Previous Page Table of Contents Next Page


Reflexions

Börje K. Steenberg

C. Hollis Murray

Louis Huguet

S. Dennis Richardson

Timothy Peck

J.E.M. Arnold

Oscar Fugalli

Stanley L. Pringle

Alf Leslie

Josef Swiderski

Gumersindo Borgo

Michel Khouzami

Börje K. Steenberg


Parmi les tâches de la FAO, qui sont énoncées dans son Acte constitutif, figurent la conservation des ressources naturelles et l'amélioration des méthodes de production. Si ce texte était écrit aujourd'hui, il mentionnerait l'.

A l'époque où la FAO a été créée, la reconstruction d'un monde déchiré par la guerre nécessitait du bois d'ouvre et le rôle de la FAO était centré sur l'utilisation des forêts et la conservation du bois. Mais les intérêts de l'humanité changent. Les valeurs qui déterminent les exigences de l'homme ne sont pas constantes. C'est le cas aussi pour la foresterie.

En ce qui concerne les forêts, la demande est en effet très vaste et le poids relatif de chaque type de demande dépend du poids des composantes de l'actuelle gamme de valeurs. J'utilise le mot car en foresterie les valeurs sont remarquablement changeantes. Leur liste s'allonge sans cesse, incluant des valeurs matérielles et économiques, la protection, le spirituel, l'éthique et toute une série de valeurs culturelles.

La longévité des arbres est telle que les composantes fondamentales d'une politique forestière doivent être acceptables non seulement aujourd'hui mais aussi à très longue échéance. Ainsi seulement les investissements humains dans la conservation et la régénération des forêts qui sont si cruellement nécessaires permettront de mieux répondre aux besoins.


Börje K. Steenberg,, de nationalité suédoise, est entré à la FAO comme Directeur de la Division des forêts, puis il est devenu Sous-Directeur général pour les forêts quand ce Département a été créé en 1970. Il a pris sa retraite en 1974 et vit actuellement à Stockholm (Suède)

Top of Page


C. Hollis Murray


A la fin des années 60 et au début des années 70 la Division des forêts (devenue Département des forêts après 1970) a consacré une grande partie de ses efforts à aider les gouvernements membres à identifier et évaluer leur potentiel forestier. Elle a conseillé et appuyé la mise en valeur des industries primaires. A cette époque déjà on s'intéressait beaucoup au renforcement des capacités nationales (mais l'expression utilisée actuellement n'avait pas encore été inventée) par la création de plusieurs instituts de formation à tous les niveaux.

Dans les années 70, le nouveau Département a entrepris une série de projets d'inventaires forestiers pour identifier le potentiel d'utilisation des forêts et déterminer en même temps les zones à préserver ou conserver. Ces activités ont fait naître un besoin de conseil et d'assistance aux pays, pour déterminer non seulement les ressources mais aussi la manière d'en tirer profit pour leur développement.

L'Organisation a été appelée à conseiller et aider les gouvernements dans leurs négociations avec les sociétés multinationales, car la plupart des pays en développement n'étaient pas en mesure de traiter avec des géants industriels aussi puissants. On s'est inquiété ici ou là que l'Organisation ne compromette aussi sa neutralité et ne risque d'entrer en conflit avec les intérêts d'une puissante société d'un important pays membre. Jamais quand l'Organisation a aidé les gouvernements dans des négociations parfois délicates, il n'y a eu de tels conflits.

J'ai quitté le Département des forêts de fin 1973 à début 1989, par conséquent je ne m'étendrai pas sur cette période. A l'époque où j'ai occupé le poste de Sous-Directeur général (de 1989 à 1994) l'intérêt pour la foresterie au niveau mondial a grandi de façon spectaculaire. Le Programme d'action forestier tropical a été mis en ouvre et s'est retrouvé le point de mire des écologistes et des organisations non gouvernementales. Le débat sur le rôle des forêts et de la foresterie dans le processus de préparation de la CNUED a acquis une importance croissante et la question du développement forestier durable a dominé par la suite le Sommet de Rio.

Lorsqu'on se tourne vers l'avenir, et malgré la naissance d'autres organisations s'occupant des forêts, on constate que la FAO garde une place à part. Elle demeure la seule institution internationale qui possède une aussi vaste gamme de compétences. Elle a acquis avec le temps une base d'informations techniques sur les forêts et la foresterie qui n'a pas d'égal et, compte tenu de ses rapports privilégiés avec les gouvernements, elle possède un avantage comparatif dans de nombreux domaines. Elle est également bien placée pour concevoir des approches interdisciplinaires à la foresterie et l'utilisation des terres car elle abrite sous son toit, si l'on peut dire, toutes les disciplines concernées - agriculture, pêches, développement rural, social et économique.

