1. Alimentation, agriculture et sécurité alimentaire: évolution depuis la Conférence mondiale de l'alimentation et perspectives

Ce document technique retrace brièvement l’évolution de l’alimentation, de l’agriculture et de la sécurité alimentaire dans le monde, du début des années 60 jusqu’à nos jours, en se référant tout particulièrement aux faits survenus après la Conférence mondiale de l’alimentation de 1974. Il décrit aussi leur évolution possible jusqu’en 2010, telle qu’elle ressort de l’étude de la FAO intitulée Agriculture mondiale: Horizon 2010 (WAT2010).

Le principal indicateur généralement disponible pour suivre l’évolution de la sécurité alimentaire mondiale est représenté par la consommation alimentaire par habitant, mesurée à l’échelle nationale par les disponibilités énergétiques alimentaires moyennes (DEA) exprimées en Calories et figurant dans les bilans des disponibilités alimentaires et les données démographiques. Cet indicateur permet de suivre dans l’espace et dans le temps l’évolution, en moyennes nationales des disponibilités alimentaires. C’est sur la base de ce critère qu’a été établi le tableau 1 sur l’évolution de la sécurité alimentaire mondiale depuis la Conférence mondiale de l’alimentation et les projections à l’horizon 2010.

Il n’existe pas de données complètes internationalement comparables permettant de retracer l’évolution des conditions d’accès à la nourriture de personnes ou de groupes de population donnés à l’intérieur des pays. Si l’on s’en tient aux moyennes nationales, la population des pays en développement peut être regroupée comme le montre le tableau 2.

Pour interpréter ces données et en tirer des déductions concernant l’étendue de la malnutrition dans les pays, il est utile de recourir aux concepts définis ci-après. On définit une DEA moyenne seuil (compte tenu du sexe, de la distribution par âge et du poids corporel moyen) qui représente un niveau minimum de besoins énergétiques de personnes ayant une activité légère seulement. Ce niveau-seuil oscille entre 1 720 et 1 960 Calories/jour/personne selon le pays. On s’est servi des enquêtes sur les dépenses ou la consommation alimentaires des ménages pour obtenir indirectement des indices permettant d’estimer le degré d’inégalité caractérisant la distribution des approvisionnements alimentaires disponibles à l’intérieur des pays. Il a été possible d’en déduire la proportion approximative de la population dont l’accès à la nourriture est inférieur au seuil nutritionnel donné. Il apparaît que, pour des pays dont la DEA moyenne est proche du seuil, la plupart des personnes sont sous-alimentées; or, l’expérience montre que pour les pays ayant une DEA voisine d’un niveau de 2 700 Calories, par exemple, la proportion de personnes sous-alimentées est faible, sauf pour cas d’extrêmes inégalités. Par voie de conséquence, et cela constitue l’information la plus proche du concept d’accès à la nourriture, la population des pays en développement se situant au-dessous du seuil respectif a été estimée comme le montre le tableau 3.

 

 

Tableau 1

DISPONIBILITÉS ÉNERGÉTIQUES ALIMENTAIRES MOYENNES PAR HABITANT

Pays1969-19711990-19922010
 (Calories/habitant/jour)
Monde 2 4402 7202 900
Pays développés3 1903 3503 390
Pays en développement2 1402 5202 770

 

Tableau 2

POPULATION VIVANT DANS DES PAYS REGROUPÉS PAR DEA MOYENNE PAR HABITANT

Groupe de pays
(DES moyenne/habitant)
1969-19711990-19922010
 

(millions)

< 2 100 Calories1 747411 286
2 100 à 2 5006441 537736
2 500 à 2 700 76 3381 933
> 2 700 Calories145 1 8212 738

 

Tableau 3

POPULATION SOUS-ALIMENTÉE

Population dont l'accès
à la nourriture est inférieur
au seuil nutritionnel
1969-1971 1990-19922010
Habitants (millions)920 840680
Pourcentage du total352012

 

Pour plusieurs pays en développement, les années 70 ont été une décennie d’amélioration plus rapide que les années 60. Les progrès sont restés rapides jusque vers le milieu des années 80, puis se sont ralentis. Toutefois, plusieurs pays et des régions entières n’ont fait aucun progrès ou ont même enregistré des reculs, et tout spécialement beaucoup de pays africains; quant à l’Asie du Sud, elle n’a réalisé que de maigres progrès dans les années 70, mais des progrès plus importants dans les années 80.

La dépendance des pays en développement à l’égard des importations alimentaires provenant des pays développés a fortement augmenté dans les années 70, et leur autosuffisance a fléchi. Cette tendance s’est considérablement atténuée au cours de la décennie suivante. Les pays développés de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pris dans leur ensemble ont sans difficulté accru leur production de céréales pour satisfaire la demande croissante d’importations des pays en développement, ainsi que celle des pays à économie autrefois planifiée d’Europe de l’Est et de l’ex-Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Dans la première moitié des années 90, par contre, la production mondiale de céréales s’est tassée, l’équilibre de l’offre et de la demande sur les marchés mondiaux s’est fait plus précaire, les cours ont monté et les stocks ont baissé. Cette récente évolution de la situation a été due à des reculs temporaires de la production des pays à économie anciennement planifiée pendant la transition économique, à des perturbations météorologiques et à des réformes fondamentales entreprises dans les principaux pays développés exportateurs pour réduire des excédents structurels et les stocks détenus par l’Etat.

Il est probable que la croissance de l’agriculture mondiale sera désormais plus lente qu’elle ne l’a été au cours des précédentes décennies, mais elle ne devrait pas l’être autant que dans cette première moitié des années 90. Ce ralentissement est imputable à un fléchissement de la croissance de la demande alimentaire mondiale, qui s’explique par des développements à la fois positifs et négatifs survenus dans les secteurs mondiaux de l’alimentation et de l’agriculture. Parmi les développements positifs, on peut citer le ralentissement de la croissance de la population mondiale et le fait que, dans beaucoup de pays où les niveaux de consommation alimentaire par habitant sont relativement élevés, la possibilité d’ultérieurs accroissements de cette variable est plus restreinte que par le passé. Les développements négatifs concernent la croissance totalement insuffisante des revenus par habitant et la persistance d’une grave pauvreté dans nombre de pays à niveau nutritionnel très bas.

Il s’ensuit que, dans de nombreux pays en développement, les disponibilités alimentaires par habitant risquent de rester à des niveaux résolument trop bas pour que des progrès nutritionnels appréciables puissent être réalisés, même si pour l’ensemble des pays en développement le niveau moyen peut augmenter encore, pour avoisiner les 2 800 Calories par jour d’ici à 2010. Compte tenu des circonstances et de la croissance démographique, le nombre des personnes ainsi sous-alimentées pourrait ne diminuer que dans une proportion insuffisante, soit de 840 millions actuellement à 680 millions peut-être, ce qui représenterait pourtant une baisse appréciable par rapport à la population totale.

La dépendance des pays en développement à l’égard des importations alimentaires continuera probablement de croître et les importations nettes de céréales pourraient, en 2010, dépasser 160 millions de tonnes. Les principaux pays développés exportateurs n’auront probablement pas de grandes difficultés à atteindre ce niveau d’exportations nettes. Les pays à économie anciennement planifiée pourraient apporter leur contribution à ce résultat possible parce que, grâce à leur transition d’abord, ils seront des importateurs nets beaucoup moins importants et parce que, plus tard, ils deviendront des exportateurs nets. Toutefois, si la capacité du monde dans son ensemble à accroître la production alimentaire de manière à compenser la croissance de la demande solvable ne suscite pas de préoccupation excessive, les difficultés que connaissent différents pays à accroître leur production resteront, en revanche, un obstacle important aux perspectives de progrès vers la sécurité alimentaire. C’est le cas en particulier des pays à faible revenu fortement tributaires de leur propre agriculture pour leurs approvisionnements alimentaires, leurs revenus et leur emploi, et qui n’ont pas de moyens suffisants pour importer des vivres. Sans oublier, bien sûr, les contraintes bien connues qui freinent la production des pêches de capture, autre exemple de la manière dont les perspectives d’améliorer la sécurité alimentaire pourraient se heurter à des limitations venant du côté de la production.

