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L'industrie du liège au Portugal

par J. L. CALHEIROS e MENESES

Président de la Junta Nacional da Cortiça, Portugal

Une note sur la première réunion du Comité européen permanent du liège, qui s'est tenue à Lisbonne en mai 1951, est parue dans UNASYLVA, Vol. V, N° 2. En raison de l'intérêt suscité par cette réunion, il a été demandé au Président de la Junta Nacional da Cortiça de résumer dans un article le rôle du liège dans l'économie de son pays. Le Portugal produit à peu près la moitié du liège commercial du globe et ses exportations des dernières années s'élèvent à environ 70 pour cent du commerce mondial.

LE CHÊNE-LIÈGE (Quercus suber L.) trouve dans la région méditerranéenne occidentale le milieu le plus propice à son développement et à sa reproduction.

Des pluies abondantes et bien distribuées, des sécheresses estivales de peu de durée encore atténuées par l'humidité de l'atmosphère, des hivers très doux, un ciel clair et un soleil radieux, des sols siliceux facilement pénétrables, frais et profonds, voilà bien les conditions agro-climatiques idéales pour l'espèce mais qui ne se trouvent, pour permettre sa culture dans des conditions économiques, que sur la zone qui entoure la Méditerranée, zone d'autant plus favorable qu'elle subit de plus près l'influence de l'Atlantique.

Production

Nous voyons ainsi pourquoi les peuplements de chêne-liège et la production du liège sont l'apanage d'un fort petit nombre de pays dont les positions relatives peuvent être observées sur le graphique ci-dessous basé sur les chiffres d'un ouvrage édité en 1947 par le Bureau régional européen de la FAO sous le titre «Production et commerce international du liège».

Ce graphique montre l'importance du Portugal dans le monde subéricole; à la vérité, c'est à lui qu'appartient près d'un tiers de la surface totale des peuplements de chêne-liège estimée, selon la dite monographie, à 2.150.000 ha, tandis qu'il produit environ la moitié de tout le liège annuellement levé dans le monde (à peu près 310.000 tonnes).

Les peuplements de chêne-liège s'étendent, pour ainsi dire, à tout le territoire du Portugal continental bien que, naturellement, l'intensité de production et les qualités des lièges varient dans les diverses zones productrices. Le chêne-liège, qui occupe environ 8% de la surface totale du Portugal et 28% de celle de ses forêts, a une préférence marquée pour les zones du centre et du sud du pays où se trouvent les peuplements les plus importants et qui fournissent le plus grand pourcentage de lièges de bonne qualité.

Ainsi, le meilleur liège produit au Portugal est obtenu du chêne-liège qui habite l'Algarve et certaines zones de l'Alentejo, tandis que la production du nord du pays est, en général, de qualité inférieure. Au point de vue de la quantité, ce sont encore les zones du centre et du sud qui ont le rôle principal, comme on peut le voir d'après le tableau suivant ou l'on montre la production moyenne par département, sur un cycle de 9 années période minima exigée par les lois portugaises pour la formation du liège, comme mesure de protection de l'espèce.

TABLEAU N° 1. - PRODUCTION MOYENNE ANNUELLE DU LIÈGE PORTUGAIS (1941-1949)

Départements

Tonnes

%

Aveiro

302

0,2

Beja

11.804

10,1

Braga

314

0,2

Bragance

1.929

1,3

Castello Branco

3.901

2,6

Coïmbre

557

0,4

Evora

-31.596

21,5

Faro

3.690

2,5

Guarda

245

0,2

Leiria

889

0,6

Lisbonne

821

0,6

Portalègre

25·624

17,4

Porto

164

0,1

Santarém

31.912

21,7

Sétubal

29.194

19,9

Vianna do Castello

58

0,0

Villa Real

563

0,4

Vizeu

384

0,3

Totaux

140.947

100,0

Comme on le voit, les départements de Santarém, Evora, Sétubal, Portalègre et Beja sont les plus importants, leurs chênaies fournissant environ 90% de la production du liège portugais.

Il est évident que le Portugal ne pouvait manquer de profiter d'une essence forestière dont la nature l'a doué de façon si prodigue.

