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Après un demi-siècle

par R. E. McARDLE

Chef du Service forestier des Etats-Unis

L'année 1955 marque le cinquantième anniversaire de la fondation du Service forestier des Etats-Unis. C'est une bonne occasion de passer en revue ce demi-siècle de progrès forestier aux Etats-Unis et de regarder les tâches qui restent à accomplir.

Lorsque cette région, qui est à présent les Etats-Unis, fut colonisée, la forêt en couvrait de vastes portions. Presque toute la contrée à l'est des Grandes Plaines était boisée de façon ininterrompue. De grandes étendues de forêts existaient aussi dans les régions montagneuses de l'ouest. Les arbres devaient être abattus pour faire place aux villes, aux fermes, aux maisons. Le bois était surabondant, sa valeur très faible. Les forêts étaient traitées avec prodigalité ou mise à blanc en pure perte.

Il y a 50 ans, la foresterie aux Etats-Unis n'était encore qu'un concept théorique dans l'esprit de quelques hommes prévoyants; quelques essais très limités avaient seuls été tentés ici et là sur le terrain.

Beaucoup de gens croyaient encore que les forêts étaient inépuisables. Peu de propriétaires forestiers avaient jamais envisagé de maintenir et d'aménager leurs domaines boisés en vue d'une production permanente. «Couper et déblayer» était la pratique presque universelle. Seuls quelques hommes prévoyaient le jour où le bois d'œuvre serait pour une nation en plein développement une de ses ressources d'importance vitale.

Le Service forestier naquit en 1905. Bien que le gouvernement fédéral eut entrepris quelques années plus tôt une certaine œuvre forestière, ce ne fut qu'après la création du Service forestier que se développa une large politique de conservation forestière et que la foresterie américaine commença réellement à progresser. Pratiquement, toutes les plus importantes réalisations de la foresterie américaine ont vu le jour au cours du dernier demi-siècle, c'est-à-dire durant la vie de beaucoup de ceux qui ont encore actuellement une activité forestière.

Les buts du service forestier

Le travail du Service forestier a été orienté dans trois directions principales: recherche forestière, administration des forêts nationales, et coopération forestière avec les états et les propriétaires privés.

L'étude des forêts et des méthodes forestières était l'activité principale de la petite commission forestière qui précéda le Service forestier au Département de l'agriculture des Etats-Unis. Le travail de recherche fut largement développé après la création du Service forestier. En 1908, le Service mit en route sa première station d'expérimentation forestière, celle de Fort Valley, sur le plateau de Coconino en Arizona. D'autres stations expérimentales forestières et pastorales furent bientôt établies. Les recherches des pionniers de ces stations et d'ailleurs fournirent beaucoup d'enseignements qui firent progresser la lutte contra l'incendie, l'aménagement des forêts commerciales, des zones pastorales et des bassins de réception. Le laboratoire des produits forestiers créé en 1910, en collaboration avec l'université du Wisconsin, commença presque immédiatement à donner des résultats importants pour les industries du sciage et de la transformation du bois et pour les consommateurs.

Par le McSweeney - McNary Act de 1928, le Congrès prépara le statut élargi d'un programme de recherches forestières aux Etats-Unis. Grâce aux dispositions de cet acte, le Service forestier continua à établir des stations d'expériences forestières et pastorales pour desservir les principales régions forestières du pays. Aujourd'hui, le Service forestier entretient aux Etats-Unis un laboratoire des produits forestiers et neuf stations régionales d'expériences avec, sur le terrain, de nombreux centres expérimentaux forestiers, pastoraux ou consacrés aux bassins de réception. Il y a aussi des centres de recherches forestières à Porto Rico et en Alaska. Plusieurs stations d'expériences forestières collaborent avec des universités d'état ou privées et leur quartier général ou les bureaux d'une de leur division sont logés dans leur campus. Des entreprises privées ou d'états et des industries forestières poursuivent aussi des recherches forestières, le Service forestier collabore avec elles pour beaucoup de recherches.

