Page précédente Table des matières Page suivante


LA DIVERSITE GENETIQUE CHEZ LES ESPECES MARINES

Mesure de la diversité génétique

L'électrophorèse sur gel associée à la coloration histochimique de protéines spécifiques a été élaborée dans les années 60 et est devenue depuis la méthode la plus couramment utilisée pour mesurer les variations génétiques chez les populations naturelles. La technique est relativement peu coûteuse et permet de mesurer de nombreux gènes variables et non variables chez les individus et les populations. Les phénotypes observés sont faciles à interpréter et il existe des programmes informatiques qui permettent d'analyser les données. La plupart des études consacrées à la diversité génétique chez les espèces marines font appel à l'électrophorèse des protéines, la diversité étant mesurée comme l'hétérozygotie moyenne sur de nombreux loci de protéines (l'hétérozygotie est le pourcentage des individus qui sont hétérozygotes en un seul et même locus génique).

Les gènes codant pour des protéines ne représentent qu'environ 10 % du génome, si bien que la variation mesurée par électrophorèse des protéines n'est pas nécessairement représentative du génome total. La relation entre l'hétérozygotie protéinique et la valeur adaptative est mal connue, encore qu'il y ait lieu de conclure à une relation positive entre l'hétérozygotie et les caractéristiques du cycle vital tels que le taux de croissance, la résistance à la maladie et la stabilité du développement (Mitton et Grant 1984, Allendorf et Leary 1986, Danzmann et al. 1989).

Les progrès rapides de la biologie moléculaire ont fourni tout un ensemble de techniques permettant l'examen direct des variations de l'ADN. A ce jour, la plupart des études de populations ont fait appel au polymorphisme de taille des fragments de restriction du génome mitochondrial. L'ADN mitochondrial est petit et relativement facile à purifier, les fragments obtenus par digestion par enzyme de restriction étant faciles à interpréter. Les variations des nombres de fragments sont dues à des additions et à des suppressions de sites de restriction, tandis que les variations des longueurs des fragments sont dues à des insertions ou à des suppressions de blocs de bases. Des techniques similaires peuvent être appliquées à l'ADN nucléaire, mais la taille considérablement plus grande de l'ADN nucléaire oblige à analyser de petits morceaux du génome au moyen de sondes spécifiques. Plusieurs régions du génome nucléaire contiennent de multiples copies de courtes séquences de minisatellites que l'on résout en empreintes génomiques appliquées à l'ADN. Si la nature hypervariable de ces séquences répétées et disposées en tandem a conduit à faire un grand usage des empreintes génomiques appliquées à l'ADN en médecine légale, la technique n'a eu que des applications limitées pour l'étude des populations marines (Baker et al. 1992).

La mise au point de la réaction en chaîne par la polymérase (PCR) a permis d'amplifier de petits fragments du génome. Moyennant des amorces de taille appropriée, la méthode peut servir à examiner les variations génétiques chez les individus et les populations, ou bien à séquencer des fragments amplifiés. L'application de ces nouvelles méthodes génétiques pourrait permettre de mieux comprendre la structure génétique des populations naturelles, comme ce fut le cas avec l'électrophorèse des protéines dans les années 70 et 80, encore qu'à ce jour ces méthodes n'aient guère été appliquées aux espèces marines.

On peut utiliser les méthodes caryologiques pour mesurer les variations génétiques, en termes de nombre de chromosomes ou de polymorphisme de bande. Ces techniques sont laborieuses comparativement à l'électrophorése et obligent à utiliser des poissons vivants pour les préparations chromosomiques, ce qui en réduit l'application potentielle chez de nombreuses espèces marines.

Les caractères morphologiques, instruments de la taxonomie classique, ont servi à décrire les variations chez les individus et les populations. Les caractères utilisés sont méristiques (ils peuvent être comptés) - c'est le cas du nombre de rayons des nageoires ou de vertèbres - et morphométriques (mesurables), exprimés en pourcentage de la longueur “standard” ou de la longueur à la fourche caudale. Les caractères morphologiques ont leurs limites lorsqu'il s'agit de décrire une diversité génétique intraspécifique car ils sont polygéniques et que leur expression peut être modifiée par l'environnement. Leur utilisation dans les études d'identification des stocks a été remplacée dans la plupart des cas par des méthodes génétiques directes.

