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Protection des bassins de réception

dans l'aménagement des forêts et des pâturages aux Etats-Unis

par V.L. HARPER
Directeur-Adjoint, Service forestier des Etats-Unis Chargé du Service des recherches

LES problèmes de l'aménagement des bassins de réception aux Etats-Unis sont plus aisés à comprendre si l'on décrit d'abord la situation des ressources en eau.

La partie orientale du pays est relativement humide, avec des précipitations annuelles variant de 30 à 80 inches (75 à 200 cm) et plus, assez bien réparties au cours de l'année.

Dans la partie occidentale, les conditions sont entièrement différentes. La région intérieure reçoit moins de 20 inches (50 cm) de précipitations par an, dont la plus grande partie tombe pendant les mois d'hiver. Toutefois, cette aridité générale est modifiée par les hautes montagnes qui interceptent l'humidité des vents dominants, soufflant vers l'est en provenance de l'océan Pacifique, et vers le nord en provenance du golfe du Mexique. Ces montagnes sont les «îlots humides» qui alimentent les sources de la plupart des cours d'eau permanents. Les précipitations, dans les régions montagneuses varient d'environ 20 inches dans les premiers contreforts à environ 80 inches aux altitudes supérieures. Elles tombent en grande partie sous forme de neige.

La région côtière du Pacifique nord, à l'ouest de la Cascade Range, reçoit des précipitations abondantes. Mais la région côtière du Pacifique sud, à l'ouest de la Sierra Nevada, jouit d'un climat méditerranéen. L'agriculture intensive n'y est possible que par irrigation.

A l'exception d'orages locaux en été, la plus grande partie de la région occidentale du pays a une longue période sèche. Dans toute la région intérieure du continent, le débit d'été des cours d'eau est d'environ 25 pour cent du débit moyen. Dans la région côtière du Pacifique nord et dans toute la partie orientale du pays, le débit d'été des cours d'eau atteint généralement la moitié du débit moyen.

Les 17 états de l'Ouest couvrent environ 60 pour cent de la superficie du pays, mais ils ne disposent que de moins de 25 pour cent des ressources totales en eau du pays. La lame d'eau de l'ensemble de la région de l'Ouest est inférieure à 4 inches (10 cm) par an; celle de l'Est est d'environ 16 inches (40 cm). Les terrains forestiers et les pâturages couvrent environ les deux tiers de la superficie totale des Etats-Unis. Les forêts occupant la région où les précipitations sont les plus élevées, il est probable que 70 à 75 pour cent des ressources totales en eau du pays proviennent des forêts et des pâturages.

FIGURE 1. Hydrogrammes de deux bassins de réception voisins, avec un couvert forestier analogue, à la suite de l'orage du 11 août 1934 (en pointillé). Hydrogrammes de ces mêmes bassins de réception, à la suite de l'orage du 7 juillet 1946 après que l'un d'eux ait été converti en exploitation agricole de montagne (en plein). Notez l'important accroissement de la pointe de la crue provenant des terres cultivées. Laboratoire hydrologique de Coweeta.

Hydrogrammes: Service forestier des Etats-Unis

Environ 12 pour cent des ressources totales en eau du pays sont prélevées pour la consommation; 40 pour cent de cette eau sont utilisés pour l'irrigation, 40 pour cent pour les usages industriels, 8 pour cent pour la distribution communale, et 2 pour cent pour les usages ruraux, autres que l'irrigation.

Il y a 50 ans, le prélèvement pour la consommation s'élevait à environ 500 gallons (2.000 litres) par habitant et par jour. En 1950, elle a atteint 1.100 gallons (4.200 litres) par jour. La demande s'accroît avec rapidité et peut atteindre 2.000 gallons (7.500 litres) par habitant et par jour en 1975. Une grande partie de l'eau employée par les industries et les communes retourne à la rivière, mais elle est généralement chargée de déchets et autres impuretés. La majeure partie de l'eau employée pour l'irrigation est perdue par évaporation et transpiration.

Le volume d'eau prélevée pour la consommation ne comprend naturellement pas celui, bien plus important, de l'eau utilisée pour la production de l'énergie hydro-électrique, pour la navigation intérieure, pour l'habitat des poissons et du gibier et pour les loisirs. La concurrence entre besoins différents d'utilisation d'eau est un problème économique et politique d'importance majeure dans beaucoup de localités. Il deviendra de plus en plus aigu à mesure qu'augmentera le prélèvement sur les ressources en eau pour les besoins de la consommation.

Des améliorations et des projets variés pour l'utilisation et la régularisation de l'eau représentent un investissement actuel d'environ 50 milliards de dollars. Un quart environ de ce chiffre a été investi par le gouvernement fédéral. Les projets actuellement à l'étude prévoient une dépense additionnelle de 50 milliards de dollars par le gouvernement fédéral. Si ces projets se réalisent, ainsi que d'autres projets d'entreprises privées et de gouvernements locaux, un nouvel investissement de 75 à 100 milliards de dollars peut être envisagé d'ici 50 ans.

Action officielle pour la protection des bassins de réception

Il y a environ 60 ans que l'on a commencé à reconnaître, aux Etats-Unis, le caractère d'intérêt public que présentent les bassins de réception et à prendre des mesures de protection.

Un acte du Congrès, voté en 1891, instruisit le Président d'établir des réserves forestières dans les forêts domaniales subsistant dans les états de l'Ouest. Bien que cette loi ne mentionnât pas expressément l'intérêt attaché aux bassins de réception, les débats du Congrès qui précédèrent son adoption montrent que les promoteurs du projet comprenaient, parmi les buts principaux à atteindre, la lutte contre les inondations ainsi que la protection des cours d'eau et des ressources en eau. Une loi ultérieure, votée en 1897, a prévu une administration fédérale permanente de ces périmètres et spécifié que l'une des fins auxquelles ils étaient destinés était «d'assurer un régime des eaux favorable».

Environ 138.000.000 d'acres (56.000.000 ha) de terres domaniales furent classées comme réserves forestières pendant la période 1891-1907 en application de ces deux lois. Pendant cette période, ces réserves commencèrent à être connues sous le nom de national forests (forêts domaniales). Leur administration fut confiée au Service forestier, rattaché au Département de l'agriculture. Une politique d'aménagement fut mise au point, basée sur le principe des rôles multiples, parmi lesquels furent reconnus la production du bois, la protection des bassins de réception, le pâturage, l'habitat de la faune et les loisirs.

