ARC/00/4


 

VINGT ET UNIÈME
CONFÉRENCE RÉGIONALE
POUR L'AFRIQUE

Yaoundé (Cameroun), 21 - 25 février 2000

AIDE PUBLIQUE ET DÉVELOPPEMENT AGRICOLE
EN AFRIQUE

Table des matières



I. LA SITUATION AGRICOLE DANS LA RÉGION AFRIQUE

1. L'agriculture domine l'économie de la plupart des pays africains et elle est le premier moteur de la croissance économique. Elle produit l'essentiel des denrées alimentaires consommées en Afrique subsaharienne et représente 70 pour cent de la totalité des emplois, environ 40 pour cent de la totalité des exportations de marchandises et 34 pour cent du PIB africain.

2. Ce secteur est la principale source de matières premières pour l'industrie et le principal acheteur d'outils simples (outils agricoles) et de services (transports), et les agriculteurs sont les principaux consommateurs des biens de consommation produits sur place. En fait, dans la plupart des pays africains, un à deux tiers de la valeur ajoutée dans le secteur manufacturier repose sur les matières premières agricoles et de nombreux services sont liés à l'agriculture (Barghouti, Garbus et Umali, 1993).

3. L'agriculture restera, dans un avenir prévisible, le secteur le plus important pour faire face aux problèmes de la sécurité alimentaire et de la pauvreté en Afrique. La transformation de l'agriculture et l'expansion de sa capacité de production sont les conditions préalables à toute amélioration des niveaux de vie en Afrique subsaharienne.

4. Malheureusement, depuis les années 60, l'Afrique est la seule région du monde en développement où la production vivrière par habitant diminue, mettant un large segment de la population dans une situation précaire en termes de sécurité et de nutrition. Afin d'inverser cette tendance, la plupart des gouvernements africains ont entrepris, il y a une vingtaine d'années, des réformes économiques en profondeur sans, toutefois, obtenir d'amélioration sensible de la sécurité alimentaire ou réduire de manière appréciable la pauvreté.

5. Le déclin du rôle du secteur agricole est symptomatique de l'insuffisance de la formation de capital, associée à une forte décapitalisation, ce qui en fait un secteur caractérisé par une structure à coût élevé et une faible productivité. Cette situation contraint la plupart des agriculteurs et des autres agents économiques à recourir à des pratiques qui favorisent la dégradation des ressources foncières, l'appauvrissement des forêts et d'autres formes de végétation naturelle et l'épuisement des ressources marines et aquatiques, y compris l'eau.

6. Quelques indicateurs suffisent à mesurer l'étendue du déclin de ce secteur et la marginalisation des pays africains sur le marché mondial. L'essentiel des recettes d'exportation de la plupart des pays dans la région reposent encore sur un ou deux produits traditionnels. Les parts de production et de marché de l'Afrique en ce qui concerne ces produits ne cessent de se rétrécir depuis les années 60.

7. En ce qui concerne le cacao, la part de production est passée de 71,6 pour cent dans les années 60 à 58,7 pour cent dans les années 90, tandis que la part de marché a baissé de 78,9 à 64,7 pour cent. Pour ce qui est du café, les parts de production et de marché sont passées de 25,9 et 28,8 pour cent dans les années 60 à 18,6 et 18,5 pour cent dans les années 90, respectivement. La situation est encore plus préoccupante en ce qui concerne les arachides et l'huile de palme. Dans les années 60, l'Afrique s'adjugeait 33,8 et 88,4 pour cent de la production et du marché des arachides dans le monde. Dans les années 90, ces parts sont tombées à 21,4 et 7,6 pour cent, respectivement. En ce qui concerne l'huile de palme, les parts de production et de marché sont passées de 84 et 36,8 pour cent dans les années 60 à 23,3 et 2,6 pour cent dans les années 90, respectivement.

