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Les problèmes de la «petite forêt» européenne

T. François
Chef, Sous-Division de la politique forestière, Division des forêts, FAO

Les problèmes que, faute d'un meilleur terme, on englobe sous le terme de problèmes de la «petite forêt» ont fait l'objet d'une attention particulière de la part de la Commission européenne des forêts au cours de ses trois dernières sessions. Cette attention est pleinement justifiée. Pour faire face aux besoins de l'avenir, les gouvernements des pays d'Europe doivent assurer une forte augmentation de la production de bois. Pour cela, ils peuvent recourir à des solutions diverses; mais deux seulement - qui ne sont pas du reste sans avoir entre elles certaines relations - peuvent donner des résultats d'un ordre de grandeur comparable à celui du développement des besoins. Ce sont:

1. Le boisement des terrains nus abandonnés par l'élevage ou l'agriculture et les plantations «hors forêt».

2. L'augmentation de la production des forêts privées et plus particulièrement des «petites forêts», dont on s'accorde à reconnaître que le rendement est généralement inférieur en qualité et en quantité à celui des forêts publiques, malgré des conditions physiques souvent plus favorables.

A l'issue de leur discussion, en mai 1957, les délégués à la Commission ont demandé que le rapport préparé par le Secrétariat, qui avait servi de base à cette discussion, fût publié dans Unasylva.

C'est pour répondre à ce vœu que le présent article a été rédigé. Le rapport a été toutefois rectifié sur quelques points et surtout enrichi des nombreuses informations fournies par les délégations à l'occasion des discussions. On l'a enfin complété de façon à le rendre intelligible aux lecteurs qui ne disposent pas des rapports de la Commission où le problème de la petite forêt a été évoqué.

DÉFINITION DE LA «PETITE FORÊT»

La Commission, en entamant les débats sur cette question lors de sa septième session, a cherché à clarifier le concept de «petite forêt». Elle a trouvé que cette idée recouvre au moins trois concepts différents, dont les problèmes relèvent de solutions qui ne sont souvent pas identiques. C'est ainsi qu'elle a distingué:

a) Le bois de ferme. Superficie boisée dont la production est surtout affectée à la consommation rurale et domestique. Certains de ces bois sont soumis à des utilisations accessoires en raison des exigences de la ferme: pâturage, extraction de litières, récolte de fourrage, de fruits et de feuilles.

b) La petite propriété forestière. Superficie boisée dans la limite reconnue par chaque pays et dont les produits sont essentiellement destinés au commerce.

c) Le boisement économique. Plantation destinée à fournir des produits au marché du bois, en vue notamment d'augmenter le revenu en argent de la ferme et de faire face aux dépenses d'équipement - plantations en petits massifs ou en bouquets: peupliers, eucalyptus, robiniers, etc.

Le tableau ci-après donne un résumé des informations statistiques fournies par les pays membres dans les rapports présentés à la Commission européenne des forêts on 1954. Sa forme même indique qu'il n'est pas possible de recueillir sur le morcellement de la forêt privée des chiffres qui soient exactement comparables d'un pays à l'autre. Cela vient de ce que les éléments statistiques qui peuvent présenter un intérêt pour certains pays n'en présentent aucun pour les autres. C'est là encore un signe de la complexité et de la diversité de ce que l'on entend dans les différents pays par la petite forêt. Le tableau ne donne pas non plus une idée complète du morcellement de la forêt, car les indications qu'il fournit sont basées sur le nombre de propriétaires; or, dans certains pays, surtout en Europe occidentale, les propriétés forestières sont le plus souvent réparties entre plusieurs parcelles, parfois très éloignées les unes des autres. Dans tous les pays d'Europe il existe des forêts de très petite superficie, inférieure à 5 et même à 2 hectares. Leur superficie globale ne représente dans certains pays qu'une proportion insignifiante de la superficie forestière totale, tandis que dans d'autres elle en forme une part importante ou très importante. Aussi la superficie de ce que l'on considère la «petite forêt» varie-t-elle beaucoup. Dans les pays du nord de l'Europe elle est comprise en moyenne entre 20 et 30 hectares. En Europe centrale et occidentale, cette moyenne tombe à 4 hectares en Autriche, et à moins de 2 hectares en Allemagne et en France. Avec le climat Atlantique, on voit apparaître les plantations d'arbres qui jouent un rôle très important à côté de la forêt, par exemple aux Pays-Bas. Enfin, dans les pays du sud de l'Europe, la situation est assez confuse. En Grèce, la propriété forestière privée n'occupe qu'une place secondaire. Elle est, au contraire, importante en Espagne, mais peu morcelée, tandis qu'elle l'est beaucoup en Yougoslavie. L'Italie n'a pas présenté de rapport parce que la petite forêt n'y joue qu'un rôle insignifiant. Mais dans tous ces pays, les plantations d'arbres, les arbres isolés ou par très petits bouquets présentent une importance particulière.