Quand on examine le rôle que les perspectives de production jouent, en tant que facteurs clés, dans la problématique de la sécurité alimentaire, la question de la durabilité revêt une importance particulière. L’histoire montre que l’expansion et l’intensification de l’agriculture se sont souvent accompagnées d’une accumulation de pressions qui ont entraîné la dégradation des ressources et exercé un impact néfaste sur l’environnement au sens plus large. De telles pressions ne pourront que s’accentuer et un des problèmes essentiels qui se posera sera celui de savoir comment réduire au minimum les dommages infligés aux ressources, à l’environnement et à la durabilité de l’agriculture. Cette question est particulièrement importante pour les pays à faible revenu où l’exploitation des ressources agricoles constitue le pilier de l’économie et où la dégradation des ressources est une menace à la fois pour la sécurité alimentaire et pour le bien-être économique en général. C’est dans ces mêmes pays, d’ailleurs, que la pauvreté persistante et de nouveaux accroissements de la population vivant de l’agriculture accentuent les pressions responsables de cette dégradation et de ce manque de durabilité.

La conclusion générale est que, sans des modifications délibérées du cours normal des événements, nombre des problèmes de sécurité alimentaire qui se posent aujourd’hui persisteront et que certains empireront. Il n’en sera toutefois pas ainsi si des mesures sont prises dès aujourd’hui pour promouvoir le développement agricole et une croissance propre à combattre la pauvreté, ainsi que pour lancer l’agriculture dans une voie plus durable.

 


2. Sécurité alimentaire: exemples de réussite

Ce document illustre l’expérience de divers pays en matière d’amélioration de la sécurité alimentaire. Chaque monographie résume les principaux problèmes de sécurité alimentaire du pays considéré et analyse brièvement les diverses approches adoptées pour les résoudre. La plupart des pays étudiés ont réussi à améliorer sensiblement et durablement les disponibilités alimentaires nationales et la sécurité alimentaire des ménages depuis le début des années 60. Quelques autres ont été choisis pour illustrer les résultats obtenus pour certains aspects de la sécurité alimentaire, même si la situation générale des disponibilités alimentaires moyennes ou de la sécurité alimentaire des ménages n’a guère progressé. On rend compte enfin d’un effort international qui a permis de prévenir une grave crise de sécurité alimentaire en Afrique australe, il illustre parfaitement la nature des actions qui peuvent éviter une famine généralisée après une catastrophe naturelle.

Le Comité de la sécurité alimentaire mondiale de la FAO a défini comme suit son objectif «assurer à tous en tout temps l’accès matériel et économique aux aliments de base dont ils ont besoin». A cette fin, il a été reconnu que trois conditions devaient être garanties: des approvisionnements ou des disponibilités alimentaires suffisantes; la stabilité des disponibilités alimentaires; et l’accès des ménages, notamment pauvres, aux vivres. En 1992, la Conférence nationale sur la nutrition y a ajouté une dimension nutritionnelle, en déclarant que l’on devait «permettre à tous d’accéder à tout moment aux aliments salubres et nutritifs dont ils ont besoin pour mener une vie saine et active».

S’il était possible de distinguer les effets de l’hygiène du milieu, de la santé et des soins de ceux de la sécurité alimentaire, les indicateurs de l’état nutritionnel représenteraient le moyen le plus direct de mesurer le degré de sécurité alimentaire au niveau individuel. Cependant, comme on dispose de données extrêmement limitées sur ce phénomène, les disponibilités alimentaires par habitant (appelées disponibilités énergétiques alimentaires, ou DEA) et des mesures basées sur une estimation FAO de la prévalence de la sous-alimentation chronique, sont utilisées comme principaux indicateurs de la sécurité ou de l’insécurité alimentaire dans ce document.

Le Burkina Faso a compris à quel point il était vulnérable au lendemain de la vague de sécheresse qui a sévi au Sahel, de la fin des années 60 jusqu’au milieu des années 70. Depuis, une combinaison de mesures – politiques macroéconomiques (restructuration des finances publiques), mesures de conservation des sols et de collecte de l’eau, colonisation de nouvelles terres, création et transfert de revenus au niveau des ménages – ont réussi à réduire l’insécurité alimentaire et à promouvoir le bien-être humain. En effet, bien que les DEA et la production alimentaire aient considérablement varié au fil des années, la sécurité alimentaire des ménages dans le pays s’est grandement améliorée depuis le début des années 90.

La Chine suscite une grande admiration car elle parvient à nourrir plus d’un cinquième de la population mondiale avec seulement un quinzième des terres arables existant dans le monde. Partie d’un niveau de 1 500 Calories au début des années 60, elle a réussi à porter les DEA moyennes à plus de 2 700 Calories au début des années 90, presque exclusivement grâce à des augmentations de la production intérieure. L’expérience de ce pays, en particulier les réformes introduites après 1978, démontre l’importance des incitations et d’un cadre institutionnel propre à maximiser les effets des infrastructures agricoles, mais aussi des efforts de recherche et de diffusion de nouvelles technologies.

Le Costa Rica a régulièrement amélioré sa sécurité alimentaire tout au long des 30 dernières années. Ce succès s’explique en partie par la priorité donnée à la lutte contre la pauvreté. Bien qu’il ait fallu, pour des raisons d’ordre macroéconomique, ajuster les politiques de façon à réduire la production de quelques cultures traditionnelles, la réorientation vers une croissance tirée par les exportations a permis de financer des importations alimentaires, d’òu l’amélioration des DEA moyennes, qui sont actuellement proches de 3 000 calories.

En Equateur, où les principaux indicateurs de la sécurité alimentaire témoignent d’une nette amélioration au cours des trois dernières décennies, la production et les disponibilités alimentaires par habitant ont évolué de façon cyclique, parallèlement aux indicateurs et aux politiques macroéconomiques. Les politiques macroéconomiques et sectorielles ont eu un impact particulièrement prononcé sur les disponibilités alimentaires par habitant, celles-ci ayant diminué sous l’effet des déséquilibres macroéconomiques avant les années 80 pour remonter ensuite avec la mise en œuvre des politiques de stabilisation et d’ajustement structurel.

L’Inde est considérée un pays à faible revenu, avec un produit national brut (PNB) de quelque 300 dollars EU par habitant. Elle a connu une croissance économique d’environ 5,2 pour cent par an depuis le début des années 80, taux supérieur de trois points à celui de la croissance démographique moyenne au cours de la même période. Malgré une grande variabilité des disponibilités alimentaires depuis les années 60, la détermination dont l’Inde a fait preuve pour développer sa production alimentaire, réduire sa dépendance à l’égard de l’aide et améliorer la sécurité alimentaire des ménages pendant toute cette période, lui a permis d’obtenir des résultats assez satisfaisants. Actuellement, les DEA sont de 2 400 Calories seulement. La prévalence de la pauvreté reste toutefois élevée, bien qu’en diminution, en valeur absolue et en pourcentage. Le large recours à des mesures ciblées de lutte contre la pauvreté a réduit la vulnérabilité aux famines et préservé un niveau de sécurité alimentaire minimum, même dans bon nombre des zones les plus pauvres du pays.

L’Indonésie, qui a bénéficié d’une expansion économique soutenue pendant les deux dernières décennies, suit une politique délibérée d’autosuffisance en riz (principal aliment de base du pays) depuis la fin des années 60.

Cette politique a porté ses fruits du point de vue de la sécurité alimentaire, puisque les DEA qui frôlaient les 2 000 Calories à cette époque sont passées à 2 700 au début des années 90, et le degré de sécurité alimentaire des ménages a sensiblement progressé. Ce succès s’explique en partie par l’approche globale adoptée par le gouvernement en matière de politiques agricoles: les interventions commerciales ont été complétées par des activités de recherche et de vulgarisation, pour la fourniture de variétés de riz à haut rendement et d’intrants modernes.

