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AMELIORATION DE LA GERMINATION DES SEMENCES DE TERMINALIA IVORENSIS

par

Françoise Corbineau et Daniel Côme
Université Pierre et Marie Curie
Physiologie Végétale Appliquée
Tour 53, 1er étage
4 place Jussieu
75252 Paris Cédex 05, France

INTRODUCTION

Parmi les quelque 200 espèces appartenant au genre Terminalia (Combrétacées), Terminalia superba et Terminalia ivorensis comptent certainement parmi les plus importantes des quelques 200 espèces appartenant au genre Terminalia. Les qualités de ces deux importantes essences de bois d'oeuvre d'Afrique centrale et occidentale, ont suscité d'importants efforts de plantation dans leur aire naturelle, notamment au Congo et en Côte d'Ivoire, et des essais d'introduction, dans certains pays d'Amérique Latine en particulier. Mais, alors que les semences de Terminalia superba ne posent pas de problème particulier de germination (Roederer, 1988), celles du Terminalia ivorensis germent très difficilement. C'est pourquoi un programme de recherche a été engagé sur la germination des semences de cette espèce.

Le travail rapporté ici, réalisé en 1987 et 1988, a eu pour objectifs essentiels (i) de déterminer les principales caractéristiques de la germination des semences de Terminalia ivorensis, (ii) d'analyser l'influence du stade de maturité des semences sur leur aptitude à la germination et (iii) de recherche des traitements susceptibles d'améliorer la germination.

MATERIEL ET METHODES

Matériel végétal

Les essais ont été réalisés avec 4 lots de semences fournis par le CTFT (devenu CIRAD-Forêt) de Nogent-sur-Marne (France). Ces lots, numérotés 86/5722N, 86/5723N, 86/5725N et 86/5729N, provenaient chacun d'un semencier différent et avaient été récoltés en janvier 1986 dans la région d'Assuefri (Côte d'Ivoire). Lors de leur arrivée au laboratoire, le poids unitaire des semences désailées était compris entre 95 et 230 mg et leur teneur moyenne en eau, déterminée par pesée avant et après passage à l'étuve à 105°C, était de l'ordre de 9,5% par rapport à la matière sèche.

D'autres semences ont été récoltées dans la région de Yapo (Côte d'Ivoire) les 16, 20, 22 et 29 décembre 1987, les 2, 12, 21 et 28 janvier 1988 et les 2 et 10 février 1988 pour étudier l'influence de leur stade de développement sur leur aptitude à la germination. Elles ont été désailées et envoyées au laboratoire dès leur récolte et leur germination a été analysée aussitôt.

Essais de germination

Les essais de germination ont été réalisés à différentes températures comprises entre 5 et 40°C, à l'obscurité. Les semences intactes ou les embryons isolés ont été placés dans des boîtes de Petri (10 cm de diamètre), sur du coton imbibé d'eau désionisée ou d'une solution aqueuse d'acide gibbérellique (GA3) 10-3M. Chaque essai a porté sur 50 semences ou 30 embryons répartis dans 2 boîtes de Petri. Les relevés de germination ont été effectués régulièrement pendant 30 à 60 jours. Un embryon ou une semence a été considéré comme ayant germé lorsque la radicule s'était allongée de quelques mm (embryon) ou avait percé les enveloppes (semences).

Prétraitement des semences

Les semences intactes ont été prétraitées de diverses façons pour essayer de faciliter leur germination. Elles ont été immergées pendant 3 h dans de l'acide sulfurique concentré, puis abondamment rincées à l'eau courante pendant 15 à 20 minutes. Ce traitement a été ou non suivi par un trempage de 24 h dans une solution aqueuse de cellulase (enzyme qui dégrade la cellulose et donc les parois cellulaires) à la concentration de 1,25 g 1-1 et à 25°C. Après un lavage à l'eau désionisée, les semences prétraitées par l'acide sulfurique seul ou par l'acide sulfurique et la cellulase ont ensuite été placées pendant 5 jours en présence d'une solution aqueuse de GA3 10-3M, à 30°C, avant d'être mises à germer sur du coton imbibé d'eau désionisée, à la même température.

Séchage des semences prétraitées

Après avoir été prétraitées par l'acide sulfurique, la cellulase et le GA3, les semences ont été séchées à la température ambiante (20 ± 2°C) pendant 2 jours. Leur teneur moyenne en eau était alors comprise entre 9 et 10% par rapport à la matière sèche. Elles ont ensuite été mises à germer à 30°C sur de l'eau désionisée.