ORIGINE DE LA PETITE FORÊT

L'importance de la forêt privée par rapport à l'ensemble des terres forestières dans chaque pays et le morcellement plus ou moins accentué de cette forêt privée s'expliquent par l'évolution historique et par les institutions juridiques que les pays se sont données, notamment en matière de succession

DONNÉES STATISTIQUES RELATIVES A LA PETITE FORET

Pays

Superficie forestière totale

Forêts privées

Répartition des forêts privées

Remarques

Superficie totale

Pourcentage de superficie forestière

Forêts de moins de 2 ha

Forêts de moins de 10 ha

Forêts de moins de 50 ha

Superficie totale

Pourcentage de superficie forestière totale

Superficie totale

Pourcentage de superficie forestière totale

Superficie totale

Pourcentage de superficie forestière totale

ha

ha

%

ha

%

ha

%

ha

%

Allemagne occidentale

6.854.220

2.799.400

41

294.000

4

1.132.000

17

1.961.000

29

Superficie moyenne des forêts de - 10 ha: 1,8 ha; forêts de - 50 ha: 2,8 ha

Autriche

3.139.080

1.930.171

61

99.085

3

559.500

20

1.109.556

37

Superficie moyenne des forêts de -50 ha: 4,5 ha

Belgique

590.817

318.464

54

-

-

-

-

1 70.000

12

Majorité entre 50 et 100 ha

Danemark

437.593

273.920

62

-

-

-

-

100.000

23


Espagne

24.669.006

16.790.848

68

Superficie moyenne de la forêt privée, environ 16 ha, mais englobant importants terrains boisés

Finlande

21.800.000

14.800.000

68

-

-

460.000

2

4.300.000

20

Superficie moyenne des forêts de 5 à 50 ha, 26 ha.

France

11.400.000

7.300.000

64

-

-

2.359.000

21

3.780.000

33

Superficie moyenne des forêts de -10 ha, 1,6 ha; forêts de -50 ha, 2,5 ha

Grèce

2.000.000

450.000

22

-

-

90.000

5

*200.000

10


Irlande, Rép. d'

1.074.000

36.000

3

-

-

*18.000

2

-

-


Luxembourg

85.100

50.925

59

-

-

*26.000

31

40.125

47

Superficie moyenne des forêts de - 50 ha, 1,9 ha

Norvège

7.500.000

5.753.000

77

Forêts de ferme seulement: 3.604.000 ha répartis entre 132.000 propriétaires dont 66% possèdent moins de 10 ha. Superficie moyenne de la forêt de ferme, 27,3 ha

Pays-Bas

250.00

156.000

62

-

-

80.000

2

-

-

En outre 48.000 kilomètres de plantations d'alignement équivalant à environ 30.000 hectares

Portugal

2.467.000

2.367.000

96

-

-

-

-

-

-


Royaume-Uni
Grande Bretagne

1.535.000

1.140.000

74

Environ 7% des forêts privées

-

-

Environ 21% des forêts privées

Superficie moyenne des forêts privées, 183 ha

Irlande du Nord

26.300

11.200

43

Les évaluations ne comprennent pas les bois de moins de 5 ha.
La superficie moyenne des forêts de 5 à 100 ha est d'environ 30 ha

Suède

22.900.000

11.600.000

50

-

-

-

-

4.101.000

18

Cf. FAO, Annuaire statistique des produits forestiers, 1952

Suisse

946.000

280.000

30

-

-

850

1

-

-

Ces 850 ha sont répartis entre 68% des propriétaires privés. Superficie moyenne de la forêt «paysanne», 1,5 ha

Yougoslavie

9.644.000

2.202.000

23

Superficie moyenne de la forêt privée, 3-4 ha. En Slovénie, la proportion des forêts privées s'élève à 70% de la superficie forestière totale.