Le Mozambique, à environ une décennie de la libéralisation économique et quatre ans seulement après être sorti de la guerre civile qui l’a dévasté, reste l’un des pays les plus pauvres du monde. La faim est une dure réalité pour un grand nombre de ménages. Mais cela ne devrait pas masquer les progrès prometteurs réalisés ces dernières années sur la voie d’une sécurité alimentaire durable, visibles à plusieurs facteurs: augmentation des DEA malgré de brusques diminutions spectaculaires de l’aide alimentaire; baisse et stabilité accrue des prix de l’aliment de base principal produit dans le pays, qui est le maïs blanc; et existence d’un système d’approvisionnement alimentaire qui fournit maintenant aux consommateurs un choix beaucoup plus vaste d’aliments de base bon marché.

En Thaïlande, la stabilité économique, la stratégie de développement tournée vers l’extérieur, et l’instruction primaire pour tous sont parmi les facteurs qui ont permis à l économie de croître à un rythme d’environ 7 pour cent par an sur trois décennies. La production alimentaire a progressé au même rythme que l’ensemble de l’économie, mais les DEA et la sécurité alimentaire des ménages ne se sont pas améliorées dans les mêmes proportions. En effet, les DEA se sont maintenues à un niveau légerement supérieur à 2 000 Calories jusqu’à la fin des années 80, mais n’avaient pas encore atteint 2 500 Calories au début des années 90. L’accroissement de la production a dérivé principalement d’une expansion considérable des terres cultivées. Il reste à accomplir des efforts importants dans les domaines de l’intensification des cultures, de la maîtrise des risques écologiques et de l’amélioration de la distribution, en vue de réduire la pauvreté rurale, et de progresser vers une sécurité alimentaire durable.

En Tunisie, la sécurité alimentaire s’améliore rapidement depuis le début des années 60, grâce à un contexte économique et social sain, fortement influencé par l’action des pouvoirs publics. L’augmentation des DEA, passées d’environ 2 000 Calories à un niveau proche de 3 500 Calories aujourd’hui, a principalement été obtenue grâce à des importations alimentaires, en raison des sérieuses contraintes naturelles qui limitent la production agricole. D’importants dispositifs de protection sociale, au niveau des ménages, ont permis de traduire l’accroissement des disponibilités alimentaires en une amélioration de la sécurité alimentaire pour une grande partie de la population.

La Turquie est l’un des pays présentés dans ce document qui a maintenu des disponibilités et une sécurité alimentaires relativement élevées pendant toute la période considérée. Une grande partie des résultats ont été obtenus avant les années 60, grâce à une intervention massive des pouvoirs publics sur les principaux marchés agricoles. Actuellement , les problèmes de sécurité alimentaire se posent plus du niveau de l’équilibre nutritionnel des régimes alimentaires que de celui des disponibilités. Malgré des efforts accrus de libéralisation des marchés agricoles, le désengagement des pouvoirs publics reste problématique, ce qui grève lourdement le budget de l’Etat et exerce une pression considérable sur le niveau général des prix.

Le Zimbabwe n’a pas enregistré d’amélioration sensible des disponibilités alimentaires moyennes ou de la sécurité alimentaire des ménages au cours des trois décennies passées, ce qui le classe parmi les nations encore vulnérables. La productivité du secteur alimentaire a baissé depuis le début des années 70 et en particulier dans les années 80. Plus récemment, une restructuration des circuits de commercialisation du maïs, qui est la principale culture vivrière, ont éliminé certaines entraves commerciales, ce qui a fait baisser les prix à la consommation de la culture vivrière de base et a entraîné une amélioration sensible de la sécurité alimentaire des groupes les plus vulnérables.

L’Afrique australe a été périodiquement dévastée par des sécheresses, les plus récentes ayant sévi en 1991/92 et en 1994/95. Celle de 1991/92, notamment, qui a décimé la production agricole de la sous-région et imposé un niveau d’importations sans précédent restera probablement dans les mémoires comme la pire en plusieurs décennies. Durant cette calamité, la production des cultures vivrières de la sous-région est tombée à moins de 50 pour cent de la normale. Le déficit céréalier a plus que doublé et quelque 18 millions de personnes ont été confrontées au spectre de la famine. Grâce à un système d’alerte rapide efficace, à une coordination régionale rapide et à un soutien international adéquat, les secours ont atteint leurs objectifs, en évitant des pénuries alimentaires et une famine généralisées.

Ces études de cas montrent l’influence déterminante des politiques sur les processus économiques et sociaux qui, en fin de compte, conditionnent le degré de sécurité alimentaire des populations, quel que soit le pays considéré. Là où elles ont été mises en œuvre, les mesures d’aide directe, aux groupes vulnérables ont donné la preuve de leur efficacité, mais les multiples objectifs politiques poursuivis dans chaque contexte doivent être politiquement, socialement et économiquement réalisables. Pour la plupart des pays étudiés, les années 80 ont été une période de fortes contraintes financières et économiques. Dans les pays qui ont réduit les mesures de protection du secteur agricole et alimentaire, la transition a été douloureuse durant les phases initiales et l’insécurité alimentaire s’est accrue. Pour appropriée que soit la politique adoptée, la mise en place de mesures de protection sociale pour les groupes vulnérables en période de crise économique reste un élément indispensable de la lutte contre la faim.

 


3. Cadre sociopolitique et économique pour la sécurité alimentaire

Un grand nombre d’éléments qui affectent la sécurité alimentaire ont changé au cours des deux décennies qui ont suivi la Conférence mondiale sur l’alimentation de 1974. Le plus important est sans doute l’avènement de l’économie mondiale. Mais d’autres faits nouveaux ont contribué tout autant à redessiner l’histoire, à savoir: l’effondrement de la planification centralisée en Europe centrale et orientale et dans l’ex-Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) et la transition vers une économie libérale qui en a découlé; l’effort de désarmement et de non-prolifération des armes; la croissance économique rapide en Chine et dans d’autres pays d’Asie de l’Est; et la conclusion des guerres civiles dans des pays comme l’Angola, le Mozambique, le Cambodge, El Salvador et le Nicaragua.

Ces dernières années, on a également assisté à une recrudescence des conflits ethniques, parfois associés à un nationalisme longtemps dissimulé, par exemple en Tchétchénie, dans l’ex-Yougoslavie, au Rwanda et en Somalie. De fait, si la plupart des conflits actuels opposent les habitants d’un même pays et non des pays différents, ils n’en compromettent pas moins la sécurité alimentaire. La consommation de drogues et les activités criminelles et la corruption qui accompagnent son trafic deviennent un des problèmes majeurs de la société contemporaine qui entrave la sécurité alimentaire aux niveaux individuel et collectif.

Quelques idées proposées à la Conférence de 1974 restent valables, et des questions comme la croissance démographique, la santé, l’urbanisation et la pauvreté doivent encore être traitées comme il convient. En outre, on accorde aujourd’hui une plus grande place aux problèmes environnementaux, tels que le déboisement, la qualité de l’eau et de l’air, les changements climatiques et la surpêche, ainsi qu’à leur relation avec la sécurité alimentaire.

Avec les crises du pétrole de 1973 et de 1979 et les crises de la dette des années 80, les responsables politiques ont été confrontés à la réalité de l’interdépendance planétaire. Le problème de la dette, qui n’est pas encore résolu malgré les nombreux allégements et réductions, a des effets délétères sur la sécurité alimentaire. Les paiements au titre du service de la dette réduisent la capacité d’importer des aliments, ainsi que des articles qui pourraient accroître la production et la consommation alimentaires intérieures, et limitent les ressources consacrées au développement et au bien-être social. Les remèdes le plus souvent préconisés étaient la stabilisation macroéconomique, la mise en oeuvre de réformes structurelles (libéralisation et privatisation) et une priorité accrue aux échanges internationaux. Un ensemble de mesures ont été employées, notamment: réforme des taux de change, privatisation des entreprises publiques, réduction du budget de la fonction publique et de l’ensemble des dépenses publiques, réduction de l’inflation et diminution des subventions.

