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Les défis du teck de Côte d'Ivoire

G. Maldonado et D. Louppe

Ginès Maldonado est ingénieur agronome
spécialisé en foresterie tropicale.
Il réside à Montpellier (France).
Dominique Louppe est chercheur au Département
des forêts du Centre de coopération
internationale en recherche agronomique
pour le développement (CIRAD), à Montpellier (France).

Le développement du teck ivoirien, et son commerce et sa promotion dans un contexte national et international en évolution.

Originaire d'Asie, le teck (Tectona grandis) est, par ses qualités physiques et esthétiques, un bois d'œuvre de réputation mondiale. Il constitue le matériau privilégié des constructions navales et de l'ameublement de luxe d'intérieur et d'extérieur. Avec une production totale limitée à 1,5 à 2 millions de mètres cubes par an (Wint, 1995), le teck n'occupe qu'une position marginale dans la production mondiale de bois; pourtant il concurrence des bois de feuillus prisés sur des marchés très spécifiques et représente une élément stratégique de premier ordre dans l'économie forestière des principaux pays producteurs (Myanmar, Indonésie, Thaïlande et Inde). D'après Keogh (1996), le teck représente la meilleure opportunité de production tropicale de bois d'œuvre de qualité.

Le développement de la demande internationale a élargi les sources d'approvisionnement traditionnelles du teck à des bois de petit diamètre issus de plantation, en particulier en Afrique et en Amérique latine. La Côte d'Ivoire s'adjuge la première place sur la scène des nouveaux producteurs, avec près de 130 000 m3 de bois de teck exportés en 1997 (Maldonado, 1999).

Le présent article tente d'analyser les options de production de teck prises par la Côte d'Ivoire. Il le fait à travers les enjeux que ces options traduisent, tant sur le plan de la politique forestière nationale (contexte de mutation sectorielle) que sur le plan du commerce international (nouveaux marchés et flux commerciaux).

Une plantation villageoise de tecks, dans le centre de la Côte d'Ivoire

- G. MALDONADO

UNE RESSOURCE EN EXPANSION

Le teck est la première essence de plantation en Côte d'Ivoire. Les teckeraies couvraient près de 52 000 ha en 1998 (SODEFOR, 1998), soit la moitié des plantations forestières ivoiriennes. La Côte d'Ivoire occupe le second rang pour la superficie de plantation de teck hors-Asie, derrière le Nigéria, qui compte 70 000 ha (Béhagel, 1999).

Introduit en 1927 avec des graines de provenance togolaise (Belouard, 1957), le teck gagne dès 1929 la zone de contact forêt dense-savane (Bouaké), à partir de laquelle il se répand rapidement. Des plantations villageoises de teck apparaissent en marge des reboisements coloniaux.

Après l'indépendance de la Côte d'Ivoire en 1960, la Société publique de développement des plantations forestières (renommée par la suite Société de développement des forêts - SODEFOR) fut créée en 1966 dans le but de conserver et de gérer les ressources forestières du pays et promouvoir le boisement et le reboisement. Ses grands chantiers mécanisés établis dans le domaine de forêts classées de l'État, accélèrent le rythme des boisements.

Après une pause entre 1974 et 1984 motivée par une crise conjoncturelle et d'importantes difficultés commerciales (notamment la quasi-impossibilité de vendre les bois des premières éclaircies), le rythme de plantation de teck reprend avec l'expansion des principaux chantiers de boisement existants et l'ouverture de nouveaux chantiers. Ce regain d'intérêt pour le teck se manifeste après sept incendies, survenus en 1983, qui avaient détruit de nombreuses plantations de multiples essences, mais épargné les teckeraies; la résistance du teck au feu est une qualité primordiale. Avec l'application du Plan directeur forestier (PDF), à partir de 1992, et du Plan sectoriel forestier, le teck s'affirme définitivement comme l'essence leader des boisements ivoiriens.

On peut ainsi distinguer plusieurs phases dans l'établissement du gisement de teck ivoirien:

Le reboisement est obligatoire depuis la réforme forestière de 1994; les compagnies sont tenues de planter 1 ha pour 250 m3 de bois abattu. Les compagnies préfèrent reboiser en teck, car c'est une essence qui se plante facilement. La plupart des plantations de ce dernier groupe sont très jeunes. Quarante pour cent ont moins de 10 ans (SODEFOR, 1998).