Les stratégies et les caractéristiques du cycle vital d'une espèce donnée obéissent à des processus qui tiennent à l'évolution et à l'écologie. De ces stratégies et de ces caractères dépendra la manière dont une population réagira à l'exploitation et pourra être modifiée par cette derniére (Garrod et Knights 1979, Garrod et Horwood 1984). Les caractéristiques du cycle vital qui déterminent la valeur adaptative chez les populations de poisson sont le taux de croissance, l'âge et la taille au début de la maturité, la longévité et la fécondité. Toutes ces caractéristiques présentent une plasticité phénotypique et répondent en s'y adaptant aux évolutions du milieu naturel; en outre, ces caractères sont héritables, les moyennes démographiques pouvant être modifiées par l'action d'une mortalité différentielle. Dans le cas de la plupart des espèces (Wootton 1990), l'importance relative de la plasticité phénotypique et des modifications génétiques est inconnue et, étant donné les difficultés qu'il y a à résoudre les composantes génétiques et les environnementales, les caractéristiques du cycle vital n'ont pas été aussi bien étudiés que les marqueurs protéiniques chez les espèces marines. Il est vraisemblable que ces caractéristiques sont influencés par la ségrégation d'un grand nombre de loci (Bentsen 1994). On dispose d'estimations de l'héritabilité dans le cas de certaines caractéristiques du cycle vital d'espèces utilisées en aquaculture (voir les références chez Wilkins et Gisling 1983, Gall et Busack 1986, Crandell et Gall 1993a, 1993b) qui, jointes aux résultats des programmes de sélection (par exemple Gjedrem 1983) apportent la preuve que ces caractères ont une base génétique. Toutefois, des expériences de transplantation avec la truite Salmo clarkii et l'omble du Canada Salvelinus malma ont montré que les poissons peuvent ajuster de manière non génétique l'âge de maturité en fonction des modifications du taux de croissance (Jonsson et coll. 1984).

Niveaux de diversité génétique

Les mesures par électrophorèse des protéines (Nevo 1978) montrent que les invertébrés présentent généralement des niveaux de diversité génétique plus élevés que les vertébrés. Chez les vertébrés, ce sont les amphibiens qui ont les niveaux de diversité génétique les plus élevés et les téléostéens les plus bas (Ward et coll. 1991). La signification écologique de ces observations a fait l'objet de débats en ce qui concerne les espèces marines (Nevo 1978, 1983, Nelson et Hedgecock 1980, Smith et Fujio 1982, Mitton et Lewis 1989, Waples 1991). Quant aux invertébrés marins, ils présentent des variations importantes des niveaux de diversité génétique. Chez 26 espèces de mollusques, l'hétérozygotie se trouve comprise entre 2 et 32 % (Johannesson et coll. 1989). Les crustacés présentent des niveaux de diversité génétique plus faibles, compris entre 0,4 et 10,9 % chez 44 espèces de Décapodes (Nelson et Hedgecock 1980), entre 0,8 et 6,4 % chez six espèces de Décapodes tropicaux et deux espèces de Stomatopodes tropicaux du golfe de Carpentarie (Redfield et coll. 1980) et entre 0,6 et 3,33 % chez 13 espèces de crevettes d'Australie (Mulley et Latter 1980).