Les forêts nationales

Les premières forêts nationales furent créées par la mise en réserve de certaines superficies du domaine public, surtout dans les états de l'ouest. Plus tard, le Congrès autorisa le gouvernement à acheter des terres pour constituer des forêts nationales, et de nouvelles forêts nationales furent délimitées dans l'est du pays. Au début, les forêts nationales furent en but à l'opposition de beaucoup de gens qui pensaient que ces forêts seraient fermées, ce qui contrarierait le développement de l'industrie locale et sacrifierait le présent au futur. Mais le Service forestier adopta une politique de préservation de la forêt par une utilisation raisonnable de consécration de toute la surface des forêts nationales à l'usage le plus productif «pour le bien permanent de l'ensemble de la population».

En 1905, les forêts nationales étaient généralement des zones sous-développées, perdues dans l'arrière-pays. Il y avait peu de routes et autres commodités pour leur protection et leur aménagement. Aujourd'hui, ces forêts jouent un rôle important dans l'économie de la nation. Il y a 150 forêts nationales situées dans 39 états, en Alaska et à Porto Rico. Leur superficie totale dépasse 181 millions d'acres (73 millions d'ha). Elles fournissent maintenant une coupe annuelle de 6 milliards de board feet (27 millions de m3) de bois d'œuvre. Au fur et à mesure que de nouvelles routes sont construites dans des régions actuellement inaccessibles et que le capital-superficie s'accroît avec le temps, le rendement soutenu annuel augmentera encore. Les forêts nationales contribuent aussi à la production animale de la nation en procurant un pâturage saisonnier à plus de 8 millions de bovins et d'ovins. L'année dernière, 40000 personnes cherchant des distractions de plein air visitèrent les forêts nationales. Le Service forestier a organisé quelque 4500 emplacements de camping et de pique-nique et 200 terrains de sports d'hiver. Ces forêts sont habitées par un grand nombre d'animaux sauvages, dont le tiers des grands animaux gibiers de la nation. Elles renferment 81000 miles (130000 km) de rivières poissonneuses et plus de 2,5 millions d'acres (1 million d'ha) de lacs.

Les forêts nationales occupent une partie des bassins de réception de plusieurs des plus grands cours d'eau nationaux. Elles sont principalement situées dans les parties supérieures des chaînes de montagnes, zones qui reçoivent le plus de précipitations. Ces forêts contribuent à sauvegarder l'approvisionnement en eau de quelque 1800 villes, grandes et petites, de plus de 13 millions d'acres (5 millions d'ha) de terres agricoles irriguées, de plus de 600 usines hydro-électriques et de milliers d'installations industrielles.

Propriétés publiques renfermant des ressources naturelles de base, les forêts nationales sont aménagées en vue d'une production régulière. Une politique d'aménagement polyvalent est suivie et cherche à maintenir une utilisation équilibrée de toutes les ressources forestières afin de procurer les plus importants revenus et bénéfices dans l'intérêt public.

Les programmes d'assistance

Etant donné que la majorité des forêts commerciales des Etats-Unis appartiennent à des propriétaires privés, la protection et l'aménagement rationnel de ces forêts sont d'une grande importance pour l'économie nationale. Le Service forestier s'est efforcé de faire face à ses responsabilités à ce sujet par l'intermédiaire d'un certain nombre de programmes poursuivis en coopération avec les états.

Le Service forestier collabore avec les bureaux forestiers des divers états pour assurer la protection des forêts d'état ou privées contre le feu. Il concourt aussi avec les 'états à la production de plants forestiers et à leur distribution pour un prix modique en vue de leur plantation sur les terres privées. Un autre programme d'assistance fournit des informations techniques et des conseils aux propriétaires forestiers et aux transformateurs des produits forestiers bruts. Plusieurs projets coopératifs sont en cours de réalisation pour combattre les invasions d'insectes ou le développement de maladies des arbres. Le Service fédéral et ceux des états ont des branches spécialisées dans l'éducation forestière des fermiers.

Au cours des 50 dernières années, la plupart des états ont organisé des Services forestiers. Aujourd'hui, presque tous les 48 états, aussi bien qu'Hawaii et Porto Rico, réalisent des programmes forestiers. Avec le concours du Service fédéral, les états ont étendu la protection organisée contre le feu à plus de 374 millions d'acres (150 millions d'ha) de forêts d'état ou privées et de périmètres de bassins de réception.

En 1953, les services de protection des états ont maintenu la superficie brulée à 0,7 pour cent de la superficie protégée. Sur les 53 millions d'acres (20 millions d'ha) où l'organisation fait encore défaut, les incendies brûlèrent 13,5 pour cent de la superficie.