Dans le processus d’ajustement, les stratégies d’industrialisation introvertie des années 60 et 70 ont été remplacées par des approches plus ouvertes sur l’extérieur. Une approche orientée sur le marché a remplacé les stratégies de développement tournées vers une participation gouvernementale directe aux affaires commerciales et économiques, et les subventions sélectives ont remplacé les subventions généralisées. Sous l’effet de ces changements structurels, les prix des produits agricoles tendent à augmenter, ce qui avantage les producteurs commerciaux et les paysans qui ont un accès bien défini à la terre, mais nuit aux salariés ruraux et urbains qui sont généralement des acheteurs nets de produits agricoles. La libéralisation des marchés et l’ajustement macroéconomique peuvent créer dans leur phase initiale un chômage et une pauvreté sectoriels, si des dispositifs de sauvegarde efficaces ne sont pas mis en place simultanément.

Dans le même temps, une nouvelle structure institutionnelle a été érigée pour le commerce. Les négociations du Cycle d’Uruguay de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), qui visaient à réduire le protectionnisme suivant un programme préétabli, ont été conclues, et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a été créée. On commençait aussi à constituer des organisations régionales du commerce. Les marchés financiers sont devenus pratiquement complètement intégrés et mondialisés. Tout cela a limité l’aptitude des pays à fixer eux-mêmes leurs politiques monétaires et budgétaires. Il est encore trop tôt pour évaluer pleinement l’importance de ce nouveau contexte économique plus libéral et intégré, pour la sécurité alimentaire mais, avec le temps, elle risque d’être notable.

L’assistance extérieure a diminué ces dernières années, et l’agriculture a été frappée de façon disproportionnée par cette réduction. En conséquence, en 1994, les engagements totaux dans le secteur agricole ont été inférieurs de 23 pour cent à ceux de 1990. Entre 1990 et 1993, les flux de capitaux extérieurs privés vers les pays en développement ont augmenté de façon spectaculaire, pour se stabiliser après la crise mexicaine; toutefois, comme ces capitaux sont concentrés sur un nombre limité de pays, on ne peut s’attendre à ce qu’ils compensent la réduction de l’aide publique aux pays à faible revenu. Par ailleurs, l’expérience montre le risque potentiel d’une dépendance excessive vis-à-vis de l’étranger, en cas d’instabilité des marchés financiers.

L’accentuation des déséquilibres démographiques et économiques entre les pays, et les événements politiques intervenus notamment au début des années 90, sont venus bouleverser les schémas internationaux de migration et de mobilité de la main-d’oeuvre. Outre les réfugiés, plus de 80 millions de personnes vivent actuellement hors de leur pays, et les migrations transfrontières ont atteint des niveaux sans précédent, pour des raisons politiques et économiques, tandis que l’exode rural au sein des frontières reste un problème grave dans beaucoup de pays. Les flux migratoires ont une incidence directe sur la sécurité alimentaire tant dans les pays d’origine que dans les zones d’accueil, ainsi que pour les migrants eux-mêmes. Les dépenses massives consacrées à la maîtrise et à la prise en charge des migrations pourraient être réduites si les efforts étaient dirigés davantage vers l’amélioration des conditions de vie et d’emploi de la population, dans le pays d’origine.

Pour qu’un cadre sociopolitique et économique puisse favoriser l’élimination de l’insécurité alimentaire et de la sous-alimentation ou, en d’autres termes, garantir des vivres pour tous:

En dernière analyse, la sécurité alimentaire de tout pays doit relever de la responsabilité et de l’autorité du gouvernement national collaborant avec les autorités locales et les groupements et les individus concernés. Une coordination et une liaison internationales sont nécessaires. La communauté et les organisations internationales peuvent être utiles, mais elles ne peuvent remplacer les actions concrètes et la volonté politique du pays lui-même de parvenir à la sécurité alimentaire.

 


4. Besoins alimentaires et croissance démographique

A la fin du deuxième millénaire, le monde va hériter d’une situation alimentaire très diversifiée. Le présent document met en évidence les contrastes entre régions et un certain nombre de problèmes par rapport aux tendances mondiales spécifiques. Il contient une analyse sur le long terme fondée sur le concept de besoins alimentaires, et se situe donc dans une perspective normative dans la mesure où la demande et la consommation réelles et projetées de produits alimentaires ne correspondent pas aux besoins, ou parfois les dépassent.

Après avoir connu un grave déficit vivrier jusqu’en 1962, l’Asie accroît régulièrement la proportion des besoins énergétiques de sa population couverte par les disponibilités alimentaires, et rattrape l’Amérique latine où, après une période d’amélioration du taux de couverture, on observe une certaine stabilisation. L’Afrique, en revanche, n’est pas parvenue à améliorer son bilan alimentaire moyen et dans certains pays, à savoir ceux qui consomment principalement du manioc, de l’igname ou du taro, la situation s’est gravement dégradée.

La croissance de la population mondiale devrait se stabiliser en 2050, mais au cours des décennies qui nous séparent encore de l’an 2050, elle supplantera tous les autres facteurs en tant que cause d’accroissement de la demande alimentaire mondiale. La production vivrière devrait dans l’ensemble se développer sous l’effet de cet accroissement de la demande, mais non sans mettre ultérieurement à l’épreuve les ressources agricoles, économiques et écologiques. Dans certaines parties de l’Afrique, la situation est particulièrement préoccupante. Toutefois, il existe des stratégies permettant de ralentir, surtout à long terme, cette future croissance démographique. Il s’agit notamment de programmes visant à relever le niveau d’éducation (particulièrement des femmes) et à améliorer l’accès à la planification familiale qui faciliteront par ailleurs la réalisation des objectifs de la production vivrière et de la sécurité alimentaire.

Les facteurs démographiques ont une incidence plus importante sur les besoins énergétiques que les modifications des régimes alimentaires mais si l’on veut illustrer le défi qu’ils représentent, selon les projections démographiques établies par les Nations Unies à l’horizon 2050, on peut évaluer les besoins énergétiques qui s’y rapportent et divers schémas plausibles concernant les régimes alimentaires. Ces scénarios sont présentés plus comme un outil de réflexion que comme des projections. Ils sont centrés sur les dimensions régionales des problèmes démographiques et sur certaines catégories de pays identifiés en fonction de leurs modes d’alimentation ce qui, pour les pays tributaires de l’agriculture, correspond plus ou moins aux zones agrométéorologiques.

La progression des besoins énergétiques des pays en développement jusqu’en 2050 (exprimés du point de vue de la quantité totale d’énergie d’origine végétale introduite dans l’alimentation humaine) est principalement due à la croissance démographique et dans une moindre mesure, à l’évolution de la structure par âges. Le vieillissement de la population et l’augmentation de la taille physique, conséquences d’une meilleure nutrition, sont des facteurs qui augmentent les besoins énergétiques, alors que la baisse de la fécondité et les progrès de l’urbanisation sont des facteurs qui diminuent les besoins énergétiques. En conséquence, les besoins énergétiques devraient, d’ici 2050, doubler dans les pays en développement (et plus que tripler dans l’Afrique subsaharienne).

De nombreux pays en développement devront, pour éliminer la sous-alimentation chronique, s’efforcer d’avoir des régimes alimentaires moyens plus nutritifs. Compte tenu, en partie, de la répartition inégale des disponibilités alimentaires parmi les populations vivant dans ces pays, ce processus pourrait requérir un accroissement de 30 pour cent des disponibilités énergétiques alimentaires en Afrique (mais de 40 pour cent dans l’Afrique subsaharienne), de 15 pour cent en Asie et de moins de 10 pour cent en Amérique latine.