8. L'Asie, à l'inverse, a augmenté ses parts de production et de marché en ce qui concerne le cacao de 0,7 et 0,4 pour cent dans les années 60 à 16,9 et 18,5 pour cent dans les années 90, respectivement. Pour ce qui est du café, ses parts de production et de marché sont passées de 6,6 et 6,5 pour cent dans les années 60 à 18,9 et 16,7 pour cent dans les années 90, respectivement. En ce qui concerne les arachides, les parts de production et de marché de l'Asie étaient de 51,7 et 54,0 pour cent dans les années 60, respectivement, et de 69,0 et 48,5 pour cent dans les années 90, respectivement. Pour l'huile de palme, l'Asie s'adjugeait 11,1 pour cent de la production mondiale et 58,8 pour cent du marché mondial dans les années 60. Elle a amélioré ses résultats dans les années 90, et ses parts de production et de marché sont passées à 69,8 et 91,5 pour cent, respectivement.

9. En ce qui concerne les cultures vivrières, on constate que le taux de croissance de la production céréalière de la région pendant la période 1961-97 a été plus faible que celui des autres régions en développement. La situation alimentaire en Afrique s'est détériorée par rapport aux autres régions, du fait de l'écart croissant entre le taux de croissance de la production et celui de la population alors que, d'autres régions en développement, dont les taux démographiques sont bas et en diminution, ont enregistré des gains notables de productivité.

10. Pendant la période 1961-97, les taux de croissance annuelle des rendements céréaliers en Afrique ont été de 1,1 pour cent pour le maïs, 0,6 pour cent pour le riz, 0,2 pour cent pour le sorgho et 0,4 pour cent pour le millet. En Asie, ces taux de croissance ont été de 3,4 pour cent pour le maïs, 2,2 pour cent pour le riz, 1,7 pour cent pour le sorgho et 1,2 pour cent pour le millet. L'Amérique du Sud a également enregistré des gains de productivité non négligeables avec des taux de croissance annuelle de 2,0 pour cent pour le maïs, 1,8 pour cent pour le riz, 2,0 pour cent pour le sorgho et 0,6 pour cent pour le millet pendant la même période.

11. Les données ci-dessus indiquent nettement que les sous-secteurs des cultures vivrières et des cultures d'exportation dans la région subsaharienne ont enregistré de très mauvais résultats pendant cette période. La part de marché des produits agricoles d'exportation traditionnels a donc diminué et celle des importations vivrières (céréales) et de l'aide alimentaire a considérablement augmenté.

12. La base institutionnelle et le cadre de politique économique tout entier sont déterminants pour expliquer les mauvais résultats des secteurs intérieurs et extérieurs des économies africaines. Dans les autres régions en développement, les pays qui ont réussi à prendre des parts importantes des marchés mondiaux des produits agricoles d'exportation traditionnels ont fait de gros efforts pour éliminer, ou tout au moins réduire considérablement, les contraintes tant sur le plan de l'offre que sur celui de la demande. En ce qui concerne l'offre, ils ont pris des mesures de fond visant à : 1) améliorer la productivité agricole en encourageant la recherche, la formation et la vulgarisation ; 2) réduire les coûts de transaction en développant les infrastructures et les institutions, en favorisant le secteur privé et en l'incitant à assumer des fonctions en amont et en aval essentielles pour le secteur agricole ; 3) réduire la taxation (déclarée et implicite) du secteur agricole; et 4) diversifier la base des exportations. Ces actions ont, dans l'ensemble, permis d'améliorer sensiblement la compétitivité commerciale et de protéger le secteur de l'exportation contre la volatilité des marchés mondiaux et d'autres chocs défavorables.

13. En ce qui concerne la demande, la concurrence mondiale et le soutien des prix intérieurs (subventions agricoles) peuvent difficilement être considérés comme des facteurs déterminants pour expliquer la marginalisation de l'Afrique dans le commerce mondial. C'est l'incapacité des économies africaines à augmenter de manière significative la productivité du secteur agricole et à réduire les coûts de transaction qui a réduit leur compétitivité sur le marché mondial. Les prix intérieurs des produits agricoles d'exportation payés aux producteurs ont été et continuent d'être très en dessous des cours mondiaux du fait de la taxation directe et indirecte. Les prix réels à la production de leurs produits de base représentent toujours une très petite fraction des cours mondiaux réels. Les subventions à l'achat d'intrants (engrais), qui ont déjà été éliminées conformément aux programmes d'ajustement structurel, ont été limitées en volume et en portée pour compenser l'incidence négative des politiques ayant des effets de distorsion sur les prix.