Chez les téléostéens marins, l'hétérozygotie est comprise entre 0,0 chez les baudroies Lophius litulor (Fujio et Kato 1979) et L. piscatorius (Leslie et Grant 1991), Liparis tanakai (Fujio et Kato 1979) et trois espèces de Cottidés (Johnson et Utter 1976) et plus de 17 % chez les Cololabris saira pélagiques (Fujio et Kato 1979) et côtiers Fundulus heteroclitus (Mitton et Koehn 1975). L'hétérozygotie moyenne chez 106 espèces marines était de 5,5 % avec des niveaux élevés chez les Clupéiformes, les Athériniformes et les Pleuronectiformes, et des niveaux peu élevés chez les Gadiformes et les Scorpéniformes (Smith et Fujio 1982). Les Elasmobranches présentent de faibles hétérozygoties (MacDonald 1988, Smith 1986). Relativement peu d'études ont été consacrées à la diversité de l'ADN mitochondrial chez les espèces marines et la plupart des espèces étudiées présentent de faibles diversités séquentielles intraspécifiques (Ovenden 1990), encore que la coquille Saint-Jacques japonaise Pactinopecten yessoensis présente une diversité élevée (Boulding et coll. 1993).

Différenciation génétique chez les populations marines

De nombreuses études faisant appel à l'électrophorèse des allo-enzymes ont été entreprises aux fins d'identification ou de délimitation des stocks, tandis que des études plus récentes faisaient appel aux marqueurs directs de l'ADN. Comme on pouvait s'y attendre, on trouve dans le milieu marin moins de différenciation génétique parmi les populations de téléostéens que chez les espèces anadromes et les espèces d'eau douce. On trouve en effet moins de barrières isolantes faisant obstacle aux flux des gènes, lequel se produit soit par la dérive des larves soit par le mouvement des adultes, dans ce domaine sans solution de continuité que sont les océans. La proportion de diversité génétique due à la subdivision des populations va de 1,6 % chez les espèces marines à 3,7 % chez les espèces anadromes et 29,4 % chez les espèces d'eau douce (Gyllensten 1985). De même, le niveau de différenciation génétique mesuré au moyen de l'ADN mitochondrial est plus faible chez les poissons de mer que chez les poissons d'eau douce (Avise et coll. 1987). Néanmoins, on peut identifier des stocks génétique de poissons marins au moyen de protéines (voir Smith et coll. 1990). La différenciation génétique est corrélée négativement avec l'aptitude à la dispersion de certaines espèces de poissons du littoral (Waples 1987), d'étoiles de mer (Williams et Benzie 1993) et de crustacés (Mulley et Latter 1981a, 1981b). Le recours à des techniques d'ADN plus sensibles permet de révéler des structures de population plus fines; c'est ainsi qu'une importante cassure génétique a été décelée dans des populations de limule Limulus polyphemus du large de la Floride, à l'aide de l'ADN mitochondrial (Saunders et coll. 1986) mais non pas d'allo-enzymes (Selander et coll. 1970); des résultats similaires ont été obtenus dans les mêmes parages avec l'huître américaine Crassostrea virginica (Buroker 1983, Reeb et Avise 1990). Dans le cas du téléostéen des eaux profondes Hoplostethus atlanticus, l'hoplostète orange, des analyses d'allozymes de populations australiennes et néo-zélandaises n'ont guère fait apparaître de subdivisions génétiques (Smith 1986, Elliot et Ward 1992) alors que des analyses d'ADN mitochondrial en avaient révélé (Smolenski et coll. 1993, Smith et McVeagh, inédit). Alors que l'on constatait une importante divergence de la séquence de l'ADN mitochondrial entre les morues Gadus morhua de l'Arctique et des côtes (1,8–5,6 %), on ne relevait qu'une faible divergence entre les localités côtières (< 1 %) dans l'Atlantique Nord-Est (Dahle 1991).