La question principale dans la période qui suit la CNUED consiste à mettre en ouvre le développement durable, des forêts mondiales, boréales, tempérées, subtropicales et tropicales, ou à s'y efforcer, et à ouvrir la voie à une nouvelle évolution des Principes forestiers en un accord juridique universel applicable à toutes les forêts. Dans cette tâche majeure, le Département doit être prêt à collaborer étroitement avec d'autres organisations - institutions internationales, particuliers, universités et ONG - qui participent activement à la foresterie et à l'environnement. Il doit créer des partenariats qui reconnaissent les atouts de chaque partenaire.

Pour finir, la FAO doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour créer et renforcer les capacités des pays et de leurs institutions à gérer et conserver leurs ressources forestières, dans le respect de la durabilité.


C. Hollis Murray, est entré dans le Service des politiques forestières de la FAO en 1968. Il a ensuite été fonctionnaire chargé des opérations de projets pour l'Amérique latine et les Caraïbes, puis il a travaillé à la Division des ressources forestières. Après quelques années loin de l'Organisation, puis un passage à la direction de la FAO, M. Murray a été nommé Sous-Directeur général du Département des forêts en 1989, poste qu'il a occupé jusqu'à sa retraite en 1994.

Top of Page


Louis Huguet


Selon que l'on est pessimiste ou optimiste, un verre est à moitié plein ou à moitié vide. Une même divergence d'opinion apparaît aujourd'hui, à la fin du XXe siècle, en ce qui concerne les forêts mondiales. Les affirment que les forêts n'ont jamais été en meilleur état même si, ici ou là, quelques problèmes se posent. Des problèmes qu'ils minimisent et considèrent comme temporaires. Les , au contraire, déclarent que les forêts sont condamnées, au mieux à être dégradées et au pire à disparaître totalement. J'adopterai une position d', selon laquelle la communauté internationale, confrontée à un danger que nous ne saurions nier, ne doit pas perdre espoir, mais plutôt réagir.

La pression d'une démographie galopante dans les pays en développement est excessive et ne peut qu'entraîner la destruction des forêts - comme c'était le cas dans les pays soi-disant développés, il n'y a pas longtemps. Et pourtant, ces mêmes défis ont été relevés dans les pays développés lorsqu'ils étaient, il n'y a pas si longtemps encore, en développement. De plus, les technologies améliorées et les techniques permettant leur transfert sont plus perfectionnées qu'elles ne l'étaient à l'époque de la dans les pays développés d'aujourd'hui. Cela devrait compenser la complexité nouvelle des défis d'aujourd'hui, tant que les pays développés et en développement travailleront côte à côte en consacrant à cette tâche les ressources nécessaires.

La FAO qui regroupe sous un même toit les activités fondamentales du développement agricole - élevage, agriculture, forêts, pêches - a toutes les cartes en main pour promouvoir et coordonner la révolution agricole nécessaire dans les pays en développement pour permettre de conserver leurs forêts.

J'aimerais laisser le dernier mot à Voltaire qui conclut Candide en disant, .

"Tout cela est très bien, mais à présent, il faut cultiver notre jardin "


Louis Huguet,, de nationalité française, a occupé diverses fonctions à la FAO sur le terrain et au siège pendant plus de 30 ans et il a été Directeur de la Division des ressources forestières de 1977 jusqu'à sa retraite en 1980. Depuis lors, il est consultant indépendant.

Top of Page


S. Dennis Richardson


Avec près d'un demi-siècle - tout comme Unasylva - d'expérience professionnelle de la foresterie (sciage, gestion, éducation, recherche et politiques forestières), je constate qu'il est plus aisé de regarder devant soi que derrière soi. Il y a eu de nombreux changements et de nouvelles questions. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les questions qui dominent ne sont pas d'ordre technique. Bien sûr, nombre d'entre elles sont déterminées par la technologie mais mon recueil personnel des grandes questions des 50 dernières années (et des défis des 50 prochaines) concerne davantage la nouvelle façon dont on perçoit la raison d'être de la foresterie, et de ses dimensions socioéconomiques et politiques.

Le nouvel intérêt mondial pour la foresterie naît de la sensibilisation accrue à l'environnement, mais surtout, de la publicité donnée à la controverse sur les ressources naturelles par le biais des technologies électroniques modernes. Cette nouvelle "glasnost" s'est accompagnée du bouleversement de la souveraineté en matière d'environnement - dans l'espace, en haute mer et, de plus en plus, sur la terre. Les spécialistes de la télédétection (et les activistes de l'environnement) ne reconnaissent plus les frontières nationales. Les questions ont été mondialisées et les enjeux se sont multipliés.