14. Les politiques en matière de commerce et de taux de change associées à de graves insuffisances structurelles et institutionnelles ont contribué à maintenir les prix à la production des produits agricoles d'exportation à un niveau très bas par rapport non seulement aux cours mondiaux mais aussi aux autres régions productrices dans le monde. La surévaluation des monnaies africaines, notamment dans les années 60, 70 et 80 a également agi comme une taxation implicite des produits agricoles d'exportation.

15. Les investissements stratégiques pour le développement des infrastructures et des institutions dans la région, notamment la création et le renforcement des capacités, sont restés anormalement faibles par rapport aux pays d'Asie, qui ont enregistré une forte croissance économique et une réduction notable de la pauvreté. (Ragayah, 1998 ; Kiran, 1998 ; Falusi, 1998 ; Kouassy et Diop-Boaré, 1998).

II. NATURE ET PORTÉE DES INVESTISSEMENTS PUBLICS DANS L'AGRICULTURE

16. Depuis les années 60, le niveau des ressources publiques affectées à l'agriculture est resté faible par rapport à la taille du secteur et à sa contribution économique. Dans la plupart des pays, moins de 10 pour cent des dépenses publiques (dépenses ordinaires et investissements) ont été engagées dans le secteur pendant la période 1961-97 alors que sa contribution au produit intérieur brut s'est située entre 30 et 80 pour cent. Cette situation est d'autant plus préoccupante que les transferts directs et indirects de revenus de l'agriculture à l'État et au reste de l'économie continuent de dépasser largement le montant des ressources publiques affectées au secteur.

17. Les politiques de dépenses publiques, du fait de l'insuffisance des ressources affectées au secteur, ont limité le développement des biens publics (infrastructures de base, institutions, capital humain et services de soutien) et l'aide publique au secteur privé. De ce fait, elles ont eu une incidence négative non seulement sur la croissance agricole et sur le processus de développement, mais également sur le reste de l'économie. Il est notoire qu'une croissance de 1 pour cent de l'agriculture amène une croissance économique de 1,5 pour cent par un effet d'entraînement sur l'industrie, les transports et les services (Cleaver, 1993).

18. Ces politiques, outre le niveau relativement bas des ressources publiques affectées à l'agriculture par rapport aux autres secteurs de l'économie, présentent également d'autres points faibles. En Afrique, les investissements publics sont rarement assortis des crédits ordinaires suffisants, ce qui limite l'entretien et la gestion des biens d'équipement créés. Les exemples sont nombreux en Afrique, qu'il s'agisse de routes, d'infrastructures d'irrigation et d'autres structures publiques. Même dans les pays où des investissements considérables ont été faits pour la création de biens d'équipement publics pour l'agriculture, les gouvernements n'ont pas toujours réussi à libérer les ressources nécessaires pour en assurer l'entretien et la gestion adéquates. Les exemples d'infrastructures d'irrigation mal gérées et mal utilisées abondent.

19. L'affectation intrasectorielle de ces ressources publiques aux sous-secteurs et, au sein de ceux-ci, aux produits, ne repose, dans le meilleur des cas, que sur une logique économique peu cohérente. Au sein du sous-secteur des cultures, une part écrasante a été faite à une céréale, comme par exemple le riz, le maïs ou le blé, alors que les racines et tubercules, les légumineuses et les graines oléagineuses ont été négligées.

20. Sur le plan de la couverture géographique, l'affectation des ressources publiques a manqué également d'efficacité. Dans la plupart des pays africains, le processus d'affectation régionale des ressources publiques ne prend pas souvent en compte des facteurs comme le potentiel agro-économique, les contraintes naturelles, les infrastructures existantes, les ressources humaines, les institutions, la base démographique et la contribution de la zone au produit intérieur brut.

21. Par principe économique, l'affectation des ressources publiques aux différentes régions d'un pays doit être guidée par les facteurs énoncés précédemment. Dans une région caractérisée par de lourdes contraintes, les investissements massifs génèrent rarement des résultats en proportion. A l'inverse, ils entraînent des dépenses récurrentes importantes pour l'entretien des biens d'équipements créés. Toutefois, dans les zones à potentiel élevé, la rentabilité économique des investissements est en général forte. Les excédents créés peuvent ensuite être redistribués entre les zones à potentiel élevé et celles à faible potentiel. Le pays peut ainsi contribuer de manière concrète à ses propres efforts d'investissement, au lieu de s'appuyer presque exclusivement sur des ressources extérieures pour ses investissements. Cette vision à long terme mérite un examen attentif.

