leur déclin.

Emploi: développer les possibilités d'emploi et la base d'aptitudes du personnel employé dans la gestion forestière et les industries basées sur les forêts.

Prise de conscience du public: favoriser la compréhension par les communautés de ce qu'est la gestion durable des forêts et la participation de ces communautés aux décisions.

Recherche: développer l'effort de recherche forestière en Australie et veiller à ce qu'il soit bien coordonné et orienté vers les buts appropriés.

Responsabilités internationales: promouvoir la conservation de la nature et l'utilisation durable des forêts hors de l'Australie et veiller à ce que l'Australie s'acquitte de ses obligations au titre des accords internationaux.

Le document de la PFN donne pour chacun de ces grands buts une orientation stratégique à l'intention des gouvernements et des responsables de la gestion forestière.

Implications pour la mise en œuvre de la nouvelle PFN

L'un des principaux changements d'orientation apportés par la PFN consiste à mettre beaucoup plus l'accent sur la foresterie privée en Australie. Un tel changement est nécessaire depuis longtemps car environ 25 pour cent de toutes les forêts indigènes sont privées. Une expansion considérable des forêts d'eucalyptus et de pins exotiques est envisagée, qui aura lieu pratiquement en totalité sur des terres privées. Pour atteindre ces objectifs, une série de mesures d'encouragement sera élaborée pour le secteur privé, visant en partie des concessions en matière de taxes et en partie l'élimination de contraintes qui entravent la planification de l'utilisation des terres rurales. Dans quelques Etats, cela pourra nécessiter des amendements à certaines lois.

La PFN comprend aussi un dispositif d'examen des systèmes de réserves pour la conservation de la nature aménagées dans les forêts domaniales, qui vise également à assurer plus d'uniformité dans l'approche adoptée pour la conception de ces réserves. En particulier, la PFN traite de la question des forêts anciennes en reconnaissant que l'ancienneté est l'un des paramètres à prendre en considération lors de l'élaboration du système de réserves; cependant, elle spécifie aussi que toutes les forêts anciennes ne seront pas transformées en réserves. Le système pré voit l'existence de zones de nature protégée, et tient compte des aspects plus généraux de la conservation de la nature et de la biodiversité; il devrait être mis en place en 1995. Une approche nationale sera également adoptée pour l'élaboration de normes environnementales de base et de codes de pratique forestière, et ces codes seront applicables à la fois aux forêts domaniales et aux forêts privées. Un rapport national sur l'état des forêts sera publié tous les cinq ans.

Un aspect important de la PFN est qu'elle prévoit l'évaluation conjointe par les Etats et le Commonwealth de l'effort de conservation à l'échelle régionale et de l'impact environnemental des propositions d'utilisation, ce qui permet aux autorités à ces deux niveaux de gouvernement de s'acquitter de leurs responsabilités efficacement et rapidement. Cela réduira considérablement les conflits éventuels au sujet du traitement des ressources.

La PFN tente de donner une expression tangible du concept de développement écologiquement durable, en équilibrant les exigences de la conservation de la nature et celles d'industries basées sur les forêts qui soient viables et concurrentielles.

Sous de nombreux aspects, l'application de la PFN ne sera pas facile, surtout dans les Etats où les conflits passés ont laissé un héritage d'attitudes polarisées. Pour superviser l'ensemble du processus, un Comité directeur national a été chargé de contrôler les activités des différents groupes de travail sur les divers aspects à promouvoir dans le cadre de la PFN: approche uniforme de la conception du système des réserves, orientations environnementales fondamentales, etc. Ce comité regroupera des représentants de chacun des Etats et des deux départements intéressés du Commonwealth, et fera rapport à l'AFC et à l'ANZECC sur ses progrès. De cette façon, l'application de la PFN sera transparente.

Dans les organismes de gestion forestière des Etats, il faudra un fort apport en temps de personnel expérimenté pour documenter une large gamme d'activités et élaborer les mesures d'encouragement destinées au secteur privé. En ce qui concerne les forêts elles-mêmes, une intensification rapide des systèmes d'information est prévue pour permettre un contrôle plus étroit de la planification et des processus opérationnels. Dans certains Etats, le manque de personnel qualifié et de systèmes adaptés constituera un problème.

Mais le succès de l'application de la PFN dépend avant tout de l'engagement permanent des gouvernements des Etats et du gouvernement fédéral à faire le nécessaire et à coopérer continuellement afin que les objectifs de cette politique, et en particulier la réduction des conflits, soient atteints. Cette coopération est essentielle pour créer le climat qui motivera le secteur public à faire les investissements nécessaires dans la création de plantations et encouragera les industries à entreprendre la restructuration indispensable.

Bibliographie

Gouvernement australien. 1991. Final Report - Forest Use. Ecologically Sustainable Working Group. Canberra, Australian Government Publishing Service.

Gouvernement australien. 1992. National Forest Policy Statement. A New Focus for Australia's Forests. Canberra, Australian Government Publishing Service.

Resource Assessment Commission. 1992. Final Report of the Forest and Timber Inquiry. Canberra, Australian Government Publishing Service.


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