D'autres changements sont quasiment politiques; la reconnaissance croissante des économies multiples et de leurs répercussions sur l'élaboration des politiques ainsi que l'évolution (qui a vu le jour en Chine et s'est rapidement étendue au monde entier) de la planification "commandée" à la planification "dirigée", à la privatisation et à la recherche d'innovations administratives et institutionnelles.

Les solutions doivent être aussi transparentes que le sont les questions. Je suis persuadé que les plus grands défis de la conservation ne sont pas les tendances sexuelles des pandas géants, ni les chouettes tachetées ou même la diversité biologique; ils résident dans l'amélioration de la fertilité du sol pour permettre le développement durable d'un monde qui accepte mal le concept d'une économie stationnaire.

Il faut faire une distinction entre la conception d'une politique et sa formulation; la première est un processus politique auquel les forestiers ne participent ni plus - ni moins - que la masse des gens dont le sort dépend de ces politiques; la formulation des politiques, par contre, est un processus spécialisé nécessitant les compétences des planificateurs, des économistes, des sociologues, des hommes de loi, aussi bien que des forestiers professionnels. La tâche principale des forestiers est l'exécution, pour laquelle ils ont été formés et, espérons-le, ils ont acquis la maturité nécessaire pour reconnaître leurs limites et la nécessité de rechercher la collaboration d'autres disciplines et d'autres partenaires. Tout refus de rapprochement avec les autres partenaires, ou toute tendance à n'écouter que les plus bruyants et les plus puissants, aboutira nécessairement à obtenir une image déformée de la situation, sans perspectives d'avenir.

John Maynard Keynes est sans doute l'économiste le plus influent de ce siècle. Sa remarque "à long terme nous serons tous morts" traduit l'essence même de l'économie néoclassique et les contraintes des perspectives à court terme. C'est parce que nous sommes préoccupés par le court terme que se posent des problèmes lors de l'examen des questions économiques, de l'aménagement forestier durable et en particulier de la gestion communautaire des forêts naturelles. Avec de tels paramètres, la durabilité est un non-sens économique! Mais peu à peu nous en venons à accepter la nécessité d'une approche globale au sein de laquelle l'écologie, l'économie et l'éthique ne font qu'un tout - un cercle interconnecté - qui, de nos jours, semble brisé.

Dans une note récente Fri pose trois questions:

"Le développement durable est-il destiné à prospérer davantage avec certaines institutions politiques et économiques qu'avec d'autres?"; "Les valeurs qui sous-tendent ce développement doivent-elles devenir partie intégrante des grands systèmes éthiques?"; et, "Si la réponse à ces question est oui, sommes-nous prêts à en accepter les conséquences?"
. Il conclut en affirmant que le cadre politique, économique et éthique dans lequel la durabilité (y compris la foresterie durable) est instaurée en déterminera le succès ou l'échec.

Une autre publication qui vient enrichir ce débat est, selon moi, Une vue révisionniste du déboisement et du développement tropical de Michael Dove (1993). Dove commence par une parabole de Kalimantan relatant la découverte d'un diamant qui provoque le malheur d'un pauvre mineur; il fait le rapprochement entre cette parabole et le développement des ressources dans les forêts tropicales soulignant que l'enjeu essentiel n'est pas de fournir davantage de possibilités de développement aux populations qui vivent de la forêt, mais de leur en retirer le moins possible. D'autres études de cas nous montrent la prédisposition des forces politiques et économiques de la société à s'emparer du développement des ressources dans les forêts tropicales. La solution aux problèmes de la conservation et du développement des forêts tropicales ne doit pas passer par la recherche de nouvelles ressources que les habitants des forêts ne connaissent pas encore, mais par l'identification et la modification des forces institutionnelles qui limitent la propriété et l'utilisation productive des ressources existantes, par ces habitants.

Fri, R.W.1992. Questions that seem important. Resources, (Spring 1992) 107: 1-5.


S. Dennis Richardson,, de nationalité néo-zélandaise, a occupé de nombreuses fonctions de responsabilité durant près d'un demi-siècle de carrière, notamment Directeur de l'Institut néo-zélandais de recherche forestière, titulaire de la Chaire de foresterie à l'Université de Wales, Forestier principal à la Banque asiatique de développement (BAsD) et Directeur du Conseil forestier néo-zélandais. Il a en outre collaboré occasionnellement avec le Département des forêts de la FAO.