Pour disposer d’un régime alimentaire convenablement équilibré, les gens devront diversifier leur ration alimentaire. Si l’on adopte un niveau de diversification semblable à celui que la FAO a projeté pour le monde en 2010, l’Afrique devrait améliorer de 25 pour cent supplémentaires (46 pour cent pour les pays consommant principalement des racines et des tubercules) son énergie d’origine végétale d’ici à l’an 2050. L’Asie devrait l’améliorer de 21 pour cent.

Compte tenu des effets conjugués de ces trois facteurs, les pays en développement devront accroître de 174 pour cent leur énergie d’origine végétale. Cela signifie que les pays de l’Amérique latine et de l’Asie devront approximativement doubler leur quantité d’énergie d’origine végétale. L’Afrique devra la quintupler (et les pays consommateurs de racines et tubercules devront la multiplier par sept).

Pour que l’Asie et l’Amérique latine arrivent à ce résultat, elles devront continuer d’accroître leurs disponibilités mais à un rythme inférieur à celui des 15 dernières années. L’Afrique, par contre, devra accélérer considérablement la croissance de sa productivité. La transition démographique de l’Afrique devrait faciliter le processus qui conduit à la réalisation de la sécurité alimentaire. Les disponibilités alimentaires d’origine végétale devraient augmenter de 2,6 pour cent par an selon la variante basse des projections démographiques des Nations Unies et de 3,3 pour cent selon la variante haute.

Là où la terre et l’eau se font rares, les augmentations de rendement résulteront pour l’essentiel d’une amélioration de la productivité rendue possible par le développement des capacités humaines. Grâce au niveau d’éducation déjà atteint, beaucoup de pays d’Asie semblent bien préparés à ce changement de nature du développement. En revanche, les ressources humaines et les infrastructures économiques moins avancées de l’Afrique constitueront un grave handicap. Pour se donner les moyens de résoudre son problème de sécurité alimentaire à long terme, l’Afrique doit améliorer ses ressources humaines et son infrastructure tout en faisant face, en même temps, à une très difficile situation alimentaire.

Le recul de la pauvreté et l’éradication de la sous-alimentation, surtout présentes en milieu rural parmi les producteurs vivriers, augmenteront la demande de produits alimentaires. Une grande partie de cette demande sera satisfaite par des importations, notamment de céréales, en particulier dans le cas de l’Asie. La satisfaction de cette demande, et des besoins d’intrants et d’infrastructure qui lui sont associés, engendrera une intensification de l’activité économique mondiale. Cette intensification devra s’effectuer dans des conditions durables.

 


5. Sécurité alimentaire et nutrition

Parvenir à une meilleure nutrition représente une nécessité absolue pour des centaines de millions de personnes à travers le monde: celles qui souffrent de façon persistante de la faim et de la malnutrition, mais aussi celles qui risquent de connaître un jour le même sort. Il est aujourd’hui admis de façon générale que la faim et la malnutrition sont la conséquence d’un ensemble complexe de causes, dont certaines parmi les plus importantes sont liées à l’alimentation et à l’agriculture, mais également aux connaissances et au comportement des populations. Toutes ces causes peuvent être influencées de façon marquée par les politiques mises en œuvre. L’objet du présent document est d’examiner les liens qui existent entre la sécurité alimentaire, l’agriculture et la nutrition et d’esquisser des politiques d’amélioration de la nutrition offrant des perspectives crédibles de progrès rapides et durables.

On peut considérer la malnutrition selon trois perspectives différentes: le déni d’un droit humain fondamental; le symptôme de problèmes plus larges liés à la pauvreté et au sous-développement; enfin l’une des causes de ces problèmes liés à la pauvreté et au sous-développement. De puissants arguments militent en faveur de chacune de ces trois perspectives, et lorsqu’on en vient à considérer des mesures spécifiques, ces trois approches sont indéniablement complémentaires.

Il est nécessaire, si l’on veut élaborer des politiques efficaces, de parvenir à bien comprendre les liens entre la sécurité alimentaire, l’agriculture et la nutrition, de même que tous les déterminants du bien-être nutritionnel.

Les difficultés rencontrées dans l’établissement de définitions et d’instruments de mesure, de même que l’insuffisance de données recueillies empêchent le décompte exact du nombre de ménages et de personnes souffrant de malnutrition. Il est toutefois important, lorsqu’on cherche à brosser un tableau suffisamment précis des principaux problèmes liés à la nutrition, de souligner les éléments suivants:

Il est nécessaire, avant de pouvoir mettre en œuvre des mesures durables visant à améliorer la nutrition, de répondre à un certain nombre de conditions préalables, car les mesures concrètes de lutte contre les problèmes nutritionnels d’un pays varient en fonction de la situation. Ces conditions préalables auxquelles il n’est souvent pas répondu, portent notamment sur:

Dans la conclusion, le document fait fond sur les engagements internationaux déjà pris et sur les initiatives en cours en matière d’amélioration nutritionnelle, pour proposer un ensemble de priorités:

Tout examen du coût des campagnes d’amélioration nutritionnelle doit également tenir compte des avantages qui seraient perdus si l’on renonçait à agir. La seule prise en compte des dépenses, au détriment des avantages obtenus, ne peut qu’induire en erreur. Lorsqu’on étudie les coûts de l’amélioration de la nutrition, il convient de se fixer comme principe l’obtention rapide et durable des objectifs nutritionnels définis grâce à une panoplie des mesures garantissant le meilleur rendement.

Pour que des mesures appropriées soient adoptées, avec un soutien international durable, il faut que soient mises en relief l’urgence et l’importance de la situation en matière de sécurité alimentaire et nutritionnelle. On devra également disposer d’une capacité d’organisation permettant de suivre l’évolution de la situation et d’évaluer l’incidence des politiques et des programmes nutritionnels.

Il est impératif que les organisations gouvernementales, en particulier les ministères, ainsi que tous les intérêts non gouvernementaux qui participent aux activités d’amélioration de la nutrition, soient bien coordonnées au niveau national. Les organisations internationales peuvent aider à cette coordination, mais il manque souvent un cadre clairement défini. Il importe donc d’élaborer des stratégies nationales mobilisant l’ensemble des intéressés dans le secteur de l’alimentation et de l’agriculture, de manière à veiller à ce que les mesures visant à assurer la sécurité alimentaire et à améliorer la nutrition convergent dans leurs effets, et de façon durable. Les progrès accomplis dans la mise en œuvre de ces stratégies seront plus rapides, si tous les efforts visant à améliorer la nutrition sont coordonnés par une structure légère et tournée vers la solution des problèmes. Il faut bien admettre à cet égard que le fait de garantir à tous, à tout moment, une nutrition améliorée et suffisante dépend essentiellement des différents acteurs du secteur non gouvernemental, en particulier des producteurs de denrées alimentaires.

Les initiatives internationales prises au cours des années précédentes en matière de sécurité alimentaire et de nutrition ont servi de tremplin aux mesures plus récentes. Cependant, le Sommet mondial de l’alimentation, qui pourra s’appuyer sur de nouvelles perceptions, mais aussi sur une nouvelle conjoncture planétaire et de nouvelles formes de coopération, offre l’occasion de poursuivre dans cette voie. La création, à l’échelle internationale, d’un système transparent et fiable permettant de mesurer les progrès accomplis à l’échelon national en matière de bien-être nutritionnel (par exemple de la réduction de la proportion et du nombre d’enfants en déficit pondéral et autres indicateurs pertinents présentés sous forme de carte géographique ou de toute autre façon) ne manquera pas de susciter une volonté politique pour l’adoption des mesures nécessaires.