En Côte d'Ivoire, environ 90 pour cent des teckeraies appartiennent à l'État, les 10 pour cent restants étant de petites plantations privées et villageoises (les plantations privées établies après 1998 dans la région de Bouaké ne sont pas prises en compte, en raison de leur jeune âge). Les principales plantations de teck sont regroupées dans une douzaine de forêts classées, et leur nombre augmente rapidement, grâce à la participation d'acteurs privés, d'industriels et d'associations. La multiplicité des sites et leur dispersion n'en facilitent pas la gestion, ce qui pose un problème à la SODEFOR, dont les moyens d'encadrement sont limités.

En raison de leur dispersion géographique, les teckeraies ivoiriennes sont soumises à des conditions écologiques très diverses. La croissance, qui est principalement influencée par la pluviométrie et la profondeur des sols, est très variable. La productivité initiale s'échelonne de moins de 5 m3 par hectare et par an à plus de 16 m3 par hectare et par an dans les meilleures conditions (Dupuy et Verhaegen, 1993).

Une forte variabilité génétique

La qualité du matériel végétal est une question primordiale pour les boisements de teck. L'ampleur prise par les travaux de plantation a contraint la SODEFOR à utiliser très majoritairement des semences non sélectionnées; en effet, les semences issues de vergers à graines ou de peuplements semenciers améliorés (Bamoro, Matiemba) ne permettent de reboiser que quelques centaines d'hectares chaque année. Un programme de sélection clonale et de multiplication à grande échelle est en cours, avec l'appui financier de l'Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT) (SODEFOR, 1998).

Si, jusqu'à présent, toute l'attention des sélectionneurs a été tournée vers l'amélioration de la croissance et de la forme des tecks, la qualité des bois a rarement été associée aux critères de sélection; les industriels pourtant déplorent sa forte variabilité. Par exemple, le teck de la Séguié (Rubino) est plus clair et moins dense que celui de Bamoro (Bouaké), qui est veiné et doré, qualités esthétiques très appréciées des industriels (Durand, 1984). Ces deux sites ont des conditions climatiques et naturelles très contrastées. De grandes différences de densité et de couleur sont observées au sein d'une parcelle ou entre parcelles voisines d'une même zone (Société forestière tropicale, 1994). Il reste à déterminer si ces variations sont principalement dues à des facteurs génétiques, à la qualité du site ou à la sylviculture.

L'hétérogénéité quantitative et qualitative de la ressource en teck constitue un handicap pour le développement d'une industrie du teck en Côte d'Ivoire. Les industriels reprochent aussi au teck ivoirien jeune d'avoir beaucoup de nœuds apparents. Malgré cela, le marché international du teck ivoirien s'est considérablement ouvert au tournant des années 90.

FIGURE 1: Évolution des plantations de teck en Côte d'Ivoire, 1929 à 1998

Source: SODEFOR (1998).

La qualité: une question sans réponse

Une vive controverse a été soulevée quant à la qualité du teck issu de plantations et quant aux effets du raccourcissement de la révolution. En effet, les principales propriétés du teck sont la durabilité et l'attrait esthétique. Des études contradictoires ne déterminent pas clairement s'il existe des différences de qualité technologique entre les bois des plantations et ceux des forêts naturelles. Alors que Bath (2000) soutient que le raccourcissement de la révolution n'affecte pas les propriétés physiques du teck, Durand (1984) estime qu'il a une incidence négative certaine sur la durabilité naturelle du bois. Du point de vue esthétique, le bois à croissance rapide et coupé jeune ne présenterait pas les caractéristiques recherchées: il serait plus terne, clair et uniforme, d'aspect moins huileux et moins agréable au toucher. Le problème essentiel est que les rotations courtes ne permettent pas la formation de duramen qui est un processus lent. Chez les arbres jeunes, l'aubier peut représenter jusqu'à 50 pour cent (Société forestière tropicale, 1994). Les variations de qualité entre les bois des plantations et ceux des forêts naturelles risquent d'avoir des conséquences économiques dont commencent à s'inquiéter certains industriels européens (P.Y. Durand, communication personnelle).

DÉVELOPPEMENT D'UN COMMERCE DYNAMIQUE

Certaines contraintes liées au marché intérieur et certains changements survenus sur le marché international du teck ont incité la Côte d'Ivoire à ouvrir considérablement son commerce à l'exportation.