Toutefois, cette conception du problème de l'aménagement des bassins de réception avait des applications limitées, bien qu'importantes, du fait qu'en 1891 les seules grandes superficies de forêts domaniales se trouvaient dans les états de l'Ouest. Une autre étape importante fut atteinte en 1911, avec le vote de la loi dite Weeks Act1. Cette loi autorisait le gouvernement fédéral à acheter des terres boisées, exploitées à blanc ou déboisées, situées dans les bassins de réception des cours d'eau navigables, dans le but explicite de «régulariser le débit des cours d'eau navigables ou de produire du bois». Grâce en grande partie à cette autorisation, environ 22.000.000 d'acres (8.900.000 ha) de versants boisés ont déjà été acquis - pour la majeure partie dans les états de l'Est. Toutes ces terres sont aménagées en tant que partie de l'ensemble des forêts domaniales. Le Weeks Act fut aussi à l'origine d'un programme coopératif entre le gouvernement fédéral et les états, pour la protection des forêts privées et autres forêts non fédérales contre les incendies. La protection des ressources en eau est un des objectifs énoncés dans l'acte. Ce programme a été dans une grande mesure renforcé par le Clarke-McNary Act, en 1924, qui autorisait le gouvernement fédéral à fournir jusqu'à la moitié des fonds employés par les états pour la prévention et la lutte contreles incendies dans ces terres. Afin de justifier l'octroi d'une assistance financière, un organisme d'état pour la protection contre les incendies doit satisfaire à certaines normes minima établies par le Secrétaire de l'agriculture. La contribution apportée par l'état au financement de ces organismes a généralement largement dépassé celle du gouvernement fédéral. Le système coopératif de protection contre les incendies englobe actuellement environ 400.000.000 d'acres (162.000.000 d'ha) de forêts non fédérales, mais il y a encore environ 60.000.000 d'acres (24.300.000 ha) de ces terres qui ne sont pas protégés. Toutefois, l'étendue non protégée est en voie de diminution rapide et toute la superficie sera sans doute soumise à bref délai à cette protection. Les forêts fédérales font depuis longtemps l'objet d'une protection organisée contre les incendies.

1Un acte du Congrès prend souvent le nom du ou des membres qui l'ont déposé. Celui-ci a été déposé et soutenu par le Sénateur Weeks, du Massachussetts.

Les invasions d'insectes et les épiphyties détruisent les peuplements et accroissent les dangers d'incendie. La lutte contre ces ravageurs est donc un autre aspect important de la protection des forêts. Toutefois, dans ce domaine, les progrès sont lents - principalement parce que les dommages sont moins apparents tant qu'ils ne sont pas encore très étendus, et parce que la lutte est plus difficile. Les pertes subies par les forêts du fait des insectes nuisibles ont récemment dépassé de beaucoup celles dues au feu. Le désir d'assurer une lutte plus efficace a conduit au vote du Forest Pest Control Act de 1947. Celui-ci établit une politique de forte prépondérance fédérale concernant l'élaboration et l'application du programme de lutte. L'un des objectifs définis dans cette nouvelle loi est la «conservation du couvert forestier dans les bassins de réception».

D'autres éléments du programme forestier qui contribue à assurer la conservation des bassins de réception comprennent le McSweeney-McNary Forest Research Act de 1928 qui autorise, entre autres, l'étude des méthodes lés plus efficaces pour «maintenir les conditions favorables à l'écoulement des eaux et empêcher l'érosion»; et le Co-operative Forest Management Act de 1950, autorisant l'aide financière du gouvernement fédéral aux états pour l'application d'un programme d'assistance technique aux propriétaires privés. D'autres lois se rapportant à la protection ou à la mise en valeur des forêts et pâturages des bassins de réception pourraient être citées.

Bien que l'intérêt public pour les bassins de réception se soit manifesté en premier lieu à l'égard des forêts, il s'étend progressivement à d'autres terres. Il subsistait encore dans l'Ouest environ 235.000.000 d'acres (95.100.000 ha) de terres domaniales non classées après l'achèvement de la mise en réserve des forêts domaniales. La plupart de ces terres étaient utilisées comme terrains de parcours pour le bétail par quiconque désirait en faire usage. Il en est résulté une dégradation progressive du sol et du couvert d'herbes fourragères, fréquemment suivie d'une érosion grave, et d'inondations instantanées. Le Taylor Grazing Act de 1934 autorisa le Secrétaire de l'intérieur à établir des zones de pâturages, afin d'obtenir une utilisation plus rationnelle de ces terres, grâce à un système de permis. La loi reconnaissait le lien direct qui existe entre l'eau et la terre en autorisant le Secrétaire à «poursuivre l'étude des moyens de lutte contre l'érosion et les inondations, et à effectuer tous les travaux qui seraient nécessaires à la protection et à la restauration de ces périmètres». Malheureusement, les crédits disponibles pour ces travaux n'ont permis d'accomplir qu'une petite partie du travail de restauration.

Le sentiment de l'urgence de la lutte contre l'érosion du sol n'est apparu qu'en 1933, et a suscité la création d'un Service de l'érosion du sol, rattaché au Département de l'intérieur, dans le cadre de l'effort national de lutte contre le chômage. Des crédits furent ouverts et une quantité considérable de travaux furent entrepris. L'effort initial fut considérablement soutenu par le vote du National Erosion Control Act de 1935, dans lequel le Congrès déclarait avoir pour politique «d'assurer d'une manière permanente la lutte et la prévention contre l'érosion du sol, et par là-même, de préserver les ressources naturelles, de prévenir les inondations et la mise hors de service des réservoirs, d'assurer la navigabilité des rivières et des ports, de protéger la santé publique, les terres domaniales, et de lutter contre le chômage. Cette loi transférait au Département de l'agriculture la responsabilité de la lutte contre l'érosion, et autorisait l'établissement d'un Service de conservation du sol pour faire l'inventaire de la situation appliquer les mesures préventives et fournir une assistance technique et financière à des districts appropriés, constitués en application d'une loi d'état. Tous les états ont des lois semblables, et le réseau des districts de conservation du sol est maintenant national et couvre les trois quarts environ de la superficie totale du pays.

Les crédits votés ces dernières années par le gouvernement fédéral pour les travaux de conservation du sol atteignent environ 60 millions de dollars par an.