22. Le cas de la Malaisie, pays dont le niveau de développement économique était comparable à celui de la plupart des pays subsahariens à la veille de son indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne en 1957, mérite que l'on s'y arrête afin de mieux comprendre ces questions et d'en tirer des enseignements utiles aux décideurs et autres parties prenantes. Les stratégies de développement adoptées par la Malaisie pendant la période 1957-70 combinaient remplacement des importations, politique industrielle et intervention massive du gouvernement afin d'encourager le secteur rural et la mise en place d'infrastructures sociales et matérielles. Pendant cette période, 22,3 pour cent des dépenses publiques ont été consacrées au secteur agricole et rural, et 2,4 pour cent seulement au secteur industriel. Cette politique économique a permis à la Malaisie de bénéficier d'un taux de croissance économique d'environ 6 pour cent en moyenne par an, mais n'a pas réussi toutefois à réduire l'inégalité des revenus et la pauvreté, dont l'incidence était d'environ 52,4 pour cent à la fin de cette période.

23. En 1970, un nouveau cadre de politique économique a été adopté dont les principaux éléments étaient la diversification de l'agriculture, l'utilisation intensive des ressources naturelles, l'intégration du développement agricole, rural et commercial dans des régions choisies, l'encouragement de la production de cacao et d'huile de palme, et de la foresterie. Environ 16,0 pour cent des dépenses de développement du gouvernement fédéral sont affectées à l'agriculture. Ce pourcentage est encore beaucoup plus élevé si l'on tient compte des chiffres concernant le budget ordinaire. La politique industrielle est passée des activités de substitution des importations aux activités à vocation exportatrice. Les prix ont été réglementés et le développement du secteur privé a été encouragé dans les industries axées sur l'exportation.

24. Une forte croissance de 8 pour cent en moyenne par an été enregistrée pendant la période 1971-1990. Sur le plan social, la politique adoptée a été un grand succès. En 1990, à la fin de cette période, l'incidence de la pauvreté était tombée à 16,2 pour cent. Cette expérience a été largement saluée comme un exemple de réussite de forte croissance économique réalisée dans l'équité (Bhalla et Kaharas, 1992 ; Ragayah, 1998). En 1991, une politique de développement national a été adoptée pour la période allant jusqu'à l'an 2000. Son objectif est d'obtenir un développement équilibré marqué par la croissance dans l'équité. Pendant la sous-période 1991-95, la part du secteur agricole et rural a représenté environ 11,3 pour cent des dépenses du gouvernement fédéral, le taux de croissance de l'économie a été de 8,7 pour cent et l'incidence de la pauvreté est tombée à 9,6 pour cent.

25. Dans la plupart des pays africains, les résultats obtenus ont été plutôt décevants à plusieurs égards. Ces pays ne sont pas parvenus à installer une croissance agricole et économique durable, à obtenir une meilleure répartition des revenus et à réduire l'incidence de la pauvreté. Même dans les pays qui se sont attachés à modifier en profondeur leurs régimes économiques, les résultats ont été limités et liés avant tout à une aide publique extérieure de grande envergure, alors que la part des ressources publiques allouées à l'agriculture est restée négligeable, ne dépassant pas 5 pour cent des ressources publiques intérieures consacrées à l'économie.

26. La baisse de la participation du secteur public dans les activités économiques entraînée par les réformes des politiques économiques fondées sur les mécanismes du marché et la réaction plutôt discrète du secteur privé devant ces réformes sont préoccupantes et amènent à s'interroger sur le soutien à apporter au secteur afin qu'il puisse remplir ses obligations socio-économiques, jouer son rôle et apporter les contributions nécessaires pour assurer la croissance économique de la plupart des pays africains. A cette fin, les gouvernements africains devraient adopter un ensemble de mesures visant à améliorer la structure des prix de soutien et d'autres incitations. Le secteur pourra ainsi réagir efficacement, atteindre un niveau de croissance souhaitable et contribue de manière déterminante au développement économique général de la région.