Alors que certaines espèces d'invertébrés marins aux stades adultes sédentaires, mais aux stades larvaires pélagiques, présentent une différenciation génétique significative sur de courtes (< 5 km) distances géographiques, d'autres présentent une grande uniformité génétique des fréquences d'allèles sur des centaines voire des milliers de kilomètres (Benzie et Williams 1992, Burton 1983, Hedgecock 1986, Kordos et Burton 1993, Williams et Benzie 1993). Une différenciation localisée (Johnson et Black 1982) semble avoir pour origine des processus antérieurs au recrutement chez les oursins Echinometra mathaei (Watts et coll. 1990), la patelle Siphonaria jeanae (Johnson et Black 1982, 1984), le gastéropode Drupella cornus (Johnson et coll. 1993) et les lambis Strombus gigas (Campton et coll. 1992; Mitton et coll. 1989). Cependant, même si certaines observations relatives aux modifications génétiques spatiales chez le genre Mytilus sont dues à des mélanges d'espèces (Koehn 1991), on pense que les modifications génétiques microgéographiques chez les autres invertébrés sont dues à une sélection postérieure à l'établissement (par exemple l'ormeau Haliotis rubra, Brown 1991). L'exemple le plus convaincant de sélection postérieure à l'établissement provient d'études de Koehn et de ses collaborateurs sur le polymorphisme de la leucine aminopeptidase (LAP) chez la moule commune Mytilus edulis. Des variations abruptes des fréquences des allèles de la leucine aminopeptidase chez M. edulis selon des gradients de salinité à Long Island Sound (Koehn et coll. 1980) et au cap Cod (Koehn et coll. 1976) et chez Mytilus trossulus sur la côte ouest de l'Amérique du Nord (McDonald et Siebenaller 1989) s'expliquent par une sélection postérieure au recrutement s'exerçant sur des alevins que l'océan a fait dériver (Hilbish 1985, Hilbish et Koehn 1985). En dépit du flux des gènes entre les populations, la différenciation génétique se produit en réponse à une forte sélection.

Modifications génétiques temporaires

Des modifications temporaires des fréquences d'allèles ont été signalées chez plusieurs espèces de téléostéens marins au moyen d'échantillonnages répétés de la même localité dans le temps ou d'échantillonnages de classes d'âge annuelles. Etant donné que la plupart des études génétiques des populations marines ont fait appel à l'électrophorèse des protéines, les estimations des modifications génétiques temporaires sont limitées à des périodes comprises dans les 25 dernières années. L'un des marqueurs étudiés sur la période la plus longue est le polymorphisme de l'hémoglobine chez la morue atlantique Gadus morhua pour laquelle les fréquences d'allèles dans les populations norvégiennes sont demeurées stables sur une période de 25 ans (Gjosaeter et coll. 1992; Jorstad et Naevdal 1989). Des populations de maigres rouges Scianenops ocellatus dans le golfe du Mexique présentent une stabilité des génotypes (allo-enzymes et ADN mitochondrial) entre classes d'âge annuelles (Gold et coll. 1993).

Au contraire, on a relevé des modifications génétiques sur de brèves périodes de temps entre classes annuelles chez la daurade Chrysophrys auratus (Smith 1979), le tarakihi Cheilodactylus macropterus (Gauldie et Johnston 1980), le fondule Fundulus heteroclitus (Mitton et Koehn 1975) et la blennie épineuse à crête Anoplarchus purpurescens (Johnson 1977). D'importantes dérives des fréquences des allèles en un locus enzymatique ont été signalées chez un poisson corallien de la Floride, la demoiselle Stegastes partitus, sur deux générations (Lacson et Morizot 1991). On a constaté qu'une population de demoiselles aux fréquences d'allèles atypiques présentait des fréquences d'allèles typiques si on la rééchantillonnait trois ans plus tard. On pense que les fréquences d'allèles typiques ont été réétablies par l'arrivée de niveaux élevés de flux géniques dans une population perturbée (Lacson et Morizot 1991). Les modifications génétiques observées dans des populations de saumon royal Oncorynchus tshawytscha de la côte Pacifique de l'Orégon semblent résulter de différences génétiques entre des lots de poisson provenant d'écloseries (Bartley et coll. 1992b, Waples et Teel 1990).