Top of Page


Timothy Peck


Ce qui m'a frappé quand j'ai pris mes fonctions au secrétariat de la FAO/CEE à Genève en 1959, c'est la franche camaraderie et l'esprit de corps qui régnaient parmi les nombreux délégués et experts participant aux réunions et autres activités. Sans doute était-ce en partie, comme les forestiers aiment à le dire en plaisantant, en raison de la fraternité naturelle qui unit les forestiers du monde entier, mais peut-être était-ce aussi parce que le secteur forestier n'était pas une priorité politique et ne suscitait donc pas de tensions entre les pays. Même si de nos jours les forêts et la foresterie sont devenus plus pour le public et les hommes politiques et attirent davantage leur attention, espérons que cet esprit demeurera présent.

Jusque vers les années 70, dans presque toute l'Europe la foresterie était axée principalement, si ce n'est en théorie du moins en pratique, sur la production de bois. Mais d'autres aspects ont pris peu à peu une place croissante. Une fois ses besoins matériels largement satisfaits, la population dense, très urbanisée et opulente de l'Europe a commencé à attendre d'autres satisfactions de la forêt, notamment pour ses loisirs et pour la préservation de la nature, tout en s'intéressant de plus en plus à la protection de l'environnement.

Plus récemment, les forestiers européens, qui pensaient avoir bien fait leur travail de gardiens du patrimoine forestier, ont été accusés d'avoir accordé trop d'importance à la production de bois et d'avoir ignoré les autres fonctions de la forêt. Quoique très compétents techniquement, ils étaient souvent désemparés quand il s'agissait de dialoguer avec le grand public et de justifier leurs actions. Ils se sont retrouvés démunis des informations nécessaires à un tel dialogue, ainsi qu'à l'adaptation éventuelle des pratiques forestières pour englober les multiples utilisations de la forêt. Néanmoins, une attention beaucoup plus grande a été accordée ces dernières années aux pratiques forestières et aux matériaux . La foresterie retient toujours plus l'attention, à un niveau politique élevé, notamment lors des Conférences ministérielles sur la protection des forêts en Europe, la première qui s'est tenue à Strasbourg en 1990 et la seconde à Helsinki en 1993.

La foresterie européenne des années 90 connaît de nouvelles contraintes et de nouveaux défis qui l'amèneront probablement à être très différente au XXIe siècle de ce qu'elle est aujourd'hui. Un changement probable (pour le meilleur ou pour le pire) pourrait être la baisse d'influence de ceux qui sont traditionnellement concernés par ce secteur - les forestiers eux-mêmes - sur les politiques et les décisions en matière de foresterie. La foresterie s'intégrera de plus en plus aux autres secteurs, tels que la planification globale des ressources en terre, le développement rural et la protection de l'environnement, et les acteurs auront un contrôle accru sur le développement du secteur forestier. Tout compte fait, c'est une époque fascinante pour ceux qui participent à ces changements. J'aimerais parfois redevenir un débutant pour pouvoir prendre part à ces événements passionnants. Mais, à la réflexion, il est préférable que ce soit la nouvelle génération qui s'en charge. Je leur souhaite bonne chance et serai heureux de rester un spectateur attentif.


Timothy Peck,, de nationalité britannique, a travaillé à la Division de l'agriculture et du bois FAO/CEE à Genève de 1959 à 1993. Il a accédé aux fonctions de Chef de la Section du bois en 1978 et de Directeur de la Division en 1989. Installé dans le canton de Vaud (Suisse), il est actuellement Président du Conseil de l'Institut forestier européen et Conseiller régional des Nations Unies en matière de foresterie et d'industries forestières, pour les pays d'Europe centrale et orientale en économie de transition.

Top of Page


J.E.M. Arnold


Quand j'ai commencé ma carrière d'économiste forestier vers la fin des années 50, le développement était axé principalement sur la création d'un secteur industriel moderne. L'industrialisation était considérée comme la clé d'une accumulation rapide des plus-values nécessaires pour maintenir et diversifier la croissance. Le secteur agricole était essentiellement relégué à un rôle secondaire. On partait du principe que les richesses créées par le secteur urbain automatiquement sur les populations rurales.

On attribuait aux industries forestières un rôle important dans le processus de développement, par le biais de la croissance industrielle. Leurs produits étaient largement utilisés dans tous les secteurs modernes de l'économie et fournissaient des intrants aux autres industries; ainsi, la présence des industries forestières pouvait contribuer à la croissance industrielle en général. Les marchés internationaux de nombreux produits forestiers offraient également la possibilité d'accumuler des devises.

Vers le milieu des années 70, les limitations d'une stratégie de développement strictement basée sur l'industrie et la folie d'une politique qui négligeait l'agriculture étaient devenues évidentes. On a compris non seulement que la croissance agricole est essentielle, mais que la croissance économique ne peut être durable si une grande partie de la société reste pauvre. On a commencé à appréhender la question du développement d'une autre façon en accordant une priorité croissante au secteur rural - développement rural, agriculture et satisfaction des des pauvres. C'est cette attention accrue accordée à l'agriculture et à l'économie rurale qui a permis de mieux comprendre, dans les années 70, combien les populations rurales étaient tributaires des forêts et des arbres, pour satisfaire leurs besoins les plus fondamentaux. Des initiatives nationales et internationales ont permis de mettre en place des programmes, des politiques et des législations qui ont changé matériellement l'aspect de la foresterie dans beaucoup de pays.