RESULTATS

Germination des semences récoltées en 1986

Quelle que soit la température comprise entre 5 et 40°C, aucune semence intacte des lots 86/5722N, 86/5723N et 86/5725N n'est capable de germer sur de l'eau. Celles du lot 86/5729N germent lentement à 30°C, mais leur taux de germination n'est que de 30% après 2 mois (Fig. 1); elles germent encore plus difficilement à 25 et 35°C et ne germent pas du tout au-dessous de 25°C (résultats non présentés).

L'inaptitude à la germination des semences intactes provient surtout des enveloppes épaisses et résistantes, car les embryons isolés germent beaucoup plus facilement (Fig. 1 et Tableau I).

Figure 1.     Germination à 30°C, sur de l'eau, des semences intactes (1) et des embryons isolés (2) du lot 86/5729N.

Figure 1

Tableau 1. Pourcentages de germination obtenus après 60 jours à 30°C, sur de l'eau, avec les semences intactes et les embryons isolés des lots 86/5722N, 86/5723N, 86/5725N et 86/5729N.

Lots de semencesGermination (%)
semences intactesembryons isolés
86/5722N060
86/5723N056
86/5725N070
86/5729N3089

Influence du stade de développement des semences

Les semences récoltées du 16 décembre 1987 au 10 février 1988 et leurs embryons isolés ont été mis à germer sur de l'eau, à 30°C. La figure 2A donne les résultats obtenus après 60 jours et la figure 2B représente l'évolution du pourcentage d'embryons bien développés que renferment les semences en fonction de la date de récolte.

Fig. 2.     Variation, en fonction de la date de récolte, de l'aptitude à la germination des semences intactes et des embryons isolés (A) et du pourcentage de semences pleines (B).

Fig. 2AFig. 2B
A: pourcentages de germination obtenus après 60 jours à 30°C, sur de l'eau, avec les semences intactes (1) et les embryons isolés (2);B: pourcentage de semences ayant un embryon bien développé.

Les semences intactes ne germent pratiquement pas, quelle que soit la date à laquelle elles sont récoltées, alors que les embryons isolés commencent à partir du 5 janvier et que leur germination est d'autant plus facile que la récolte et plus tardive (Fig. 2A). La comparaison des figures 2A et 2B montre clairement que les embryons ne germent facilement que s'ils sont bien développés au sein des semences. L'obtention de semences de bonne qualité germinative exige donc qu'elles soient récoltées à pleine maturité, c'est-à-dire le plus tardivement possible, mais elles germent très difficilement à cause d'une inhibition exercée par les enveloppes.

Effet de l'acide gibbérellique

Cette étude a été conduite avec les lots 86/5722N, 86/5725N et 86/5729N. Les semences intactes ont été mises à germer à 30°C en présence continue d'une solution de GA3 10-3M. La figure 3 montre que la GA3 stimule nettement la germination. Alors que les semences des lots 86/5722N et 86/5725N ne germent pas du tout sur de l'eau, respectivement 70% et 54% d'entre elles sont capables de germer en 7 semaines en présence de GA3. Celles du lot 86/5729N germent également beaucoup mieux (82% en 7 semaines) sur une solution de GA3 que sur de l'eau (cf. Fig. 1).

La même étude, conduite avec les récoltes du 16 décembre 1987 au 10 février 1988, montre que le GA3 facilite aussi la germination des semences immatures (Fig. 4), mais qu'il n'a d'effet que lorsque les embryons qu'elles renferment sont bien développés (cf. Fig. 2B).

Figure 3Figrue 4
Figure 3. Germination, à 30°C, des semences intactes des lots 86/5722N (1), 86/5725N (2) et 86/5729n (3), en présence de GA3 10-3M.Figure 4. Variation, en fonction de la date de récolte, du pourcentage de germination obtenu après 60 jours à 30°C avec les semences intactes, en présence de GA3 10-3M.

Pour déterminer pendant combien de temps le GA3 doit être fourni pour que la germination soit nettement stimulée, les semences du lot 86/5729N ont été mises à imbiber sur une solution de GA3 10-3M pendant 1, 3 ou 5 jours puis elles ont été transférées sur de l'eau, à 30°C. Les semences mises à germer en permanence en présence de GA3 10-3M ou sur de l'eau ont servi de témoins. Un traitement d'au moins 5 jours par le GA3 est nécessaire pour obtenir, après 50 ou 60 jours, le même pourcentage de germination qu'en présence continue de ce régulateur de croissance (Fig. 5). Avec les autres lots expérimentés (86/5722N et 86/5725N), un tel traitement n'est pas suffisant pour obtenir une nette stimulation de la germination (résultats non présentés).