Depuis 1936, une aide financière directe a permis d'aider les propriétaires ruraux et les fermiers à mettre en pratique les méthodes de conservation du sol. Elle fut autorisée grâce au Soil Conservation and Domestic Allotment Act, qui, entre autres, cherchait à «limiter l'exploitation, le gaspillage et l'utilisation contraire aux règles scientifiques des ressources naturelles nationales, à protéger les rivières et les ports contre les conséquences de l'érosion du sol, afin d'assurer la navigabilité des lacs et cours d'eau et d'aider à lutter contre les inondations».

Bien que l'objectif primitif de cette loi ait été de restaurer le pouvoir d'achat des fermiers, les paiements directs faits à chaque fermier étaient en rapport avec les améliorations qu'ils avaient pu apporter l'année précédente dans l'aménagement du sol et des eaux. Ces versements constituaient un remboursement partiel des sommes engagées pour la construction de terrasses dans les champs situés sur les versants, pour les cultures sur courbes de niveau et les récoltes en bandes, pour la création de lits gazonnés en vue d'absorber l'eau en excès, pour la restauration du couvert végétal des terres gravement érodées, pour le réensemencement et la fertilisation des pâturages, pour la plantation d'arbres et diverses autres améliorations de caractère semblable. Les crédits votés pour ce programme s'élèvent à environ 250 millions de dollars par an.

Les premiers liens directs de ces différents programmes d'utilisation des terres avec le programme de travaux d'art pour endiguer les inondations intervinrent avec le Flood Control Act de 1936. Déclarant que «l'étude et l'amélioration des rivières et autres cours d'eau, y compris les bassins de réception, en vue de prévenir les inondations, sont dans l'intérêt du bien public» le Congrès décida que la lutte contre les inondations, sous forme de travaux d'art, devait comprendre «l'étude des bassins de réception et des mesures ayant pour but de retarder le ruissellement et l'écoulement, et de prévenir l'érosion du sol». Le Département de l'agriculture fut chargé d'organiser l'étude sur les bassins de réception. Deux ans plus tard, le Secrétaire de l'agriculture fut autorisé «à commencer les travaux d'amélioration en vue d'appliquer les mesures visant à ralentir le ruissellement et l'écoulement, et à prévenir l'érosion du sol» dans les bassins de réception pour lesquels le Département de la guerre avait été autorisé à établir des travaux en vue de lutter contre les inondations ou d'améliorer ceux qui existaient déjà2.

2Le Département de la guerre est le principal organisme compétent pour la construction des travaux d'art destinés à la lutte contre les inondations.

En application de ces lois, le Département de l'agriculture a fait procéder à des inventaires (achevés ou en cours) qui portent sur environ un tiers du pays. Le programme, tel que le Département l'a arrêté, propose l'accélération et l'intensification des mesures de conservation des terres et de l'eau qui ont été mises au point au cours de ces dernières années. De plus, il comporte la construction de petits ouvrages pour ralentir l'écoulement des eaux et retenir les sédiments sur les affluents d'amont, la stabilisation des berges et le dragage du lit des cours d'eau. Un programme de travaux, correspondant aux plans d'inventaires, est en cours dans 11 petits bassins de réception situés en diverses régions du pays. Le Congrès étudie actuellement plusieurs rapports concernant des études effectuées dans plusieurs autres bassins de réception.

Technique de l'aménagement

Si l'intérêt 'des gouvernants pour l'état actuel des bassins de réception aux Etats-Unis est suffisamment évident, l'art de les aménager est encore à ses débuts. Cet état de choses est dû pour une large part au manque de connaissances techniques sur la manière dont le couvert végétal et l'état des couches superficielles du sol affectent le comportement de l'eau avant qu'elle n'atteigne les cours d'eau, les lacs et les nappes aquifères. Les opinions varient encore beaucoup en ce qui concerne la possibilité de modifier notablement, grâce à l'aménagement des versants, le ruissellement ou le débit des cours d'eau, spécialement dans de grands bassins de réception. Certains soutiennent qu'un type quelconque de couvert végétal en vaut un autre lorsqu'il s'agit de retarder le ruissellement; ce point de vue est extrêmement commun dans l'Est du pays. Dans l'Ouest, où le débit d'eau est un des principaux motifs d'inquiétude, d'autres insistent que la végétation, dans les régions montagneuses, doit être réduite au minimum afin d'augmenter le ruissellement et de remplir les réservoirs. D'autres encore considèrent que toute pression en faveur de la protection des bassins de réception est une ingérence illégitime dans leurs droits à utiliser la terre uniquement pour en tirer profit, soit sous forme de pâturages, soit pour la production du bois. Ces questions ne sont pas faciles à résoudre. Le moyen le plus sûr est d'entreprendre des recherches scientifiques et de se laisser guider, dans l'élaboration de la politique et des programmes, par les résultats obtenus. Les recherches expérimentales et les essais sur une grande échelle dans des bassins de réception témoins commencèrent en 1909 lorsque le Service forestier et le Bureau météorologique créèrent en collaboration de petits bassins de réception expérimentaux à Wagon Wheel Gap dans les montagnes Rocheuses du Colorado. Depuis cette époque le Service forestier a établi deux stations de recherches spécialisées dans l'étude des bassins de réception le laboratoire hydrologique de San Dimas, dans la région des chaparral de la Californie du Sud, et le laboratoire hydrologique de Coweeta dans la région des forêts feuillues de la partie ouest de la Caroline du Nord3. Chacun de ces bassins expérimentaux fut d'abord soumis à un étalonnage très poussé, comprenant des études topographiques et botaniques, des mesures du volume et du caractère des précipitations, du volume et de la répartition du débit des cours d'eau et des sédiments charriés, des fluctuations du niveau des eaux souterraines et de différents autres facteurs connexes. Après détermination de ces caractéristiques, il fut possible d'apporter des changements dans la composition du couvert végétal: forêt, buissons et graminées, et de mesurer les effets hydrologiques de ces changements. Des expériences semblables, mais sur une plus petite échelle ou sur des aspects particuliers du problème d'aménagement des bassins de réception, sont en cours dans une douzaine environ d'autres forêts et pâturages expérimentaux. Le Service de conservation du sol a également établi un certain nombre de parcelles expérimentales pour étudier les effets hydrologiques de l'état du couvert et du sol sur les récoltes et les pâturages.

3Voir: C.R. Hursh, «Recherches sur les relations entre les forêts et les cours d'eau», Unasylva, Vol. V, N° 1 janvier-mars 1951.

Des résultats quantitatifs concernant l'influence de différents types et états du couvert forestier et des pâturages, et des sols associés, sur le comportement hydrologique des versants, s'accumulent. Quelques-uns des résultats les plus saillants sont résumés ci-après.