Ce changement fondamental est en grande partie le résultat d'un processus d'apprentissage empirique, par tâtonnements successifs. On a constaté que la production et l'utilisation des biens et services forestiers au niveau local étaient souvent ancrées dans des systèmes sociaux et économiques complexes, au sein desquels la plupart des facteurs qui déterminent notre aptitude à intervenir en trouvant des solutions aux problèmes forestiers sont d'une tout autre nature.

Il est devenu plus difficile de trouver quelle réponse appropriée le secteur forestier pouvait apporter, à cause de l'évolution constante des concepts et des priorités du développement au cours des décennies 80 et 90. Le concept de sécurité alimentaire complique et multiplie les liens entre foresterie et satisfaction des besoins de la population, par rapport à l'époque précédente où l'on cherchait uniquement à faire face aux besoins essentiels. L'ajustement structurel, qui met en ouvre la décentralisation, la dérégulation et la privatisation des services publics a des conséquences importantes sur le cadre institutionnel traditionnel de la foresterie. Le concept de développement durable introduit encore un nouvel élément dans le débat sur la foresterie et le développement.

Toutes ces tendances différentes n'aboutissent pas à des demandes cohérentes ni compatibles, vis-à-vis du secteur forestier. Déterminer comment ce secteur peut s'adapter à elles, ainsi qu'aux préoccupations plus vastes de politique et de développement, reste pour nous un formidable défi. Certes, nous avons su répondre admirablement aux demandes changeantes des quelques dernières décennies, mais on pourrait nous rétorquer que nous n'avons pas su traduire les leçons de cette expérience en théories et préceptes appropriés destinés à remplacer ceux qui sont devenus obsolètes. Je ne veux pas dire par là que les efforts du secteur pour répondre aux besoins et aux possibilités actuelles doivent être mis au second plan, pendant que nous mettons à jour nos connaissances. Cependant il y a un danger évident à continuer à aller de l'avant sans avoir précédemment assimilé et documenté comme il se doit les leçons du passé. Nous devons trouver un juste équilibre entre action et réflexion.


J.E. Michael Arnold, a travaillé à la FAO de 1964 à 1986. Il a été le premier à diriger le Programme FAO/SIDA de foresterie au service du développement communautaire local, puis le Service de politique et planification forestières. Il travaille actuellement à l'Institut forestier d'Oxford (Royaume-Uni).

Top of Page


Oscar Fugalli


Lorsque l'expression "aménagement durable" a commencé à apparaître noir sur blanc, il y a eu une explosion de joie quasi universelle: finalement nous savons quoi faire et comment le faire, finalement nous détenons la clé du problème - nous devons assurer la productivité durable de la terre car ainsi, le développement deviendra durable et la société aussi. Quelle surprise pour tous, sauf pour les forestiers qui connaissaient bien la chanson, mais n'avaient pas su, ou pas pu, faire passer le message.

Parmi tous les utilisateurs de la terre, le forestier était bien le seul à garantir la durabilité, voire l'accroissement, de la productivité des terres qui lui étaient confiées. Qui d'autre s'en souciait autant que lui? L'agriculteur? Le berger? Le chasseur? Le mineur? Aujourd'hui, il semblerait que de tous les utilisateurs de la terre, dont la plupart ont peu, ou pas, d'expérience de l'aménagement durable, seul le forestier est appelé à se défendre ou se justifier.

La vision traditionnelle du forestier se limitait à la composante forestière des vastes écosystèmes, dont on ne lui avait sans doute jamais parlé. Mais l'environnement mondial ne serait-il pas meilleur aujourd'hui si les forestiers avaient reçu des dirigeants politiques, dans tous les pays, les ressources et le soutien nécessaires pour concevoir et exécuter des activités de production durable pour la composante forestière des écosystèmes terrestres. Toutefois, pendant des décennies et même des siècles, le travail du forestier et ses répercussions, n'ont pas été appréciés à leur juste valeur. N'a-t-il pas su communiquer ou ses interlocuteurs ne voulaient-ils pas l'entendre?

Quel regret que les forestiers de ma génération n'aient pas su apprécier avec justesse la force de la "vague verte" qui montait. Combattants en première ligne, les forestiers ont été submergés par la vague qui les a laissés seuls à nouveau. Mais cette fois, à l'arrière.