Chez l'anguille d'Amérique Anguilla rostrata, qui n'a qu'une seule frayère, on relève des différences génétiques significatives entre les adultes et les civelles, et entre localités situées le long de la côte Est des Etats-Unis (Williams et coll. 1973). Ces différences génétiques doivent se développer au cours des différents stades par lesquels passent les civelles lorsqu'elles dérivent depuis leur frayère commune de la mer des Sargasses (Williams et coll. 1973).

On a signalé un excès d'homozygotes dans les études d'allo-enzymes d'organismes marins, notamment de mollusques marins où l'excès est particulièrement marqué dans les stades larvaire et juvéniles (Singh et Green 1984, Zouros et Foltz 1984). Cet excès se produit dans de nombreuses populations et ne semble pas dû à la dérive génétique ou à des erreurs techniques de marquage; la cause de ce phénomène très répandu demeure obscure (Zouros et Romero-Dorey 1988).

Espèces cryptiques

Plusieurs études par les allo-enzymes ont révélé des espèces cryptiques dans les pêcheries côtières et ont montré que certaines ressources que l'on estimait être des taxons uniques se composent de deux ou plusieurs espèces. On a observé des exemples d'espèces cryptiques chez les encornets (Brierley et coll. 1993, Carvalho et coll. 1992, Smith et coll. 1981), les poulpes (Levy et coll. 1988), les bivalves (Grant et coll. 1984, Richardson et coll. 1982, Sarver et coll. 1992), les tétrodons (Masuda et coll. 1987), les prêtres (Prodohl et Levy 1989), les anolis de mer (Shaklee et coll. 1982, Waples 1981, Yamaoka et coll. 1989), les bananes de mer (Sahklee et Tamaru 1981, Shaklee et coll. 1982) et les petits pélagiques (Daly et Richardson 1980, Smith et Robertson 1981).

A l'inverse, l'absence de différences génétiques entre les livrées des petits Serranidés du genre Hypoplectrus laisse supposer qu'ils ne constituent qu'une seule espèce (Graves et Rosenblatt 1980). De même, l'absence de différences génétiques entre les spécimens de tête casquée pélagiques Pseudopentaceros wheeleri et P. pectoralis du Pacifique Nord amène à la conclusion que les Pseudopentacères forment une seule espèce métamorphique présentant des différences morphologiques au cours des différents stades de leur existence (Humphreys et coll. 1989). L'absence de différences génétiques en 33 loci entre deux espèces de langoustes Jasus edwardsii de Nouvelle-Zélande et J. novaehollandiae de Tasmanie indique qu'il s'agit de populations conspécifiques (Smith et coll. 1980).

Modifications génétiques induites par la pollution

Les effets de la pollution sur les ressources côtières sont souvent spectaculaires avec mortalité massive au sein des stocks, réduction de la diversité des espèces et modifications de la composition des espèces. Certains parages peuvent être interdits à la pêche. Parmi les sources de pollution, on trouve les métaux lourds, les pesticides, les hydrocarbures et les détergents, ainsi que les effluents thermiques et radioactifs. Peu d'études ont été consacrées aux changements génétiques imputables à la pollution marine, en partie en raison de la difficulté qu'il y a à mesurer des modifications génétiques chez des populations de poisson qui peuvent être recrutées à l'extérieur de la zone polluée. La plupart des exemples de changements génétiques induits par la pollution concernent des espèces qui se dispersent peu; les mollusques peuvent certes être recrutés à l'extérieur de la zone de pollution mais les stades juvénile et adulte sont sessiles.