Stagnation du marché intérieur

La commercialisation des billes de teck a commencé à poser un problème à la SODEFOR à la fin des années 70, lorsque le volume des éclaircies a augmenté. En effet, les débouchés nationaux pour les billes de petits diamètres étaient limités aux poteaux d'électricité et de téléphone. Or, sur ce créneau, le teck allait bientôt être concurrencé par des matériaux plus compétitifs et moins sensibles aux feux de brousse, comme le béton et l'aluminium.

De plus, au cours de ces 30 dernières années, la consommation intérieure de bois n'a cessé de décroître, alors que l'industrie du bois, dominée à 85 pour cent par des sociétés étrangères (OIBT, 1998), s'est fortement orientée vers l'exportation. Les prix ne sont pas différenciés sur le marché intérieur, et le teck s'est cantonné à une valeur marginale comme bois de feu sur les marchés urbains proches des centres de production.

Les populations locales ont, de leur propre chef, développé des utilisations ligneuses et non ligneuses variées du teck (Maldonado et Louppe, 1999). Les plus importantes sont l'utilisation de bois rond (perches, piquets et poteaux) pour la construction et les usages agricoles et domestiques (utilisation des feuilles pour emballer la viande sur les marchés, fabrication de teintures ou de produits pharmaceutiques [en bains pour les enfants anémiques]). Si ces produits sont encore moins rémunérateurs que les grumes de bois d'œuvre, ils ont une utilité dans la mesure où ils peuvent se substituer à des produits plus coûteux.

Les populations ont développé des utilisations locales variées du teck, surtout pour le bois rond (perches, piquets et poteaux); sur la photo, un abri monté sur des perches de teck dans un village du nord de la Côte d'Ivoire

- G. MALDONADO

Insécurité de l'industrie forestière ivoirienne

Les industriels du bois de Côte d'Ivoire ont longtemps ignoré le teck et plus généralement les produits issus de plantations situées hors de leur aire naturelle. Ils considéraient généralement que le teck occupait une position sans intérêt et marginale dans la production nationale qui dépassait 2 millions de mètres cubes par an (OIBT, 1996).

Cependant la relance de l'industrie forestière a prévalu devant l'impérieuse nécessité de ménager la ressource forestière (Thiam, 1999), en particulier depuis la dévaluation du franc CFA en 1994, ce qui a entraîné une régression rapide des forêts naturelles. La raréfaction des ressources en bois a entraîné le déclin inéluctable du secteur du bois, qui ne représentait plus que 1,3 pour cent du produit intérieur brut (PIB) en 1997. L'approvisionnement des usines est devenu la préoccupation majeure des industriels, malgré l'élargissement continu de l'éventail des essences transformées.

À la faveur de l'évolution des opportunités des marchés, un petit nombre de compagnies forestières se sont lancées dans le commerce du teck qui a vu des ouvertures très rentables au milieu des années 90. Toutefois, les unités de transformation existantes sont obsolètes et l'insécurité quantitative (garantie d'approvisionnement régulier) et qualitative (garantie d'une qualité homogène du bois usiné) a empêché les investissements productifs. De plus, la surcapacité des industries de transformation a aggravé la crise de ce secteur. Une profonde réforme forestière, initiée en 1995, a contribué à réduire drastiquement le nombre d'opérateurs, tombé de 400 en 1995 à 180 en 1996 (Ibo et Kesse, 1998), puis à 100 en 1999 (Louppe, 1999).

Polarisation asiatique du marché du teck

La région asiatique domine depuis longtemps la production et la commercialisation des bois tropicaux. C'est encore plus vrai pour le teck, dont l'Asie détient 88 pour cent des stocks mondiaux, l'Indonésie concentrant à elle seule plus de 40 pour cent des plantations de teck du monde. C'est pourquoi le marché du teck est et restera dicté par les tendances du marché asiatique tant aux niveaux des pays producteurs que des pays consommateurs.