Effet du couvert sur les bassins de réception

Les mesures particulières qui doivent être appliquées à un versant quelconque, boisé ou couvert de pâturages, dépendent, naturellement, des principaux buts recherchés. Dans l'Est du pays, où les précipitations sont généralement suffisantes et bien réparties au cours de l'année, le principal objectif est de réduire la gravité des inondations causées par des orages soudains et violents, par des périodes prolongées de pluie, ou par une fonte rapide des neiges. Un autre objectif important est d'améliorer la qualité de l'eau en réduisant sa turbidité et sa teneur en sédiments. Les pénuries d'eau périodiques, dues en partie à l'absence de précipitations, suscitent également l'intérêt pour la mise en vigueur d'un aménagement des bassins de réception.

Le premier et le plus manifeste des effets produits par un couvert de forêts ou de pâturages sur un bassin de réception est l'interception des précipitations par le feuillage et les branches avant qu'elles n'atteignent le sol. Le volume d'eau intercepté varie beaucoup car il dépend de la nature des précipitations (pluie ou neige), de la nature de la forêt (résineuse ou feuillue) et de la densité du couvert. Des études montrent que le couvert forestier intercepte de 10 à 25 pour cent des précipitations annuelles moyennes, suivant l'importance et le caractère des orages, et la nature et la densité du couvert; dans certaines régions cette diminution peut même atteindre 35 pour cent. Les taux d'interception les plus élevés s'observent dans les peuplements résineux denses des régions où les chutes de neige sont très fortes, et dans les peuplements feuillus denses des régions où les pluies d'été sont fréquentes. Les essences feuillues caduques, naturellement, n'interceptent qu'une une faible partie des précipitations pendant la saison où elles ont perdu leurs feuilles. Là où la fonte rapide d'une épaisse couche de neige ou de fortes pluies d'été entraînent des inondations - et où le volume total du débit d'eau n'est pas le souci primordial - un taux d'interception élevé par le couvert végétal des bassins de réception est souhaitable. Un couvert herbacé et arbustif, tel que celui qui existe généralement sur les terrains de parcours, intercepte également les précipitations, mais à un degré moindre que le couvert forestier.

Les peuplements denses de conifères retardent la fonte des neiges dans une mesure appréciable. En abritant le sol et en interceptant une grande partie des rayons de soleil, les peuplements maintiennent une couverture d'air frais et humide au-dessus de la couche de neige. Ils réduisent également la vitesse du vent sur la surface de la neige. La neige persiste parfois sous les peuplements denses pendant une ou deux semaines, davantage même parfois, de plus que sur les surfaces découvertes, ce qui, naturellement, implique le ralentissement et la prolongation du débit de l'eau fourni par l'enneigement.

Ces mêmes facteurs qui retardent la fonte des neiges, réduisent également l'évaporation de l'humidité qui imprègne le sol des forêts. Mais, outre les effets de l'ombrage et de la vitesse réduite du vent, la couverture morte (feuilles, aiguilles, brindilles et autres matières organiques) du sol forestier est un isolant efficace qui retarde l'évaporation de l'humidité du sol. Toutefois, la mesure précise de ce que peut représenter la réduction des pertes par évaporation est très difficile, car les plantes rejettent également de l'eau dans l'atmosphère par transpiration Le feuillage d'un orme de taille moyenne, placé dans un sol très humide, peut évaporer environ 1.800 gallons (6.800 litres) d'eau pendant une journée d'été chaude et sèche. Les résultats actuellement acquis indiquent que la transpiration annuelle d'un peuplement forestier d'altitude, aux Etats-Unis, varie de 5 inches (12,7 cm) au minimum, jusqu'à environ 15 inches (38 cm), mais peut même atteindre 35 inches (89 cm) dans les peuplements denses situés dans les régions les plus humides du pays.

Il est bien établi que la transpiration est un facteur important du devenir de l'eau après son infiltration dans le sol forestier. Si le but de l'aménagement des bassins de réception est d'éliminer un excès de précipitation qui pourrait provoquer des inondations dommageables, on ne saurait faire d'objection contre un taux élevé de transpiration. Si, par contre, on désire obtenir du bassin de réception un débit d'eau maximum, la réduction du couvert forestier augmentera généralement le volume de l'eau parvenant aux cours d'eau. Ce point sera examiné plus en détail ultérieurement.

Les différents facteurs mentionnés jusqu'ici (interception, rapidité de fonte des neiges, évaporation et transpiration) ne sont, toutefois, pas plus importants que l'influence du couvert végétal sur les relations du sol et de l'eau. En d'autres termes, ce qui, dans un bassin de réception, se produit à la surface du sol n'a pas une importance plus vitale que ce qui se passe au-dessous. L'un des phénomènes affecte l'autre.

Les répercussions violentes de la suppression complète du couvert arborescent et herbacé des terrains de montagne ont été mises en évidence au laboratoire hydrologique de Coweeta. La figure 1 montre l'hydrographie de deux petits bassins de réception voisins. Avant 1939, chacun de ces bassins de réception était couvert d'un peuplement âgé de 40 ans. Les lignes pointillées montrent la grande similitude des écoulements de ces deux bassins de réception à la suite d'un orage survenu le 11 août 1934. Le débit maximum d'un des bassins de réception a été de 15 cubic feet par seconde et par square mile (0,0016 m3 par ha) du bassin de réception, pour l'autre, il a été de 12 cubic feet par seconde (0,0013 m3 par ha). Ce rapport caractérisa les enregistrements semblables effectués pendant un certain nombre d'années. En 1939, un de ces bassins de réception expérimentaux fut déboisé et converti en exploitation agricole montagnarde. Environ un quart de ces terres agricoles fut labouré et semé en maïs; la moitié fut utilisée comme pâture pour le bétail; le restant était trop accidenté pour être utilisé pour la culture ou l'élevage. Pendant plusieurs années, l'exploitation fut assez satisfaisante, mais les signes d'une érosion rapide s'accentuèrent au fur et à mesure que diminuaient le contenu organique et la porosité des couches superficielles. La productivité commença à décliner. Les effets hydrologiques de la transformation de la forêt en terres cultivées furent plutôt dramatiques. Un orage, survenu le 11 juillet 1946, produisit un ruissellement dont la pointe - atteignit 68 cubic feet par seconde et par square mile (0,0074 m3 par ha) sur les terres agricoles, alors que le bassin de réception voisin, toujours couvert de forêts, ne fournit que 16 cubic feet (0,0017 m3 par ha). Ce ruissellement intense provenant du bassin de réception cultivé transporta une grande quantité de sédiments et ravina entièrement les terres cultivées, à tel point qu'il devint impossible d'y pratiquer des cultures rémunératrices. Les résultats désastreux d'une mauvaise utilisation de la terre, démontrés expérimentalement ici, sont un exemple de ce qui s'est produit sur des millions d'hectares de terres sur l'ensemble des Etats-Unis.

