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Production et productivité
agricoles dans les pays
en développement

INTRODUCTION

Pendant la deuxième moitié du XXe siècle, les agriculteurs ont dû faire face à une augmentation sans précédent de la demande alimentaire. Entre 1900 et 1950, la population mondiale avait augmenté de 960 millions d'habitants. Pendant la deuxième moitié du siècle, l'augmentation a été de 3 690 millions d'habitants. La population du monde en développement est passée de 1,8 milliard d'habitants à 4,7 milliards, soit un accroissement de 260 pour cent en 50 ans. En outre, les revenus par habitant - qui sont un autre déterminant de l'accroissement de la demande alimentaire - ont aussi augmenté dans beaucoup de pays en développement pendant cette période.

Les agriculteurs ont dû relever ce défi à un moment où une bonne partie des terres propres à l'agriculture étaient déjà cultivées. Dans beaucoup de pays, les terres étaient exploitées intensivement en 1950; la superficie irriguée était considérable et les cultures associées étaient chose courante. Dans la plupart des zones, il n'était plus possible d'accroître les superficies cultivées pour faire face à cette explosion de la demande. (Toutefois, c'était encore possible dans certaines régions, par exemple dans certaines parties de l'Afrique et dans le Cerrado au Brésil.)

La figure 21 illustre l'état de l'économie céréalière (production, importations et aide alimentaire par habitant) à plusieurs époques depuis 1961. Bien qu'ils ne concernent pas toutes les catégories de produits alimentaires ni toute la production agricole, ces chiffres reflètent les grandes tendances des dernières décennies dans cinq régions en développement et quatre régions développées.

Les valeurs sont données par habitant afin de permettre les comparaisons entre régions et entre périodes. On notera d'abord que la consommation apparente de céréales par habitant est plus élevée dans les pays développés que dans les pays en développement. Cela tient à ce que dans les premiers, beaucoup de céréales sont utilisées pour nourrir le bétail (et à ce que l'indice de transformation des produits fourragers en produits animaux est faible)1. Dans les régions en développement, où les céréales sont surtout utilisées pour l'alimentation humaine, la consommation totale par habitant est moins élevée. C'est en Afrique subsaharienne qu'elle est le plus faible parce que les plantes racines jouent un rôle important dans l'alimentation. En Asie du Sud, elle est également faible, même si les céréales sont des aliments de base, parce qu'elles sont très peu utilisées pour l'alimentation du bétail.

Figure 21

La production céréalière par habitant a beaucoup augmenté pendant toutes les périodes envisagées en Amérique latine, en Asie du Sud et en Extrême-Orient. Elle a diminué en Afrique subsaharienne et au Proche-Orient entre 1961 et 1981, mais elle a monté depuis (on notera que l'explosion démographique dans ces régions est postérieure à 1981).

La production agricole a énormément augmenté, mais de manière irrégulière, depuis 50 ans.

Les progrès de la production par habitant peuvent être qualifiés à la fois d'extraordinaires et d'inégaux. Extraordinaires, étant donné l'explosion démographique; inégaux, car ils ne sont pas uniformes dans toutes les régions et dans tous les pays. On examinera dans les pages qui suivent l'évolution de la production et les progrès de la productivité qui l'ont rendue possible aussi bien au niveau mondial qu'au niveau local ou national.

THÉORIES DE LA CROISSANCE DE L'AGRICULTURE

Les économistes et les historiens envisagent sous des perspectives différentes le processus de croissance de l'agriculture. Les principales écoles sont les suivantes:

En dehors de la théorie malthusienne, ces diverses thèses ne sont pas mutuellement exclusives. La théorie malthusienne envisage la croissance économique dans un contexte statique, en postulant que les institutions et les ressources humaines restent inchangées et qu'il n'y a ni invention ni diffusion de nouvelles technologies.

La théorie malthusienne appelle l'attention sur la croissance de la population (et de la population active) et sur celle des ressources utilisables en terres et en eau. Quand les ressources en terres et en eau sont abondantes, le ratio entre la population (ou la population active) et les ressources ne diminue pas nécessairement quand la population augmente car il est possible de mettre en culture de nouvelles terres. Mais comme les ressources en terres (et en eau) sont limitées, le ratio population/ressources finit nécessairement par augmenter, d'où une baisse inéluctable de la production par habitant. La théorie malthusienne amène à adopter une politique axée sur le ralentissement de la croissance démographique. Elle ne reconnaît pas explicitement le fait que la croissance démographique est alternativement un fardeau et un atout.

L'avantage démographique permet aux pays d'accroître l'investissement et l'épargne en augmentant la force de travail.

Cet effet tient à ce que la population active ne croît pas au même rythme que la population totale. Quand la croissance démographique s'accélère, comme ce fut le cas dans presque tous les pays en développement pendant les années 40 et 50, la population augmente plus vite que la population active pendant un certain nombre d'années tout simplement parce que les bébés ne deviennent pas des travailleurs avant un certain âge. Il en résulte un fardeau parce que la consommation augmente sans contrepartie. Inversement, quand la croissance démographique décélère, comme cela a été le cas dans la plupart des pays en développement depuis les années 50 ou 60, cela crée un atout pour l'économie parce que la population active augmente plus vite que la population. La plupart des pays en développement ont connu à des époques différentes depuis 1950 une telle alternance fardeau-atout. Cet atout démographique est important, même si l'on admet la perspective malthusienne.

Dans une variante du modèle malthusien, la croissance de la population ou de la densité démographique peut stimuler l'investissement dans le progrès institutionnel et technologique, apportant ainsi un correctif automatique à l'attribut «rendement décroissant» du modèle.

Les thèses de l'évolution institutionnelle, du capital humain, des pratiques exemplaires et de l'invention adaptative, contrairement à la théorie malthusienne, introduisent une dynamique en ce sens qu'elles postulent qu'il est possible de produire davantage avec une quantité donnée de facteurs (travail, terres, etc.). En d'autres termes, elles introduisent une variation de la productivité (voir encadré 21 pour l'arithmétique de la productivité agricole). Chacune de ces thèses est liée au développement de ce que nous appellerons le capital technologique (TC), c'est-à-dire la capacité que possède un pays de mettre en œuvre, adapter et développer des technologies propres à accroître la productivité.

La théorie du progrès institutionnel est axée sur les inefficiences liées aux coûts transactionnels et à l'imperfection des marchés. Les investissements dans l'infrastructure réduisent les frais de transport et autres, et peuvent également réduire les coûts transactionnels. L'investissement dans les institutions (institutions de crédit et systèmes juridiques) ont joué un rôle important dans l'économie agricole. L'amélioration des institutions et des infrastructures est un facteur de croissance de la production alimentaire par habitant même dans un contexte malthusien, c'est-à-dire en l'absence de progrès des technologies qui sont effectivement à la disposition des agriculteurs.

La théorie du capital humain souligne que les compétences en matière de gestion des exploitations et de production agricole (le capital humain représenté par les agriculteurs) peuvent être améliorées grâce à des programmes de formation et de vulgarisation agricoles. L'investissement dans le capital humain agricole peut donc générer une croissance de la production alimentaire par habitant.

Encadré 21

ARITHMÉTIQUE
DE LA CROISSANCE AGRICOLE

La production végétale (P) peut être exprimée comme le produit de la superficie (A) par le rendement (Y):

P = A x Y

Le taux de croissance de la production, GP est la somme du taux de croissance de la superficie GA et du taux de croissance du rendement GY:

GP = GA + GY

La production des cultures (ou de l'élevage) (P) peut aussi être exprimée comme une fonction des facteurs tels que superficie (A), travailleurs (W), services de mécanisation (M) et engrais (F):

P = F (A, W, M, F)

Le taux de croissance de la production GP peut alors être exprimé comme la somme, pondérée en fonction des coûts, des taux de croissance des facteurs de production, majorée d'un terme résiduel mesurant la croissance de la productivité totale des facteurs, GTFP:

GP = SA GA + SW GW + SM GM + SF GF + GTFP

Cette expression définit effectivement la productivité totale des facteurs qui est le ratio de la production (P) à un indice global des facteurs (I). La croissance de I est donnée par:

GI = SA GA+ SW GW + SM GM + SF GF

GTFP = GP - GI

La croissance de la productivité totale des facteurs est donc la différence entre la croissance effective de la production GP et la croissance qui se serait produite (GI) si les agriculteurs n'avaient pas changé de technologie ni amélioré leur efficience. La croissance de la production peut être assurée au moyen d'une utilisation accrue des facteurs ou d'une utilisation plus efficiente des facteurs. C'est cette dernière qui est exprimée par la croissance de la productivité totale des facteurs.

La thèse des pratiques exemplaires repose sur le fait qu'à un moment donné les agriculteurs n'ont pas encore essayé et adopté des technologies existantes qui auraient réduit les coûts et produit de la croissance à cause des défaillances des systèmes d'information et de démonstration qui leur sont accessibles. L'investissement dans les systèmes de vulgarisation agricole produira donc une croissance de la production alimentaire par habitant car elle aidera les agriculteurs à adopter des pratiques plus proches des pratiques exemplaires.

Enfin, la théorie de l'invention adaptative fait valoir que les technologies agricoles sont dans une large mesure spécifiques à des zones géographiques déterminées. Les processus biologiques varient en fonction du sol, du climat et même des conditions économiques. L'évolution naturelle «darwinienne» a produit une riche diversité d'espèces, ce qui explique la grande variabilité des espèces végétales et animales occupant les différentes niches écologiques. Les agriculteurs n'ont que partiellement effacé ce phénomène en sélectionnant des variétés de pays (ou cultivars primitifs) qui constituent le patrimoine génétique qu'utilisent aujourd'hui les obtenteurs modernes qui cherchent à améliorer les variétés ou les races végétales et animales. Les obtenteurs doivent aussi respecter les facteurs pédologiques et climatiques et adapter les améliorations variétales aux diverses régions ou niches. En conséquence, une technologie rentable dans un endroit peut ne pas l'être ailleurs. Mais cela signifie aussi que des programmes d'invention ciblés (obtentions végétales) peuvent déboucher sur une croissance de la production alimentaire par habitant. La théorie malthusienne a été reliée à d'autres théories par divers économistes qui s'intéressaient aux relations entre, d'une part, la croissance de la population (par rapport à celle des ressources) et, d'autre part, les mesures et les investissements inspirés par les thèses du progrès institutionnel, du capital humain, des pratiques exemplaires et de l'invention adaptative. Une de ces relations est celle qui résulte des progrès et des investissements suscités par l'évolution démographique3. L'étude de ces relations est généralement axée sur le «fardeau» démographique. La seconde relation tient à la complémentarité entre l'atout démographique d'une part et les investissements et les progrès institutionnels de l'autre4.

