Page précédente Table des matières Page suivante


Les incendies de forêt et les politiques de gestion des incendies en Turquie

Dr Ertugrul Bilgili50
50 Université technique de Karadeniz, Faculté de foresterie, 61080-Trabzon, Turquie. Ce rapport est une version condensée et révisée d'un autre rapport publié en juillet 1997 dans International Forest Fire News (IFFN).
RÉSUMÉ

Les incendies de forêt surviennent régulièrement dans les forêts turques, et ils les influencent profondément. Les aspects sociaux, économiques et environnementaux complexes de la foresterie turque représentent des défis importants pour la société en général, et pour le service des forêts et les chercheurs travaillant sur le feu en particulier. Ce rapport présente et discute la situation actuelle des incendies de forêt et les politiques de gestion des incendies qui leur sont associées en Turquie.

INTRODUCTION

En Turquie, les terres émergées couvrent 77 079 millions d'hectares, dont 20 749 millions d'hectares, soit environ 26 pour cent de la superficie totale du pays, sont couverts de forêts. Environ 12 millions d'hectares de terres forestières sont touchés ou menacés par les incendies de forêt. La plupart des incendies se produisent dans les régions où le climat méditerranéen, caractérisé par des températures élevées et des précipitations faibles à inexistantes pendant la saison des incendies, est prédominant, dans le sud et l'ouest de l'Anatolie. De 1937 à 1998, un total de 63 804 incendies ont brûlé 1 477 186 hectares de terres forestières. Ceci représente 1046 incendies sur 24 210 ha par an, pour une superficie moyenne brûlée de 21 ha par incendie. Malgré l'augmentation progressive du nombre d'incendies au cours des dernières années, grâce à une utilisation croissante et efficace des technologies dans les domaines du transport, de la communication, et de l'extinction des incendies, la superficie brûlée a été réduite de moitié et maintenue dans une moyenne de 12 000 à 14 000 ha (Mol et Küçükosmanoglu 1997). Ceci est particulièrement net pour les valeurs concernant les quatre dernières années (voir tableau) à l'exception de la saison des incendies de 1996, durant laquelle un seul incendie a consumé plus de 7000 ha.

Tableau. Nombre d'incendies et superficie brûlée en Turquie entre 1987 et 1998

Années

Nombre d'incendies

Superficie brûlée (ha)

1987

1310

10746

1988

1372

18210

1989

1633

12610

1990

1725

13000

1991

1453

7590

1992

2110

12312

1993

2547

13734

1994

3221

20982

1995

1768

4790

1996

1645

14922

1997

1339

6316

19981

1761

5938

Total

21884

141150

1 les données de 1998 sont celles disponibles au 10 octobre 1998
LES CAUSES DES INCENDIES

La majorité des incendies de forêt en Turquie sont provoqués par les populations (97 pour cent de tous les incendies). La foudre est responsable des 3 pour cent restants. Parmi les incendies provoqués par les populations, 23 pour cent sont classés comme incendies criminels, 27 pour cent sont dus à la négligence et à l'absence de surveillance, et 50 pour cent ont une origine inconnue (Mol et Küçükosmanoglu 1997). Les incendies "d'origine inconnue" désignent ceux pour lesquels aucune cause connue ne peut être déterminée. Cependant, il est fort probable que pour les incendies de cause inconnue, la proportion des deux premières catégories de causes d'incendies (c.-à-d. incendies criminels, ou ceux dus à la négligence ou à l'absence de surveillance) soit la même que pour les incendies d'origine connue. Dans ce cas, les incendies criminels représenteraient environ 35 pour cent de tous les incendies, ce qui est légèrement supérieur à la valeur moyenne (32 pour cent) rencontrée dans les forêts tempérées de l'hémisphère nord (Mol et al. 1997). Ceci représente assurément une forte proportion et est sérieusement pris en compte dans la planification de la prévention des incendies, de la préparation à la défense contre les incendies et de l'extinction.

Les incendies criminels sont allumés pour différentes raisons. Environ 8,8 millions de personnes vivent dans les 17 445 000 villages situés dans les forêts ou aux environs (Anonyme 1991). Le niveau de vie de la majorité de ces populations est nettement inférieur à celui de la moyenne nationale. Pour les populations à faibles revenus et bas niveau de vie, les forêts sont une source de profit. Les gens mettent donc le feu à la forêt pour créer des emplois qui leur permettront de pourvoir à leurs besoins, ou manipulent la végétation pour améliorer et produire des plantes utiles pour le pâturage de leurs animaux. Des conflits personnels entre les populations et les agents forestiers, ou entre bergers, ou entre villageois de différentes origines ont aussi été mentionnés comme causes d'incendies.

Les limites séparant les terres privées des terres publiques ne sont pas complètement fixées en Turquie. Les limites de propriété ne sont définies que sur 30 pour cent de la superficie totale du pays. Les disputes et conflits de propriété sont donc permanents dans les forêts et les zones protégées et à leurs environs.