La demande intérieure des pays asiatiques producteurs de teck ayant fortement augmenté depuis quelques années, la plupart d'entre eux se sont résolus à importer des tecks de plantation en provenance d'Afrique et d'Amérique latine, à moindre coût: de 150 dollars EU par mètre cube à 250 dollars EU par mètre cube(et de 140 à 150 dollars EU en février 2000). Les unités de transformation asiatiques, souvent artisanales, sont beaucoup mieux adaptées au travail des grumes de petit diamètre. Des pays comme la Côte d'Ivoire, l'Équateur ou la Trinité-et-Tobago alimentent depuis quelques années la demande asiatique de grumes de teck (au détriment de la commercialisation de produits finis ou semi-finis). Les fournisseurs traditionnels de grumes de teck au Myanmar ont subi les effets de cette nouvelle concurrence à partir de 1995, avec la désaffection de certains clients indiens (TEAKNET, 1999).

Vers un marché d'exportation: regard tourné sur la demande indienne

Compte tenu des contraintes existant sur le marché intérieur et dans l'industrie du bois, des études de marché et des opérations de promotion ont été lancées dans les années 80 par le Centre technique forestier tropical et par quelques industriels pour ouvrir des débouchés aux bois de plantation (en particulier le teck, Gmelina spp. et le pin). Ces activités ont contribué à faire connaître le teck ivoirien sur le marché international.

Alors que les marchés européen et américain restent globalement fidèles aux sources asiatiques d'approvisionnement (essentiellement grumes de teck), il existe une forte demande indienne de grumes de teck ivoirien, qui se développe rapidement (figure 2).

FIGURE 2: Exportations de teck ivoirien, 1986 à 1998

En l'espace de quelques années, l'Inde est devenue le client presque exclusif de la Côte d'Ivoire, absorbant 99 pour cent des grumes exportées. Le prix f.o.b. du teck ivoirien a augmenté rapidement: de 60 dollars EU par mètre carré (35 000 FCFA) en 1993, à plus de 300 dollars EU par mètre carré (160 000 FCFA) fin 1997 (figure 3) (Maldonado, 1999). Les exportations de grumes de teck représentent un marché très rémunérateur. Les volumes exportés fluctuent en accord avec les prix sur le marché international; ainsi, ils ont augmenté avec la montée des prix en 1996 et 1997 et se sont contractés avec le fléchissement des prix en 1998.

FIGURE 3: Prix des grumes de teck ivoirien, 1990 à 1998

1 Prix fixé par la SODEFOR pour son propre teck.

Source: SODEFOR1998); Maldonado (1999).

La SODEFOR et les autorités forestières, favorables à ce nouveau marché, ont fait un effort particulier pour répondre à la demande indienne. La législation a été adaptée pour permettre ce négoce de grumes de teck, alors que l'exportation de bois non transformé est interdite pour toutes les autres essences. La Société d'État s'est associée avec plusieurs compagnies forestières qui cherchent à obtenir des droits commerciaux exclusifs et obtiennent de fait le contrôle stratégique et commercial du secteur.

CONTRAINTES ET OPPORTUNITÉS POUR LE TECK IVOIRIEN

Développement d'un nouveau marché: le teck de petites dimensions

Depuis une dizaine d'années, l'apparition d'une stratégie commerciale adaptée à des produits issus de bois jeune de petites dimensions est l'un des facteurs qui encourage le secteur privé à investir dans le teck en Inde, au Ghana et en Amérique tropicale (Costa Rica, Brésil, etc).

Ainsi, au Costa Rica, des sociétés transforment des tecks de petites dimensions et commercialisent des parquets, des éléments de meubles et des meubles à des prix atteignant 1 000 dollars EU par mètre cube (équivalent bois rond) sur le marché nord-américain. Toutefois, l'ap-pareil industriel ivoirien n'est pas adapté à la transformation des grumes de petit diamètre, de sorte qu'il est difficile de développer un marché des tecks d'éclaircie.

Les enjeux du marché du teck en Côte d'Ivoire et en Afrique

On assiste à une recomposition partielle des flux commerciaux du teck, avec l'entrée en scène de nouveaux producteurs. Les pays asiatiques, en tête desquels le Myanmar et l'Indonésie, conservent le monopole d'un marché de luxe, à forte valeur ajoutée, de produits de première qualité. La croissance de ce marché est limitée par l'offre. La Côte d'Ivoire a choisi de continuer à saisir les opportunités du marché indien. La SODEFOR envisage même une intensification de la sylviculture à partir de techniques clonales (Martin, Kadio et Offi, 1999). Cette option est largement partagée par les nouveaux pays producteurs, y compris en Asie (par exemple en Malaisie). Toutefois, il semble important de mettre un bémol à cet engouement, car le bois de teck de plantation est souvent déconsidéré sur le marché international, surtout s'il est de petites dimensions (TEAKNET, 1999).