J'aimerais glisser un mot aux forestiers de la génération actuelle: soyez fiers de votre travail et de l'ouvre de vos prédécesseurs. L'aménagement forestier par la production durable n'est guère différent de l'aménagement forestier durable, il est seulement plus étroit et la différence est marginale. Le concept de base, que nous connaissons depuis toujours mais que les autres ne connaissent pas ou veulent ignorer, est au moins similaire si ce n'est identique. Cessez d'être sur la défensive et soyez proactifs dans cette lutte pour un environnement meilleur et une meilleure qualité de vie pour la société.


Oscar Fugalli,, de nationalité italienne, a travaillé à la FAO de 1951 à 1982. Il est ensuite devenu Directeur du Programme spécial IUFRO pour les pays en développement. Il se partage actuellement entre Vienne, où est situé le siège de l'IUFRO, et Rome.

Top of Page


Stanley L. Pringle


En entrant à la FAO, en 1959, j'ai d'abord travaillé en Afrique de l'Est, à l'époque où le Kenya, l'Ouganda et l'ex-Tanganyika formaient une sorte de fédération administrée par la Haute Commission de l'Afrique de l'Est. J'étais chargé d'évaluer la demande de bois et ses perspectives, dans ces trois pays.

Le projet a mis au point plusieurs techniques d'échantillonnage pour évaluer l'utilisation des produits ligneux non transformés par les industries nationales ou importés. Il a mis en lumière la production substantielle de mobilier rudimentaire, la grande consommation de piquets utilisés dans le bâtiment et pour le clôturage et surtout l'énorme quantité de bois employé pour la cuisine et le chauffage.

Durant ma mission sur le terrain, à l'aube du jour de l'an 1960, au moment où le soleil se levait sur une plaine brûlée et dénudée dans le centre de la province de Karamoja, au nord-est de l'Ouganda, j'ai vu un spectacle qui restera gravé pour toujours dans ma mémoire. Un homme grand, complètement nu, traversait la plaine, avec sur la tête un fardeau de bois de feu. Qui sait combien de kilomètres il avait parcouru ou devait encore parcourir, beaucoup certainement, car il n'y avait ni bois ni habitation à perte de vue. A cet instant précis, j'ai compris la valeur exacte de ce produit dans cette région du monde. Par la suite, nombre de nos études sur la consommation de bois ont attiré l'attention sur l'utilisation du bois de feu qui épuise les maigres ressources des zones arides et semi-arides, et sur la situation critique des populations.

J'ai apporté, il y a longtemps, une contribution non négligeable à une évolution capitale de la foresterie internationale. Vers la fin des années 60, la FAO et la CNUCED ont organisé une série de réunions conjointes. En tant que cosecrétaire, j'ai suggéré la création d'un bureau du bois tropical composé des pays en développement exportateurs de bois tropicaux. Ce bureau aurait eu pour mission de promouvoir le commerce des bois tropicaux, notamment des espèces les moins connues, et de recueillir et de fournir aux pays membres des informations sur ces marchés. Une proposition de projet a été formulée mais n'a jamais pris corps.

Beaucoup plus tard, quand les approvisionnements de bois tropicaux ont commencé à diminuer et les prix à augmenter, les pays consommateurs industrialisés ont accepté de se joindre aux efforts de la CNUCED, avec le soutien technique de la FAO. Après de nombreuses réunions préparatoires, on a abouti à un accord sur les bois tropicaux et à la constitution de l'Organisation internationale des bois tropicaux.


Stanley L. Pringle,, de nationalité canadienne, a travaillé à la FAO de 1961 à 1980, date à laquelle il occupait le poste de Chef du Service des politiques et de la planification. Il est actuellement consultant en foresterie internationale en Colombie britannique.

Top of Page


Alf Leslie


Trois conditions essentielles doivent être remplies pour que l'industrie forestière puisse contribuer au développement: la production de bois rond doit être transformée dans le pays d'origine et plus la transformation atteindra une étape avancée dans la chaîne de production, mieux cela vaudra; ensuite, les travailleurs doivent être des habitants du pays même et non du personnel importé; troisièmement, les forêts doivent être exploitées et gérées de manière que des plantations de remplacement appropriées permettent de maintenir l'approvisionnement des matières premières.

Dans plusieurs circonstances bien documentées, où ces conditions ont été remplies, la thèse énoncée si éloquemment par Jack Westoby en 1962 - les industries forestières peuvent être un moyen efficace d'aborder les problèmes du sous-développement économique et social - s'est avérée fondée [NDLR: voir Unasylva, 16(67): 168-201]. Malheureusement, dans la plupart des forêts tropicales ces conditions ont été pratiquement ignorées. Cela a abouti à une condamnation de cette thèse, plutôt que de sa mauvaise mise en pratique, même de la part de Westoby. Non seulement c'est une erreur, mais les risques en sont fatals pour la cause de la conservation de la forêt tropicale.