Cependant la plupart des incendies sont souvent provoqués par les populations par pure négligence ou par accident. Ces types d'incendies surviennent généralement dans les aires de loisirs et les terrains de camping ou à leurs environs, dans les zones périurbaines (interface forêt/ville), ou le long des routes principales. C'est ainsi que le très grand incendie de forêt de Marmaris qui a brûlé plus de 7000 ha en 1996 s'était déclaré dans un terrain de camping près de Marmaris. Les incendies de ce type sont généralement dus à des personnes inconscientes du danger que représentent les incendies de forêt, ou qui n'évaluent pas les forêts à leur juste valeur.

LA GESTION DES INCENDIES

En Turquie, la gestion des incendies est une responsabilité fédérale. Les fonctions sont assumées par les entreprises forestières d'état fonctionnant sous la tutelle des directions régionales. Pour faire face aux incendies destructeurs, les politiques de maîtrise des incendies ont été élaborées en privilégiant fortement une réaction basée sur la maîtrise totale des incendies. Sans tenir compte de l'importance des coûts mis en jeu, le département du service des forêts a pour responsabilité de programmer et d'exécuter immédiatement toutes les interventions nécessaires. Cependant, les usages bénéfiques et le rôle écologique du feu n'ont jamais été pris en compte dans le processus de planification de la gestion des incendies. La gestion des incendies consiste donc essentiellement en activités de prévention et de maîtrise des incendies.

Les programmes de prévention des incendies interviennent dans toutes les activités visant à réduire le nombre des incendies. Ainsi, la détermination et l'analyse des causes des incendies (c.-à-d. savoir qui a allumé les feux, où et quand ils ont débuté et, dans la limite du possible, pourquoi ils ont débuté) sont considérées comme la première étape permettant de justifier et d'affecter un budget à la prévention et à la préparation de la défense contre les incendies. Pour cette raison, la Division de la protection des forêts et de la lutte contre les incendies de la Direction générale des forêts a encore plus insisté sur l'identification des causes d'incendie et sur l'intégration des résultats obtenus dans les fichiers de rapports d'incendies. Une base de données nationale sur les incendies de forêt est en cours de création; elle regroupera les informations sur tous les aspects des incendies de forêt. Les informations recueillies sur la localisation et la cause des incendies sont utilisées pour la mise au point des techniques et des plans de prévention des incendies. On utilise pour ce faire de nombreuses techniques visant à diminuer le nombre des incendies dus aux populations; ces techniques se répartissent en deux grandes catégories, la diminution du risque et la réduction du danger.

Le risque est associé à l'ignition, et la diminution du risque implique d'amener le public et les différents groupes responsables à mieux prendre conscience des dangers de l'ignition et des incendies de forêt qui en résultent, par l'éducation et la mise en application des règlements. Le service des forêts estime qu'une opinion publique fortement favorable est indispensable à toute entreprise visant à réduire le nombre d'incendies causés par la population. Pour atteindre cet objectif, on utilise de plus en plus l'ensemble des canaux de communication disponibles: moyens de diffusion de l'information et médias locaux, radio, télévision, journaux et magazines, programmes d'éducation dans les écoles, bases militaires, clubs divers, affichage et contacts personnels. La méthode consistant à faire appliquer les lois sur les incendies s'est aussi révélée potentiellement efficace pour la prévention des incendies de forêt, puisque les lois permettent à la fois d'éduquer le public et de dissuader les personnes négligentes ou malveillantes d'avoir un comportement destructeur.

Etant donné que la plupart des incendies sont dus à la simple inadvertance et à des accidents, quelle que soit la qualité des efforts d'éducation et de mise en application des lois, un certain nombre d'incendies ne pourront jamais être évités. Leurs causes ne peuvent être réduites que par des modifications des sources d'ignition ou des combustibles faisant fonction de récepteurs de l'ignition. Divers types de modifications des combustibles ont été mis en œuvre dans toutes les zones sujettes aux incendies.

Malgré leur coût élevé de construction et d'entretien, les pare-feu et les coupures vertes ont été largement utilisés pour rompre la continuité des combustibles forestiers. Ceci est surtout pratiqué le long et autour des zones à haut risque comme les terrains de camping, les décharges, les zones habitées, et les principales routes et voies ferrées. Bien qu'ils exigent un travail intensif, le nettoyage et le brûlage des combustibles de surface sur 15 à 20 m de chaque côté des peuplements forestiers situés le long des routes principales sont pratiqués couramment.

En règle générale, les pare-feu sont aménagés dans les plantations et les zones de régénération naturelle et sont accompagnés d'espèces résistantes au feu (en particulier Cupressus sempervirens var. pyramidalis). Ces espèces sont plantées en alignement le long des pare-feu (jusqu'à 5 lignes). Dans les zones proches des habitations ou les zones sensibles, des espèces comme le pin pignon (Pinus pinea) ont été largement utilisées (plantées) à la place des autres espèces. Les populations locales entretiennent ces zones en taillant les arbres, en nettoyant le sous-bois et en récoltant les cônes. Cette pratique contribue au maintien d'une importante zone de résistance au feu mais elle offre aussi une source de revenu aux populations locales. Une autre activité concernant les transformations du combustible mérite d'être mentionnée: c'est la fabrication de charbon de bois à partir de certaines espèces arbustives qui ne sont normalement pas récoltées ni utilisées (Serez et al. 1997). Les producteurs de charbon de bois achètent le bois qu'ils coupent à très bas prix (environ 1/10 du prix de vente du charbon). Cette pratique, elle aussi, est avantageuse à la fois pour les forêts et pour les populations.