Figure 5.     Germination, à 30°C, des semences intactes du lot 86/5729N mises en présence de GA3 10-3M pendant 1, 3 et 5 jours puis transférées sur de l'eau. Les semences témoins ont été mises à germer en permanence sur de l'eau (Teau) ou sur une solution de GA3 10-3M (TGA3).

Figure 5

Influence d'un prétraitement par l'acide sulfurique et la cellulase

L'inaptitude à la germination provenant essentiellement d'une forte inhibition exercée par les enveloppes, un prétraitement par l'acide sulfurique concentré par la cellulase (1,25 g 1-1) a été appliqué pour essayer de dégrader ces dernières. Les semences prétraitées pendant 3 heures par l'acide sulfurique ont été ou non plongées pendant 24 heures dans une solution de cellulase, puis elles ont été mises à germer à 30°C sur de l'eau ou une solution de GA3 10-3M. Des semences prétraitées de la même façon ont aussi été mises en présence de GA3 10-3M pendant 5 jours, puis elles ont été séchées pendant 2 jours avant d'être mises à germer sur de l'eau à 30°C. La figure 6 et le tableau Il regroupent l'ensemble des résultats obtenus avec les lots 86/5722N, 86/5725N et 86/5729N.

Figure 6.     Germination, à 30°C, des semences du lot 86/5729N ayant subi différents prétraitements et mises à germer sur de l'eau ou sur une solution de GA3 10-3M:
A, semences prétraitées pendant 3 heures par l'acide sulfurique concentré;
B, semences prétraitées pendant 3 heures par de l'acide sulfurique concentré puis pendant 24 heures par de la cellulase (1,25 g 1-1)
.
T, semences témoins n'ayant subi aucun prétraitement et mises à germer sur de l'eau; 1, semences prétraitées mises à germer sur de l'eau; 2, semences prétraitées mises à germer en présence de GA3; 3, semences prétraitées puis mises en présence de GA3 pendant 5 jours avant d'être mises à germer sur de l'eau; 4, semences prétraitées puis mises en présence de GA3 pendant 5 jours et enfin séchées avant d'être mises à germer sur de l'eau.

Figure 6

Tableau 2. Influence de différents prétraitements sur les pourcentags de germination obtenus après 30 jours à 30°C, sur de l'eau ou sur une solution de GA3 1-3M, avec les semences des lots 86/5722N, 86/5725N et 86/5729N. Moyenne de 2 mesures. Les prétraitements ont été de 3 heures par l'acide sulfurique concentré, 24 heures par la cellulase (1,25 g 1-1) et 5 jouts par le GA3 10-3M, et ils ont été ou non suivis d'un séchage. Les semences témoins n'ont subi aucun prétraitement.

PrétraitementMilieu de germinationGermination (%)
lot 86/5722Nlot 86/5725Nlot 86/5729N
Néant (témoin)eau0015
     
H2SO4eau82038
H2SO4GA395578
     
H2SO4 + cellulaseeau6520
H2SO4 + cellulaseGA3184252
     
H2SO4 + GA3eau125682
H2SO4 + cellulase + GA3eau403682
     
H2SO4 + GA3+ séchageeau224984
H2SO4 + cellulase + GA3 + séchageeau665891

Quant les semences sont mises à germer sur de l'eau, un prétraitement par l'acide sulfurique seul n'a qu'un faible effet bénéfique et cet effet n'est pas accru quand le traitement par l'acide sulfurique est suivi d'une immersion dans une solution de cellulase. En revanche, les semences prétraitées par l'acide sulfurique seul ou par l'acide sulfurique et la cellulase germent nettement mieux si elles sont placées sur une solution de GA3 10-3M, mais la cellulase ne semble pas avoir d'effet particulier. De plus, l'action stimulatrice de l'acide gibbérellique s'exerce nettement, même si ce régulateur de croissance n'est fourni que pendant 5 jours après le prétraitement par l'acide sulfurique et la cellulase. Enfin, les meilleurs résultats ont été obtenus en séchant les semences après les avoir prétraitées successivement par l'acide sulfurique, la cellulase et l'acide gibbérellique et en les mettant germer ensuite sur de l'eau.