Il faut considérer deux faits incontournables dans toute la question de la conservation des forêts tropicales, qui s'intègre à présent dans le développement. Tout d'abord, malgré l'hypocrisie avec laquelle le monde entier semble l'ignorer, il faut reconnaître que la conservation dépend avant tout de la fourniture d'autres moyens de survie, garantis et durables, aux centaines de millions de personnes qui, dans la conjoncture actuelle, n'ont d'autre choix que de continuer à déboiser pour cultiver les produits dont ils ont besoin pour se nourrir. Deuxièmement, malgré toute la propagande arguant le contraire, l'industrialisation du secteur forestier est un des rares moyens de leur fournir durablement l'aide nécessaire. En effet, l'aménagement et l'utilisation durables des forêts tropicales pour le bois industriel est une condition nécessaire à leur conservation. Cela ne signifie pas que les industries forestières peuvent régler tous les problèmes de pauvreté qui sont à l'origine du déboisement; elles peuvent y contribuer sensiblement mais ne constituent pas à elles seules la solution.

L'expansion, dans le cadre de la CNUED, du concept de rendement durable en gestion durable, notion plus vaste et plus contraignante, ajoute une condition aux trois autres qui ont été énumérées plus haut. L'exploitation industrielle du bois d'oeuvre doit être menée de manière à ne pas infliger de changements ni de dégâts durables irréversibles aux écosystèmes forestiers, à leur environnement ou, en aval, à l'environnement social et écologique qui en dépend. Il ne fait aucun doute que les dépenses supplémentaires qui en résulteront seront substantielles, parfois supérieures à ce que les industries forestières des pays tropicaux peuvent supporter, dans les conditions actuelles. Y a-t-il donc quelque espoir?

J'en suis convaincu, mais une modification fondamentale des pratiques industrielles sera nécessaire. Il faudra trouver et appliquer de nouvelles formes de recherche et de développement commerciaux et de nouvelles normes de traitement et de soutien des marchés spécialisés. Il faudra modifier les façons de penser et d'agir, plutôt que les technologies. Cette réorientation nécessitera l'élan que seul un organisme comme la FAO peut apporter. Ce qu'il faut souligner, c'est le rôle indispensable des industries forestières dans la conservation des forêts tropicales. Il faut trouver une nouvelle forme de pensée qui, jointe à une intégrité et à une détermination intellectuelles, permettra de contrer l'opinion publique qui est le jouet de la désinformation.


Alf Leslie,, de nationalité néo-zélandaise, a été Directeur de la Division des industries forestières de la FAO de 1977 à 1981.

Top of Page


Josef Swiderski


Contrairement à ce que l'on pourrait penser, il n'est pas facile à un vieux routier de la FAO comme moi de commenter son expérience professionnelle et de choisir les faits les plus significatifs. Mais à la réflexion, je constate que les conclusions les plus importantes sont aussi les plus simples.

Ces dernières années, les uns après les autres, les pays industrialisés et les pays en développement ont secoué le joug des structures gouvernementales centralisées et rigides et laissé les activités de développement aux entreprises libérales et aux forces du marché - pour le meilleur profit de tous. Je ne soulignerai jamais assez la nécessité de promouvoir et renforcer une approche aux activités de développement en foresterie, qui respecte les lois du marché.

Un autre aspect essentiel sur lequel j'insisterai est le rôle crucial de la composante humaine dans les efforts de développement et en particulier dans les projets de terrain. Avant de se lancer dans un projet, il ne faut ménager ni son temps, ni ses efforts pour trouver la personne la mieux adaptée au travail demandé. Cette condition essentielle et évidente, dont dépend le succès de toute entreprise, est souvent ignorée.

J'aimerais aussi souligner l'importance des réunions organisées par le Département des forêts de la FAO. Certains critiquent cet aspect du travail de l'Organisation: "trop de réunions, trop de paperasserie". Je puis témoigner que rien ne remplace ces activités lorsqu'il s'agit d'évaluer et de diffuser des informations importantes de nature technique, économique et de politique générale. Depuis mon départ de la FAO, j'ai assisté à de nombreuses réunions professionnelles organisées par d'autres institutions. Ce sont trop souvent des tribunes dont le but caché est de promouvoir les produits et les services de leurs organisateurs. L'indépendance et l'impartialité qui caractérisaient les réunions de la FAO, et leur documentation, sont généralement absentes.


Josef Swiderski,, de nationalité américaine, a été Directeur de la Division des industries forestières de la FAO de 1966 à 1979. Il est depuis consultant international dans le domaine des industries forestières.