LA PRÉPARATION DE LA DÉFENSE CONTRE LES INCENDIES

La gestion des incendies repose sur la détection précoce, l'attaque initiale rapide et l'extinction en force. Chaque région a été pourvue de moyens et de ressources en main-d'œuvre suffisants pour combattre les incendies de forêt. Les moyens disponibles comprennent 208 camions anti-incendie, 12 hélicoptères, 11 avions, 882 tours de guet, 8472 radios, 650 équipes d'attaque initiale de 12 à 15 hommes chacune, et 120 unités d'intervention de 40 à 50 hommes chacune. De nouveaux moyens sont ajoutés et de nouvelles technologies adoptées en fonction des besoins. Ces forces sont réparties entre les districts selon les niveaux de risque et la superficie concernée. Par exemple, des équipes mobiles de motards surveillent régulièrement les zones à haut risque durant la saison des incendies.

Globalement, 71 pour cent des incendies sont circonscrits à moins de 5 ha, et ne représentent que 8 pour cent de la surface brûlée. En revanche, 1 pour cent seulement des incendies dépassent 200 ha, mais ils représentent 37 pour cent de la superficie totale brûlée (Küçükosmanoglu 1986).

LES RECHERCHES SUR LE FEU

Le feu est l'un des domaines qui a reçu le moins d'attention en Turquie. Il n'y a pas eu d'études importantes sur le comportement du feu, l'écologie du feu ou le rôle du feu sur les écosystèmes forestiers turcs. Cependant, des efforts visant à mettre au point un système national d'évaluation du risque incendie ont été entrepris récemment. La première partie du travail a été achevée et des mesures météorologiques ont débuté. Sur la base de l'humidité de la litière et des mesures météorologiques pour un type de combustible étalon (Pinus brutia), un système national d'indice météorologique des incendies pour la Turquie sera mis au point. Des expériences sur le comportement du feu sont également programmées. Les résultats de ces expériences constitueront les premiers pas vers la mise au point d'un système de prévision du comportement du feu. En outre, les systèmes d'information géographique sont de plus en plus utilisés pour la gestion des incendies.

CONCLUSION

Les incendies de forêt surviennent régulièrement dans les forêts turques, et ils ont un impact très important sur leur durabilité; ils comportent des aspects sociaux, économiques, écologiques et environnementaux complexes. Néanmoins, les politiques liées aux incendies ont été formulées avec l'objectif d'éliminer le feu complètement, en considérant qu'il est toujours néfaste. La politique actuelle de maîtrise totale des incendies a rencontré certains succès, qui ouvrent de nouvelles perspectives. Mais elle pourrait bien ne pas être aussi appropriée et désirable qu'on le pense, si l'on tient compte du fait que les grands incendies du passé récent ont résulté d'une politique d'exclusion totale du feu dans les zones touchées. En outre, les pressions induites par certaines réalités écologiques et économiques et la demande croissante en ressources multiples exigent l'élaboration de nouvelles politiques et de nouvelles attitudes vis-à-vis du feu. Parallèlement, une foresterie de plus en plus complexe et durable exigera une compréhension plus approfondie du feu et la mise au point de systèmes de gestion plus efficaces. Les systèmes de gestion mis en application n'atteindront jamais leurs objectifs s'ils n'intègrent pas ces exigences et s'ils ne reconnaissent pas le rôle du feu et de la société sur les forêts, et la Turquie ne fait pas exception à la règle.

BIBLIOGRAPHIE

Anonyme. 1991. Orman Raporu (Report on Forestry). TUSIAD Yayin No: TUSIAD-T/91, 6 144. 57 p.

Küçükosmanoglu, A. 1986. Turkiye ormanlarinda cikan yanginlarin siniflandirilmasi ile buyuk yanginlarin cikma ve gelisme nedenleri (The classification of fires in Turkish forests). Istanbul Universitesi, Orman Fakultesi Dergisi, Seri A, Cilt 36, Sayi 1.

Mol, T. et Küçükosmanoglu, A. 1997. Forest fires in Turkey. In Proc. XI World Forestry Congress, Antalya, Turkey.

Mol, T., Küçükosmanoglu, A., et Bilgili, E. 1997. Forest fires in a global environment and changing attitudes toward fire. XI World Forestry Congress, 13-22 October, 1997, Antalya, Turkey.

Serez, M., Bilgili, E., Eroglu, M., et Goldammer, J.G. 1997. Bati Anadolu ormanlarinin yanginlara karsi korunmasi, alinmasi gereken onlemler ve teklifler (Prevention measures and suggestions for the protection of Bati Anadolu forests). Final report, Ministry of Forestry, OGM and Karadeniz Teknik Universitesi. 34 p.


Page précédente Début de page Page suivante