RÔLE DES INVESTISSEMENTS DANS L'ACCROISSEMENT DE LA PRODUCTIVITÉ AGRICOLE

Il ne faut pas oublier que même la thèse du progrès institutionnel est liée à l'investissement, en particulier à l'investissement dans la production de biens publics5. Le rôle du gouvernement dans une économie de marché doit normalement être de concevoir et d'administrer des institutions (systèmes juridiques, cadre réglementaire, politique de la concurrence) offrant des incitations à une production (agricole) privée efficiente, tout en investissant judicieusement dans la fourniture de biens publics. En pratique, dans beaucoup de pays en développement, les gouvernements sont souvent intervenus sur les marchés à tort et à travers et ont investi dans des entreprises publiques de production souvent inefficientes. Depuis quelques décennies, beaucoup de pays ont entrepris des réformes pour privatiser les entreprises publiques inefficientes et éliminer les offices de commercialisation et les autres organismes réglementaires inefficients. Mais les instigateurs de ces réformes n'ont pas toujours bien compris le rôle historique qu'ont joué ces biens publics dans l'agriculture. Les investissements du secteur public dans les écoles rurales, dans la vulgarisation agricole et dans la recherche agricole appliquée ont été un facteur essentiel de développement agricole dans tous les pays du monde. La réforme institutionnelle non accompagnée d'investissements dans ces biens publics ne produit pas une croissance économique dans le secteur agricole. Une politique laissant libre cours aux forces du marché ne produit pas la croissance en l'absence de programmes essentiels d'investissements publics.

La croissance du secteur agricole nécessite des investissements du secteur public.

Les relations entre ces investissements dans les biens publics sont illustrées à la figure 22 qui présente de façon schématique le processus d'amélioration de la productivité agricole par le progrès technologique, représenté par cinq niveaux successifs de capital technologique (TC). À chaque niveau de capital technologique correspondent quatre niveaux de rendement des cultures pour chaque localité. Ces niveaux sont les suivants: (A) rendement effectif des cultures dans la localité; (BP) rendement possible dans la même localité en admettant des pratiques exemplaires - c'est-à-dire le rendement maximisant les bénéfices grâce à l'utilisation des meilleures pratiques et technologies déjà connues adaptées à la localité; (RP) rendement potentiel en présence de recherche d'adaptation - c'est-à-dire le rendement correspondant aux pratiques exemplaires améliorées grâce à des programmes de recherche d'adaptation ciblés sur la localité; (SP) rendement potentiel en présence de recherche fondamentale - c'est-à-dire les rendements correspondant aux pratiques exemplaires encore plus performantes qui pourraient être mises en place si les programmes de recherche d'adaptation étaient appuyés par des programmes internationaux et nationaux de recherche fondamentale.

Ces différents rendements correspondent à trois types de déficits:

L'amélioration de la productivité agricole est liée à la réduction progressive de chacun de ces déficits à commencer par le déficit de vulgarisation, puis le déficit de recherche d'adaptation et enfin le déficit scientifique, à mesure que la capacité du pays d'adopter et de mettre au point des technologies améliorées s'accroît; cet accroissement de la capacité est représenté par le déplacement graduel du TC niveau I au TC niveau V.

Figure 22

Dans la figure 22, le TC I est un niveau auquel il n'y a guère d'activité de vulgarisation, de recherche d'adaptation ni de recherche fondamentale et les recherches qui produisent des technologies adaptées à d'autres régions n'en produisent pas pour la région qui se situe au TC 1. Le niveau d'instruction des agriculteurs est bas, les marchés peu développés et l'infrastructure insuffisante. Le déficit de vulgarisation est considérable et il existe une vaste marge pour des investissements très rentables dans la vulgarisation et l'infrastructure, même s'il y a en fait peu de programmes de recherche qui permettraient d'améliorer les pratiques exemplaires. Des programmes de vulgarisation peuvent réduire ce déficit et l'on aboutit alors au TC niveau II. Pour passer du TC II au TC III, il faut maintenant combler le déficit suivant, à savoir le déficit de recherche d'adaptation. Pour cela, il faut mettre en place une liaison directe entre la recherche et la vulgarisation: les programmes de vulgarisation doivent avoir pour fonction de valoriser les résultats de la recherche d'adaptation. Pour le passage du TC III au TC IV, il faut que les programmes de recherche d'adaptation soient appuyés par des programmes nationaux et internationaux de recherche fondamentale. Enfin, le passage au niveau TC V nécessite un effort toujours plus poussé et efficace de programmation de la recherche scientifique, de la recherche d'adaptation et de la vulgarisation.

Bien que la majeure partie de l'Afrique soit au niveau TC II, dans quelques pays ce niveau n'est pas encore atteint et peu ont accédé au niveau TC III, c'est-à-dire celui où les systèmes de recherche produisent une quantité importante de nouvelles technologies adaptées aux agriculteurs de beaucoup de régions. La situation de l'Afrique contraste avec celle de l'Asie du Sud et de l'Asie du Sud-Est, où dès le milieu des années 60, beaucoup de pays étaient déjà arrivés au niveau TC II et où les technologies de la révolution verte pour la production de riz, de blé, de maïs et d'autres cultures leur ont permis depuis de passer au niveau TC III. Aujourd'hui, beaucoup de pays d'Asie et d'Amérique latine possèdent un capital technologique de niveau TC IV.

Il est possible que les systèmes de recherche actifs dans d'autres régions permettent d'améliorer les pratiques exemplaires (et les rendements correspondants) dans des pays qui n'en sont qu'au niveau TC I, avant même que ces derniers ne soient passés au niveau TC II. Mais en pratique, la plupart des progrès résultant de la recherche n'ont été réalisés que dans des pays qui avaient déjà atteint le niveau TC II ou le niveau TC III pour ce qui est du développement des marchés, des infrastructures et des compétences. Dans certains cas, le progrès a été amorcé par la mise au point, souvent dans des centres internationaux, de matériel génétique et de méthodes permettant d'améliorer les pratiques exemplaires. En Afrique, la marge peut être très étroite dans certains pays à cause des contraintes résultant de la limitation des ressources génétiques et des graves problèmes dus aux insectes et aux maladies, de sorte que le déficit de recherche d'adaptation est en fait très petit. En tel cas, une stimulation par le haut peut être nécessaire, sous forme de progrès scientifiques (il s'agit de combler le déficit scientifique) pour améliorer la performance de la recherche d'adaptation.

La figure 23 illustre la question de la spécificité locale des techniques et celle de la recherche scientifique. Elle est tirée de la première grande étude économique des technologies agricoles, celle de Zvi Griliches6. Elle fait apparaître le taux d'adoption (en pourcentage des superficies) des maïs hybrides par les agriculteurs des différents États des États-Unis. Griliches a observé que l'hybridation était en fait l'invention d'une méthode d'invention, c'est-à-dire une découverte de la science pure ou recherche fondamentale. Les inventions elles-mêmes étaient les variétés de maïs hybride adaptées à des niches régionales. La méthode, quant à elle, est un produit de la science pure (dont la contrepartie moderne est le développement des biotechnologies). Si la méthode elle-même a une certaine spécificité géographique, cette spécificité est beaucoup moins marquée que dans le cas des inventions: par exemple, les inventions proprement dites, c'est-à-dire les variétés de maïs hybride adaptées à l'Iowa n'étaient pas utiles en Alabama et n'y ont donc pas été adoptées. L'Alabama n'a pu accéder à ces nouvelles technologies que quand il s'est doté d'une capacité d'obtention végétale et qu'il a mis au point des variétés de maïs hybride adaptées à ses conditions. De même, la technologie du maïs hybride n'était pas accessible aux Philippines ou à l'Inde tant que des stations de recherche n'ont pas été développées dans ces pays. Comme on le verra ci-après, cet «effet Alabama» s'est fait sentir dans tous les pays en développement. Les pays dépourvus de capacité de recherche d'adaptation n'ont pas tiré grand bénéfice des technologies créées à l'étranger.

Figure 23

Les pays en développement qui sont capables d'adapter les inventions technologiques extérieures peuvent en tirer des gains de productivité.

MESURE DE LA CROISSANCE DE LA PRODUCTIVITÉ AGRICOLE

La croissance de la productivité agricole suppose une augmentation de la production par unité de ressources utilisée pour produire des biens et services. On a utilisé deux types d'indicateurs de la croissance et de la productivité: l'indice de la productivité partielle des facteurs (PPF), et l'indice de la productivité totale des facteurs (PTF). Ces indices permettent de faire des comparaisons entre régions ou pays et entre périodes.

Les rendements ont augmenté plus rapidement dans les pays en développement que dans les pays développés mais ne sont pas devenus plus variables.

Mesure de la productivité partielle des facteurs

Figure 24

Les mesures PPF sont des ratios entre la production et un unique facteur de production. L'indice de la PPF le plus couramment utilisé pour l'économie globale est l'indice de la productivité du travail (P/W), c'est-à-dire la production (P) par travailleur (W). La production peut être mesurée en termes d'un produit unique, ou en termes d'un agrégat de produits; dans le deuxième cas, il faut utiliser les prix pour constituer des agrégats de produits. Pour permettre les comparaisons dans le temps, ces prix doivent être des prix réels ou constants.

Pour l'agriculture, l'indice de la PPF le plus couramment utilisé est la production par unité de terre (rendement). Cet indice est utilisé couramment depuis des siècles; il permet de faire des comparaisons entre localités et entre époques. Les comparaisons entre localités doivent tenir compte des différences de sol et de climat. On utilise couramment la variation des rendements dans une localité donnée comme indicateur d'une amélioration de l'efficience économique.

La figure 24 montre les rendements des cultures dans les pays développés et les pays en développement pour les principaux groupes de plantes cultivées au cours des cinq décennies du dernier demi-siècle. On constate que d'une façon générale, les rendements sont plus élevés dans les pays développés, mais que leur amélioration a été plus rapide dans les pays en développement.

