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La commercialisation des produits forestiers non ligneux dans la zone de forêt humide du Cameroun

M. Ruiz Pérez, O. Ndoye et A. Eyebe

Manuel Ruiz Pérez travaille auprès du Centre pour la recherche forestière internationale de Bogor (Indonésie). Ousseynou Ndoye et Antoine Eyebe travaillent auprès du Centre pour la recherche forestière internationale de Yaoundé (Cameroun).

Les fruits, les noix et l'écorce peuvent être une source de revenus pour les petits et gros commerçants

La forêt tropicale humide centrafricaine couvre 280 millions d'hectares et est la plus grande forêt de ce type existant au monde, après celle d'Amazonie (Talbott, 1993; FAO, 1995). A l'intérieur de cette région, la zone de forêt humide (ZFH) du Cameroun, qui couvre 26 millions d'hectares, contient des écosystèmes qui sont parmi les plus diversifiés d'Afrique (Alpert, 1993) et a fourni aux populations locales divers produits forestiers non ligneux (animaux et végétaux) (PFNL) (Koppert et al., 1993; Doucet et Koufani, 1997; Ngala, 1997).

Au Cameroun, comme dans beaucoup d'autres pays tropicaux, les 20 dernières années ont été marquées par des taux élevés de déforestation et de dégradation des forêts, résultant de la combinaison de plusieurs facteurs liés à l'expansion de l'agriculture, à la croissance démographique et aux activités de développement en général (Talbott, 1993; FAO, 1995; Oyono, 1997). Cela s'est traduit par une réduction de l'offre de nombreux produits forestiers, aggravée, dans de nombreux cas, par le fait que l'exploitation forestière rendait impossible l'enlèvement des produits forestiers non ligneux (Schneemann, 1995; Nef, 1997).

Commerçantes coupant des feuilles de Gnetum au marché de Mbalmayo

Dans le même temps, les modes d'utilisation des terres traditionnels, essentiellement axés sur la subsistance, ont progressivement été supplantés par des modes d'exploitation à vocation commerciale, par suite de l'urbanisation et du développement. En conséquence, des marchés des PFNL se sont développés dans toute la ZFH du Cameroun. Cependant, le commerce des PFNL dans la région est pénalisé par le manque d'infrastructures. Le présent article résume les principales conclusions d'études réalisées par le Centre pour la recherche forestière internationale (CIFOR), pour définir les performances et le fonctionnement des marchés des PFNL, estimer le volume et la valeur des transactions et l'importance des échanges internationaux qui y sont pratiqués, et analyser leurs caractéristiques spatiales. Les ressources de PFNL étant soumises à une pression croissante, il est indispensable d'améliorer les systèmes de gestion pour garantir une offre stable et parvenir, dans le même temps, à concilier l'amélioration des moyens d'existence des populations et la conservation des forêts.

ORGANISATION DES MARCHÉS DE PFNL AU CAMEROUN

Vingt-cinq marchés vendant des PFNL d'origine végétale, pour un chiffre de ventes semestrielles estimé à 1,9 million de dollars EU, ont été étudiés pendant les deux campagnes consécutives (janvier-juillet) de 1995 et 1996 (voir figure 1). Les marchés ont été sélectionnés sur la base de trois critères, à savoir: leur caractère significatif (échanges effectifs de PFNL); leur couverture régionale (représentation des principaux districts de la ZFH du Cameroun); et leur accessibilité. L'étude se fondait sur un questionnaire adressé à 426 commerçants en PFNL, représentant 26 pour cent des quelques 1 100 commerçants opérant sur ces 25 marchés. Après cette étude générale, 12 marchés de référence ont été sélectionnés pour suivre les fluctuations mensuelles de l'offre, de la demande et des prix (les résultats des enquêtes mensuelles sont en cours de traitement).

FIGURE 1 - Les marchés couverts par l'étude

Les PFNL de la ZFH du Cameroun sont généralement vendus par des commerçants spécialisés opérant sur une base régulière (quotidienne ou hebdomadaire) sur des marchés d'aliments divers. Les marchés sont organisés autour des vendeurs-acheteurs, qui sont en général des femmes, comme dans d'autres pays d'Afrique de l'Ouest. Des intermédiaires commerciaux trient également et classent les PFNL et leur font subir une transformation plus ou moins poussée (Fereday, Gordon et Oji, 1997).