Ceci est bien prouvé par les soins traditionnellement donnés par les gouvernements à la culture, l'exploitation, la reproduction et l'amélioration du chêne-liège au moyen de mesures adéquates parmi lesquelles il faut citer la création d'un Institut de recherches spécialisé - la «Estação de Experimentação Florestal do Sobreiro» qui a contribué de façon si importante à l'étude des problèmes d'anatomie, de physiologie, de cytologie, de génétique et de phytosociologie liés à l'espèce afin de rendre plus rationnelles les techniques de culture, à améliorer la qualité des lièges et aussi à augmenter la production, désir compensé par la préférence des acheteurs pour le liège portugais, préférence bien démontrée par la recherche dont il est objet à l'extérieur.

GRAPHIQUE N° 1

La superficie des peuplements, en blanc, est exprimée en milliers d'hectares, et la production annuelle normale, en hachuré, est exprimée en milliers de tonnes métriques.

Industrie

Formé par des myriades de cellules minuscules douées de très fines membranes de cutine extraordinairement résistantes et qui emprisonnent dans leur sein un mélange gazeux de composition semblable à l'air, le tissu qui revêt le chêne-liège doit à sa merveilleuse structure les qualités spéciales qui justifient l'ampleur de l'horizon ouvert à ses applications industrielles dont les limites ne cessent de s'étendre à mesure qu'il devient possible de satisfaire, grâce à de nouvelles découvertes, des besoins croissants des divers secteurs de la vie moderne.

Matériau extrêmement léger, compressible et élastique, flexible, pratiquement impénétrable à l'humidité et aux substances liquides et gazeuses, doué d'un coefficient de friction très élevé, mauvais conducteur d'électricité, du son, de la chaleur, ayant un pouvoir d'absorption des vibrations réellement exceptionnel, le liège est en outre presqu'insensible à l'attaque de la plupart des substances chimiques ainsi qu'à l'action destructrice du temps.

La réunion en une seule substance de qualités si remarquables a naturellement conduit à son utilisation industrielle, laquelle remonte à une époque très ancienne, mais n'a toutefois pris un développement assez important qu'après la découverte de la bouteille qui a ouvert d'énormes possibilités à la vente des boissons, faisant surgir le problème de la production en grand de toute espèce de clôtures étanches appropriéees.

En partant du centre producteur ibérique, l'industrie de bouchonnerie s'est développée de plus en plus, atteignant jusqu'aux plus lointaines régions du globe.

Plus tard, un nouveau type de bouchonnage est apparu, exigeant une quantité de matière première incomparablement inférieure à celle du bouchon. Il s'agissait du disque de liège qui se montre tout à fait satisfaisant lorsqu'une capsule le comprime sur le goulot; dès lors, le disque commença d'être utilisé à une importante échelle pour fermer les bouteilles de boissons comme la bière, les eaux minérales, les sucs de fruits, aussi bien que pour les flacons de produits pharmaceutiques, de conserves alimentaires, etc.

Deux problèmes se posaient pourtant: comment profiter du pourcentage élevé du liège perdu dans la fabrication des bouchons, des disques et autres produits manufacturés en liège naturel afin de diminuer le coût de leur production; où trouver la manière d'utiliser le liège de faible qualité et qui ne pourrait servir à fabriquer ces mêmes produits. La découverte, réalisée vers la fin du siècle dernier, de la possibilité d'agglomération du liège trituré, est venue résoudre ces problèmes et tracer de nouvelles routes à l'économie subéricole. A partir de ce moment, grâce aux perfectionnements successifs de la technique, il fut possible de diriger la fabrication des agglomérés de liège de façon à correspondre aux exigences des secteurs les plus importants et les plus variés.

L'industrie du liège représente de nos jours une force importante. Issue, comme on l'a dit, de la zone productrice, elle s'est étendue en raison de la recherche chaque jour plus grande des produits de liège bien plus loin que les limites de la culture du chêne-liège et a atteint un développement considérable dans beaucoup de pays dont quelques-uns ont essayé d'adapter cet arbre à leurs sols, tentative qui, jusqu'ici, semble n'avoir pas donné de résultats favorables.

Parmi les centres non producteurs où la fabrication de produits en liège a lieu à une échelle appréciable, les Etats-Unis viennent en tête. Le potentiel de l'industrie américaine du liège est très important et peut être apprécié lorsqu'on saura qu'il occupe une main-d'œuvre de 6.000 à 7.000 hommes et que quelques dizaines de fabriques où est travaillée la moitié environ de la production mondiale de liège, produisent des articles dont la valeur est sûrement supérieure à 40 millions de dollars.