Encadré 22

MESURE DES TAUX DE CROISSANCE DE LA PTF

Les données AGROSTAT de la FAO permettent de calculer les taux de croissance de la PTF pour la période 1961-1996 pour sept facteurs de production. On commence par estimer les taux de croissance de la production et de chaque facteur par des méthodes statistiques. Deuxièmement, on estime la part relative des facteurs pour trois périodes (1961-1976, 1971-1986 et 1981-1996) au moyen de ratios facteur/produit et d'estimations des parts des facteurs provenant d'études indépendantes sur l'Inde et le Brésil. La méthode arithmétique utilisée pour les calculs est présentée ci-après.
La croissance de la PTF (GTFP) est définie comme la croissance de la production (GP) moins la croissance des facteurs de production (GI) (voir aussi encadré 21, p. 248):

GTFP = Gp - GI

La croissance de la production peut être estimée pour les trois périodes 1961-1976, 1971-1986 et 1981-1996 à partir des données AGROSTAT de la FAO comme le coefficient b d'une régression établie pour chaque pays.

log (P) = a + b année

La croissance des facteurs est définie par l'expression suivante:

GI = SAGA + SI GI + SW GW + SAN GAN + ST GT + SH GH + SF GF

où:
GA est la croissance de la superficie cultivée, SA est la part des coûts attribuable à ce facteur;
GI est la croissance des superficies irriguées, SI est la part des coûts attribuable à ce facteur;
GW est la croissance de la main-d'œuvre agricole, SW est la part des coûts attribuable à ce facteur;
GAN est la croissance de l'utilisation d'animaux de trait, SAN est la part des coûts attribuable à ce facteur;
GT est la croissance du nombre de tracteurs, ST est la part des coûts attribuable à ce facteur;
GH est la croissance du nombre de moissonneuses, SH est la part des coûts attribuable à ce facteur;
GF est la croissance de l'utilisation d'engrais, SF est la part des coûts attribuable à ce facteur.
Les taux de croissance pour chaque facteur ont été estimés pour les trois périodes en utilisant la même méthode que pour la production. Les parts attribuables à chaque facteur ont été estimées en utilisant pour l'étalonnage les études de la PTF pendant plusieurs périodes en Inde et au Brésil.

Sources: Factor shares for India: R.E. Evenson et Y. Kislev, 1975. Agricultural research and productivity. Yale University, New Haven, Connecticut, États-Unis; R.E. Evenson et M.W. Rosegrant. 1995. Total factor productivity and sources of long-term growth in Indian agriculture. EPTD Discussion Paper No. 7, IFPRI, Washington. Factor shares for Brazil: A.F.D.Avila et R.E. Evenson. 1998. Total return productivity growth in Brazilian agriculture and the role of Brazilian agricultural research. Economia Applicada.

Figure 25

Malheureusement, l'accroissement des rendements s'accompagne en général d'un accroissement de leur variabilité. Il est donc en général associé à un accroissement de la variabilité des revenus agricoles. Pour mieux faire comprendre la question, le coefficient de variation7 est aussi indiqué à la figure 24. On ne peut dégager aucune tendance des coefficients de variation: il semble qu'il n'y ait pas de relation entre rendement élevé et grande variabilité des rendements ou de la production.

Le principal inconvénient des mesures de la PPF est qu'elles peuvent subir l'influence de variations de facteurs autres que ceux qui sont inclus dans l'indice. Par exemple, une augmentation de la fumure accroît les rendements. Pour inférer qu'un accroissement des rendements est dû à une amélioration génétique ou à une réduction des coûts transactionnels, il faut donc neutraliser l'effet de l'utilisation des autres facteurs (par des méthodes statistiques ou expérimentales). Malgré cet inconvénient, les indices de rendement sont des indicateurs très utiles de la variation de la productivité car il en existe généralement pour chaque culture, et qu'ils permettent donc de faire des comparaisons entre cultures.

Mesure de la productivité totale des facteurs (pour l'ensemble du secteur agricole)

On utilise parfois des mesures de la productivité totale des facteurs (PTF) pour comparer la productivité dans différentes localités, mais leur principal intérêt est de permettre de comparer la productivité entre diverses époques. Les mesures de la PTF diffèrent des mesures de la PPF parce qu'elles sont exprimées comme un ratio entre la production et un indice pondéré en fonction des coûts des différents facteurs de production. La PTF est donc le ratio entre un indice de la production et un indice des facteurs totaux. Son taux de croissance est le taux de croissance de la production minoré du taux de croissance de l'indice des facteurs totaux. C'est la différence entre la croissance effective de la production et celle qui se serait matérialisée en l'absence d'une augmentation de la productivité. Les variations de la PTF

Figure 26

peuvent aussi être interprétées comme variations du coût de la production d'une unité de produit, en mesurant le coût des facteurs à prix constants. Plusieurs auteurs ont mesuré les variations de la PTF dans différents pays, mais ces mesures sont difficiles à comparer entre pays parce que les méthodes utilisées pour neutraliser l'effet de la qualité des facteurs ne sont pas les mêmes et que les disponibilités de données diffèrent selon les études et selon les pays. Toutefois, des données disponibles à la FAO permettent de calculer les taux de croissance de la PTF pour la période 1961-1996 dans 89 pays en développement sur la base de sept facteurs de production. (Voir le détail des calculs à l'encadré 22.)

Les résultats de ces calculs sont présentés à la figure 25 par région. Sur les 89 pays, 14 ont eu des taux de croissance négatifs de la PTF entre 1961 et 1996. Onze de ces 14 pays étaient des pays d'Afrique subsaharienne et trois des pays des Caraïbes. Comme ces mesures sont très grossières, il se peut que ces taux de croissance négatifs soient dus à des erreurs (la croissance négative ne dépasse 0,5 pour cent que dans six cas). Il est possible qu'il y ait eu certaines baisses «réelles» de la PTF si les terres se sont dégradées (voir Facteurs défavorables, p. 283). On notera que la région dans laquelle la croissance moyenne de la PTF a été le plus élevée est la région Proche-Orient et Afrique du Nord. L'aspect le plus important de ces estimations grossières des taux de croissance de la PTF est qu'elles font apparaître une grande dispersion et variabilité entre régions.

DÉTERMINATION DES SOURCES DE CROISSANCE DE LA PRODUCTIVITÉ

Les indicateurs examinés ci-dessus ne sont conçus que pour mesurer la croissance de la productivité. D'autres méthodes sont nécessaires pour identifier les sources de cette croissance. Pour comprendre ces sources, on examine quatre éléments: investissements, action gouvernementale et institutions produisant une croissance de la productivité agricole. La méthode la plus simple pour identifier les sources consiste à comptabiliser séparément la part de la

Figure 26 (suite)

croissance de la production imputable à l'augmentation des superficies et la part imputable à l'augmentation des rendements. Une méthode un peu plus complexe consiste à comptabiliser la part imputable à la qualité des facteurs. Une troisième méthode consiste à envisager le problème sous l'angle du rendement des investissements. Enfin, les corrélations entre la croissance de la PTF et des indicateurs du niveau de capital technologique par pays peuvent aussi éclairer la question des sources de la croissance de la productivité.

L'amélioration des rendements agricoles des pays en développement n'a pas pris fin avec la révolution verte mais continue de progresser.

Comptabilité superficie-rendement

La comptabilité superficie-rendement est fondée sur le simple fait que la croissance de la production peut être séparée en deux composantes: croissance de la superficie plus croissance des rendements.

L'amélioration génétique des plantes cultivées, en particulier, se traduit par un accroissement des rendements. On a utilisé les mesures de la croissance des rendements comme indicateurs de la contribution de la révolution verte (utilisation des variétés améliorées - variétés semi-naines à haut rendement - de blé et de riz) à la fin des années 60 en Asie du Sud et du Sud-Est. C'est à ces variétés améliorées que l'on attribue l'accroissement des rendements et de la production et c'est grâce à elles que des millions de familles pauvres ont été sauvées du sort tragique auquel les condamnait la théorie malthusienne.

La figure 26 montre une comptabilité superficie-rendement pour les différentes décennies et pour chacune des principales cultures dans les pays développés et dans les pays en développement. Ces comparaisons permettent de dégager les conclusions suivantes:

Figure 26 (suite)

Tableau 16

RÉCAPITULATION DES ESTIMATIONS DU TRI

 

Nombre de TRI indiqués

Répartition en pourcentage

TRI médians approximatifs

   

0-20

21-40

41-60

61-80

81-100

100+

 

Vulgarisation

81

0,26

0,23

0,16

0,03

0,19

0,13

41

Par région:

               

OCDE

19

0,11

0,31

0,16

0

0,11

0,16

50

Asie

21

0,24

0,19

0,19

0,14

0,09

0,14

47

Amérique latine

23

0,13

0,26

0,34

0,08

0,08

0,09

46

Afrique

10

0,40

0,30

0,20

0,10

0

0

27

Recherche appliquée

375

0,18

0,23

0,20

0,14

0,08

0,16

49

Par région:

               

OCDE

146

0,15

0,35

0,21

0,10

0,07

0,11

40

Asie

120

0,08

0,18

0,21

0,15

0,11

0,26

67

Amérique latine

80

0,15

0,29

0,29

0,15

0,07

0,06

47

Afrique

44

0,27

0,27

0,18

0,11

0,11

0,05

37

Recherche scientifique

12

0

0,17

0,33

0,17

0,17

0,17

60

&D du secteur privé

11

0,18

0,09

0,45

0,09

0,18

0

50

Recherche ex ante

87

0,32

0,34

0,21

0,06

0,01

0,06

42

Rentabilité de l'investissement dans la productivité agricole

Une autre méthode pour déterminer les sources de la PTF consiste à mesurer la croissance de la production engendrée par l'investissement. On a utilisé pour cela deux types de méthodes: les méthodes d'évaluation des projets et les méthodes statistiques.