On a recueilli des données précises sur ce qui se produit lorsque le couvert végétal est détruit ou enlevé du sol. Le premier effet est une réduction de la capacité d'infiltration - régime constant auquel l'eau peut filtrer à travers la couche superficielle du sol, épaisse de 1 à 2 inches (2,5 à 5 cm). Là où, pour une cause ou une autre, la rapidité d'infiltration est compromise, l'eau s'écoule à la surface, en un ruissellement rapide, fréquemment accompagné d'action érosive. Une épaisse couche de couverture morte ou un tapis herbacé, à la surface du sol, amortissent une grande partie de l'énergie cinétique des gouttes de pluie qui tombent et qui, dans le cas contraire, frappent le sol nu et mettent ses particules en mouvement. Ce mouvement entraîne les plus fines particules dans les ouvertures capillaires, arrêtant ainsi la pénétration de l'eau. La couverture morte ou vivante de la surface du sol amène plus doucement l'humidité jusqu'à la surface du sol sous-jacent, et empêche l'obturation de ces pores. Les matières organiques en décomposition (en raison de leur structure spongieuse) facilitent également le passage de l'eau à travers les horizons superficiels du sol. L'infiltration est également favorisée par l'activité de la flore et de la faune (en partie microscopiques) du sol qui pullulent sous la couverture morte - en particulier sous la couverture provenant d'essences feuillues, d'arbustes et de plantes herbacées. Ces organismes creusent continuellement dans le sol des galeries qui constituent pour l'eau des voies de pénétration. Les racines des arbres, des graminées et d'autres végétaux ameublissent également le sol et, à mesure qu'elles meurent et pourrissent, elles laissent des galeries remplies d'humus propres à l'infiltration de l'eau.

FIGURE 2. Zones génératrices d'inondations, apparues à la suite d'incendié et de pacage abusif. Monts Wasatch (Utah). Photo: Service forestier des Etats-Unis.

Certains facteurs empêchent toute infiltration. L'un des plus graves est le durcissement de la surface du sol, causé le plus souvent par un pacage excessif ou par l'emploi d'un matériel lourd de débardage. Un autre obstacle à l'infiltration est la gelée, qui se produit sous plusieurs formes - compacte, en nid d'abeille, granulée et en stalactites. Le type compact de gel du sol est le seul qui le rende imperméable à l'eau. Les expériences ont montré que le gel compact se produit plus tôt et pénètre plus profondément en plein découvert que sous le couvert forestier. Les peuplements âgés y sont moins sujets que les peuplements jeunes. Il se forme plus rapidement sous les peuplements de conifères que sous les peuplements de feuillus.

Les perturbations subies par le sol forestier à la suite d'incendié, de pacage ou d'exploitation, sont favorables à la formation de gel compact. Dans les régions du nord-est, du centre et du sud-est du pays, le facteur gel du sol a une importance considérable dans l'aménagement des bassins de réception, car les inondations y sont souvent provoquées par la fonte rapide des neiges ou par de fortes pluies sur des sols gelés. L'un des plus dangereux obstacles à l'infiltration est l'incendie grave qui consume toutes les matières organiques recouvrant le sol ainsi que l'humus de l'horizon supérieur. Le ruissellement et l'érosion excessifs sont souvent le résultat d'un violent incendie, notamment dans les terrains plusieurs fois parcourus par le feu en l'espace de quelques années. Les effets les plus graves se produisent généralement dans les parties les plus arides, où le couvert végétal est naturellement clair et où la teneur en matières organiques des horizons supérieurs du sol est faible. Si la végétation est lente à se rétablir, le dommage causé aux versants par l'incendie sera probablement sérieux. Les versants qui portent des peuplements denses ou tout autre végétation ne sont souvent que peu sérieusement endommagés par un incendie unique, à condition que les matières organiques qui se trouvent sur le sol ne soient pas entièrement consumées et que le couvert végétal soit assez rapidement reconstitué.

Le sol mis à nu par les déblaiements et remblaiements au cours de la construction des routes a généralement une faible capacité d'infiltration et constitue souvent une source sérieuse de ruissellement et d'érosion. Les routes agissent également comme gouttières et interceptent le ruissellement sous-jacent, accélérant ainsi la concentration de l'eau tombée sur les terrains d'amont. Une expérience effectuée au laboratoire hydrologique de Coweeta a montré que le système de routes et de pistes de traînage communément employé dans les exploitations forestières détermine un accroissement considérable des pointes du débit d'un bassin de réception où est assise une coupe. La turbidité de l'eau s'écoulant de ce bassin de réception est en moyenne de 94 millionièmes de sédiments en suspension, alors que l'eau provenant d'un bassin voisin intact n'en contient en moyenne que 4 millionièmes. La turbidité maximum acceptable de l'eau potable est de 10 millionièmes. Il reste encore beaucoup à apprendre sur les méthodes de construction et du tracé des routes pour n'affecter que le moins possible les ressources naturelles en eau des bassins de réception et sur les méthodes à employer pour stabiliser les déblais et remblais des routes. L'évacuation convenable des eaux s'écoulant des routes est également un problème important auquel on a été trop peu attentif. Une trop faible part de nos connaissances est appliquée dans la pratique. Dans les régions de prés-bois, les pistes fréquemment parcourues par le bétail offrent également un problème critique dans les bassins de réception. Piétinées jusqu'à n'être plus qu'un lit de poussière pendant la saison sèche, elles sont alors aisément érodées pendant la saison humide. Ce cycle se renouvelle d'année en année. Les prairies et les terrains de parcours bordant les cours d'eau sont souvent gravement endommagés par les abus de pacage.