TABLEAU N° 2. - EXPORTATION DES LIÈGES PORTUGAIS

Pays destinataires

1937-39 (moyenne)

1948-50 (moyenne)

Liège brut

Liège manufacturé

Totaux

Liège brut

Liège manufacturé

Totaux

Tonnes

%

Tonnes

%

Tonnes

%

Tonnes

%

Etats-Unis

54.128

99,8

130

0,2

54.258

74.939

96,3

2.890

3,7

77.829

Royaume-Uni

25.284

75,0

8.425

25,0

33.709

22.753

61,2

14.395

38,8

37.148

Allemagne

20.810

94,1

1.314

5,9

22.124

6.721

95,8

291

4,2

7.012

Autres pays

37.267

83,2

7.532

16,8

44.799

34.792

68,0

16.399

32,0

51.191

TOTAUX

137.489

88,8

17.401

11,2

154.890

139.205

80,4

33.975

19,6

173.180

Parmi les produits fabriqués aux Etats-Unis, les agglomérés occupent une place prépondérante et pleinement justifiée par leur emploi dans les installations frigorifiques et d'air conditionné, dans l'industrie des transports automobiles, des machines textiles des industries électriques, etc.

La production d'articles en liège naturel est beaucoup plus modeste et ne représente que 6 à 8 pour cent environ de la production totale des articles en liège.

Déjà très recherché aux époques normales, le liège est considéré aux Etats-Unis comme une matière première indispensable en temps de guerre et même compté parmi les matériaux stratégiques les plus importants, ce qui est explicable par son emploi dans la fabrication de bourres pour les projectiles, d'accessoires pour les bombes, comme matériel isolant, pour accessoires d'automobiles, tanks et avions, ainsi que de nombreux produits de l'industrie de guerre.

Parmi les autres pays non producteurs mais qui ont pourtant une industrie du liège assez appréciable, nous devons mentionner, en Amérique: l'Argentine, le Brésil, le Canada, le Mexique, l'Uruguay; en Asie, le Japon; en Océanie, l'Australie; en Europe, l'Allemagne, la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas, le Royaume-Uni les pays Scandinaves la Tchécoslovaquie et l'U.R.S.S., à part quelques autres de moindre importance.

Aux pays producteurs appartient, évidemment, un rôle important dans la mise en œuvre industrielle du liège. Parmi ceux-ci, le Portugal, «leader» du monde subéricole, occupe, comme de juste, une position des plus importantes parmi les centres transformateurs de liège. Ses 500 fabriques, qui emploient 20.000 personnes, douées des machines les plus modernes et utilisant les plus récentes acquisitions de la technique, rendent l'industrie portugaise du liège parfaitement apte à satisfaire la demande de n'importe quels produits. L'œuvre manufacturée portugaise telle que bouchons, disques, flotteurs de types divers, semelles, papier pour imprimerie et pour bouts de cigarettes, descentes de bain, dessous de plats, garnitures pour chapeaux, manches pour cannes de pêche, emballages divers, laine de liège pour coussins et matelas, granulés - ceux-ci employés tels quels comme matériel isolant surtout dans les constructions navales, pour protéger l'emballage des fruits et des œufs, comme conduit pour substances plastiques - et combien d'autres!

La demande d'agglomérés portugais a rapidement pris une importance croissante, soit celle d'agglomérés purs, ainsi nommés du fait que l'agglutination est produite uniquement grâce aux résines naturelles que le liège possède en lui, employés en grande échelle comme isolants dans les constructions, isolants et correcteurs acoustiques de salles de spectacles, de conférences, etc. pour l'absorption des vibrations produites par les grandes machines industrielles, pour revêtir murs et planchers, soit celle des agglomérés composés, pour la fabrication desquels on se sert de substances auxiliaires; ce groupe comprend les disques, les semelles, les joints pour moteurs, manchons et autres revêtements dans l'industrie textile, les accessoires de sport, électriques, etc., ainsi que des articles domestiques et une quantité innombrable de produits exigés par les plus divers secteurs de l'activité.

Dernièrement, l'industrie de désagrégation chimique du liège a commencé au Portugal afin d'arriver à produire une cire au point de fusion très élevé et à grand pouvoir d'absorption des solvants, excellente pour remplacer les cires de Carnauba1 et de Carndelilla,2 et aussi pour obtenir de la Subéroline, substance non fusible et insoluble dans n'importe quel solvant; un avenir plein de promesses est sûrement réservé à ces nouveaux produits qui serviront à fabriquer du papier carbone, des encaustiques et des cirages, des produits d'entretien, à vernir des boîtes métalliques de conserves, à imprégner des filets de pêche, etc.