Les pépinières forestières des états distribuèrent, en 1954, 465 millions d'arbres à planter sur terres privées. Une aide technique fut donnée à 32224 propriétaires forestiers dont les propriétés représentent un total de 2558000 acres (1 million d'ha). Les états, les comtés et les municipalités entretiennent environ 26,5 millions d'acres (10 millions d'ha) de forêts et de parcs collectifs.

Les forêts privées

Les 50 dernières années ont apporté de notables progrès dans la foresterie privée aux Etats-Unis. Aujourd'hui, un grand nombre de propriétaires aménagent leurs forêts en vue d'une production continue de bois. Beaucoup de grandes compagnies forestières ou papetières emploient maintenant leurs propres techniciens forestiers pour développer de saines pratiques d'aménagement dans leurs forêts. Un certain nombre de compagnies privées et d'associations d'industriels forestiers distribuent aussi gratuitement des plants et donnent conseils forestiers et assistance aux petits propriétaires.

Sur les plus petits domaines privés, la foresterie n'a pas fait autant de progrès. Environ 4500000 personnes possèdent de petites étendues boisées; les trois quarts sont des fermiers. Les petits domaines rattachés ou non à des fermes constituent aux Etats-Unis les trois quarts de toutes les forêts privées de valeur commerciale. Le Service forestier, les Services forestiers des états, les industries forestières et les associations privées font des efforts constants d'éducation et d'assistance pour donner une impulsion en vue de l'application de l'aménagement forestier à certains de ces petits domaines boisés. Mais, en général, les règles forestières ne sont pas encore entrées en application.

La formation des forestiers

Il y a 50 ans, il y avait aux Etats-Unis à peine une douzaine d'hommes ayant une formation professionnelle forestière. Jusqu'en 1898, aucune université américaine n'offrait un enseignement complet dans cette branche professionnelle. Cornell University fut la première à offrir un tel enseignement. L'Ecole forestière de Yale University fut créée en 1900.

Aujourd'hui, plus de 30 universités et collèges des Etats-Unis donnent un enseignement professionnel forestier complet. Pendant le dernier demi-siècle, plus de 21000 étudiants ont accompli les quatre années de cours réguliers de l'enseignement forestier; plus de 4000 ont obtenu les diplômes de «master» ou de docteur en foresterie.

Pendant les 20 premières années du siècle, le Service forestier était le principal employeur des forestiers ayant une formation professionnelle. En 1912, environ 60 pour cent des forestiers professionnels des Etats-Unis travaillaient au Service forestier fédéral et on estimait que 95 pour cent en avaient fait partie à un moment ou à un autre. Le Service forestier est encore le plus grand employeur de forestiers professionnels.

Les états, municipalités, institutions d'enseignement associations commerciales et la profession privée en emploient aussi un grand nombre. Les industries forestières en occupent actuellement près de 6000.

Fondation de la foresterie américaine

Tandis qu'en Europe le développement de la foresterie s'étendit sur plusieurs siècles, la foresterie américaine prit le départ, il y a un peu plus d'un demi-siècle presque sans aucune base de connaissances techniques

La foresterie européenne contribua pour une large part au premier développement de la foresterie aux Etats-Unis. Quand le Congrès de 1876 vota un petit crédit pour permettre la nomination d'une personne pour étudier et faire un rapport sur la situation forestière aux Etats-Unis, une des tâches de cette personne était d'examiner «les mesures qui avaient été appliquées avec succès dans les pays étrangers... pour la préservation et la restauration ou la plantation de forêts». Le Dr Franklin B. Hough, qui fut nommé à ce poste, se rendit en Europe quelques années plus tard pour étudier la science forestière dans les pays du continent. Son troisième compte rendu, soumis au Congrès en 1882, donnait les résultats de cette étude. La division forestière réduite qui précéda le Service forestier au Département de l'agriculture eut comme chef pendant plusieurs années un forestier formé en Europe, le Dr B. E. Fernow, originaire de Prusse. Le Dr Fernow servit à ce poste de 1886 à 1898, date où il fut nommé directeur de la première école forestière américaine à Cornell. En 1903, il devint doyen de la Faculté forestière de l'Université de Toronto au Canada.

