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Synthèse et recommandations pour le renforcement de la filière laitière caprine au Maroc

établies à l'issue des discussions de clôture du séminaire

1. CONSTAT:

Des résultats intéressants ont été obtenus durant ces dernières années. Malgré leur importance, des efforts soutenus doivent encore être déployés pour permettre un développement durable de la filière caprine au Maroc. Il s'agira donc d'approfondir la réflexion sur une stratégie nationale pour valoriser le lait de chèvre, en tenant compte des spécificités de l'environnement régional (zones montagneuse ou périurbaine) et des habitudes alimentaires du consommateur marocain (fromage ou lait):

1.1. Production:

1.1.1. Sociologie du secteur de l'élevage caprin marocain et des laits et produits laitiers caprins/organisation des producteurs:

La problématique du secteur caprin au Maroc peut se résumer ainsi:

1) Le secteur caprin marocain appartient aujourd'hui essentiellement aux régions défavorisées. Les zones irrigables ont en effet concentré jusqu'à très récemment tous les efforts de développement agricole (l'investissement y étant rentabilisé à plus court terme). S'y est développé l'élevage bovin, sédentaire, à vocation laitière, utilisant les sous-produits de l'agriculture irriguée; l'élevage caprin (extensif et utilisant les parcours, et à vocation de production de viande) y a régressé, ne subsistant que sur les marges et dans les zones laissées pour compte par le phénomène de modernisation agricole. Il est donc resté à l'écart du progrès technique, ne bénéficiant ni des progrès de la mécanisation, ni de la généralisation de l'utilisation des intrants, ni de l'amélioration génétique, ni de l'encadrement agricole, de l'organisation de la commercialisation, ou du développement des infrastructures, etc.

Actuellement - sauf cas isolés, mais significatifs (en terme d'opportunités de marché), d'entrepreneurs néo-éleveurs périurbains - il s'agit d'un élevage de montagne, concernant des populations cloisonnées, fonctionnant encore sur un mode clanique ou tribal. En raison de ce contexte géographique et social peu propice, l'esprit associatif est peu développé parmi elles. Jusqu'à présent, être éleveur de caprins n'est pas une profession, il n'existe donc pas de corporation (syndicale, coopérative) d'éleveurs de chèvre, prête à promouvoir le secteur et ses produits, et à assurer la défense de ses intérêt et sa représentativité au sein des instances agricoles.

2) En conséquence, il s'agit d'un secteur qui appartient encore presque intégralement à l'économie de subsistance.

L'autoconsommation est l'utilisation prédominante pour les produits laitiers caprins. Les volumes commercialisés par unité de production sont très faibles; le lait cru est intégralement autoconsommé, le fromage est produit et mis sur le marché en petite quantité, par les femmes. Ces volumes faibles contribuent de façon apparemment mineure, mais régulière, au revenu du ménage, et les recettes de cette activité sont gérées par les femmes, ce qui signifie une affectation privilégiée aux besoins courants (contribution au bien-être du groupe familial) plutôt qu'à l'investissement.

En raison de l'étroitesse actuelle du marché et de son inorganisation, il n'y a pas de spécialisation caprine des exploitations. Les caprins se retrouvent mêlés aux ovins au sein de troupeaux mixtes conduits de façon indifférenciée. L'élevage ovin jouit d'un plus grand prestige, le mouton étant un animal noble, en comparaison de la chèvre, et le viande ovine étant très appréciée au Maroc. L'élevage bovin est dorénavant présent dans toutes les fermes: quelques vaches, pour la production de lait commercialisé en frais. L'élevage caprin est laissé sous la responsabilité des femmes (traite, soins) et des enfants (gardiennage), ou confiés à des bergers n'appartenant pas au cercle familial, si la transhumance est pratiquée. Or, les décisions stratégiques et d'utilisation du revenu de l'exploitation étant du ressort du chef d'exploitation (généralement le père de famille), les bénéfices annuels ont peu de chances d'être réaffectés à l'atelier caprin. Même au sein de l'exploitation, la place réservée à l'élevage caprin est marginale.

1.1.2. Aspects zootechniques

L'élevage pratiqué au Maroc est très majoritairement de type extensif, caractérisé par une alimentation sur parcours peu performante. Il n'y a pas de contrôle des saillies, donc pas de sélection au sein du troupeau, et la création de lots par âge pour l'élevage des chevreaux et chevrettes n'est pas commune. De même, il n'y a pas de contrôle de croissance et de l'âge à la première saillie. Quant au suivi sanitaire, il ne relève pas d'une prophylaxie raisonnée, et les bêtes sont généralement logées dans des conditions précaires, au mépris des règles d'hygiène du troupeau.