DISCUSSION ET CONCLUSION

Les semences de Terminalia ivorensis germent très difficilement. Cette inaptitude à la germination provient des enveloppes, sans doute parce qu'elles sont très épaisses et lignifiées. En effet, les embryons isolés germent beaucoup mieux que les semences intactes. Comme c'est généralement le cas avec les espèces de climats chauds (Côme et Corbineau, 1992) telles que Cedrela odorata (Côme et al., 1985), Mangifera indica (Corbineau et al., 1986), Symphonia globulifera (Corbineau et Côme, 1986a), Shorea roxburghii (Corbineau et Côme, 1986b) ou Hopea odorata (Corbineau et Côme, 1986b, 1988), la température optimale de germination est relativement élevée (25–30°C). Il en est de même pour Terminalia superba (Roederer, 1988).

Toutefois, l'embryon isolé de Terminalis ivorensis ne germe bien que s'il a atteint un développement suffisant sur l'arbre. Pour obtenir des semences de bonne qualité germinative, il est donc nécessaire de s'assurer que les semences sont complètement mûres au moment de leur récolte. Ce fait a été bien mis en évidence en étudiant la germination des embryons isolés provenant de semences récoltées à divers stades de leur développement. Les lots pour lesquels les embryons isolés ne germent pas en totalité ont sans doute été récoltés trop tôt.

Le GA3 à forte concentration (10-3M) facilite nettement la germination des semences intactes, mais cet effet stimulateur n'est possible que si les semences sont suffisamment mûres, c'est-à-dire si l'embryon a atteint son développement maximal. Un traitement par le GA3 est sans doute difficile à utiliser dans les conditions naturelles car il n'est efficace que s'il est appliqué suffisamment longtemps.

Un prétraitement de 3 heures par l'acide sulfurique nést pas suffisant pour assurer une germination satisfaisante des semences, mais il peut être complété avantageusement pour une immersion dans une solution de cellulase (1,25 g 1-1) pendant 24 heures. Après un tel traitement, le GA3 10-3M est très efficace, même s'il n'est fourni que pendant 5 jours. Pour obtenir de bons résultats, il pourrait alors être envisagé de traiter les semences de la façon suivante: 3 heures dans l'acide sulfurique concentré, rinçage à l'eau, 24 heures dans une solution de cellulase, rinçage à l'eau, 5 jours dans une solution de GA3. Après un tel traitement, les semences peuvent même être séchées à la température ambiante sans que leur germination en soit affectée. Il reste toutefois à vérifier si l'effet bénéfique d'un tel traitement se maintient, après le séchage, pendant la conservation des semences. Le traitement défini reste encore fastidieux pour une application à grande échelle. Il peut cependant s'avérer très utile pour l'utilisation à but de recherche de matériel précieux comme des graines récoltées lors de prospections (toujours coûteuses, souvent non répétables), ou, dans l'avenir, des graines issues de croisements sélectionnés.

REFERENCES

Côme, D. & F. Corbineau (1992). Les semences et le froid. Dans Les végétaux et le froid, Hermann, Paris, 401–461.

Corbineau, F. & D. Côme (1986a). Experiments on the storage of seeds and seedlings of Symphonia globulifera L. f. (Guttiferae). Seed Sci. & Technol., 14, 585–591.

Corbineau, F. & D. Côme (1986b). Experiments on germination and storage of the seeds of two dipterocarps : Shorea roxburghii and Hopea odorata. The Malaysian Forester, 49, 4, 371–381.

Corbineau, F. & D. Côme (1988). Storage of recalcitrant seeds of four tropical species. Seed Sci. & Technol., 1988 16, 97–103.

Corbineau, F., S. Defresne & D. Côme (1985). Quelques caractéristiques de la germination des graines et de la croissance des plantules de Cedrela odorata L. (Méliacées). Bois et Forêts des Tropiques, 207, 17–22.

Corbineau, F., M. Kanté & D. Côme (1986). Seed germination and seedling development in the mango (Mangifera indica L.). Tree Physiology, 1, 151–160.

Roederer, Y. (1988). Etude de la germination des semences de Terminalia superba Engler et Diels et de sa variabilité. Diplôme d'Etudes Doctorales, Université Pierre et Marie Curie, Paris, 100 p.

Informations sur les Resources Génétiques Forestières No 21. FAO, Rome (1994)


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