Après la pénétration de l'eau dans le sol, une partie, ou même la totalité, y est retenue par l'attraction moléculaire des particules du sol (fonction de la sécheresse du sol); toute quantité d'eau supplémentaire s'écoule, sous l'action de la pesanteur, vers une issue superficielle ou vers une nappe aquifère. L'eau retenue dans les pores capillaires du sol, malgré l'action de la pesanteur, est dite accumulée par rétention. La quantité d'eau ainsi retenue dépend de la profondeur et des propriétés physiques du sol. Les sols argileux, par suite de la surface plus grande des particules plus fines qui les composent, retiennent plus d'eau que les sols sablonneux. Un sol riche en matières organiques retient plus d'eau que celui qui en est presque dépourvu. Une terre argileuse grasse humifère retient en moyenne environ 3 inches d'eau par foot de profondeur (25 cm par m). Un sol de ce type, d'une profondeur de 6 feet (1,82 m) retiendra vraisemblablement 18 inches (0,45 m) d'eau. L'eau accumulée dans le sol par rétention ne peut contribuer au débit des cours d'eau. Elle est disponible pour les besoins des végétaux - en fait, elle est, la plupart du temps, leur principale ressource en eau. L'eau ainsi retenue est également susceptible de diminuer par évaporation.

Dans les régions où la lutte contre les inondations est le but principal des bassins de réception, un épais couvert végétal de plantes à enracinement profond, non seulement prévient le ruissellement superficiel, l'érosion et favorise l'infiltration et la filtration, mais sert également de pompe pour restituer de l'eau à l'atmosphère par la transpiration. Ce processus se poursuit tout au long de l'année, mais s'intensifie pendant la saison où les végétaux sont feuillés et, en période d'activité de croissance. La réserve d'eau du sol s'épuise donc continuellement et il peut ainsi recevoir de nouvelles pluies d'orages. Lorsque tout l'espace disponible dans le sol pour la rétention de l'eau est occupé, le bassin de réception est dit en état de saturation statique. Lorsque cet état est atteint, il existe encore un espace d'accumulation disponible pour l'eau courante. Cette eau qui s'écoule sous terre constitue naturellement la source de tous les cours d'eau permanents, et recharge les nappes aquifères. Par opposition avec les eaux superficielles, à écoulement intermittent et lié aux orages, et qui sont généralement chargées de sédiments, les eaux souterraines ont un régime plus constant, et sont claires et fraîches. C'est l'apport le plus précieux pour la production d'eau. Le débit d'eaux souterraines d'un bassin de réception dépend en partie de facteurs géologiques, et d'un certain nombre d'autres facteurs, qui ne peuvent être modifiés par l'aménagement des bassins de réception. Mais il dépend également pour une grande part de l'infiltration et de la filtration, de l'épaisseur du sol, de sa teneur en humus, et de la mesure dans laquelle la réserve d'eau accumulée par rétention a été appauvrie. Tous ces derniers facteurs peuvent être sensiblement influencés par les méthodes d'utilisation des terres.

FIGURE 3. Tranchées suivant les courbes de niveau établies par le Service forestier dans les terrains générateurs d'inondations, pour prévenir le ruissellement en surface. La tranchée supérieure telle qu'elle est ébauchée par le bulldozer. Les tranchées inférieures sont terminées à la main. Noter les barrages transversaux dans chaque tranchée. (Photo: Service forestier des Etats-Unis.)

Exemples de protection et de travaux d'amélioration des bassins de réception

Les réalisations les plus importante en matière de protection et d'amélioration des forêts et pâturages des bassins de réception aux Etats-Unis ont été obtenues grâce à des mesures servant également d'autres buts - protection des forêts contre les incendies et les agents destructeurs, reboisement des terres nues ou peu boisées, méthodes d'exploitation permettant une prompte régénération naturelle des peuplements, méthodes de débardage réduisant au minimum les dommages infligés aux réserves et la dégradation du sol par l'érosion. Différents progrès ont été réalisés grâce à l'adoption de ces méthodes, mais nous avons encore un long chemin à parcourir avant que celles-ci soient conformes à un aménagement judicieux des bassins de réception.

Les pâturages ont bénéficié également de quelques mesures d'amélioration qui contribuent à l'aménagement des bassins de réception, bien que ces mesures aient été prises dans d'autres buts. Des efforts considérables ont été déployés pour mieux répartir les animaux dans les pâturages et prévenir ainsi les abus de pacage dans les terres voisines des sources d'eau naturelles. Ceci a été réalisé, jusqu'à un certain point, grâce à l'installation d'abreuvoirs supplémentaires, à l'établissement de clôtures et diverses autres mesures. Quelques progrès ont également été accomplis en limitant les périodes de pacage sur les terrains de parcours, afin de prévenir un piétinement excessif du sol détrempé et de permettre un ensemencement suffisant d'herbes fourragères. On a également commencé à réensemencer les pâturages dans lesquels le fourrage naturel avait été dangereusement appauvri. Toutes ces mesures contribuent à assurer la stabilité du sol et à améliorer le régime des cours d'eau.

Toutefois, nous jugeons surtout intéressant, à ce propos, de décrire quelques-uns des efforts particuliers ayant eu pour but de remédier à l'état critique de certains bassins de réception, apparu en divers points du pays. Trois de ces projets sont décrits ci-après.

Centre-nord de l'Utah

Le projet dont les résultats sont les plus remarquables a été réalisé dans le centre-nord de l'Utah à 25 kilomètres environ au nord de Salt Lake City. Cette région fut colonisée il y a une centaine d'années. Plusieurs petites villes et une cinquantaine de fermes furent établies sur un sol d'alluvions près des contreforts des monts Wasatch. Ces champs et ces agglomérations furent établis sur ce qui avait été autrefois le lit du lac Bonneville - vaste étendue d'eau, qui régressa il y a dix ou vingt mille ans jusqu'à n'être plus que ce que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de grand lac Salé. L'alimentation en eau douce, pour ces villes et pour l'irrigation des terres cultivées, provient de plusieurs petites sources qui drainent environ 65 kilomètres carrés de pentes escarpées situées immédiatement à l'est de la zone peuplée. Ces cours d'eau avaient un débit constant pendant toute l'année, avec une légère crue au printemps, à l'époque de la fonte des neiges. De violents orages d'été étaient normaux sur ces montagnes, mais n'entraînaient que des crues minimes.