1.2. Transformation/commercialisation

Les pratiques liées à la transformation relèvent d'un savoir-faire traditionnel, maîtrisé par les femmes, et concerne un seul type de fromage à pâte lactique, frais ou semi-affiné (le jben). Les volumes produits individuellement sont très faibles, et les fromages sont de qualité variable. Toutefois, dans la relation directe au client, la productrice s'efforce de donner satisfaction, tant sur le plan hygiénique (sauf en cas de brucellose, ce qu'on ne peut contrôler sur du lait cru), que sur le plan organoleptique. Il s'agit d'un fromage plat, non-conditionné (traditionnellement vendu sur feuilles de palmier doum), qui nécessite un emballage dès qu'on envisage ne commercialisation en circuit de distribution moderne. La commercialisation est généralement informelle et directe de producteur à consommateur (vente sur les marchés hebdomadaires et au bord des routes). Les circuits de commercialisation sont dimensionnés au flux actuel: locaux, morcelés.

En raison d'une bonne réputation des produits laitiers caprins, un marché existe, vraisemblablement riche de perspectives, si l'adaptation technologique et commerciale requise pour une distribution en milieu urbain est consentie: approvisionnement régulier, volumes constants et garantis, qualité constante, conditionnement adéquat, attractif et informatif. Actuellement, répondant à cet appel du marché urbain, un glissement est en train de s'opérer du secteur fermier traditionnel vers un secteur artisanal informel, qui travaille souvent dans des conditions non-conformes aux nonnes requises dans le secteur agro-alimentaire. Néanmoins, cette expansion artisanale représente un développement susceptible de prendre de l'ampleur et d'entraîner un développement de l'amont de la filière, à condition toutefois que les produits soient bien identifies comme pur chèvre, ou mi-chèvre.

Tenant compte des résultats d'expériences obtenus aussi bien au Maroc que dans les pays du pourtour méditerranéen, la valorisation du lait de chèvres sous forme de fromages semble assurer une meilleure rentabilité de la production laitière caprine, et constitue par la suite un élément moteur du développement de l'élevage (en amont). En conséquence, les participants formulent les recommandations suivantes:

2. RECOMMANDATIONS POUR UNE STRATÉGIE GÉNÉRALE DU SECTEUR LAITIER CAPRIN:

2.1. Développer la consommation

Afin de développer la consommation, mettre sur le marché des produits de qualité contrôlée, régulière, bien identifiés, susceptibles de renforcer l'image et la réputation des produits caprins.

- Ce qui signifie entre autres:

· établir des processus de définition des produits traditionnels et des normes de fabrication utilisant les savoir-faire paysans (cf. travaux de l'IAV à propos du jben), ou appliquer adapter les technologies déjà éprouvées dans le pays d'origine s'il s'agit de fabrications "exogènes";

· sensibiliser les éleveurs/producteurs fermiers au problème de l'hygiène de la traite et de la fabrication fromagère;

· donner une large publicité à cet effort de qualité, en établissant à l'occasion des concours agricoles la notoriété des meilleurs produits et des meilleurs producteurs (notamment dans le cadre de la foire caprine, qu'il conviendrait d'institutionnaliser à un rythme annuel ou biennal, soit à Chefchaouen si la place est confirmée comme pôle de la production caprine au Maroc, soit de manière tournante dans les chefs-lieux des régions caprines du pays);

· mieux connaître les marchés, en étudiant notamment leurs potentialités à absorber une production plus importante de lait.

2.2. Améliorer la distribution des produits caprins:

· en améliorant le conditionnement, la présentation (emballage attractif et informatif);

· en améliorant les conditions de transport des produits, et leur stockage avant la vente chez le grossiste ou le détaillant: instaurer des contrats liant le fournisseur (producteur fermier, artisan, coopérative) au commerçant, comportant les conditions à appliquer pendant le stockage, et garantissant la reprise des retours en cas d'avarie des produits;

· en diversifiant la gamme pour toucher une clientèle plus variée:

- produits traditionnels "améliorés" à destination de la petite distribution de quartier;

- produits de grande consommation pour les classes moyennes se ravitaillant auprès de la distribution moderne (supermarchés);

- produits de terroir de haute qualité pour l'épicerie fine, la restauration et le tourisme (grands hôtels), contribuant à forger une identité régionale.

2.3. Dynamiser la production, en améliorant la collecte et en optimisant la transformation

Il s'agit d'encourager la création, au sein des bassins majeurs de production laitière caprine, d'un tissu artisanal et industriel d'unités de transformation qui seront les pivots du développement du secteur caprin dans leurs zones d'influence respectives.