La plupart des pays qui, aujourd'hui, investissent dans le teck de petites dimensions ont opté pour la transformation du teck et la commercialisation de produits finis ou semi-finis. Cependant, contrairement à ces nouveaux producteurs, les principaux planteurs africains disposent de plantations suffisamment anciennes et importantes pour pouvoir prétendre à l'accès à un marché de qualité supérieure.

Pour l'instant le teck ivoirien ne bénéficie pas d'une telle image de marque sur le marché international; créer ce label de qualité semble être un des paris du XXIe siècle pour les producteurs de teck de Côte d'Ivoire (et des pays hors-Asie).

En raison de la disparition des grumes de grandes dimensions issues de forêts naturelles, les industries ivoiriennes de transformation s'orientent inévitablement de plus en plus vers le travail de bois de plantation de petit et moyen diamètres. Cependant la décision prise par la Côte d'Ivoire de produire des grumes de teck de petit diamètre destinées à l'exportation risque de compromettre l'émergence à moyen terme d'une transformation locale à forte valeur ajoutée.

Cela dit, l'engouement actuel pour les plantations de teck dans de nombreux pays tropicaux et l'exigence économique d'une rentabilité élevée laissent présager à moyen terme une augmentation significative de l'offre de bois de teck de petites dimensions sur le marché international, ce qui devrait «démocratiser» ce bois. Cette tendance pose la question de l'engagement ivoirien sur ce créneau, bientôt soumis à une forte concurrence.

Compte tenu de la stagnation du marché intérieur de teck, la législation a été adaptée pour permettre le négoce des grumes de teck, demandées sur le marché indien

- J.-C. BERNARD

La fragilité des monopoles

Les exportations de teck ivoirien ont su-bi le contrecoup de la crise asiatique de 1997: 97 800 m3 en 1998 contre 130 000 m3 en 1997 (Maldonado, 1999). L'Inde étant le principal acheteur de teck ivoirien, ce marché est fortement tributaire des fluctuations du marché du bois indien. L'instabilité politique et économique des deux pays compromettent les perspectives de commerce régulier. La Côte d'Ivoire doit donc diversifier ses débouchés.

La SODEFOR, qui contrôle plus de 90 pour cent de la ressource en teck bois d'œuvre, s'impose comme un interlocuteur incontournable pour les exploitants et les exportateurs. C'est une première en Côte d'Ivoire où les industriels du bois payaient jusque là un prix fixe à l'État pour exploiter la ressource ligneuse. Aujourd'hui, ils achètent le bois sur pied, à un prix qui suit les fluctuations du marché. La Société d'État, à travers sa nouvelle dimension commerciale, bute contre les intérêts des industriels qui voudraient que la SODEFOR se cantonne dans son rôle de producteur. La volonté de réglementation et de maîtrise de la gestion, par l'intermédiaire de la société, s'est traduite par l'aménagement de l'ensemble des plantations en forêts classées.

Néanmoins, en raison de contraintes diverses, il se pourrait que l'exploitation du teck dépasse déjà les capacités de production des teckeraies ivoiriennes (Maldonado, 1999). L'épuisement rapide des meilleures plantations villageoises a montré les limites de la ressource et les effets néfastes d'un accès libre à cette ressource. Ces plantations n'ont pas été aménagées et les villageois vendaient directement le bois; or, comme ces derniers n'étaient pas conscients de sa valeur, ils le vendaient généralement à des prix beaucoup plus bas que ceux demandés par la SODEFOR. Cet écart de prix, a entraîné une «ruée» des compagnies forestières, et en l'espace de deux ou trois ans, les plantations villageoises avaient disparu.