III. NÉCESSITÉ DE RÉFORMER LES POLITIQUES EN MATIÈRE DE PRIX ET D'INVESTISSEMENTS PUBLICS

27. On constate que les carences structurelles et institutionnelles limitent considérablement la réaction des agriculteurs aux réformes des politiques de prix. La suppression des distorsions de prix par le biais de réformes macro-économiques et sectorielles n'a qu'un impact limité sur la réaction des agriculteurs, les infrastructures commerciales, les institutions et les services de soutien continuant d'être dans l'ensemble sous-développés. De ce fait, l'agriculteur se trouve dans une situation doublement désavantageuse car il doit supporter les coûts élevés des intrants et vendre ses produits à un prix très inférieur. Il est aussi exact que la seule suppression des contraintes structurelles et institutionnelles n'aura qu'un impact limité sur la réaction des agriculteurs si les distorsions restent importantes.

28. Il a été prouvé que la suppression des distorsions des prix, associée à celle des contraintes structurelles et institutionnelles, accroît la synergie entre les facteurs prix et les facteurs hors prix de la réponse de l'offre, de sorte que l'impact total sur la production est plus grand que la somme des impacts de chaque groupe d'éléments principaux de la réponse de l'offre pris séparément. L'importance des facteurs prix et des facteurs hors prix en ce qui concerne la réponse de l'offre agricole est une opinion à laquelle se rallie un nombre croissant d'économistes (Elamin et El Mak, 1997 ; Tshibaka, 1997 ; Binswanger, 1989).

29. Au Soudan, la comparaison entre deux systèmes agricoles reposant sur le mode de production - agriculture irriguée contre agriculture pluviale - indique nettement qu'il existe une synergie entre les facteurs prix et les facteurs hors prix ayant une incidence sur la production agricole. L'agriculture pluviale, caractérisée par de faibles investissements publics par unité de sol cultivé, s'est montrée moins sensible aux facteurs prix et hors prix que l'agriculture irriguée, qui bénéficie d'un haut niveau d'investissements public par unité de sol cultivé. La même constatation a été faite en ce qui concerne les cultures céréalières et non céréalières. La plus grande part des investissements publics agricoles sont réservés aux cultures non céréalières
(Hag Elamin et El Mak, 1997).

30. Les résultats, dont on trouvera un résumé en annexe, montrent que la somme des estimations de l'élasticité de la production par rapport aux prix et aux biens d'équipement publics est plus élevée pour le mode de production agricole (agriculture irriguée) ou le groupe de produits (non céréaliers) bénéficiant d'un haut niveau d'investissements publics (biens d'équipement publics). La somme des élasticités de la production à court terme par rapport aux facteurs prix et aux facteurs hors prix est égale à 0,4 et 0,8 pour l'agriculture pluviale et l'agriculture irriguée, respectivement. La somme des estimations de l'élasticité à long terme pour l'agriculture pluviale et l'agriculture irriguée est environ de 0,6 et 0,8, respectivement. En ce qui concerne les cultures céréalières et non céréalières, la somme des estimations de l'élasticité de la production est d'environ 0,94 et 1,2 à court terme, respectivement. A long terme la somme de ces estimations est égale à environ 1,3 pour les céréales et de 1,8 pour les non céréales. Ces résultats suggèrent l'existence d'une synergie entre les facteurs prix et hors prix affectant le niveau de réponse de la production agricole.

31. De récentes études empiriques menées en Afrique confirment la nécessité de réformes qui se traduiraient par une amélioration des prix de soutien et autres incitations. Le paradigme des prix assure qu'une amélioration des termes intérieurs de l'agriculture est sensée entraîner une amélioration sensible de l'allocation des ressources à l'agriculture. Or, dans la plupart des pays africains, l'amélioration des termes intérieurs de l'échange dans l'agriculture consécutive aux réformes des politiques d'ajustement structurel n'a entraîné aucune amélioration de la part relative des investissements et des flux de main-d'œuvre agricoles dans l'économie (Dike, 1998). Les gouvernements de ces pays n'ont même pas augmenté les allocations de ressources à l'agriculture. On a assisté au contraire à la décapitalisation du secteur agricole, comme l'indique la forte baisse du rapport capital-travail agricole pendant cette période, contrairement aux prévisions.