Top of Page


Gumersindo Borgo


D'après mon expérience, les objectifs des projets forestiers devraient généralement être moins ambitieux et plus réalistes et tenir compte davantage du temps et des ressources disponibles. Il est préférable de fixer et d'atteindre des objectifs plus modestes que de s'efforcer de justifier un échec dans la poursuite d'objectifs plus ambitieux. En outre, compte tenu de la nature même de la foresterie, le calendrier des projets forestiers doit en général être rallongé, et doit inclure dès le départ l'idée d'une seconde phase ou d'une quelconque phase de suivi.

Le choix de personnes compétentes comme conseillers techniques principaux (CTP) des projets forestiers de la FAO est la clé même de leur succès. Tout d'abord, ces conseillers doivent avoir au minimum de 10 à
15 ans d'expérience du terrain, pour posséder les bases nécessaires. D'autre part, on n'a nul besoin de "petits génies" ni de "grands savants"; ce qu'il faut ce sont des professionnels normaux, responsables, ayant les capacités et l'engagement voulus. Ils doivent savoir bien "vendre" leurs idées et en même temps être capables de respecter les experts de contrepartie dans les pays et d'enrichir leurs connaissances à leur contact.

Parmi la vaste gamme des besoins d'assistance technique, la motivation et le renforcement des capacités sont primordiaux et l'emportent sur toute autre assistance technique. Comme le dit la parabole: "Si en mer tu rencontres un homme affamé, ne lui donne pas un poisson, mais apprends-lui à pêcher"; rien n'est plus vrai. D'une manière générale, la FAO a su mettre en ouvre efficacement, surtout durant les premières années, des projets forestiers visant à créer des établissements d'éducation, en particulier au plus haut niveau. Il semblerait néanmoins qu'il y ait encore beaucoup à faire dans ce domaine et surtout dans celui de la constitution d'une capacité au niveau du personnel technique. La clé du succès passe par la production et la diffusion de guides et de manuels pratiques clairs. Citons l'exemple de la collaboration entreprise avec l'Instituto Forestal de Chile. J'estime en outre que le Département des forêts devrait continuer à appuyer fermement les projets de foresterie communautaire et de développement communautaire local dont le but premier est l'amélioration des conditions de vie des populations.


Gumersindo Borgo,, de nationalité mexicaine, est entré à la FAO en 1965 et a pris sa retraite en 1986, après avoir été Conseiller technique principal ou expert dans des projets en Colombie, en Argentine, au Nicaragua, au Paraguay, en Bolivie, au Costa Rica et au Pérou, et avoir travaillé au siège de la FAO.

Top of Page


Michel Khouzami


Les pays du Proche-Orient doivent être appuyés dans leurs efforts de développement forestier par une assistance technique extérieure. Pour être véritablement efficace, cette assistance doit être intelligente, complémentaire et limitée dans le temps. L'assistance intelligente est celle qui vise, avant tout, à définir les vraies contraintes qui entravent le développement forestier national, puis à trouver des solutions appropriées. Pour cela, il faut une participation active des homologues nationaux, à la conceptualisation, comme à l'exécution. Certains donateurs ont imposé des mesures et des objectifs sans tenir compte de la réalité sociopolitique du pays bénéficiaire, causant ainsi davantage de problèmes qu'ils n'en ont résolus.

Pour avoir un effet durable, l'assistance internationale doit être complémentaire des efforts nationaux. Cela signifie que l'exécution des projets incombera aux experts nationaux, même s'ils n'ont pas les meilleures qualifications techniques. Le rôle de l'expert extérieur est de seconder le personnel national non de se substituer à lui.

Pour finir, l'assistance doit être limitée dans le temps - limitée au temps nécessaire à la constitution des capacités nationales requises pour poursuivre le travail commencé. A cet égard, la constitution d'une capacité nationale est l'aide la plus précieuse et la plus utile qu'un donateur ou une organisation puissent offrir à un pays bénéficiaire. Parmi les projets les plus valables ayant reçu l'aide de la FAO et du PNUD au Proche-Orient depuis une cinquantaine d'années, citons l'Ecole forestière de Salé au Maroc et l'Ecole forestière de Bouka en Syrie. Ces deux instituts, l'un national, l'autre régional, sont responsables de la formation des ingénieurs et techniciens forestiers de tous les pays de la région.


Michel Khouzami,, de nationalité libanaise, a été forestier au Bureau régional de la FAO pour l'Afrique du Nord et le Proche-Orient de 1978 à 1989, puis Secrétaire général associé du 10e Congrès forestier mondial de 1990 à 1993. Il est actuellement consultant forestier indépendant, attaché au Ministère de l'agriculture du Liban, à Beyrouth.


Previous Page Top of Page Next Page