Boisement villageois de teck, clôturé par des poteaux de teck

- G. MALDONADO

Intérêt ou frustration des acteurs locaux

La croissance rapide des exportations de grumes de teck, tant à partir des plantations de la SODEFOR que des terroirs villageois, a suscité de nombreuses réactions chez les acteurs locaux. La mainmise de l'État et des professionnels (exploitants et industriels) sur les bois des forêts naturelles a incité les villageois à se désintéresser de la gestion de leurs ressources ligneuses. Ce désintérêt apparent vient surtout du fait qu'ils ne sont pas propriétaires des arbres situés sur les terroirs villageois. Ce facteur, conjugué à la méconnaissance de la valeur monétaire réelle du bois de teck et de son commerce, a souvent favorisé une exploitation excessive; les villageois ont en fait été spoliés de la valeur de la ressource. Pour toutes ces raisons, la plupart des acteurs ruraux étaient peu enclins à suivre une stratégie de marché, et l'intérêt des villageois pour le teck demeure principalement concentré sur les possibilités d'utilisations locales de ce bois.

La prise de conscience que le bois de teck peut rapporter un revenu appréciable ne change pas fondamentalement les choses pour la plupart des agriculteurs qui sont sceptiques quant à la possibilité de retirer les avantages économiques de leurs exploitations. De plus, outre les difficultés techniques de la production de teck, le caractère à long terme de l'investissement a souvent un effet dissuasif sur les acteurs ruraux.

La diversité des situations rurales ne permet pas d'émettre de conclusion catégorique. On peut toutefois observer que, si l'intérêt des villageois pour le teck repose en premier lieu sur les nécessités locales et les utilisations courantes, c'est principalement la production de bois d'œuvre qui explique l'engouement récent du secteur privé pour les plantations de teck. Ce récent regain d'intérêt pour le teck doit être mis en relation avec les acteurs locaux.

L'intérêt des villageois pour le teck a principalement été concentré sur ses possibilités d'utilisations locales; ici, tecks traités en taillis pour l'obtention de perches, de poteaux et de bois de feu

- G. Maldonado

Un nouveau cadre de politique forestière

En août 1999, le Gouvernement ivoirien a adopté un nouveau cadre de politique forestière qui deviendra progressivement opérationnel dans les mois à venir (Thiam, 1999; Kouassi et Thiam, 1999). Certaines des principales décisions modifieront radicalement le système forestier ivoirien:

Cette nouvelle politique vise à responsabiliser les populations rurales vis-à-vis des ressources ligneuses, de façon à les inciter à mieux les gérer et à les accroître en plantant. L'interdiction d'exportation des grumes de teck mettra en difficulté la SODEFOR, dont les ressources financières diminueront.

Stockage de perches de teck dans le nord de la Côte d'Ivoire

- D. LOUPPE

CONCLUSIONS

La production de teck reste fortement liée au continent asiatique qui détient la majorité des plantations de teck existant dans le monde. Le marché est et restera déterminé par les politiques forestières des principaux pays producteurs, qui sont le Myanmar, l'Indonésie, l'Inde et la Thaïlande. Pour beaucoup de spécialistes, la plantation de teck est une alternative intéressante à une production décroissante de bois d'œuvre de qualité issu des forêts naturelles. Toutefois, même si les prix ont affiché une forte augmentation au cours des dernières décennies (Krishnakutty, 1999), il est difficile de prévoir l'évolution future du marché. La suspension brutale des exportations de grumes de teck ivoirien vers l'Inde, avec la prohibition instituée en 1999, l'illustre bien.

La Côte d'Ivoire doit prospecter de nouveaux marchés et réorganiser son industrie pour la transformation de bois de plantation de petit diamètre. Le bois de bonne qualité issu des plantations ivoiriennes devrait pouvoir s'insérer entre le marché du teck du Myanmar et d'Indonésie et celui du teck de petites dimensions. Ce dernier se développe rapidement et a peu de points en commun avec le marché principal du teck.

En Afrique de l'Ouest, la Côte d'Ivoire est encore un puissant exportateur de bois. Mais pour combien de temps? Le secteur du bois d'œuvre souffre depuis longtemps de problèmes structurels. Les graves difficultés d'approvisionnement risquent de se propager dans un futur proche au marché intérieur. Les préoccupations qui font le quotidien de pays comme l'Inde, la Thaïlande et les Philippines - anciens pays exportateurs de bois tropicaux, mais aujourd'hui parmi les plus grands importateurs de produits forestiers - risquent de gagner la Côte d'Ivoire. À long terme, les bois des plantations, en particulier le teck, sont appelés à prendre une place prépondérante sur les marchés ivoiriens du bois. 

Bibliographie


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