Méthodes d'évaluation des projets. Ces méthodes consistent à mesurer les «avantages» (sous forme de composants de la croissance) pouvant être attribués aux programmes d'investissement dans la recherche agronomique, de vulgarisation agricole, d'éducation des agriculteurs et d'infrastructure. Des études utilisant ces méthodes d'évaluation des projets ont été réalisées pour mesurer les avantages résultant des programmes de recherche et de vulgarisation agricoles. Ces méthodes permettent d'identifier, le taux de rentabilité interne (TRI) du projet. Le TRI est le taux d'escompte auquel la valeur actuelle8 des avantages est égale à la valeur actuelle des coûts. Le TRI peut être interprété comme le rendement ou le taux d'intérêt réalisé en longue période sur les investissements dans le programme.

Encadré 23

RENTABILITÉ DE L'INVESTISSEMENT: MÉTHODES STATISTIQUES
DE PRÉVISIONS PAR DÉCOMPOSITION DE LA PPF ET DE LA PTF

Pour utiliser les méthodes statistiques de prévisions par décomposition, il faut définir pour une région et une période données des variables du type général ci-après:

GTFP= a + b1Res + b2Ext + b3Sch + b4Inf

Où:

GTFP est une mesure de la PTF (quand on utilise des mesures de la PPF, on utilisera les prix des facteurs comme variables indépendantes); Res, Ext, Sch et Inf sont des variables correspondant respectivement aux services de recherche, de vulgarisation, d'éducation et d'infrastructure.

Cette méthode permet à l'analyste d'identifier statistiquement la contribution de la PTF à la croissance avec des variables représentant les investissements. Chaque variable explicative est conçue de façon à représenter les services PTF pour l'unité observée. Ces services ont des dimensions temporelles et spatiales qu'il convient d'estimer et d'inclure dans le plan statistique.

Par exemple, les programmes destinés à assurer un service de recherche pour une région donnée pendant la période allant de t à t+1 seront basés sur des investissements effectués avant la période t. Normalement, l'effet des programmes de recherche sur la productivité est différé, non seulement à cause des délais qui s'écoulent entre l'investissement et la découverte, mais aussi à cause du temps qu'il faut pour valoriser la découverte elle-même. On a estimé qu'il faut cinq à 10 ans pour que l'impact total sur la PTF se matérialise. Les variables représentant les services de recherche sont donc construites comme des sommes, pondérées en fonction du temps des investissements antérieurs.

Il faut aussi tenir compte des dimensions spatiales parce qu'une région peut bénéficier non seulement des résultats obtenus par la station de recherche qui travaille pour elle, mais aussi de ceux d'autres stations et d'entreprises privées. Pour en tenir compte, il faut estimer et pondérer les retombées de ces autres résultats mais cela a rarement été fait. Avec des coefficients de pondération spatiaux et temporels et une estimation de b1,b2, etc., il est possible de calculer le flux estimatif des avantages liés à une unité d'investissement pendant une période déterminée; cette étude peut être effectuée pour plusieurs périodes. L'analyste peut ainsi calculer un taux marginal de rentabilité interne de l'investissement.

On peut aussi utiliser les estimations de b1,b2, etc. avec les modifications des variables Res, Ext, etc. pour ventiler la croissance de la PTF en fonction de chaque investissement (voir tableau 17, p. 267).

On notera que dans toute mesure de la croissance de la PTF, le traitement de la qualité des facteurs doit être uniforme. Il ne faut pas mélanger des estimations «brutes» de la PTF avec des estimations ajustées en fonction de la qualité.

Méthodes statistiques. Une autre méthode de mesure de la rentabilité de l'investissement dans l'agriculture et la vulgarisation agricole est fondée sur des estimations statistiques des coefficients tirées des études de prévisions par décomposition de la PPF et de la PTF (voir les détails techniques à l'encadré 23). Le principe fondamental de ces études consiste à identifier par des méthodes statistiques la contribution à la croissance de la PPF ou de la PTF au moyen de variables basées sur les investissements. La réponse de la productivité aux programmes de recherche est normalement différée, non seulement à cause du délai qui s'écoule entre l'investissement et la découverte, mais aussi à cause du temps nécessaire pour valoriser cette dernière. Le délai total serait de l'ordre de cinq à 10 ans. Par la méthode de prévisions par décomposition, on peut ensuite calculer le flux estimatif des avantages produits par une unité d'investissement pendant une période donnée (ou plusieurs périodes). L'analyste peut ainsi calculer le taux marginal de rentabilité interne, c'est-à-dire le rendement des investissements publics dans un programme.

Résultats des études de rentabilité des investissements (méthodes d'évaluation des projets et méthodes statistiques). Le tableau 16 présente de façon récapitulative les taux de rentabilité interne de la recherche et de la vulgarisation calculés par des méthodes d'évaluation des projets et par des méthodes statistiques9. Pour la vulgarisation, la plupart des études ont utilisé des méthodes statistiques, tandis que pour la recherche appliquée, les deux types de méthodes ont été utilisés. Le tableau présente la distribution des TRI pour plusieurs catégories d'études. Pratiquement toutes les catégories présentent deux caractéristiques: premièrement, les TRI sont élevés (ils dépassent 20 pour cent dans 74 pour cent des cas pour la vulgarisation et dans 82 pour cent pour la recherche). Deuxièmement, l'éventail des estimations du TRI est très ouvert.

Étant donné l'ouverture de l'éventail des TRI dans chaque catégorie, il est difficile de dégager des conclusions fermes concernant la différence entre les moyennes des diverses catégories. On notera toutefois que c'est dans les catégories de la recherche fondamentale, des travaux de recherche-développement du secteur privé, de la recherche rizicole et de la recherche horticole que les TRI dépassent le plus souvent 40 pour cent. La proportion est un peu plus élevée dans le cas de la recherche fondamentale (59 pour cent) que dans le cas de la vulgarisation (51 pour cent).

La rentabilité des investissements publics dans la recherche et la vulgarisation agricoles est très élevée.

Tableau 17

LES SOURCES DE CROISSANCE DE LA PTF EN AGRICULTURE

 

Etats-Unis

Brésil

Inde

 

(1950-1982)

(1970-1985)

1956-1965

1966-1976

1977-1989

 

Cultures

Élevage

Cultures

Élevage

Total

Cultures

Cultures

Cultures

Croissance annuelle

de la PTF

0,63

0,51

1,11

0,9

1,00

1,27

1,49

1,14

Part de cette croissance due à:

- La recherche du secteur public

0,36

0,09

0,23

0,55

0,30

0,22

0,38

0,45

(Les variétés à

haut rendement)

-

-

-

-

-

0

0,20

0,04

- La R&D industrielle

0,24

0,54

0,17

0

0,31

0,07

0,18

0,07

- La vulgarisation agricole

0,25

0,17

0,07

0,05

0,02

0,66

0,16

0,43

- L'éducation des agriculteurs

-

0,08

-

-

-

0,01

0,01

0,01

- Les programmes gouvernementaux

0,02

0,06

-

-

-

     

- Les marchés

-

-

-

-

-

0,04

0,04

0,05

- Autres

0,30

0,13

0,45

0,40

0,37

0

0,19

0

Sources: Pour les États-Unis: W.E. Huffman et R.E. Evenson. 1993. Science for Agriculture, p. 212, tableau 7. Iowa Universitys, Ames, Iowa (États-Unis). Pour le Brésil: A.F.D. Avila et R.E. Evenson. 1998. Total return productivity growth in Brazilian agriculture and the role of Brazilian agricultural research. Economia Applicada, tableau 13). Pour l'Inde: R.E. Evenson, C.E. Proy et M.W. Rosegrant. 1999. Agricultural Productivity Growth in India. IFPRI. Report No. 109. IFPRI, Washington.

La répartition varie selon les régions. En Afrique, la proportion dépasse 40 pour cent plus souvent que dans les autres régions aussi bien pour la recherche que pour la vulgarisation. Les TRI de la recherche sont particulièrement élevés en Asie. Il ne semble pas que l'on puisse dégager une tendance temporelle des TRI. Les études portant sur des périodes récentes font apparaître des TRI analogues à celles qui portent sur des périodes antérieures10. Ces données indiquent que les programmes de recherche et de vulgarisation sont des investissements très rentables pour les contribuables.

Beaucoup d'auteurs ont fait des comparaisons entre les variétés améliorées et modernes et les variétés traditionnelles (voir encadré 24). Les obtenteurs on contribué à la croissance de la productivité en mettant au point des cultivars et des races animales (ou des animaux) plus productifs et plus résistants aux ravageurs et aux maladies (voir encadré 25).

Contribution à la croissance de la productivité. Les études statistiques dont les résultats sont récapitulés au tableau 16 peuvent aussi être utilisées pour calculer les composants de la croissance de la PPF ou de la PTF. Un coefficient a été calculé pour chaque variable du modèle statistique (recherche, vulgarisation, etc.). Ces coefficients indiquent la proportion de la croissance de la PPF ou de la PTF qui est liée à une variation donnée de la variable envisagée. Il est ainsi possible de calculer la contribution de chaque facteur à la croissance pendant une période déterminée.

Le tableau 17 présente les résultats de calculs effectués sur des données concernant les États-Unis, l'Inde et le Brésil. La contribution des variétés à haut rendement a été mesurée pour l'Inde. Ces variétés ont été une source importante de croissance pendant les années 70. On notera que plusieurs sources de croissance de la PTF sont prises en considération: programmes de recherche, vulgarisation, éducation, évolution du marché. Ce calcul n'implique pas que les diverses sources de croissance sont indépendantes les unes des autres: elles sont en fait toutes complémentaires.

Encadré 24

PRODUCTIVITÉ
ET AMÉLIORATION VARIÉTALE

La révolution verte si médiatisée à la fin des années 60 et au début des années 70 a permis d'améliorer la productivité au moyen de variétés à haut rendement ou modernes de blé et de maïs. Il est incontestable que ces variétés améliorées ont joué un rôle important et qu'elles ont eu un effet catalyseur sur l'amélioration de la productivité. Toutefois, les images diffusées par la presse populaire sont à bien des égards trompeuses. Elles donnent l'impression que la révolution verte est le résultat de la perspicacité exceptionnelle d'un petit groupe de chercheurs des centres internationaux de recherche agronomique (CIRA) et qu'elle s'est limitée à créer pendant les années 60 des variétés modernes de riz et de blé qui ont été diffusées pendant les années 70.