Les marchés sont soumis à un certain nombre de règlements locaux et de taxes municipales. Dans la pratique, ils sont gérés par des commerçants, qui désignent un cheftain ou une cheftaine (le chef du marché, qui est généralement une femme), chargée de l'organisation matérielle du marché et de la surveillance et de la mise en application des règlements locaux et officieux. La cheftaine tend aussi à coordonner des organisations de crédit non institutionnalisées qui financent le commerce, telles que les njangi ou tontines (associations d'épargne et de crédit tournants dont les membres conviennent de verser régulièrement des dépôts d'épargne dans un fonds, dont le montant est alloué chaque fois à un membre différent). Ce type d'organisations de crédit est aussi courant dans beaucoup d'autres pays d'Afrique (Miracle, Diane et Cohen, 1980). Les marchés des PFNL forment un vaste réseau hiérarchisé et peuvent être divisés en quatre catégories suivant leur taille, leur spécialisation (produit) et leur couverture géographique (Ruiz Pérez et al., 1998):

· Les gros marchés urbains de Douala et de Yaoundé, dont le chiffre de ventes semestrielles de PFNL est estimé à plus de 100 millions de francs CFA (200 000 dollars EU), vendent des produits très divers et sont en grande partie approvisionnés par des sources distantes. Ces deux marchés servent de pôle d'attraction et c'est autour d'eux que s'organise le commerce des produits forestiers dans la région.

· Plusieurs marchés régionaux, comme ceux de Bafia, Mbalmayo, Ebolowa et Kribi, dont les chiffres de ventes semestrielles de PFNL sont compris entre 10 et 100 millions de francs CFA (20 000 à 200 000 dollars EU), sont des marchés de référence (c'est-à-dire qu'ils servent d'indicateurs des conditions de l'offre et de la demande et qu'ils dictent les prix) pour la région environnante, dont proviennent la plupart de leurs approvisionnements.

· Un grand nombre, de marchés locaux (par exemple Buea, Kumba, Batouri, Ambam ou Abong Mbang), ayant un chiffre de ventes semestrielles de PFNL inférieur à 10 millions de francs CFA (20 000 dollars EU), et vendant un nombre limité de produits disponibles sur place.

· Plusieurs marchés frontaliers, de petite à moyenne taille, comme ceux de Abang Minko (frontière avec le Gabon), de Kye Ossi (frontière avec la Guinée équatoriale) et de Kenzou (frontière avec la République centrafricaine), spécialisés dans un petit nombre de produits demandés dans des pays voisins.

Les principaux PFNL commercialisés sur 25 marchés de la zone de forêt humide du Cameroun

Espèce/produit

Nom anglais et/ou local

Utilisations

Valeur estimée des ventes semestrielles
(milliers de FCFA)1

Marge nette en pourcentage de la valeur totale des ventes

Garcinia kola (écorce)

Onie

Pl. médicinale, vin de palme

2 975

31

Garcinia kola (fruit)

Cola amer, onie

Pl. médicinale, stimulant

9 944

28

Garcinia lucida (écorce)

Essok

Pl. médicinale, vin de palme

10 994

31

Elaeis guineensis

Noix de palme, eton

Aliment, vin de palme

11 089

31

Gnetum spp.

Okok

Aliment

23 334

38

Cola spp.

Noix de cola, abel

Pl. médicinale, stimulant

129 578

19

Irvingia spp.

Manguier sauvage, andok

Condiment

135 376

27

Ricinodendron heudelotii

Ezezang

Condiment

229 052

26

Dacryodes edulis

Prune, assa

Aliment

388 479

17

1 Moyenne des deux campagnes de 1995 et 1996; 1$EU = 500 FCFA.

LES PRINCIPAUX PFNL, LEUR VALEUR COMMERCIALE ET LES MARGES BÉNÉFICIAIRES

Les neuf produits figurant au tableau représentent 95 pour cent du commerce total de PFNL d'origine végétale sur les 25 marchés étudiés. Ces marchés commercialisent aussi d'autres produits, notamment des condiments et des plantes médicinales, qui sont parfois très importants, comme l'écorce de Prunus africana, qui est vendue à des laboratoires pharmaceutiques pour le traitement des maladies de la prostate (Cunningham et Mbenkum, 1993). D'autres produits essentiels, comme le rotin (Laccosperma spp.) et le palmier à raphia (Raphia spp., avec lequel on fabrique des paniers et des meubles) sont vendus à travers des filières spécialisées et ne transitent pas par le marché (Oyono, 1997; Sunderland, 1997). Le gibier et d'autres produits animaux importants n'ont pas été pris en compte dans l'étude.