32. L'impuissance des réformes des prix à augmenter le flux des ressources d'investissement nécessaires pour créer des biens d'équipement agricoles donne à penser que les réformes des politiques des prix et des facteurs hors prix ne sont pas seulement nécessaires, mais aussi complémentaires. En conclusion, fixer les prix à un juste niveau et améliorer les autres incitations sont un double objectif qu'il faut poursuivre si l'on veut favoriser et soutenir la croissance du secteur agricole.

33. La recherche montre que non seulement les termes intérieurs des produits agricoles, mais aussi le contenu de la consommation de capital sont les facteurs déterminants de l'affectation du travail à l'agriculture. L'élasticité du temps de travail consacré par l'agriculteur aux activités agricoles est d'environ 0,4 par rapport aux termes intérieurs de l'échange des produits agricoles et de 0,3 par rapport à la consommation de capital (Tshibaka, 1998). Cette constatation suggère que l'amélioration des prix agricoles réels et de la consommation de capital incitera les agriculteurs à affecter plus de travail à l'exploitation. Autrement dit, ce résultat fait penser que la structure médiocre des incitations par les prix et le faible niveau des biens d'équipement et des services conduiront les agriculteurs à affecter leur temps de travail à des activités non agricoles, notamment à la migration hors de l'agriculture.

34. Les pays qui ont réussi à maintenir un niveau relativement élevé d'incitations par les prix et à développer les biens d'équipement et les services publics n'ont pas enregistré de pénuries de main-d'œuvre agricole, contrairement à ceux qui n'ont pas adopté la même ligne de conduite. La plupart des pays africains continuent de souffrir de pénuries de main-d'œuvre agricole du fait d'un exode rural non négligeable provoqué par la forte décapitalisation du secteur agricole. Même lorsque des investissements agricoles massifs ont été faits dans diverses parties du pays, la migration de la main-d'œuvre hors de l'agriculture se poursuit sans répit du fait de l'aggravation des termes internes de l'échange des produits agricoles. Ces observations suggèrent que les prix de soutien et les autres incitations sont complémentaires. Il est donc impératif que les décideurs prennent les mesures nécessaires pour améliorer la structure des incitations par les prix auxquelles sont confrontés les agriculteurs et d'autres agents économiques participant aux activités liées à l'agriculture, pour encourager la création de biens d'équipement et de services publics et pour mobiliser les investissements agricoles privés.

35. Il importe également de noter que les programmes d'aide publique visant le secteur agricole ont jusqu'à présent obtenu des résultats limités en Afrique dans les domaines suivants:

36. Compte non tenu de ce qui précède, l'aide publique au secteur agricole semble avoir été un échec sur certains points, notamment :

IV. CONCLUSIONS ET MESURES REQUISES

37. Ce document montre clairement que les pays qui s'en sont tenus à une politique d'allocations à l'agriculture de ressources publiques importantes - ressources financières et humaines (volume et qualité) - pendant une longue période, ont encouragé la participation du secteur privé et renforcé notablement la croissance et le développement de l'agriculture. Ils ont ainsi suscité une meilleure répartition des revenus et réduit de ce fait la pauvreté. A cet égard, il convient d'examiner attentivement les mesures suivantes :

38. Dans cette perspective, il ne faudra pas perdre de vue les points suivants:

 


Annexe

Elasticités de la production agricole, Soudan, 1970-1993

Mode de production/
Produit Composition
Niveau d'investissements publics par ha de sol cultivé Élasticités par rapport aux prix agricoles Élasticités par rapport aux investissements publics (biens d'équipement publics) par ha de sol cultivé Somme des estimations de l'élasticité
    Estimation de l'élasticité à court terme Estimation de l'élasticité à long terme Estimation de l'élasticité à court terme Estimation de l'élasticité à long terme Court terme Long terme
Agriculture pluviale Faible 0,23 0,40 0,13 0,22 0,36 0,62
Agriculture irriguée Élevé 0,29 0,30 0,47 0,48 0,76 0,78
Céréales Faible 0,45 0,63 0,49 0,69 0,94 1,32
Cultures non céréalières Élevé 0,34 0,49 0,89 1,27 1,23 1,76

Source : Hag Elamin and E.M. El Mak (1997 : Adjustment Programmes and Agricultural incentives in Sudan: A comparative study. Research Paper 63, African Economic Research Consortium (AERC), Nairobi, Kenya