Deux types d'organisation sont envisageables:

· Soit l'unité appartient à un privé et est gérée par lui; celui-ci a tout intérêt, dans un contexte où les approvisionnements ne sont pas toujours aisés, à ne pas se contenter uniquement de son rôle de collecteur/transformateur, mais à pourvoir également ses producteurs en intrants divers de l'élevage, à savoir en premier lieu l'alimentation animale (ce poste étant la clé du développement de la production laitière), puis le petit matériel et équipement de traite ou de logement des animaux.

· Soit l'unité est l'émanation d'une coopérative et est gérée par un bureau équilibré d'éleveurs influents, représentatifs des différents groupes locaux. La coopérative, outre l'unité de transformation qui en constitue l'élément central et fondateur, devrait également gérer, ainsi que recommandé précédemment dans le cas d'un privé, une petite unité de fabrication d'aliments si des sous-produits sont disponibles sur place, ou assurer l'acheminement régulier et le stockage d'aliments du commerce. Elle peut mettre à disposition de ses adhérents à des prix intéressants (marge commerciale minimale) les intrants et équipements nécessaires à leur activité, et leur accorder des facilités de paiement, en opérant par exemple un prélèvement mensuel sur la paye du lait. Elle devrait en outre, dès que son envergure et le nombre de ses adhérents le lui permettent, envisager le recrutement de vétérinaires et de techniciens d'élevage pour suivre les exploitations et soutenir leur progrès technique et sanitaire.

Afin d'accroître les volumes, de limiter les coûts de collecte, et pour remédier aux prévisibles et fréquentes difficultés d'accès aux exploitations et à l'insuffisance du réseau électrique, l'unité de transformation devra, suivant que la configuration de son réseau de fournisseurs l'exige ou non, organiser le drainage de la production en installant des centres de collecte primaires, situés aux points cruciaux d'une zone de production (sur un axe routier, à un embranchement) et dotés de capacités de stockage au froid (tanks réfrigérants) et d'eau courante, où les éleveurs viendront eux-mêmes livrer leur production.

4) Professionnaliser les éleveurs

Le monde de l'élevage caprin doit se doter d'une instance représentative, qui puisse défendre ses intérêts au sein des organisations agricoles marocaines, et contribuer à l'élaboration de la politique du secteur caprin avec les administrations et autres partenaires nationaux ou internationaux. Les discussions et programmes doivent veiller à intégrer la femme rurale, en tant qu'actrice essentielle de la gestion technique et financière des unités de production. Une telle instance doit en outre encourager, susciter ou participer à la mise en place de services professionnels (publics, parapublics ou privés) tels que contrôle laitier, insémination artificielle, schéma d'amélioration génétique, etc. La recherche a un rôle déterminant à jouer, en étudiant notamment les caractéristiques des types génétiques locaux, et en approfondissant celles qui déterminent l'aptitude fromagère.

Il convient de mettre en place des formations dirigées à l'intention des responsables des ateliers caprins dans les exploitations. A ce titre, les femmes sont les premières concernées. Etant en charge de l'affouragement des chèvres, de la traite et de la transformation, c'est à elles que doit s'adresser une formation sur la qualité des fourrages et l'hygiène de la traite et des fabrication. Les hommes doivent évaluer l'intérêt économique d'une complémentation de la ration de base, et raisonner l'intérêt d'accroître la soie fourragère, si le lait de chèvre est bien rémunéré - ce qui est le cas actuellement - et que les débouchés sont assurés - ce qui n'est pas encore le cas -.

Ce besoin de formation implique l'implantation d'un centre de ressource par bassin laitier. Ce peut être l'une des fonctions de l'unité centrale de transformation, qui réservera l'un de ses locaux aux formations dispensées par les techniciens d'élevage de la coopérative aux éleveurs, à leurs femmes et fils ou filles. À un niveau plus central, il est recommandé la création d'un Centre Caprin National, qui puisse capitaliser l'essentiel de l'information caprine disponible à l'échelle mondiale, se charger de l'exploiter pour la rendre accessible aux différents opérateurs de la filière, et la tenir à jour pour lui conserver sa fiabilité (en particulier dans les domaines économiques). Ce centre marocain aura pour mission d'établir un courant d'échange d'informations et d'expériences entre les partenaires des rives Nord et Sud de la Méditerranée, dans le domaine de la valorisation du lait de chèvre. Il représente à ce titre l'opportunité de renforcer la coopération avec la FAO et le CIRVAL.


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