Certains produits, identifiés comme étant un seul et même produit, sont mis sur le marché alors qu'ils proviennent d'espèces différentes. Dans d'autres cas, une espèce fournit des produits différents, comme l'écorce et le fruit de Garcinia kola ou le fruit et le vin du palmier d'Afrique.

D'après l'enquête, un commerçant vendait en moyenne 1,7 PFNL et deux produits au total (PFNL et autres produits, généralement agricoles). Cela montre que les commerçants sont hautement spécialisés et que les PFNL constituent l'essentiel de leurs transactions.

La valeur des ventes semestrielles sur les marchés étudiés a été estimée, en moyenne sur les deux campagnes, à 942 millions de francs CFA, ou 1,9 million de dollars EU. Il s'agit en fait d'une estimation prudente, puisque l'enquête a omis presque toute la campagne de l'un des principaux produits de la région, à savoir le fruit de Dacryodes edulis. Elle a également omis quelques marchés importants, comme ceux de Makenene (spécialisé dans D. edulis) et d'Idenao (qui traite une grande partie des exportations de Gnetum spp. vers le Nigéria). Les produits d'espèces appartenant à quatre genres, à savoir Dacryodes, Ricinodendron, Irvingia et Cola, représentent l'essentiel des ventes de PFNL sur les marchés de la région.

Pour le calcul des marges bénéficiaires des ventes, on a pris en considération tous les coûts, sauf ceux de la transformation - à savoir l'achat, le transport, l'entreposage, les pertes et les taxes. Sur cette base, la marge bénéficiaire nette, en pourcentage de la valeur totale des ventes des produits couverts par l'étude, était de 22 pour cent, avec toutefois de grandes variations selon les produits (voir tableau). Ces différences dépendent principalement de trois facteurs:

· Le caractère périssable et la vitesse de rotation des produits. Les plus périssables, comme les fruits de D. edulis ou de Cola spp. tendent à se vendre plus rapidement, mais à laisser des marges plus faibles. Les moins périssables, comme l'écorce de Garcinia kola et de Garcinia lucida ont une rotation plus lente, mais chaque transaction laisse un profit net plus élevé, en pourcentage de la valeur des ventes.

· Le degré de transformation du produit. Certains produits, comme les feuilles de Gnetum, sont périssables et nécessitent des traitements à haute densité de main-d'œuvre (nettoyage et coupe), et sont donc ceux qui laissent les marges bénéficiaires nettes les plus élevées.

· L'emplacement géographique du marché. En général, les produits vendus sur les marchés frontaliers (qui se spécialisent dans la vente d'un petit nombre de PFNL à des pays voisins) laissent une marge bénéficiaire nette plus élevée, en pourcentage de la valeur des ventes, que les mêmes produits vendus sur des marchés locaux ou urbains non axés sur l'exportation (Ndoye, Ruiz Pérez et Eyebe, 1997).

Le profit hebdomadaire moyen par commerçant pour l'ensemble des ventes des neuf principaux PFNL (moyenne calculée sur 16 semaines pour le fruit de D. edulis et sur 29 semaines pour les autres produits) était de 8 200 francs CFA (16,50 dollars EU). Ce chiffre est supérieur au salaire minimal établi par le gouvernement pour les travailleurs urbains, qui était de 6 500 francs CFA (13 dollars EU) par semaine à la période de l'enquête. (Les gains du commerçant moyen sont en réalité plus élevés, car il vend généralement aussi des produits agricoles).

FIGURE 2 - Distribution cumulative des marges entre les commerçants

Ces résultats masquent cependant une très grande disparité dans le volume des transactions et les profits des commerçants en PFNL. La distribution cumulative des profits entre les commerçants (figure 2) montre qu'à peine 79 commerçants sur 426 perçoivent 69 pour cent du profit total dérivant de la vente dés neuf PFNL principaux sur les marchés étudiés. Même si l'on ajoute le revenu provenant du commerce des produits agricoles, les résultats montrent que la majorité des vendeurs de PFNL ne font pas de gros bénéfices et qu'ils font partie du grand groupe des ruraux pauvres. Ces conclusions vont à rencontre du postulat conventionnel selon lequel les négociants représentent une élite locale qui exploite injustement ceux qui récoltent les PFNL. Les résultats mettent également en évidence le caractère particulièrement régressif de l'impôt libératoire, une taxe professionnelle uniforme introduite en 1996, qui s'ajoute aux taxes commerciales déjà imposées par les autorités municipales, et prélève un pourcentage beaucoup plus élevé des bénéfices des petits commerçants (Ndoye, Ruiz Pérez et Eyebe, 1997).