Les comités nationaux responsables de la campagne lancée sur le thème «de la nourriture pour tous» seront parmi les mieux placés pour surveiller la situation alimentaire et nutritionnelle à l’échelle régionale et locale et pour promouvoir des mesures susceptibles de faire régresser la faim et la malnutrition. La suite donnée à des engagements internationaux pris antérieurement, à savoir le Sommet mondial pour l’enfance et la Conférence internationale sur la nutrition (CIN), représente un pas dans la bonne direction, et cette approche mérite d’être renforcée.

 


6. Les leçons de la révolution verte - vers une nouvelle révolution

La révolution verte, qui a commencé dans les années 60, est généralement considérée comme une réalisation technologique mondiale dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. L’introduction de variétés améliorées, l’irrigation, les pesticides et les engrais minéraux utilisés pour les principales cultures de base, joints à des investissements dans l’infrastructure institutionnelle et dans les programmes de recherche en cours, ont augmenté la production vivrière et la productivité sur une vaste échelle. Si en Asie les gains de productivité pour le riz et le blé ont été particulièrement importants, dans d’autres régions beaucoup d’agriculteurs ont obtenu aussi des améliorations durant les 30 dernières années. Mais, face à l’accroissement démographique constant et à la réduction des terres agricoles disponibles, nous restons confrontés au défi de continuer à augmenter la productivité et à donner aux pays les plus pauvres, souffrant d’insécurité alimentaire, les moyens nécessaires pour le faire.

Durant la révolution verte et jusqu’à nos jours, les sciences et les technologies ont eu un rôle capital pour parvenir à fournir les moyens nécessaires pour accroître la production vivrière. Aujourd’hui, dans le cadre d’un processus d’amélioration constante des connaissances, nous sommes également en mesure d’affronter une série de facteurs sociaux, économiques et environnementaux qui affectent le processus de production vivrière. L’expérience et les connaissances acquises durant ces 30 dernières années confirment la forte influence des forces du marché, des politiques des gouvernements et des courants sociaux et culturels sur les innovations technologiques. Ces considérations doivent être prises en compte si l’on veut que les progrès obtenus soient durables.

En fait, l’élargissement de la recherche à de plus nombreuses espèces végétales et animales, y compris aux systèmes de cultures, l’attention accrue à la lutte intégrée contre les ravageurs et à la nutrition des plantes, l’adoption d’approches écorégionales à la recherche afin de tenir compte des principales contraintes biologiques et physiques, sont déjà en cours.

En Afrique et en Amérique latine, l’accroissement de la production vivrière a été obtenu en partie par une expansion des terres cultivées, souvent jusque dans des zones marginales dont le potentiel de rendement durable est faible. Les incitations aux agriculteurs pour accroître la productivité ont été minimales, en raison de la faible productivité de la main-d’œuvre, du mauvais fonctionnement des marchés et de l’accès limité à la mécanisation et aux sources d’énergie.

Les instituts de recherche peuvent encore obtenir des accroissements sensibles des rendements par des outils de recherche traditionnels, de nouveaux outils sont à présent disponibles et beaucoup d’autres cultures et espèces animales peuvent encore être améliorées. Un objectif important, entre beaucoup d’autres, consiste à réduire l’écart entre les rendements produits lors des programmes de recherche et ceux que les agriculteurs obtiennent sur le terrain. On pourrait y parvenir en s’efforçant de trouver de nouveaux moyens de communiquer avec les agriculteurs, en rajeunissant les systèmes de vulgarisation, en menant des recherches qui associent plus activement la population et en dispensant une formation constante.

Le rôle des biotechnologies fait encore l’objet d’un débat international intense sur les questions d’éthique, d’innocuité et de droits de propriété intellectuelle. L’expérience montre qu’il faudra peut-être attendre encore 10 à 20 ans pour que les résultats des biotechnologies se fassent pleinement sentir sur le terrain, parmi les agriculteurs des pays en développement.

L’évolution continue de la nouvelle révolution verte sera centrée sur les caractéristiques suivantes:

Une question stratégique importante dont on débat encore aujourd’hui consiste à savoir comment aider au mieux les gens qui vivent dans des zones où il est impossible d’obtenir une production vivrière suffisante. Les modèles à suivre sont rares mais les besoins sont grands. Les considérations économiques et écologiques incitent à investir dans les terres où il est possible d’accroître au mieux la production durable. Mais les stratégies doivent permettre aussi d’améliorer les conditions de vie et le bien-être de l’homme dans les zones défavorisées.

Les stratégies incluent une priorité accrue à l’éducation et à la formation en cours d’emploi, une diversification de l’agriculture vers d’autres secteurs, des investissements dans la capacité de transformation et de commercialisation agricoles pour donner une valeur ajoutée aux produits qui peuvent être fabriqués, et des programmes spéciaux de soutien du gouvernement. Un réseau de transport national et régional amélioré peut faire partie des stratégies d’aide aux zones à faible potentiel en permettant d’acheminer des aliments vers les marchés en échange de biens ou de services produits dans ces régions. La plupart des options sont liées aux conditions politiques et culturelles et sont difficiles à mettre en œuvre, mais il faut essayer de nouvelles approches et trouver des solutions.

L’expérience montre que les sciences et les technologies sont essentielles mais qu’elles ne peuvent résoudre, à elles seules, les problèmes de sécurité alimentaire des pays en développement. Il faut tenir compte aussi des facteurs sociaux, économiques et institutionnels pour préserver ce qui a été accompli jusqu’à présent.

 


7. Production vivrière: le rôle déterminant de l'eau

Les ressources planétaires en eau douce facilement accessibles sont limitées. Comme il n’est pas possible d’en prélever la totalité, car une partie des eaux de surface doit être laissée dans les rivières pour préserver l’environnement, plus de la moitié des eaux de ruissellement accesssibles ont déjà leur emploi. Dans les régions arides et semi-arides, dans les pays très peuplés et dans la plupart des pays industriels, on se dispute maintenant ces rares ressources en eau. Dans les principales régions de production vivrière, l’eau d’irrigation se raréfie. Compte tenu des projections démographiques et économiques, on peut affirmer que les ressources en eau douce non encore affectées constituent un atout stratégique pour le développement, la sécurité alimentaire, la santé de l’environnement aquatique et, dans certains cas, la sécurité nationale.

L’eau est irremplaçable dans certaines de ses fonctions: boisson et abreuvement, hygiène, lavage, assainissement et utilisation urbaine, consommation industrielle et milieu où vivent poissons et organismes aquatiques. La production de biomasse, et notamment d’aliments, n’est possible que si le sol renferme suffisamment d’eau. Les techniques d’agriculture intensive qui ont permis d’accroître régulièrement la production vivrière mondiale, grâce à des variétés à haut rendement, à l’application d’engrais et à des moyens efficaces de lutte contre les ravageurs, font très souvent appel à l’irrigation pour assurer et réguler les réserves d’eau du sol si la pluviométrie est insuffisante ou erratique. Mais l’agriculture irriguée est grande consommatrice d’eau. Elle absorbe près de 70 pour cent des prises d’eau – plus de 90 pour cent dans les économies agricoles des zones arides et semi-arides, mais moins de 40 pour cent dans les économies industrielles des régions tempérées humides.

L’agriculture irriguée, beaucoup plus productive que l’agriculture pluviale, assure près de 40 pour cent de la production vivrière mondiale, sur 17 pour cent des terres cultivées. L’accroissement de la production qui permettra de satisfaire la demande alimentaire doit venir en grande partie de l’intensification de l’agriculture, et non pas de l’expansion des terres agricoles. Les agricultures pluviale et irriguée sont toutes deux appelées à s’intensifier, mais le potentiel d’intensification de la deuxième est beaucoup plus grand. D’après certains auteurs, 80 pour cent des gains de production vivrière proviendront de l’agriculture irriguée.