Vers 1910, le régime des eaux commença à changer. Lors de ces orages d'été, au lieu de présenter des crues modérées, les torrents commencèrent à grossir et à charrier de la boue, des rocs et autres débris. Cette tendance empira d'année en année, causant des dommages croissants aux villes et aux terres agricoles. En 1923, de grandes quantités de boue et de blocs furent rejetées par les torrents, endommageant sérieusement les habitations, les exploitations, les chemins de communication et les fossés d'irrigation. Six personnes périrent. En plusieurs points, l'amoncellement de débris fut tel qu'il ne pût être déblayé. D'autres inondations semblables suivirent. En 1930, le total des dommages était estimé à 1 million de dollars. On abandonnait les propriétés et la population émigrait. Dans cette conjoncture, le gouverneur de l'Utah nomma une commission pour étudier la situation créée par les inondations.

La commission ne trouva aucune preuve permettant de démontrer que ces orages d'été avaient été plus violents que la normale, ni que des inondations de ce genre se soient produites entre l'époque éloignée où s'était retiré le lac de Bonneville et la période récente. L'examen du bassin de réception, très en amont dans la montagne, montra que les eaux des inondations provenaient principalement d'étendues où le couvert végétal et la couverture morte avaient été détruits par des incendies et un pacage excessif. Ces terrains générateurs des inondations ne couvraient qu'environ 10 pour cent de la superficie totale du bassin de réception, mais ils étaient assez vastes pour drainer un volume d'eau considérable vers les lits des cours d'eau et, par suite, déclencher des inondations (fig. 2).

Une fois reconnues les causes de ces inondations, il fut plus facile d'y trouver un remède. Certaines mesures radicales étaient indispensables, et la population commença à les prendre. La première impliquait l'interdiction de tout pacage. Elle fut réalisée par l'achat des terres du bassin de réception, en partie grâce à l'initiative privée, et en partie à la diligence d'organismes officiels. Les terres acquises par le gouvernement furent constituées en forêts domaniales. L'étape suivante consista à intensifier les mesures de protection contre l'incendie, afin de prévenir toute nouvelle destruction de la couverture vivante. La dernière mesure, de beaucoup la plus coûteuse, fut un travail de correction des terrains où naissaient ces inondations. Elle comportait la construction de tranchées suivant les courbes de niveau, à intervalles d'environ 25 feet (7,60 m), dont chacune était suffisamment grande pour contenir environ un inch et demi (3,80 cm) d'eau de ruissellement (figure 3). Sur les pentes de moins de 50 pour cent, elles furent ébauchées à l'aide d'un bulldozer, puis achevées à la main, avec des barrages transversaux tous les 20 ou 40 feet (6 ou 12 m). Sur les pentes plus rapides, le travail fut effectué à l'aide d'un cheval et d'une charrue, puis terminé à la main. A mesure qu'étaient terminées les tranchées suivant les courbes de niveau, elles étaient ensemencées à la volée d'un mélange de graines d'herbes vivaces sur le sol meuble, puis ces graines étaient enfouies par hersage. Cette nouvelle végétation s'installa rapidement et recouvrit bientôt le sol mis à nu par la construction des tranchées (figure 4).

L'efficacité de ce travail de restauration maintenant s'est entièrement vérifiée. Les transports de boue et de débris rocheux ont été arrêtés. Des orages beaucoup plus forts qu'aucun de ceux qui, auparavant, avaient entraîné ces inondations se sont produits à plusieurs reprises depuis la fin des travaux. Il n'y a plus eu de ruissellements superficiels destructeurs partant des sur faces d'où provenait l'eau des crues depuis que ces surfaces ont été aménagées.

Bien que la réalisation de ces projets ait coûté au total environ 300.000 dollars - y compris le prix d'achat du bassin de réception tout entier - elle a mis fin à des dommages qui en sept ans s'étaient élevés à 1 million de dollars. Aussi longtemps que persisteront une couverture protectrice et un meilleur état du sol, ces travaux assureront une protection permanente et la sécurité à l'ensemble d'une commune dont les richesses représentent plusieurs millions de dollars. Le revenu auquel on a renoncé en interdisant le pacage dans le bassin de réception est faible en comparaison des richesses actuellement protégées.

Nord-ouest du Mississippi

Un autre programme, destiné à restaurer un bassin de réception fortement dégradé, concerne le bassin de la rivière Yazoo, au nord-ouest du Mississippi. Celui-ci est situé dans la région humide du pays. Les précipitations y sont en moyenne de 52 inches (132 cm) par an et sont assez bien réparties. La rivière Yazoo draine environ 6 millions d'acres (2.400.000 ha) de terres formant un triangle dont la base serait la limite des états du Tennessee et du Mississippi, et dont la pointe serait tournée vers le sud-ouest. Le bras principal de la rivière coule dans une ancienne plaine inondée du Mississippi qui s'étend le long du côté occidental du bassin de réception. C'est un sol alluvial profond. Vers l'est, en zones successives s'étendant sur toute la longueur du bassin de réception, se trouvent des zones de loess recouvrant du sable, un loam brun et une argile compacte. La colonisation commença il y a environ 125 ans au milieu d'un peuplement dense de conifères et de feuillus. Les cours d'eau étaient clairs et n'apportaient que peu de sédiments aux terres de la vallée.

Le défrichement y progressa rapidement, d'abord dans les terres basses et sur les hauts plateaux bien drainés, puis sur les hautes terres en pente plus rapide, et dans les dépressions mal drainées. Le coton et le maïs y furent les cultures principales sous un régime de location et de métayage. Des scieries commencèrent à s'y installer vers 1900. En 1930, la plupart des forêts vierges avaient été exploitées. Des incendies ravagèrent à plusieurs reprises les zones abusivement exploitées et endommagèrent sérieusement les peuplements qui restaient. Les abus de pacage, tant dans les terres agricoles que dans les terrains non cultivés, déterminèrent un nouvel appauvrissement du couvert végétal, tassèrent le sol et affaiblirent sa capacité d'infiltration, de filtration et de rétention des eaux.

Les effets de l'utilisation irrationnelle des terres du bassin de la rivière Yazoo sont déplorables. Des crues destructrices, une forte sédimentation des basses terres, et la destruction des hautes terres par le ravinement y sont fréquentes. Plus de 300 inondations se produisirent dans ce bassin pendant la période 1929-41. Plusieurs d'entre elles furent assez sérieuses pour attirer l'attention du pays tout entier. Le revenu des agriculteurs de la région tomba bien au-dessous du niveau du revenu national moyen.