Il existe aussi une répartition précise des rôles entre les deux sexes sur le marché: les hommes se concentrent sur les produits les plus gros et les plus lucratifs, alors que les produits les moins attrayants sont généralement laissés aux femmes (Ruiz Ferez et al., 1999). Il n'y avait aucune femme parmi les 10 plus gros commerçants interrogés, et il n'y en avait que deux parmi les 30 plus gros. Alors que 75 pour cent des commerçants de sexe masculin interrogés ont un chiffre de ventes supérieur à un million de francs CFA (2 000 dollars EU), 17 pour cent seulement des femmes commerçantes atteignent ce niveau.

FORMATION DES PRIX ET AUTRES CARACTÉRISTIQUES DU MARCHÉ

Les marchés des PFNL dans la ZFH du Cameroun sont extrêmement variables: leur rôle dans le regroupement et la distribution des produits peut changer considérablement au cours d'une même année, et d'une année à l'autre. Cette variabilité a une forte influence sur les prix d'achat et de vente, étant donné que les prix sont principalement conditionnés par l'offre et la demande. Le pouvoir de négociation des commerçants et des agriculteurs varie en fonction de la saison: les commerçants tendent à se déplacer pour aller dans les villages durant la basse saison et à attendre sur le marché durant la haute saison. Le manque d'installations d'entreposage est une contrainte, tant pour les agriculteurs que pour les commerçants qui traitent des produits périssables, pour lesquels le marché tend à être plus dynamique et l'écart entre le prix de vente et le prix d'achat plus faible.

Etant donné qu'un grand nombre de PFNL sont récoltés dans différents types de forêts (jachère, secondaire ou primaire), l'offre de ces produits tend à accuser de plus grandes fluctuations annuelles que la plupart des produits agricoles. Ces fluctuations, aggravées par la pression sur la ressource, peuvent conduire à des réductions spectaculaires des disponibilités dans une localité déterminée. En outre, étant donné qu'un même produit peut provenir de différentes espèces, le marché peut connaître plusieurs pics dans l'année. C'est le cas pour les amandes du manguier sauvage, qui sont fournies par Irvingia gabonensis de juin à août et par Irvingia wombolu de janvier à mars (Harris, 1993).

Dans une étude sur les prix de quatre produits, la noix de cola et l'écorce de manguier sauvage et de Garcinia lucida affichaient une élasticité positive des prix par rapport à l'offre (Ndoye, Ruiz Pérez et Eyebe, 1998). Le quatrième produit étudié, à savoir l'écorce de Garcinia kola, affichait une élasticité négative des prix (prix en baisse malgré une réduction de l'offre), qui a été attribuée à des problèmes de transport. Un service de bac reliant le marché frontalier de Abang Minko (par lequel sont passées toutes les transactions d'écorce de G. kola enregistrées pendant les deux campagnes couvertes par l'enquête) au Gabon a cessé de fonctionner, ce qui a entraîné une réduction catastrophique des échanges entre les deux pays. L'engorgement du marché, encombré des écorces non vendues, a fait baisser les prix, malgré la diminution du volume des échanges. Cet exemple ne représente pas une aberration du marché; au contraire, il montre l'effet des problèmes de transport et des carences infrastucturelles en général sur le commerce des PFNL.

LES PRIORITÉS POUR L'AMÉLIORATION DU COMMERCE DES PFNL

Dans le cadre de l'enquête, les commerçants étaient priés de faire des commentaires sur les principales actions qu'ils jugeaient prioritaires pour améliorer le commerce des PFNL. Au total, 280 commerçants ont répondu et proposé 435 suggestions. Celles-ci ont été regroupées en quatre grandes catégories:

· amélioration de l'aménagement physique du marché avec, notamment, adjonction d'abris, de zones d'entreposage et d'installations de manutention des produits de base;

· amélioration du système de gestion agroforestier afin de garantir une offre de PFNL stable et d'atténuer la pression sur les ressources;

· amélioration du transport des produits, en particulier en haute saison;

· amélioration du système de prêts et de financement.