En réalité, beaucoup de programmes d'amélioration génétique étaient actifs dans les pays en développement depuis pas mal d'années avant la création des CIRA. Ils ont créé de nombreuses variétés de riz et de blé adaptées aux régions tropicales et subtropicales des pays en développement. Pour le riz, par exemple, les programmes visant à introduire des gènes des variétés Japonica (de climat tempéré) dans des cultivars Indica (tropicaux) avaient porté fruit dès les années 60. Des gènes des blés de climat tempéré ont été introduits dans des cultivars de blés subtropicaux au Mexique (sous l'égide d'un programme de la Fondation Rockefeller qui a été le prédécesseur du Centre international pour l'amélioration du blé et du maïs (CIMMYT)).

Les CIRA ont concentré l'effort sur les problèmes que posaient aux sélectionneurs les conditions de production en climat tropical et subtropical. Ils ont facilité les échanges de ressources génétiques et de lignées avancées qui ont été utilisées comme matériel parental dans les programmes de sélection des systèmes nationaux de recherche agricole. L'accès au matériel génétique a été amélioré grâce à la création des banques de gènes des CIRA et de réseaux internationaux de pépinières. Les programmes des CIRA complétaient les programmes de sélection des systèmes nationaux et stimulaient l'expansion de ces derniers.

Des études récentes sur la production de variétés et leur mise en circulation montrent que la création de variétés s'est accélérée pendant les années 60 et 70 pour plusieurs types de plantes cultivées et que ce rythme rapide s'est maintenu jusqu'ici. Pour le riz, par exemple, plus de 2 000 variétés modernes ont été mises en circulation par plus de 100 programmes de sélection. De nouveaux caractères (résistance aux maladies, tolérance à la sécheresse, etc.) ont permis d'utiliser des variétés à haut rendement dans des environnements de plus en plus nombreux.

Beaucoup d'études de la rentabilité de la recherche sont fondées sur la modélisation de la contribution des variétés améliorées à la croissance de la production. Le développement de variétés améliorées semble être la clé du passage du niveau TC II au niveau TC III. Selon une étude récente sur la recherche rizicole, la moitié ou les deux tiers des gains de productivité résultant des programmes de recherche sont attribuables aux améliorations génétiques.

Le Groupe international d'évaluation agricole (relié au Groupe consultatif pour la recherche agricole [GCRAI]) a récemment entrepris une étude sur l'amélioration génétique des plantes cultivées dans les pays en développement. Cette étude a abouti aux conclusions suivantes:

Les programmes de sélection des CIRA complètent ceux des systèmes nationaux en fournissant des lignées et variétés avancées qui ont été abondamment utilisées comme matériel parental dans les systèmes nationaux.

Le rythme du développement de nouvelles variétés végétales s'est accéléré pour le blé, le riz et la pomme de terre entre les années 60 et la fin des années 80, et il est resté constant pendant les années 90. Pour les autres plantes étudiées dans les CIRA, le rythme de création de nouvelles variétés a continué de s'accélérer pendant les années 90.

La complémentarité entre les programmes de sélection des CIRA et ceux des systèmes nationaux a stimulé l'investissement dans les programmes de sélection des systèmes nationaux.

L'impact des nouvelles variétés sur la productivité des cultures reste élevé car des variétés améliorées récemment mises en circulation remplacent les obtentions plus anciennes. Mais ces variétés améliorées ne se diffusent pas au même rythme pour toutes les cultures ni dans toutes les régions. Certaines régions sont défavorisées parce que il n'y a pas de nouvelles variétés adaptées à leur sol et à leur climat. C'est une des raisons pour lesquelles le progrès de la productivité est si inégal.

La rentabilité des investissements dans les programmes d'amélioration génétique est très élevée.

Encadré 25

PRODUCTIVITÉ
ET RESSOURCES GÉNÉTIQUES

Avant l'avènement des nouvelles méthodes biotechnolo-giques qui permettent de transférer des gènes d'une espèce à une autre, les obtenteurs n'avaient d'autre recours que de rechercher les meilleures combinaisons génétiques existant déjà chez les cultivars ou les races domestiques. Pour la plupart des espèces, il existe une vaste diversité intraspé-cifique sous forme de variétés de pays pour les plantes et de races pour les animaux. Cette diversité a été créée au cours des siècles par les agriculteurs que l'expansion démographique obligeait à coloniser de nouvelles zones et qui sélectionnaient de nouveaux types adaptés aux conditions de ces zones.

La biodiversité sélectionnée par les agriculteurs et celle qu'offrent les mutants et les espèces sauvages apparentées constituent un gisement très précieux pour les obtenteurs d'aujourd'hui. Une grande partie du progrès de la productivité de l'agriculture peut être attribuée aux améliorations génétiques. Des banques de gènes ex situ ont été créées pour la plupart des principales plantes cultivées. Ces collections contiennent une grande proportion de matériel intéressant pour les collections; jusqu'ici, elles appliquent une politique d'échange de matériel.

À ce jour, la valeur des ressources génétiques a fait l'objet de nombreuses études; la plante la plus étudiée est le riz1. Les auteurs concluent que les ressources génétiques ont une grande valeur économique et qu'il est rentable de continuer à collectionner les variétés pour déterminer leur valeur en tant que matériel parental. Ils concluent aussi que la valeur des ressources génétiques traditionnelles augmentera encore à l'ère des biotechnologies.

1 R.E. Evenson et D. Gollin. 1997. Genetic resources, international organizations and improvement in rice varieties. Economic Development and Cultural Change, 45: 471-500.

Données empiriques concernant le rôle du capital technologique

À la figure 22, p. 251, les déficits de productivité sont définis conceptuellement en termes de classes de capital technologique (TC). L'encadré 26, p. 273 présente une méthode empirique permettant de classer les pays en différentes classes de TC sur la base de huit indicateurs. Au moyen de cette méthode, 89 pays en développement ont été classés en quatre classes pour chacune des trois périodes étudiées (1961-1976, 1971-1986, 1981-1996). La plupart ont monté d'une classe au cours de ces trois périodes.

La figure 27 fait apparaître la distribution des taux de croissance de la PTF par classe de changement du TC. Considérons pour commencer le groupe des 21 pays qui n'ont pas avancé au-delà du niveau TC II (classes 112 et 222). Ces pays n'ont hérité que d'un capital technologique faible (TC I) ou médiocre (TC II) et n'ont guère fait de progrès pendant la période 1961-1996. Plusieurs pays qui sont probablement restés pendant toute la période au niveau TC I, notamment la Somalie, le Congo et l'Éthiopie, sont exclus de l'échantillon. Dix-sept des 21 pays inclus sont en Afrique subsaharienne. La dispersion de la croissance de la PTF dans ce groupe est forte: on observe sept taux de croissance négatifs, peut-être en raison de l'épuisement des sols, mais aussi à cause de l'instabilité et des troubles sociaux. Beaucoup de ces pays n'ont qu'une capacité limitée de fournir à la population les services de base et aucun n'est industrialisé. Dans cinq pays du groupe, les taux de croissance de la PTF sont supérieurs à 1 pour cent, mais la moyenne pour le groupe n'est que de 0,2 pour cent. Il semble donc raisonnable d'inférer que ces pays vivent encore dans des conditions malthusiennes.

Le deuxième graphique de la figure 27 fait apparaître les taux de croissance de la PTF dans 24 pays qui sont passés du niveau TC II pendant la première période au niveau TC III pendant la deuxième ou la troisième période (14 de ces pays sont en Afrique subsaha-rienne). Ce deuxième groupe de pays a un taux moyen de croissance de la PTF de 0,6 pour cent. Le taux de croissance de la PTF est positif dans 18 de ces pays, et il est de l'ordre de 1 à 2 pour cent dans trois. Ainsi, en moyenne, les pays de ce groupe réussissent à accroître la PTF de façon à peu près suffisante pour éviter une chute de la production par habitant et quelques-uns d'entre eux atteignent de bons taux de croissance économique.

Le troisième groupe de 29 pays était dans la classe TC III pendant la première et la deuxième périodes. Douze sont passés à la classe TC IV pendant la troisième période. La croissance moyenne de la PTF pour ce groupe a été tout à fait satisfaisante: 1,53 pour cent par an. Le taux de croissance de la PTF n'a été négatif que dans un pays et il a dépassé 2 pour cent dans neuf.

Les pays du quatrième groupe, au nombre de 14, avaient atteint le niveau TC IV au début de la deuxième période ou l'ont atteint pendant cette période. Ce groupe comprend la Chine, l'Inde et le Brésil. Les pays du groupe ont affiché des taux de croissance de la PTF extrêmement satisfaisants: 2,3 pour cent en moyenne; le taux a dépassé 3 pour cent dans quatre d'entre eux. Ces pays ont des capacités de R&D dans le secteur industriel.

Ces mesures de la PTF sont très approximatives et les niveaux de capital technologique sont assez arbitraires; toutefois, les corrélations entre PTF et capital technologique sont extrêmement instructives11. On constate que dans les pays au niveau TC I, la croissance de la PTF est négligeable ou nulle. Quand les pays atteignent le niveau TC II, c'est-à-dire quand il existe des institutions publiques de base et une certaine capacité de recherche agricole, ils affichent une croissance modeste de la PTF. Les pays au niveau TC III peuvent réaliser des taux élevés de croissance de la PTF. Ils disposent de systèmes de recherche et de vulgarisation agricoles assez importants. Au niveau TC IV, les pays peuvent atteindre des taux de croissance de l'agriculture remarquables. Comme au niveau TC IV le capital technologique comprend des capacités de recherche-développement en amont du secteur agricole, une partie de cette supercroissance de la PTF est une retombée de la croissance de la PTF dans le secteur industriel.

AUTRES FACTEURS INTERVENANT DANS L'ÉVOLUTION DE LA PRODUCTIVITÉ AGRICOLE

Productivité et dégradation des ressources

Depuis une vingtaine d'années, le mouvement en faveur du développement durable appelle l'attention sur le fait que dans beaucoup de pays, les gains de productivité n'ont peut-être été réalisés qu'au prix d'une dégradation des ressources. On oublie souvent qu'il y a aussi des cas d'amélioration des ressources, par exemple grâce aux investissements dans le drainage et l'irrigation ou à l'amélioration des pratiques agricoles (rotation des cultures, fumure, chaulage).