En 1944, le Congrès approuva un programme de restauration du bassin de réception qui comprenait:

a) la création et la mise en œuvre d'un système efficace de lutte contre les incendies, qui n'existait pas auparavant;

b) le reboisement d'environ 300.000 acres (120.000 ha) de terres arables appauvries;

c) un programme de service d'assistance technique permettant d'aider les propriétaires de forêts privées à perfectionner l'aménagement de leurs peuplements;

d) le contrôle du pacage par l'établissement de clôtures et autres moyens;

e) la fertilisation des pâturages et le réensemencement en herbes fourragères de meilleure qualité, telles que le Bermuda grass, le lespedeza et le trèfle blanc

f) des terrassements et cultures en bandes sur les terrains en pente utilisés pour la culture;

g) un système rationnel d'assolement pour remplacer les pratiques habituelles tendant à produire du coton et du maïs sur le même sol une année après l'autre;

h) l'établissement de lits gazonnés permettant d'évacuer le surplus d'eau des champs, des pâturages et des routes;

i) le rétablissement d'un couvert végétal sur les sols nus des banquettes des routes et des remblais des voies ferrées.

Outre ces mesures de restauration des terres, on établit également des projets d'établissement de barrages d'atterrissement dans les ravins et de divers autres petits travaux visant à ralentir leru issellement et à arrêter les sédiments.

D'après les plans originaux, ce programme devait être réalisé en 15 ans. Les crédits votés n'ont pas été suffisants pour en assurer l'exécution dans les délais fixés, mais en dépit de ce retard, de très importants progrès ont déjà été obtenus. L'étendue boisée qui était chaque année ravagée par les incendies a été réduite à moins de 1 pour cent de la superficie boisée totale. Environ 16 millions d'arbres furent plantés en 1952 et 35 millions le seront en 1953. La plus grande partie de ces plantations a été effectuée par petits bouquets destinés à arrêter l'érosion aux points les plus dangereux (figure 5). Les bouquets plantés ensemenceront bientôt le terrain qui les sépare. De petits barrages de terre et autres travaux peu importants ont été établis aux points névralgiques dans les lits des affluents afin de renforcer les mesures de restauration des terrains, en attendant que ces dernières aient progressivement atteint leur pleine efficacité. La stabilisation des talus de routes, l'amélioration des pâturages, les cultures en bandes et l'assolement ont également progressé d'une manière encourageante. On peut constater une importante réduction de la sédimentation dans les régions traitées. L'amélioration du régime et du débit des cours d'eau suivra à mesure que le couvert végétal se reconstituera.

Colorado

Un type de programme tout à fait différent est appliqué à une assez haute altitude, dans les montagnes Rocheuses, à Fraser (Colorado). Les eaux de ces régions sont indispensables à l'irrigation des terres en Arizona et en Californie, et pour l'approvisionnement en eau des villes de la Californie du Sud. Le principal objectif de l'aménagement des bassins de réception est d'obtenir le débit d'eau maximum possible sans provoquer de dommages par érosion. Les premières expérience à Wagon Wheel Gap montrent que le débit d'eau peut être accru d'environ 15 pour cent en supprimant la végétation ligneuse. L'état du sol y était tel qu'un couvert herbacé pouvait assurer la protection indispensable contre l'érosion. Le programme de recherches appliqué près de Fraser vise la création de parcelles expérimentales qui serviraient de bassins de réception pilote. Dans une série de peuplements expérimentaux composés de Pinus contorta, les arbres furent exploités de manière à obtenir cinq densités différentes. A l'un des extrêmes se trouvait la forêt non exploitée, et à l'autre un peuplement dans lequel tous les arbres de plus de 10 inches (25 cm) à 1,30 mètre du sol avaient été abattus. Pendant les six années qui suivirent la coupe, on continua à observer l'épaisseur de l'enneigement, la rapidité de fonte et les pertes par évaporation-transpiration. Les résultats mirent en évidence un accroissement considérable du débit des cours d'eau. La parcelle non exploitée donna 10,3 inches (26 cm) d'eau; la parcelle la plus fortement exploitée en fournit 13,5 inches (34 cm), soit un gain de 30 pour cent du volume d'eau pénétrant dans le sol. L'expérience est maintenant étendue à un bassin de réception-témoin de 710 acres (290 ha) afin d'étudier l'effet réel des exploitations sur l'érosion, les crues et le débit d'eau. Il est très vraisemblable que ce type d'aménagement pourra être appliqué à une grande superficie des bassins de réception situés à haute altitude dans l'Ouest. Toutefois, il ne faudrait l'appliquer qu'avec la plus grande prudence, et seulement dans les terrains naturellement stables et qui ne sont pas susceptibles de subir des dommages.

FIGURA: 4. Tranchées suivant les courbes de niveau entièrement couvertes de végétation. Même emplacement que la photo graphie précédente. Noter la pierre blanche au premier plan dans chaque photo. (Photo. Service forestier des Etats-Unis.)

Conclusion

L'importance de l'aménagement des ressources en eau pour l'économie des Etats-Unis est de plus en plus reconnue. D'importants capitaux ont été investis dans les travaux d'art ayant pour but de régulariser et d'utiliser l'eau, et des travaux plus importants encore sont à l'étude. Toutefois, l'influence de la couverture vivante et de l'état du sol sur les bassins de réception et, par suite, sur le régime des cours d'eau, a déjà été reconnue et sanctionnée par un vaste ensemble de lois se rapportant aux forêts, aux pâturages et aux terres vacantes, et des résultats appréciables concernant la protection et l'amélioration des terres des bassins de réception ont déjà été atteints grâce à des mesures primitivement adoptées en vue d'autres objectifs. Toutefois, en de nombreuses régions, ces mesures s'avèrent encore insuffisantes pour assurer la protection et les améliorations nécessaires.

Des recherches spécialisées concernant les problèmes d'aménagement des bassins de réception, particulièrement ceux' qui se rapportent aux répercussions des méthodes d'utilisation des terres sur le débit d'eau, sont en cours mais, jusqu'à présent, sur une très modeste échelle. Une vaste somme de connaissances techniques s'accumule et s'enrichira encore au fur et à mesure que le public deviendra mieux, informé de la nécessité de ces notions. Plusieurs exemples remarquables de restauration réussie de bassins de réception gravement endommagés sont maintenant acquis. Toutefois, ils ne constituent encore qu'un point de départ vers l'immense tâche qui reste à accomplir.

FIGURE 5. Tête d'un couloir torrentiel, autrefois très actif, aujourd'hui stabilisé par une plantation d'arbres. Une épaisse couche d'herbes et de couverture morte, sous les arbres, s'oppose à l'entraînement du sol. Bassin de la rivière Yazoo.(Photo: Service forestier des Etats-Unis.)


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