L'amélioration de l'aménagement physique du marché a été classée en tête des priorités (à deux contre un) (figure 3). L'amélioration du système de crédit institutionnalisé pour le financement du commerce des PFNL était jugé moins important, peut-être en raison de l'efficacité du système existant de crédit non institutionnalisé (tontines) pour le commerce de détail des PFNL. Il est intéressant de noter qu'aucun négociant n'a indiqué comme priorité l'amélioration du tri et du classement ou l'amélioration du contrôle de la qualité, qui sont pourtant considérées comme essentielles pour le développement du commerce international des PFNL (Iqbal, 1995; Ladipo, 1998), qui représente une part importante des échanges de PFNL dans la région.

FIGURE 3 - Les priorités pour l'amélioration du commerce des PFNL

L'IMPORTANCE DU COMMERCE AVEC D'AUTRES PAYS

Plusieurs auteurs ont souligné l'importance du commerce des PFNL entre pays d'Afrique occidentale et centrale, mais aussi avec des pays non africains. (Falconer, 1990; Cunningham et Mbenkum, 1993; Mialoundama, 1993; Tabuna, 1999). Ces échanges régionaux s'expliquent principalement par trois facteurs:

· Facteurs écophysiologiques. La période de production de certains produits n'est pas la même dans toutes les régions. Par exemple, la campagne de production de Dacryodes edulis va de juin à novembre au Cameroun et au Nigéria, et de novembre à avril en Angola, au Congo, en République démocratique du Congo et au Gabon. Ce facteur saisonnier modifie la direction des échanges commerciaux, certains pays exportant un produit donné durant une période de l'année et l'important pendant une autre période.

· Goût des consommateurs. Les différences dans l'appréciation des consommateurs vis-à-vis d'un produit donné encouragent les échanges bidirectionnels. Par exemple, le Cameroun exporte la noix de cola rouge vers le Nigéria, auprès duquel il importe la noix de cola blanche.

· Facteurs linguistiques et culturels. On trouve souvent des groupes ethniques apparentés de part et d'autre d'une frontière; or ils consomment souvent des produits similaires et font beaucoup de commerce entre eux.

Trois des marchés étudiés sont des marchés frontaliers spécialisés dans des produits particuliers: mangue sauvage et écorce à Abang Minko, mangue sauvage à Kye-Ossi et noix de cola à Kenzou. D'autres produits, comme D. edulis, sont vendus à des pays voisins, à partir des gros marchés urbains de Douala et de Yaoundé.

Il y a aussi un commerce actif de PNFL entre le Cameroun et quelques grandes villes européennes, comme Paris et Bruxelles, où vivent d'importantes communautés d'immigrés d'Afrique occidentale et centrale. On trouve aussi souvent des produits des espèces Dacryodes, Gnetum, Ricinodendron et Irvingia dans les étalages des boutiques spécialisées dans la vente de produits tropicaux (Tabuna, 1999).

Le volume et la valeur des échanges internationaux, enregistrés par le Bureau de douane, semblent sous-estimés (Oyep et Kamanda, 1996) et se réfèrent principalement aux produits agricoles traditionnels plutôt qu'aux PFNL. Selon les auteurs, les exportations des marchés étudiés du Cameroun vers les pays voisins en 1996, se chiffraient à au moins 980 000 dollars EU.

DÉGRADATION POTENTIELLE DES RESSOURCES FORESTIÈRES

En dépit (ou peut-être justement à cause) de l'importance économique des PFNL, les ressources disponibles sont soumises à une pression croissante, ce qui a conduit de nombreux commerçants à demander une amélioration des systèmes de gestion agroforestiers. La pression varie suivant la partie de la plante qui est récoltée et la technique de récolte (Peters, 1994). Le problème le plus évident est lié à l'écorçage de certaines espèces comme Garcinia lucida et Garcinia kola pour la production de vin de palme. Dans le cadre d'enquêtes réalisées sur le site du programme de Tropenbos, dans le sud du Cameroun, van Dijk (1995) n'a repéré aucun arbre de G. lucida dans un inventaire de 11 transects complets; selon cet auteur, leur absence pourrait être une conséquence de la surexploitation; Ntamag (1997) a constaté que G. lucida n'était présente que dans des forêts vierges et à raison d'une densité moyenne de quatre arbres à l'hectare seulement; et Guedge (1996) a noté une densité élevée à l'hectare mais constaté que 50 pour cent des arbres étaient morts pour cause d'écorçage.