On notera que les mesures de la PTF citées dans la section précédente tiennent compte de la dégradation ou de l'amélioration nette de la base de ressources. Il est tout à fait possible qu'il y ait une dégradation nette des ressources dans les pays où les taux de croissance de la PTF sont faibles et une amélioration nette des ressources dans ceux où ils sont élevés. Dans la mesure où cela est le cas, il existerait une relation inverse entre la dégradation des ressources d'une part, la capacité technologique et le revenu par habitant de l'autre.

La littérature sur les taux de dégradation des ressources identifie plusieurs problèmes critiques, notamment la salinisation, l'érosion et l'intensification des cultures. La salinisation pose de graves problèmes dans plusieurs zones (par exemple au Pakistan). Dans certains cas, elle aurait pu être évitée par une meilleure gestion. Dans d'autres cas, la gestion n'aurait pas suffi et on se rend compte rétrospectivement qu'il aurait fallu limiter l'irrigation.

L'érosion est un phénomène permanent. Certaines zones en bénéficient et d'autres en souffrent. Dans certains sols, l'érosion fait baisser la productivité naturelle. Ailleurs, ce n'est pas le cas. Il est possible de limiter et de gérer l'érosion et cela a été fait dans beaucoup de pays, notamment dans ceux où les ménages ont des droits de propriété assurés (Crosson12 présente une étude intéressante de l'érosion des sols et de ses effets sur la productivité).

Encadré 26

INDICE DE CAPITAL TECHNOLOGIQUE

Les pays en développement ont été classés selon leurs niveaux de capital technologique (TC) pendant trois périodes différentes (1961-1976, 1971-1986, 1981-1996). Quatre niveaux de TC ont été définis, à partir de huit indicateurs (voir ci-après). Les critères d'inclusion permettent d'assurer que les pays figurent dans une seule classe TC. Dans la plupart des pays, le TC s'est amélioré au cours des décennies récentes (voir encadré 27).

Indicateurs1

TC-I

TC-II

TC-III

C-IV

Taux d'analphabétisme chez les hommes adultes

=50%

<50%

<50%

<35%

Proportion de la population active dans l'industrie

<10%

<15%

>15%

>15%

Ratio investissement étranger direct/PIB

Négligeable ou nul

0,5%

=0,5%

0,25% ou plus

R&D dans les entreprises du secteur manufacturier/ valeur ajoutée dans le
secteur manufacturier

Néant

Néant

<0,25%

=0,25%

Redevances et droits de licence versés

Néant

Néant

Minime

Montant notable

Redevances et droits de licence touchés

Néant

Néant

Néant

Minime

Intensité de l'investissement dans la recherche agricole

Faible <0,25%
de la production agricole

Modéré 0,25%-0,5% de la production agricole

Élevé =0,25% de la production agricole

Élevé =0,5% de la production agricole

Droits de propriété intellectuelle

Néant

Néant

Protection faible

Protection modérée

1 Les données sont tirées de la base de données de la Banque mondiale sur les indicateurs du développement.

Encadré 27

DYNAMIQUE DE L'ACCUMULATION DE CAPITAL TECHNOLOGIQUE

Au cours des dernières décennies, la plupart des pays ont amélioré leur niveau de capital technologique au moyen d'investissements et de développement institutionnel. On trouvera ci-après une liste des pays classés selon leur niveau de capital technologique pendant chacune des périodes 1961-1976, 1976-1986 et 1986-1996 (par exemple 112 indique des niveaux TC I pendant les deux premières périodes et TC II pendant la troisième). La plupart des pays des classes 111, 112 et 222 ont hérité au milieu du siècle de niveaux de technologie TC I. Vers 1970, les pays de classe 222 avaient atteint le niveau de capital technologique TC II mais ils y sont restés depuis. Rares sont les pays qui pendant les 40  années étudiées ont réussi à monter de plus d'un degré de capital technologique, mais plus de la moitié ont monté d'un degré.

CLASSIFICATION DES PAYS 1961-1976, 1976-1986, 1986-1996

111

112

222

223

233

333

334

344

444

Zaïre

Angola

Burkina Faso

Bangladesh

République  dominicaine

Barbade

Algérie

Bahamas

Argentine

Congo

Bénin

Côte  d'Ivoire

Botswana

Ghana

Chypre

Bolivie

Belize

Brésil

Éthiopie

Burundi

Guatemala

Cameroun

Kenya

Guadeloupe

Équateur

Chili

Costa Rica

Somalie

Cambodge

Rép. dém.  pop. lao

Guyana

 

Indonésie

Égypte

Chine

 
 

Tchad

Malawi

Madagascar

Nigéria

Iran

El Salvador

Colombie

Corée,  Rép. de

 

Gambie

Soudan

Malí

Paraguay

Iraq

Honduras

Inde

Singapour

 

Guinée

Togo

Mongolie

Pérou

Jordanie

Jamaïque

Malaisie

 
 

Guinée-Bissau

Ouganda

 

Sénégal

Jamahiriya  arabe libyen.

Arabie  saoudite

Mexique

 
 

Haïti

 

Namibie

Sierra Leone

Martinique

P>Tunisie

Maroc

 
 

Mauritanie

   

Sri Lanka

Mauritanie

Turquie

Thaïlande

 
 

Mozambique

 

Nicaragua

Suriname

Pakistan

Uruguay

   
 

Népal

 

Swaziland

Viet Nam

Panama

Zimbabwe

   
 

Niger

   

Zambie

Philippines

     
 

Rwanda

 

Tanzanie,

 

Réunion

     
 

Yémen

 

Rép.-Unie  de

 

Rép. arabe  syrienne

     
         

Trinité-et- Tobago

     
         

Venezuela

     

Certains considèrent que l'intensification des cultures, c'est-à-dire l'utilisation des engrais et d'autres produits agrochimiques ainsi que de variétés améliorées pour maximiser les rendements, nuit à la productivité des terres. On craint qu'en milieu tropical l'agriculture à haut rendement n'ait des effets néfastes pour l'environnement qui ne sont pas observés dans les zones tempérées. L'expérience de l'agriculture intensive dans les zones tempérées indique qu'avec une bonne gestion, il est possible d'améliorer même les sols naturellement pauvres. Pour cela, il faut investir. Dans les régions tropicales, en particulier en Afrique, les sols n'ont en général pas bénéficié de tels investissements. La majorité des sols africains possèdent un vaste potentiel inexploité d'amélioration par l'investissement.

Figure 27

Productivité et répartition des revenus

Les avantages résultant des gains de productivité peuvent, selon les circonstances, être répartis de façon différente entre les producteurs et les consommateurs ainsi qu'entre les différentes zones. Les gains de productivité font baisser les coûts, ce qui entraîne un accroissement de l'offre. Dans une économie de dimension modeste et ouverte au commerce international, les prix intérieurs sont déterminés par les cours des marchés internationaux de sorte qu'ils ne tombent pas quand les coûts de production baissent. En tel cas, les consommateurs ne bénéficient pas de l'amélioration de la productivité: tous les avantages reviennent aux producteurs. Dans une économie fermée au commerce international (ainsi que dans le cas des biens qui ne font pas l'objet de commerce international), les prix baissent quand l'amélioration de la productivité fait baisser les coûts. Les consommateurs en bénéficient donc. Quant aux producteurs, les uns y gagneront et les autres y perdront, selon que leurs coûts moyens ont baissé dans une proportion plus ou moins forte que les prix.

Les baisses de coûts peuvent être différentes selon les producteurs. Le rythme d'adoption peut varier selon les agriculteurs. Les premiers à adopter les nouvelles technologies verront leurs coûts baisser avant les autres. Les baisses de coûts seront plus lentes pour ceux qui ont du mal à obtenir du crédit. Ces facteurs semblent avoir joué un rôle important dans les pays en développement, mais les programmes de vulgarisation et de développement des infrastructures ont un peu lissé leurs effets.

Quoi qu'il en soit, les principaux facteurs qui influent sur la baisse des coûts dans une économie tiennent à la nature même des biotechnologies et à leurs interactions avec les conditions pédologiques et climatiques. Les premières variétés modernes de riz issues de la révolution verte n'ont été adoptées que dans 30 pour cent environ des rizières irriguées et pluviales de l'Inde. Dans certaines conditions (bonne maîtrise de l'eau), elles étaient très productives, mais le surcroît de productivité était réduit ou nul dans certaines autres conditions liées par exemple au sol, au climat ou aux ravageurs et agents pathogènes. La sélection sur plusieurs générations pour obtenir des variétés résistantes aux insectes et aux maladies et tolérantes aux stress abiotiques (par exemple à la sécheresse) a produit des variétés de riz irrigué ou pluvial qui sont utilisées aujourd'hui dans près de 90 pour cent des rizières indiennes. Mais cette technologie des variétés à haut rendement reste hors de portée de beaucoup de riziculteurs dans des zones peu favorables.

Le contraste entre les environnements favorables et les environnements défavorables a été un facteur important dans la plupart des pays en développement. Il a créé de profondes inégalités; en effet, tous les consommateurs et une partie des producteurs profitent des technologies améliorées, mais certains producteurs situés dans des zones défavorables, et qui ne peuvent pour cette raison appliquer les technologies réduisant les coûts, sont au contraire lésés. Il existe certains remèdes à ce genre de situation, mais ces remèdes n'assurent pas nécessairement l'égalité d'accès aux gains de productivité. Le plus important est de développer des systèmes de recherche et de stations expérimentales travaillant pour toutes les régions. La recherche doit alors être valorisée par un effet de vulgarisation, d'éducation et de développement de l'infrastructure. Les programmes de sélection végétale, comme l'a montré l'exemple indien, peuvent produire des améliorations génétiques ciblées sur les conditions locales, et le font. Une étude récente parrainée par l'IRRI13 conclut que la mobilité de la main-d'œuvre permet aux travailleurs d'éviter les effets défavorables de l'environnement sur les salaires.

La baisse des coûts de production résultant des technologies peut profiter à certains agriculteurs seulement mais nuire à ceux qui n'ont pas accès aux technologies.

SOURCES DES GAINS DE PRODUCTIVITÉ

Les études économiques sur les gains de productivité dans l'agriculture font apparaître une variation considérable des progrès de la productivité selon les pays et selon les périodes. On peut toutefois dégager certaines tendances. Les études de la variation de la productivité (et les corrélations entre la PTF et le TC) montrent toutes que le capital technologique est un déterminant fondamental de la productivité. Le capital technologique s'accumule sur de longues périodes. La capacité héritée des régimes coloniaux au début de la deuxième moitié du XXe siècle varie beaucoup selon les pays en développement, de même que les investissements consentis pour améliorer cette capacité tout au long du demi-siècle.