Les importants travaux que Nevo et ses collaborateurs ont consacrés à la génétique de la pollution en Méditerranée ont montré que les changements génétiques se produisent chez des populations naturelles d'organismes marins exposées à des événements de pollution localisée (Nevo et coll. 1984, 1987). A la suite de ces études, on a pu proposer des marqueurs génétiques pour la surveillance de la pollution marine (Ben-Shlomo et Nevo 1988; Nevo et coll. 1984). Des études de laboratoire portant sur des mollusques et des crustacés ont fait apparaître différents taux de survie des génotypes d'allo-enzymes exposés aux métaux lourds (Hvilsom 1983; Lavie et Nevo 1982, 1986; Nevo et coll. 1981). Des modifications similaires des fréquences géniques ont été décelées dans des organismes marins exposés au pétrole brut (Battaglia et coll. 1980; Nevo et Lavie 1989; Nevo et coll. 1978) encore que Fevolden et Garner (1986) n'aient décelé aucune preuve de sélection génotypique chez les moules Mytilus edulis exposées à de faibles concentrations de pétrole dans les fjords norvégiens. Dans les études de laboratoire portant sur des paires d'espèces exposées à des polluants marins, ce sont les espèces présentant le niveau le plus élevé de diversité génétique qui avaient la survie la plus longue (Nevo et coll. 1986).

Les modifications génétiques dues à la pollution chez les téléostéens ont fait l'objet de rapports moins nombreux. En mer Baltique, les glissements temporaires des fréquences d'allo-enzymes étaient plus marqués sur les sites pollués que sur les sites non pollués chez les populations de chabot à quatre cornes Myoxocephalus quadricornis (Gyllensten et Ryman 1988). Toutefois, on ne sait pas très bien si ces modifications génétiques sont dues à une mortalité sélective directe ou à l'invasion des sites pollués par un nouveau stock (Gyllensten et Ryman 1988).

Caractères du cycle vital

La plupart des poissons et des invertébrés marins sont itéropares, c'est-à-dire qu'ils se reproduisent pendant plusieurs années, alors que le saumon du Pacifique, du genre Oncorhynchus, est semelpare, c'est-à-dire qu'il se reproduit une seule fois dans son existence. De nombreuses espèces sont extrêmement fécondes et comportent dans leur existence une phase dispersive (Fogarty et coll. 1991). Toutefois, on observe des variations interspécifiques considérables en ce qui concerne la longévité et la fécondité et bon nombre des espèces les plus répandues présentent de longues époques du frai, le moment du frai variant avec la latitude. Dans le cas du saumon rose Oncorhynchus keta l'époque du retour aux frayères comporte une composante génétique (Gharret et Smoker 1993). Chez la coquille Saint-Jacques d'Europe Pecten maximus, des expériences de greffe ont mis en évidence une composante génétique de la période du frai et il existe des différences à l'égard de ce caractère à l'intérieur d'un même stock (Cochard et Devauchelle 1993, Mackie et Ansell 1993). La taille à la maturité sexuelle varie entre stocks intraspécifiques chez la raie Raja radiata (Templeman 1987) et le balai Hippoglossoides platessoides (Roff 1982). Le hareng Clupea harengus et la plie d'Europe Pleuronectes platessa présentent des variations géographiques de la fécondité (Mann et Mills 1979) tandis que le cabillaud Gadus morhua offre des différences intraspécifiques à l'égard de l'âge à la maturité (Garrod et Horwood 1984).

On observe chez les téléostéens une corrélation significative entre l'âge à la première reproduction, la mortalité et le taux de croissance, et certains ont pensé que ces corrélations pourraient être le résultat d'un arbitrage de l'évolution entre la croissance, la reproduction et la survie (Roff 1984). La théorie des pêches prédit que tout accroissement de la mortalité par pêche entraînera un accroissement de la croissance et du recrutement. Que de la maturité sexuelle soit déterminée par l'âge ou par la taille, elle sera modifiée par tout accroissement de la mortalité par pêche; des poissons à croissance plus rapide atteindront plus rapidement la taille de première maturité et deviendront matures à un âge plus précoce; ou bien, si la maturité est fonction de l'âge, les poissons seront à maturité lorsqu'ils auront atteint une taille plus grande. Les relations complexes et assez mal comprises entre les composantes génétiques du taux de croissance et de la taille et de l'âge à la première maturité et les réponses non génétiques de ces caractères aux évolutions de la densité de population et autres paramètres environnementaux, et notamment la température de l'eau, rendent difficile toute séparation de l'impact génétique et non génétique de la pêche sur les populations naturelles.


Page précédente Début de page Page suivante