Cependant, au fur et à mesure que les besoins alimentaires augmentent, il devient de plus en plus difficile de fournir davantage d’eau aux agriculteurs. Compte tenu également des utilisations industrielles et urbaines, des pertes d’eau et du débit d’entrée nécessaire, les besoins globaux en eau en 2025 dépassent de quelque 5 pour cent l’ensemble des eaux de ruissellement accessibles. Les chiffres sur lesquels repose cette analyse (contribution respective de l’irrigation et de l’agriculture pluviale, quantité d’eau qu’il faut pour produire les aliments dont la population humaine a besoin, débit d’entrée nécessaire) peuvent être interprétés de diverses manières. Toutefois, il est certain que les exigences humaines seront bientôt incompatibles avec l’aptitude du cycle hydrologique à fournir de l’eau. A l’échelle planétaire, l’eau se raréfie. Les contraintes qui pèsent sur cette ressource essentielle auront des répercussions sur le coût des aliments.

Un tour d’horizon des disponibilités en eau et de la demande prévue dans le monde révèle les préoccupations propres à chaque région. Presque tous les pays dont le territoire est à prédominance aride, comme ceux du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord, sont déjà importateurs nets de produits alimentaires. Dans ces pays, on s’efforcera en priorité de ménager des quantités suffisantes d’eau pour les villes et pour une économie saine dans les secteurs de l’industrie et des services, afin de dégager les revenus nécessaires pour financer les importations de produits alimentaires. Etant donné que l’eau a d’autant plus de valeur qu’elle est rare, ces régions ne pourront pas accueillir d’industries grosses consommatrices d’eau. Dans les pays arides, le secteur agricole sera amené à recourir de plus en plus à l’eau usée des villes et à se spécialiser dans la production des cultures les plus rémunératrices telles que les légumes et les fruits frais. Dans ces pays, la sécurité alimentaire sera étroitement liée à la solidité de la position commerciale ancrée dans un contexte de stabilité et de sécurité collective régionales.

La quantité d’eau douce dont dispose aujourd’hui chaque personne par an dans les principaux pays d’Asie (Chine 2 300 m3, Inde 2 000 m3) est très proche de la quantité d’eau nécessaire à la production des aliments dont une personne a besoin chaque année (2 000 m3 pour un régime équilibré comprenant de la viande). Avec la croissance démographique et la diversification du régime alimentaire en Asie, coïncidant avec un amoindrissement des possibilités d’expansion de l’irrigation et de mise en valeur de l’eau et avec une concurrence intersectorielle de plus en plus vive, certains pays d’Asie ayant largement recours à l’irrigation pourraient même devenir importateurs nets de produits alimentaires. Etant donné que 60 pour cent de la population mondiale se trouve en Asie, cette évolution risque d’être lourde de conséquences pour les marchés mondiaux des denrées alimentaires. La puissance économique d’un certain nombre de pays d’Asie est largement reconnue, mais il ne faut pas perdre de vue qu’il reste de vastes îlots de pauvreté, en particulier en Asie du Sud.

L’Afrique, à l’exception du bassin central Congo-Zaïre, est le continent le plus aride (avec l’Australie) et a le régime pluvial le plus instable. Chaque année, un nombre toujours plus grand de personnes est menacé par les effets de sécheresses inévitables, d’ampleur variable. De surcroît, les ressources hydriques de l’Afrique ne sont pas aussi bien mises en valeur que celles d’autres régions. En Afrique subsaharienne, la productivité agricole par habitant n’a pas progressé aussi vite que la population et la situation nutritionnelle de la région est moins bonne aujourd’hui qu’il y a 30 ans: la production vivrière a progressé d’environ 2,5 pour cent par an, alors que la population a augmenté au rythme de plus de 3 pour cent l’an. De plus, l’aptitude de l’Afrique à dégager des recettes d’exportation pour acheter des aliments ne s’est pas améliorée. Auparavant, l’Afrique continuait à produire davantage d’aliments grâce à l’expansion des superficies cultivées, mais comme les bonnes terres encore disponibles se raréfient dans la région, elle devra intensifier les systèmes de production pour accroître les rendements. La mise en valeur des ressources en eau sous ses diverses formes, allant de la récolte de l’eau à l’irrigation moderne par canalisation, est appelée à jouer un rôle de premier plan dans la transformation de l’efficacité et de la sécurité des approvisionnements alimentaires en Afrique.

En tant que continent, l’Amérique latine dispose de bonnes réserves d’eau, malgré des différences considérables d’une région à l’autre. Les problèmes hydriques en Amérique latine tiennent essentiellement à la faible efficacité de l’utilisation de l’eau, de la gestion des ressources, et de la maîtrise de la pollution et à la dégradation de l’environnement.

L’intensification de la demande d’eau va stimuler les efforts de mise en valeur de nouvelles sources d’eau et d’utilisation efficace des disponibilités existantes. Il est techniquement possible, mais coûteux d’accroître les disponibilités en eau, car les projets les plus intéressants sont déjà réalisés. La prochaine génération de réservoirs d’irrigation et d’infrastructures d’adduction d’eau, avec sa gestion plus serrée des «effets externes» du passé (traitement équitable des personnes, comptabilisation des dégâts infligés à l’environnement et amortissement de l’ensemble des investissements) coûte, d’après les indications, plusieurs fois le prix des structures de la génération précédente. Les technologies de dessalage de l’eau de mer ont fait d’extraordinaires progrès, mais le prix du blé produit avec de l’eau dessalée serait encore cinq fois plus élevé que les cours moyens mondiaux du marché. Il existe diverses méthodes éprouvées de récolte des eaux de pluie qui sont prometteuses, en ce sens qu’elles permettront d’accroître les disponibilités à un faible coût. La remise en état et la protection de la partie supérieure des bassins versants, nécessaires à de nombreux titres, donnent également un régime hydrologique plus équilibré et réduisent l’accumulation de sédiments dans les réservoirs.

On peut utiliser plus efficacement les disponibilités existantes en eau en supprimant l’évaporation inutile et en empêchant la pollution et la salinisation des eaux. Diverses mesures permettraient d’accroître la production vivrière avec des disponibilités stables, voire moindres, d’eau pour l’agriculture. A l’échelle du bassin fluvial, la gestion intégrée (associée) de l’eau, qu’elle soit structurelle ou non, peut réduire les pertes d’eau dues à l’évaporation, à la pollution et à la salinisation. A l’échelle du périmètre d’irrigation et de l’exploitation, l’efficacité de l’irrigation, qui tombe parfois à 30 pour cent seulement, peut être considérablement accrue.

La croissance démographique, les migrations et l’urbanisation auront encore une incidence importante sur toutes les dimensions du développement. Ces changements aboutiront à une amélioration des infrastructures et des circuits de commercialisation dans les zones rurales sous–développées. Une production vivrière locale accrue et plus fiable, proche du lieu de consommation, est la meilleure des garanties contre le risque de hausse des prix. Une agriculture de plus en plus efficace contribue au développement général. Il faut trouver les moyens de se libérer des coûts d’opportunité évidents et de surmonter les difficultés qui découlent d’un creusement de l’écart entre les besoins alimentaires et la production locale.

Mais comment peut-on procéder à la nécessaire mise en valeur des ressources en eau alors que l’on a généralement l’impression que les investissements hydriques, en particulier dans l’irrigation, sont inefficaces, inefficients et menacent l’environnement?, se demandent certains. Cette opinion ne repose sur aucun fondement solide. Il faut réévaluer les perspectives de la récolte de l’eau et de la petite et la grande irrigation. De nombreux enseignements importants ont été tirés et les erreurs du passé doivent être évitées. En effet, les investissements dans la petite et la grande irrigation (si l’on évite les approches coûteuses des 25 dernières années), peuvent être plus rentables que les autres projets agricoles et à peu près autant que les investissements non agricoles. Les infrastructures en place peuvent être remises en état et modernisées et la gestion de l’irrigation améliorée. Les liens concrets avec l’économie peuvent être plus forts en ce qui concerne l’irrigation que pour les autres projets; en effet, l’irrigation crée des emplois et suscite alors l’arrivée de colons venus des collines et de zones arides plus fragiles, sujettes à la dégradation de l’environnement. Le cas échéant, il faudrait aider les agriculteurs à acquérir des droits de propriété et à assumer en partie la gestion des structures mises en place par le secteur public, faute de quoi, les agriculteurs (et les consommateurs) auront beaucoup moins de possibilités de bénéficier de toutes les techniques agricoles existantes.