D'après les modèles de développement agricole présentés plus haut, l'expérience des dernières décennies semble pouvoir autoriser les généralisations ci-après.

Le modèle malthusien pourrait être considéré comme valable pour un sous-ensemble de pays en développement. Dans les pays qui n'ont pas investi un minimum dans le capital technologique, les gains de productivité ont été minimes ou nuls et les revenus par habitant ont baissé, sauf quand les ressources en terres étaient abondantes. Sur les 21 pays en développement qui n'ont pas dépassé le niveau TC II au cours du dernier demi-siècle, aucun ne semble avoir cherché à résoudre le problème en recourant au remède malthusien classique de la régulation démographique. S'ils l'avaient fait, il semble qu'ils n'auraient néanmoins pas pu accroître sensiblement les revenus sans investir dans la capacité technologique. Certaines études concluent toutefois que la densité démographique stimule l'investissement dans le capital technologique.

Certains pays au niveau TC II ont essayé de stimuler la croissance de la productivité en misant sur le modèle des pratiques exemplaires. Dans ce modèle, l'investissement dans la vulgarisation agricole est la principale stratégie utilisée pour renforcer le capital technologique. Le succès de cette stratégie a été assez limité. Lorsque les pays ont des taux d'alphabétisation modérés, l'utilisation à outrance de la vulgarisation (voir figure 22, p. 251) pour améliorer la productivité des agriculteurs en utilisant de façon plus efficace les technologies existantes ne produit qu'une croissance limitée pendant une période limitée.

C'est le modèle de l'invention adaptative qui permet aux pays d'atteindre des taux élevés de croissance de la productivité. Pour cela, il faut mettre en place une capacité de recherche ainsi qu'une capacité de formation des chercheurs. Grâce au développement des CIRA appuyant les programmes nationaux de recherche agricole existant au niveau TC III, les pays ont pu atteindre des taux élevés de croissance de la productivité. Quand ces programmes sont accompagnés par des investissements dans les marchés et les infrastructures, leur efficacité s'accroît encore. Toutefois, une supercroissance de la productivité agricole n'est possible que quand la productivité augmente aussi dans le secteur industriel. C'est le cas dans les pays de niveau TC IV. À ce stade, une réduction massive du paupérisme devient possible. Il n'y a guère d'exemples de sauts du niveau TC I au niveau TC IV. En particulier, les pays ne parviennent pas au stade TC IV sans avoir d'abord atteint le stade TC III. Cela indique que le secteur agricole est un important catalyseur pour le développement du capital technologique jusqu'au niveau TC IV.

ENSEIGNEMENTS POUR LES POLITIQUES

Au cours des dernières décennies, l'évolution de la production et de la productivité du secteur agricole dans les pays en développement a été à la fois extraordinaire et inégale. Extraordinaire, à cause de l'énormité des progrès de la production et de la productivité. Inégale, parce que ces progrès ont été accomplis à des rythmes différents selon les régions et les pays. La qualité extraordinaire des performances de la production dans l'économie relativement ouverte et mondialisée de notre époque est une des causes du bas prix des produits alimentaires: en 1999, les prix réels de la plupart des céréales étaient environ de moitié inférieurs aux niveaux de 1950.

Quant à l'investissement, l'expérience du dernier demi-siècle montre que les résultats divergent selon qu'il s'agit d'investissements dans la création de véritables biens publics pour le secteur agricole (recherche, scolarisation et vulgarisation) ou d'investissements dans les entreprises d'État. L'investissement dans la production de biens publics a été très rentable pour les contribuables tandis que dans la plupart des cas l'investissement dans les entreprises d'État ne l'a pas été. Les gouvernements des pays en développement et les organismes de développement n'ont pas toujours su distinguer les investissements publics productifs et essentiels des investissements publics improductifs et non essentiels dans des activités pour lesquelles le secteur privé est le modèle économique le plus efficient.

Les prix réels de la plupart des céréales ont baissé d'environ 50 pour cent depuis une cinquantaine d'années.

Il y a beaucoup d'enseignements à tirer de l'expérience du dernier demi-siècle. L'histoire est différente selon les pays, selon les époques et selon les produits, mais on peut dégager certaines tendances qui méritent d'être envisagées dans le contexte de la planification.

La première leçon de caractère général est que l'augmentation de la productivité nécessite des investissements. Les pays ne peuvent pas compter sur les retombées technologiques pour faire progresser la productivité sans investir dans leur capital technologique.

Le deuxième enseignement est que deux pistes sont possibles pour réaliser cet investissement. La première consiste à mettre en place un cadre institutionnel et politique incitatif pour l'investissement privé, y compris l'investissement étranger direct. La seconde consiste à miser sur l'investissement public et, dans bien des cas, sur la gestion par le secteur public des activités dans lesquelles le secteur privé n'investit pas (et dans lesquelles il n'est pas possible de l'inciter à investir). L'équilibre entre l'investissement public et l'investissement privé n'est pas facile à réaliser..

Le troisième enseignement est que les programmes de régulation démographique de type malthusien ne suffiront pas par eux-mêmes à assurer une amélioration du bien-être réel. Ils doivent être accompagnés par des investissements dans le capital technologique14.

Le quatrième enseignement concerne l'aspect international de la technologie. La plupart des inventions faites dans les pays en développement sont des adaptations d'inventions des pays développés. Dans les programmes de recherche agricole du secteur public, les CIRA facilitent les adaptations d'inventions, de même que les entreprises multinationales privées. Les pays en développement peuvent exploiter les sources internationales de productivité si celles-ci leur sont «ouvertes» et s'ils ont investi dans leur capacité nationale.

Le cinquième enseignement est qu'il existe une sorte de séquence technologique obligatoire pour l'amélioration de la productivité. Les améliorations génétiques semblent un facteur central car elles ont une relation de complémentarité avec la vulgarisation et avec la recherche dans les autres domaines tels que l'agronomie, la pathologie, l'entomologie, l'économie, etc. Quand un pays s'est doté d'une capacité technologique avancée, l'efficacité de la vulgarisation et des conseils de gestion dépend de l'investissement dans la recherche.

Le sixième enseignement est que les progrès de la productivité ne portent tous leurs fruits que s'ils sont accompagnés de transformations plus générales de l'économie. Les avantages résultant de l'amélioration de la productivité de l'agriculture ne profitent pas exclusivement ni même essentiellement aux agriculteurs. Les marchés les répartissent entre producteurs et consommateurs et permettent à la population tout entière d'en bénéficier.

Le septième enseignement concerne aussi l'existence d'une séquence obligatoire. Les pays en développement qui cherchent à atteindre le niveau TC IV doivent d'abord passer par les niveaux TC I, TC II et TC III. Dans la plupart des pays qui en sont au niveau TC I ou TC II, l'économie est dominée par le secteur agricole, qui joue donc un rôle essentiel dans le développement. Les investissements dans le capital technologique dont l'agriculture a besoin pour passer au niveau TC III sont des investissements dans la recherche et la vulgarisation agricoles du secteur public.

D'après les projections, la croissance de la productivité agricole devrait se poursuivre encore pendant 25.

PERSPECTIVES DE PROGRÈS DANS L'AGRICULTURE

À l'aube du XXIe siècle, divers facteurs favorables ou défavorables influeront sur la performance de l'agriculture. Plusieurs études récentes de la Banque mondiale, de la FAO et de l'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) contiennent des projections de la production, du commerce et des prix des produits agricoles. Toutes indiquent que pendant les quelques 25 prochaines années, des facteurs favorables l'emporteront sur les facteurs défavorables et la production par habitant pourra augmenter suffisamment pour éviter une hausse du prix des aliments. En fait, les trois modèles projettent une baisse des prix réels des vivres. Ainsi, le caractère «extraordinaire» de la performance du secteur alimentaire et agricole a des chances de se maintenir un certain temps. Malheureusement, le caractère inégal de la performance dans le secteur alimentaire et agricole a toutes chances de se maintenir.

Les facteurs favorables

Pendant les années 50 et 60, les taux de croissance démographique étaient élevés dans presque tous les pays en développement. La baisse des taux de mortalité, et surtout de mortalité infantile, qui s'était produite pendant les années 40 et 50, y avait entraîné une explosion démographique ainsi qu'un fardeau démographique, les populations augmentant plus rapidement que la population active (puisqu'il faut une quinzaine d'années pour qu'un bébé devienne un travailleur), de sorte que le ratio de dépendance a augmenté.

FAO/19480/G. BIZZARR

La révolution verte En Inde, des variétés à haut rendement
sont utilisées dans 90 pour cent des rizières irriguées et
pluviales

- FAO/19480/G. BIZZARR

Pour des raisons tenant en partie aux politiques nationales (programmes de planification familiale, progrès sanitaires en milieu rural, etc.) et en partie à des facteurs économiques, les familles ont commencé à réduire leur taux de fécondité et sont ainsi entrées dans le deuxième stade de la transition démographique. Cette baisse des taux de fécondité a commencé à des époques différentes selon les pays. Cette tendance s'est affirmée d'abord dans les «dragons asiatiques», Taiwan Province de Chine, Singapour, Hong Kong et la République de Corée. Vers les années 70, la fécondité baissait aussi dans la plupart des pays d'Amérique latine ainsi que dans les autres pays d'Asie. Au début des années 90, elle baissait dans presque tous les pays en développement. Dans les pays développés, la chute du taux de fécondité a été proprement spectaculaire. En 1995, les taux de fécondité étaient inférieurs aux taux de reproduction dans presque tous les pays développés.

Il y a encore un important volant d'inertie démographique: les taux élevés de fécondité de la génération passée impliquent qu'il y aura beaucoup de mères dans la génération actuelle, mais le paroxysme de l'explosion démographique a eu lieu il y a quelques années et l'accroissement devrait maintenant ralentir. À mesure que la fécondité diminue et que la croissance démographique ralentit, l'atout démographique se matérialise sous forme d'une baisse du taux de dépendance. La population active augmente plus vite que la population totale. Cet atout est très favorable pour l'agriculture parce que la main-d'œuvre est essentielle à la production agricole.