Gifford Pinchot, qui devint le premier chef du Service forestier lors de sa création en 1905, avait acquis sa formation forestière en France, Allemagne et Suisse. Henry S. Graves, qui lui succède en 1910, avait aussi fait ses études forestières en Europe. Le Dr Graves fut doyen de l'Ecole forestière de Yale pendant quelques années avant et après la période pendant laquelle il dirigea le Service forestier.

Cependant, la science forestière européenne ne pouvait fournir des réponses toutes faites aux problèmes forestiers d'Amérique. Dans l'hémisphère occidental, les arbres étaient différents, les sols et les climats, les bases économiques et le comportement des gens envers leurs forêts étaient également différents. Il y avait des centaines d'espèces de valeur commerciale et une vingtaine de types de forêts sur lesquels il n'y avait aucune information utilisable dans les ouvrages forestiers scientifiques existants. Dans les Etats-Unis de l'ouest, de nombreux types intermédiaires de formations buissonnantes et de parcours fourragers apportaient de nouveaux problèmes englobant le pâturage en forêt et la protection de la faune. Il était nécessaire pour la foresterie américaine d'édifier ses propres bases de connaissances techniques.

Contribution à la foresterie mondiale

Si on considère que la foresterie américaine devait ainsi partir presque à zéro, j'estime que les progrès qu'elle a réalisés au cours des 50 dernières années sont des plus encourageants. Un demi-siècle de recherches et d'expériences a fourni de saines lignes de conduite pour un bon aménagement forestier et pastoral aux Etats-Unis. La foresterie est devenue une pratique effective sur des millions d'hectares de terres publiques ou privées.

Le fait que la foresterie américaine ait été capable au cours des récentes années de contribuer quelque peu à l'avancement de la foresterie dans d'autres parties du monde est une grande satisfaction. Les forestiers américains ont Joué un rôle en introduisant la foresterie dans le programme de l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture. Feu Henry S. Graves fut, alors qu'il était doyen emeritus de l'Ecole forestière de Yale, président de la Commission technique des forêts et produits forestiers, qui définit les objectifs et esquissa la structure d'une organisation forestière internationale permanente. Un certain nombre de forestiers américains, y compris d'anciens membres du Service forestier, ont servi ou servent actuellement comme fonctionnaires de la Division des Forêts de la FAO, soit au Siège, soit comme membres de missions d'assistance technique. Des spécialistes forestiers américains ont aussi servi dans le programme américain du «point IV» comme suite à des demandes d'assistance technique de divers pays.

Les Etats-Unis ont repu de nombreux étrangers qui sont venus étudier les activités forestières américaines. Le Service forestier, les industries forestières, les écoles forestières et autres organisations ont coopéré en organisant des voyages et des conférences pour nos visiteurs étrangers.

Il faut espérer que le rôle des forestiers américains à l'étranger et l'assistance donnée aux visiteurs étrangers aux Etats-Unis apportent une aide substantielle aux programmes forestiers des autres pays. Il est certain que l'échange d'information et le développement d'une meilleure compréhension qui résulte d'une telle coopération internationale est un bénéfice pour la foresterie des Etats-Unis.

Les cinquante prochaines années

Aussi remarquables qu'aient été les progrès de la foresterie aux Etats-Unis au cours des 50 dernières années, elle n'en est encore qu'à ses débuts. Il reste un long chemin à faire pour développer et utiliser plus rationnellement les ressources forestières et pastorales. Une bonne gestion forestière doit être étendue à des millions d'hectares. Il y a de vastes étendues de terres peu occupées qui doivent être rendues plus productives. Par les recherches et les expériences, il faut encore trouver les réponses à beaucoup de problèmes de l'accroissement des forêts, de la protection des bassins de réception, des terrains de parcours, de la technologie du bois et de beaucoup d'autres branches de gestion forestière et d'utilisation des produits. Il est certain qu'une population toujours croissante et une économie en expansion demanderont toujours davantage aux forêts.

Il est donc possible de faire progresser la foresterie américaine dans le prochain demi-siècle même davantage que nous l'avons fait dans celui qui vient de se terminer. Il faut espérer aussi que les Etats-Unis pourront contribuer pleinement à l'avancement continu de la foresterie mondiale pour promouvoir une économie plus saine et améliorer les conditions de vie de tous les peuples du monde.

(Traduit de l'anglais.)


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