Le monde d’aujourd’hui connaît une évolution rapide. L’irrigation nécessite un climat macroéconomique équitable et de grands progrès ont été faits dans ce domaine. On remanie les politiques de l’eau qui ont été source de mauvaise répartition et de gaspillage et la mise en oeuvre de nouvelles politiques est favorisée par un contexte propice et par une législation appropriée et bien appliquée. On reconnaît maintenant qu’il importe d’associer les bénéficiaires prévus à la conception et à la mise en oeuvre de nouveaux projets et qu’il est nécessaire que les projets soient conçus de manière simple et réaliste. La capacité institutionnelle des gouvernements, des ONG et du secteur privé de travailler ensemble s’améliore rapidement. On dispose maintenant d’un vaste choix de technologies de mise en valeur des ressources en eau, mais on a besoin de fonds d’investissements publics et privés pour les mettre en oeuvre. Cependant, le principal problème est de mettre en valeur le potentiel à tous les niveaux pour parvenir à une gestion efficace et très productive des ressources en eau, qui assure à la population prévue un approvisionnement durable et suffisant en aliments bon marché.

L’insuffisance et l’instabilité des approvisionnements alimentaires ont un coût social et financier élevé, qui s’alourdit d’année en année. Un approvisionnement suffisant et stable en vivres pour la sécurité alimentaire dépend d’un certain nombre de mesures complémentaires. Ainsi, la maîtrise de l’eau permet de concrétiser les gains de production dus aux variétés à haut rendement et à l’amélioration des façons culturales. La maîtrise de l’eau tend aussi à protéger la production agricole des aléas climatiques, conférant une plus grande stabilité aux approvisionnements alimentaires. La mise en valeur des ressources en eau pour la production vivrière peut donc jouer un rôle important dans le renforcement de la sécurité alimentaire.

 


8. Produits alimentaires destinés aux consommateurs: commercialisation, transformation et distribution

Le présent document traite essentiellement de la commercialisation, de la transformation et de la distribution des produits alimentaires. Il insiste sur l’importance de ces trois fonctions, passe rapidement en revue certains moyens permettant de les rendre plus efficaces et s’achève par un examen des secteurs appelant en priorité des améliorations. On y fait le point de questions telles que la réforme des politiques, la recherche, la technologie et la création d’infrastructures. Toute la gamme des activités relevant du secteur après-récolte est examinée, depuis la transformation des produits alimentaires au niveau de ménages jusqu’à la création de grandes infrastructures.

La commercialisation, la transformation et la distribution des produits alimentaires représentent une part importante du prix à la consommation et contribuent pour beaucoup à l’emploi et au revenu d’un pays. Une filière efficace de transformation après-récolte et de commercialisation oriente la production et la distribution en fonction des besoins des consommateurs et réduit au minimum les coûts du transfert entre producteur et consommateur. Une commercialisation efficace, garantit les disponibilités alimentaires et facilite l’accès à une nourriture bon marché, mais saine. Un système viable de traitement après-récolte et de commercialisation est donc un gage de sécurité alimentaire.

Une bonne part de la production alimentaire n’arrive jamais au stade de la consommation car souvent, elle ne tient nullement compte de la demande des consommateurs, sans parler des pertes qui adviennent dans la filière après-récolte et des subventions gouvernementales qui continuent de favoriser la surproduction. En outre, de nombreux agriculteurs n’ont toujours aucune information sur la demande, ce qui encourage là encore une surproduction, d’où une mauvaise répartition des ressources productives, comme l’eau et les intrants.

Les améliorations que l’on peut apporter à la manutention, au stockage et à la distribution peuvent sensiblement réduire les pertes après-récolte et, partant, le coût pour l’acheteur tout en augmentant le prix payé au producteur. Cependant, il convient de veiller à ce que ces améliorations soient économiquement viables et s’inscrivent aisément dans le système de commercialisation tel qu’il fonctionne. En effet, de nombreuses innovations après-récolte, aussi bien celles visant les petits producteurs que les grandes installations, ne se sont révélées viables ni sur le plan économique ni sur le plan social.

Alors que, par le passé, de nombreux gouvernements estimaient qu’ils devaient intervenir directement dans le système de commercialisation, la plupart d’entre eux ont désormais changé d’optique et se contentent de faciliter la commercialisation, le stockage et la distribution, assurés par le secteur privé. Le présent texte identifie un certain nombre de domaines appelant une aide: élaboration d’un cadre juridique approprié au secteur privé, mise en place de services d’information sur les marchés permettant aux agriculteurs et aux négociants de prendre, en toute connaissance de cause, des décisions de production et de commercialisation, et finalement création d’infrastructures telles que les marchés ruraux. Le développement des connaissances en matière de transformation après-récolte et de commercialisation dans le cadre de services de vulgarisation agricole est également envisagé.

Le nombre de citadins progresse au rythme de quelque 60 millions de personnes par an. Cette croissance va se poursuivre jusqu’à poser d’énormes problèmes d’approvisionnement et de distribution de produits alimentaires. D’un côté, les revenus de certains citadins augmentent rapidement, entraînant une demande accrue de produits alimentaires plus coûteux, mais aussi de produits transformés. De l’autre, la plupart des habitants des villes des pays en développement restent extrêmement défavorisés et leur pouvoir d’achat est fort limité. L’un des principaux enjeux de la sécurité alimentaire dans les décennies à venir consistera à distribuer efficacement à ces populations démunies des produits alimentaires peu coûteux mais nutritifs. Le présent texte examine les moyens d’améliorer les liaisons campagnes/villes pour la distribution de produits alimentaires, puis passe rapidement en revue l’expérience acquise lors de programmes d’approvisionnement en aliments bon marché. Le rôle important des marchands ambulants y est également examiné.

Ce texte examine le rôle de la transformation des aliments, depuis la conservation par les ménages pour garantir l’approvisionnement alimentaire en cas de pénuries jusqu’à la transformation à grande échelle assurée par le secteur agro-industriel. Ce secteur emploie en effet beaucoup de gens des villes comme des campagnes, et notamment des femmes, et constitue un puissant vecteur de croissance dans de nombreux pays. Toutes les opérations de transformation, qu’il s’agisse d’opérations à petite échelle ou de grandes entreprises employant des milliers de personnes, doivent s’appuyer sur une demande effective à laquelle il faut pouvoir répondre de manière lucrative. Malheureusement, dans de nombreux pays en développement, on a eu tendance à encourager la transformation agro-alimentaire pour écouler les productions excédentaires, indépendamment de toute demande du marché, aboutissant ainsi à de nombreuses initiatives inutiles.

Les gouvernements peuvent créer un climat propice au fonctionnement ren-table du secteur après-récolte. Les politiques qu’ils adoptent devraient privilégier le rôle crucial de ce secteur dans la mise en place d’un système capable d’assurer au consommateur un approvisionnement alimentaire adéquat, abordable et sans danger, ainsi que dans l’optimisation du système de production. Les gouvernements peuvent également faire en sorte que les politiques, lois et réglementations favorisent comme il se doit l’efficacité de la commercialisation et de la transformation assurés par le secteur privé. Sinon, ilest indispensable de créer un corpus adéquat de lois régissant les marchés et de protéger ceux qui effectuent les transactions commerciales.

Le présent texte souligne un certain nombre de mesures prioritaires dans le secteur: élaboration de politiques et de lois; recherche dans le secteur après-récolte; mise en valeur des technologies et amélioration des infrastructures; action des services de vulgarisation pour une meilleure connaissance des techniques après-récolte et des méthodes de commercialisation; et, enfin, mise en place des services d’appui nécessaires au secteur privé.