Dans les forêts peu perturbées, la densité de G. kola à l'hectare semble aussi varier considérablement. Tchatchou (1997, cité par Doucet et Koufani, 1997) a estimé cette densité à 0,01 arbre/ha dans l'est du Cameroun, alors que Doucet et Koufani (1997) n'ont trouvé aucun G. kola dans les inventaires qu'ils ont effectués dans la même région. Dans le sud du Cameroun, van Dijk (1995) a trouvé 0,4 arbre/ha et noté que l'espèce donnait des signes de surexploitation pour cause d'écorçage. Cependant, à la différence de G. lucida, G. kola est également commune dans les jachères et dans les plantations de cacao, à cause de son fruit amer qui est apprécié.

Pour remédier à la pression accrue sur des ressources précieuses, on pourrait les exploiter selon un système plus proche des cycles de plantations agricoles. Par exemple, des paysans du village de M'mouck dans le sud-ouest du Cameroun ont commencé à planter des Prunus africana, qui avaient pratiquement disparu des forêts du village (BDCPC, 1997). La valeur marchande de l'écorce de P. africana est estimée à 150 millions de dollars EU par an (Cunningham et Mbenkum, 1993). Plus de 1 900 tonnes de l'écorce de cet arbre ont été transformées chaque année au Cameroun entre 1986 et 1991. Cela représente une moyenne de 35 000 arbres écorcés chaque année, affectant au moins 6 300 hectares de forêt afro-montagnarde au Cameroun chaque année (Cunningham et Mbenkum, 1993).

Une stratégie de plantation a également été proposée par Shiembo, Newton et Leakey (1996) pour atténuer la forte pression sur Gnetum spp., bien que l'abondance relative de cette liane durant les premiers stades de la période de jachère semble avoir temporairement évité la nécessité d'adopter des pratiques de gestion plus intensives.

Des modifications des techniques d'extraction visant à satisfaire la demande croissante ont également augmenté la pression sur plusieurs types de palmiers. Ndoye (1995) a constaté qu'un échatillon d'agriculteurs de Mbalmayo exploitaient Elaeis guineensis pour la production de vin de palme, en coupant les arbres au lieu d'y grimper, si bien qu'ils en tuaient 58 pour cent. De même, Oyono (1997) a signalé que 1 000 palmiers à raphia (Raphia hookeri) mouraient chaque année après avoir été exploités à Ekom, dans la région de Lomé, dans le sud-est du Cameroun.

CONCLUSIONS

Les forêts du Cameroun fournissent de nombreux PFNL qui sont utilisés à des fins de subsistance et comme médicaments, et commercialisés sur les marchés locaux et à l'étranger. Le commerce de ces produits se chiffre à plusieurs milliards de francs CFA (millions de dollars EU), et contribue pour une part importante à l'économie rurale du pays. Les marchés des PFNL dans la ZFH du Cameroun offrent des possibilités de revenu non seulement aux gros commerçants spécialisés, mais aussi aux innombrables commerçants pauvres qui tirent de ces produits leur maigre revenu monétaire. Les commerçants sont pour la plupart des femmes, bien que l'étude ait révélé que c'étaient les hommes qui commercialisaient à la plus grande échelle. Les habitants des campagnes et les commerçants opérant en milieu rural vendent à la fois des PFNL et des produits agricoles. S'agissant de produits saisonniers, les PFNL complètent les produits agricoles en améliorant le bien-être des ménages ruraux et des commerçants qui opèrent sur le marché.

Marchande de mangues sauvages (Irvingia spp.) au marché frontalier d'Abang Minko

Les marchés des PFNL sont très dynamiques et hiérarchisés dans un vaste réseau organisé autour de pôles locaux, provinciaux et nationaux. Les prix de certains produits sont relativement élastiques par rapport aux contraintes de l'offre. Les produits sont commercialisés dans toute l'Afrique occidentale et centrale, certains atteignant même les communautés d'immigrés dans de grandes villes d'Europe.

L'absence d'infrastructures commerciales (qui est un signe du manque d'intérêt et d'appui des institutions pour le commerce des PFNL) est une importante caractéristique du commerce des PFNL que l'on retrouve dans toute la région. L'amélioration des conditions de marché et l'amélioration des systèmes de gestion pour garantir une offre stable sont des priorités absolues pour les commerçants, alors que l'amélioration du système de crédit leur semble une nécessité moins impérieuse. Plusieurs PFNL de la ZFH du Cameroun semblent soumis à une pression croissante en raison de la déforestation et de l'augmentation de la demande - un problème qui pourrait être résolu par une approche de plantation. Au Cameroun, il faut s'attaquer sans tarder à concilier les impératifs de création de revenus et de développement local avec la conservation des forêts. Les décideurs doivent être plus conscients de la valeur des PFNL et les incorporer dans les statistiques officielles.

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