Au début du demi-siècle, le capital technologique des pays en développement était très limité. Rares étaient ceux qui avaient une capacité de recherche productive (niveau TC III) en 1950. En 1990, la plupart des pays en développement avaient des niveaux de capital technologique de TC III ou TC IV.

En 1950, le réseau de CIRA du GCRAI n'existait pas encore. Vers les années 90, plusieurs des CIRA avaient produit d'importantes découvertes scientifiques et technologiques. Beaucoup des programmes de développement de variétés à haut rendement ont été lancés par les CIRA. La banque de gènes des CIRA et les réseaux internationaux de pépinières ont facilité les échanges de ressources génétiques, y compris de lignées avancées. Tout cela a amélioré la productivité des SNRA.

Le développement de ces programmes CIRA/SNRA n'est pas encore achevé. Depuis une dizaine d'années, les progrès de la capacité technologique des pays où cette capacité est faible a été lent parce que les aides internationales aux programmes des CIRA et des systèmes nationaux ont diminué. Toutefois, la capacité existante et le portefeuille de variétés améliorées, de pratiques agronomiques (protection intégrée [PI]), etc. fournissent une impulsion technique qui permettra à la productivité de continuer à croître à un rythme probablement assez proche du rythme record des années 90.

Les sciences biologiques qui constituent le fondement scientifique de l'agronomie ont aussi marqué des progrès extraordinaires au cours des dernières décennies. Les découvertes de la science fondamentale se succèdent à un rythme sans précédent. Une révolution scientifique est en cours depuis quelques années. Cette révolution scientifique a stimulé une révolution technologique, qui a pris la forme des biotechnologies. La révolution technologique est encore embryonnaire et elle a donné lieu à des critiques de tous bords. Ce sont des entreprises privées qui ont le plus investi et qui ont le plus activement développé des produits des biotechnologies. Des produits transgéniques sont maintenant largement utilisés dans plusieurs pays développés. Il est essentiel pour les investisseurs privés de ces pays que la protection des droits de propriété intellectuelle (DPI) soit renforcée.

Les systèmes de recherche du secteur public des pays développés répondent aux pressions créées par les progrès scientifiques en renforçant la protection des DPI et en développant les activités de recherche-développement du secteur privé. Cette réponse est évidente dans les thèmes de recherche du troisième cycle, dans le choix et la conception des projets de recherche ainsi que dans la culture des organismes de recherche, où il semble que l'échange ouvert des informations scientifiques subisse un coup d'arrêt.

La réponse des systèmes de recherche agricole des pays en développement a jusqu'ici été très lente, et ces pays auront plus de mal à accéder aux produits des biotechnologies obtenues par le secteur privé que les pays développés. Actuellement, les pays en développement possédant un niveau TC IV commencent à cueillir certains des fruits des biotechnologies. Les pays au niveau TC III (et à plus forte raison les pays aux niveaux TC I et TC II) ne sont pas encore dotés des moyens leur permettant de bénéficier de ces progrès scientifiques.

L'évolution de la productivité au cours des dernières décennies montre clairement qu'aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement, une croissance robuste et un développement dynamique du secteur industriel sont bénéfiques pour le secteur agricole. Les secteurs agricoles des pays développés connaissent actuellement une transformation structurelle sous l'effet de l'industrialisation, mais l'évolution structurelle a été moins marquée dans les pays en développement. La croissance de l'industrie permet à l'agriculture de disposer de meilleurs facteurs de production. Elle améliore en outre le fonctionnement des marchés du travail et suscite une amélioration de l'efficience des marchés qui stimule la croissance des revenus. Dans les pays en développement, surtout en Asie de l'Est et du Sud-Est, l'industrialisation a progressé rapidement. La crise qui a ébranlé l'Asie du Sud-Est pendant les années 90 semble s'apaiser et les prochaines décennies seront probablement des décennies d'industrialisation rapide.

Facteurs défavorables

Les terres se sont probablement dégradées à un rythme rapide dans plusieurs pays au cours des dernières décennies. Mais il y a eu aussi des progrès rapides de la bonification des terres. Dans presque tous les pays, la bonne gestion des terres se traduit par une amélioration nette. Toutefois, la gestion ne sera pas bonne dans tous les pays au cours des prochaines décennies. Cela est particulièrement important dans les pays où le long processus de mise au point de pratiques propres à améliorer la productivité des sols en est encore à ses débuts. Des phénomènes de dégradation et d'amélioration des terres ont lieu dans tous les pays.

Dans les pays développés, l'expansion des terres cultivées a pratiquement cessé. Grâce aux investissements dans le drainage et les mesures de conservation des sols, les terres sont plus productives qu'il y a un demi-siècle. Dans les pays en développement pauvres en capital technologique, où les structures institutionnelles laissent à désirer et où la croissance démographique est rapide, on observe une expansion des terres cultivées et une réduction de la durée des jachères. Toutefois, il y a aussi des investissements dans la bonification des terres et en particulier dans l'irrigation. Il est possible que certaines régressions de la PTF observées dans certains pays soient l'effet d'une grave dégradation des terres.

L'eau est rare dans certaines régions et abondante dans d'autres. Des systèmes d'irrigation ont été développés depuis un demi-siècle dans la plupart des pays en développement, mais les possibilités d'investir dans l'irrigation sont sans doute épuisées dans beaucoup de régions. De plus, dans bien des endroits, la gestion des réseaux d'irrigation n'a pas été idéale. Mais la pénurie d'eau est comparable à la pénurie de terres. Les gains de productivité, et en particulier l'amélioration génétique qui permet de produire davantage à l'hectare, permet aussi de produire davantage par unité d'eau.

Toutefois, on soulignera que le capital technologique et les institutions d'accompagnement peuvent réduire les contraintes liées aux ressources. C'est donc dans les pays les plus pauvres que la pénurie et la dégradation des ressources posent les problèmes les plus graves.

Depuis un demi-siècle, l'écart entre les pays en développement aux niveaux TC I et TC II et les pays développés s'est élargi. Ces pays pauvres en capital technologique connaissent des difficultés politiques et réglementaires aussi bien sur le plan intérieur que sur le plan international. La révolution technologique leur fera presque certainement perdre encore du terrain étant donné le climat politique et réglementaire actuel et étant donné le fait qu'ils n'ont pas effectué les investissements nécessaires pour assurer la croissance de la productivité.

Le manque de capitaux et d'institutions appropriées dans les pays pauvres empêche de résoudre les problèmes de dégradation des ressources.

Les pays en développement qui ont atteint le niveau TC III ont généralement gagné du terrain par rapport aux pays développés pendant la majeure partie du dernier demi-siècle. Ils ont réduit leur retard technologique au moyen de programmes de recherche d'adaptation. Ils ont été aidés par les CIRA. Toutefois, depuis une dizaine d'années, ils recommencent à perdre du terrain à mesure que les inventions des biotechnologies à la frontière voient le jour et sont exploitées. L'hostilité politique aux biotechnologies a contribué à ce phénomène en empêchant la réforme du régime des DPI et les autres mesures qui seraient nécessaires pour leur assurer l'accès à ces technologies. Elle a également freiné les investissements dans la formation nécessaire pour moderniser les sciences agronomiques aussi bien dans les SNRA que dans les CIRA.

Toutefois, beaucoup de pays en développement qui ont atteint le niveau TC IV ont les structures institutionnelles nécessaires pour bénéficier des progrès de la biologie et des inventions biotechnologiques qui en découlent et ces pays risquent moins de perdre du terrain face aux pays développés du fait de l'exploitation tardive de ces progrès.

NOTES

1 En 1997, 60 pour cent des disponibilités intérieures de céréales étaient utilisées pour l'alimentation du bétail dans le monde développé contre 21 pour cent seulement dans le monde en développement.

2 Thomas Robert Malthus (1766-1834), dans son Essai sur le Principe de la population, étudie l'interaction entre une population en croissance exponentielle et des ressources naturelles dont la croissance est linéaire, et en conclut que si la croissance démographique n'est pas freinée, les niveaux de vie sont inexorablement condamnés à baisser.

3 J. Simon. 1977. The economics of population growth. Princeton University, Princeton, New Jersey, États-Unis; E: Boserup. 1981. Population and technological change: a study of long-term trends. University of Chicago Press, Chicago, Illinois, États-Unis.

4 D.E. Bloom et J.G. Williamson. 1998. World Bank Economic Review, 12: 419-456.

5 Les biens publics sont les biens dont il n'est pas possible d'exclure certaines personnes sans en exclure tout le monde (les exemples classiques en sont la défense nationale, la police, l'éclairage public, etc). Pour cette raison, on ne peut pas compter sur l'entreprise privée pour les fournir; en effet, une entreprise ne pourrait pas faire payer les bénéficiaires et n'aurait donc aucune incitation à produire ces biens; ceux-ci doivent donc en général être fournis par le secteur public.

6 Z. Griliches. 1957. Hybrid corn: an exploration in the economics of technological change. Economica, 25: 501-522.

7 Le coefficient de variation est le quotient de l'écart type par la moyenne pour chaque décennie. C'est un indicateur statistique de la dispersion des observations autour de la valeur moyenne pour l'échantillon. Plus il est faible, plus les observations sont proches de la moyenne; plus il est élevé, plus elles sont dispersées.

8 Pour actualiser la somme des entrées futures totales, on utilise un taux d'intérêt équivalent à celui qu'aurait pu rapporter l'investissement de la même somme dans une autre activité.

9 R.E. Evenson. 1999. Economic impact studies of agricultural research and extension. Yale University, New Haven, Connecticut, États-Unis. (polycopié)

10 Ibid.

11 On notera toutefois que les niveaux de capital technologique sont très fermes par rapport aux indicateurs sur lesquels ils sont fondés. La composition des groupes de pays dans la figure 27 ne changerait pas beaucoup si l'on utilisait d'autres indicateurs ou des indicateurs moins nombreux.

12 P. Crosson. 1995. Soil erosion and its on-farm productivity consequences: what do we know? Resources for the Future Discussion Paper No. 95/29; et P. Crosson. 1997. Will erosion threaten agricultural productivity? Environment,39: 4-9, 29-31.

13 C.C. David et K. Otsuka, éds. Modern rice technology and income distribution in Asia. IRRI, Los Baños, Philippines.

14 Boserup, op. cit., note 3.


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