1 Un produit du palmier cérifère du Brésil (Copernicia cerifera).

2 Obtenue à partir de l'Euphorbia cerifera Alc., une plante arbustive originaire des régions arides du Mexique.

Commerce

Les échanges dans le commerce du liège ont atteint de nos jours un niveau d'une importance incontestable et forment un réseau immense qui engloble, pour ainsi dire, tout le monde civilisé.

On peut évaluer à 100 millions de dollars le montant des achats mondiaux annuels de liège et produits dérivés, et ce chiffre à lui seul donne une idée de l'importance acquise par ce secteur du commerce.

De toutes les exportations du Portugal la plus importante est le liège qui représente à lui seul les 16% environ de la totalité des revenus du commerce extérieur de ce pays.

Les exportations de liège augmentent à un rythme progressif et constant, comme on peut le vérifier par l'examen du graphique suivant sur lequel, de 5 en 5 ans, et à partir du commencement de ce siècle, est décrit l'accroissement du tonnage de liège exporté.

Il est curieux de vérifier que les seules années qui font exception à la tendance citée sont celles de 1915 et 1945, années évidemment anormales parce que comprises en des périodes de guerre universelle, et celle de 1930, en pleine crise économique mondiale.

L'équilibre des exportations portugaises du liège est basé, dans le fond, sur 3 marchés consommateurs - Etats-Unis, Royaume-Uni et Allemagne - lesquels absorbent les 70% environ de la totalité des lièges exportés.

GRAPHIQUE N° 2

Augmentation du tonnage de liège exporté, 1900- 1950

Parmi les autres centres consommateurs, 80 environ, éparpillés de par le monde, les plus importants sont: Australie, Benelux, Brésil, Canada, Tchécoslovaquie, Danemark, Pays-Bas, Japon, Mexique, Norvège, Suède, Suisse, Union Sud-Africaine et U.R.S.S.

Ci-dessous, en un tableau où l'on voit les tonnages moyens des exportations portugaises de liège brut et ouvré pendant les périodes triennales de 1937-39 et 1948-50, sont détaillés les 3 principaux marchés consommateurs; ce tableau nous permet d'évaluer l'expansion des lièges originaires du Portugal, due surtout à l'important accroissement de la recherche dont sont l'objet les liège ouvrés, tant en quantité comme en pourcentage; accroissement qui a élevé les exportations au double de ce qu'elles étaient avant la dernière guerre mondiale.

A cette tendance, qui résulte logiquement de l'effort réalisé, car l'on reconnaît de jour en jour avec plus de certitude la qualité et les prix avantageux du liège manufacturé du Portugal, pas même les Etats-Unis n'ont échappé quoique leur organisation industrielle du liège soit si importante, car leurs importations de produits manufacturés portugais ont augmenté 22 fois pendant cet intervalle.

Quant aux autres pays consommateurs, à l'exception de l'Allemagne, profondément bouleversée par la guerre mais qui revient peu à peu aux conditions d'avant-guerre et de ces autres pays qui créent eux-mêmes des conditions de concurrence artificielles afin de défendre leurs propres industries, on doit citer l'Angleterre, depuis toujours le plus grand acheteur des produits manufacturés portugais et dont les achats se sont élevés presqu'au double d'une période à l'autre.

Il y a au Portugal un organisme coordonnateur des activités subéricoles - la Jounta Nacional da Cortiça - à laquelle appartient le rôle de diriger supérieurement et d'orienter l'industrie et le commerce du liège; parmi ses principaux objectifs on doit compter l'élargissement du commerce du liège à l'extérieur, la garantie de la qualité des produits exportés, la défense de leur renommée et de leur juste valeur.

La «Junta» dispose d'un Laboratoire d'études et essais sur le liège, lequel est en conditions de contrôler les résultats obtenus par les fabricants, de comparer les produits dérivés du liège à ceux des substituts possibles, et de faire des recherches pour la découverte de nouvelles propriétés ainsi que de nouvelles applications du liège.

Ayant entouré la production de tous les soins possibles en vue d'intensifier les peuplements et d'améliorer la qualité des lièges, disposant de frabiques en état de satisfaire toutes les commandes de produits manufacturés, et possédant une activité commerciale bien établie et de réputation solide, le Portugal peut faire face avec confiance à l'avenir de son économie sur le secteur du liège.


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