* Chiffre approximatif
1 Forêts de moins de 20 ha.
2 Non compris les forêts de compagnies.

D'une façon générale la forêt privée provient du partage des «latifundia» d'origine féodale, partage commencé sans doute dès la fin des croisades, mais important surtout depuis la fin du XVIIIe siècle. Les latifundia se sont maintenus en Espagne et en Italie plus que dans les autres pays. C'est ce qui explique sans doute que dans ces pays la superficie moyenne de la forêt privée est relativement importante. Dans les pays du nord de l'Europe, les latifundia forestiers sont représentés par les forêts des grandes sociétés industrielles, dont certaines remontent à des temps très anciens. Là où les lois successorales ont favorisé le morcellement, non seulement la dimension moyenne de la forêt privée est petite, mais encore chaque propriété est découpée en un grand nombre de parcelles.

Les latifundia forestiers féodaux ne se sont pas en général démembrés en une seule fois. La plupart du temps les forêts ont été abandonnées aux villages, aux bourgs, dont les habitants bénéficiaient déjà de droits d'usage sur ces massifs. Là où l'esprit communautaire s'est particulièrement développé, comme en Suisse et, plus généralement, dans beaucoup de régions de montagne, le partage s'est arrêté. La propriété communale ou collective est largement développée dans ces régions et la propriété privée y est relativement peu importante. Ailleurs, au contraire, la forêt a été ultérieurement partagée entre les habitants. Les lois ont tantôt interdit, tantôt favorisé ce partage.

Les structures agraires continuent à évoluer, soit par suite des variations des conditions économiques, soit par suite d'actions délibérées des gouvernements. Cette évolution a des conséquences notables tant sur la superficie totale des forêts que sur leur morcellement. Ainsi, lorsque de grandes colonies agricoles s'établissent sur des latifundia récemment expropriés il s'ensuit souvent l'élimination des bois qui peuvent s'y rencontrer Une petite forêt privée ne peut s'y constituer. Par contre, cette colonisation peut être très favorable à la plantation d'arbres d'alignement, de haies, etc. La pression de la population entraîne encore aujourd'hui, dans certains pays européens, en Grèce notamment une diminution continue de la superficie boisée. L'abandon des terres marginales pour l'agriculture et leur boisement par les propriétaires intéressés conduira, dans les pays de propriété agricole morcelée, à un semblable morcellement des forêts et à une augmentation de la proportion des petites forêts.

Un exemple particulièrement intéressant est celui de la Finlande où, par suite des mesures qui ont dû être prises pour assurer le rétablissement des réfugiés venant des terres cédées à l'U.R.S.S. après la seconde guerre mondiale, la proportion des forêts de ferme a augmenté en superficie de 52,6 à 59,9 pour cent, tandis que la superficie des forêts domaniales et des forêts des sociétés industrielles a diminué.

On voit là un premier lien entre la politique agricole et la politique forestière, qui affecte spécialement la petite forêt. On aura plus tard l'occasion d'en signaler d'autres.

PROBLÈMES DE LA PETITE FORÊT

Il y a certes des petites forêts très bien aménagées. Mais on est presque unanimement d'accord dans tous les pays pour dire, ainsi qu'on l'a déjà noté, que les superficies désignées sous ce nom ne produisent ni en quantité ni en qualité ce qu'on pourrait en attendre normalement.

Mais, puisque la superficie des propriétés boisées considérées comme «petites forêts» varie considérablement d'un pays à l'autre, il faut logiquement en conclure que ce manque de productivité n'est sans doute pas imputable seulement à la dimension de ces propriétés.

La faible dimension d'une forêt est assurément un sérieux désavantage, mais il semble bien que la productivité insuffisante des petites forêts privées soit due à une cause plus générale, qui peut aussi bien affecter de grands massifs et même de très vastes forêts, quel que soit le mode de propriété auquel elles sont soumises. Cette cause est l'insuffisance des ressources techniques, économiques et financières dont dispose le propriétaire pour assurer à la forêt une mise en valeur intensive. La petite dimension ou le morcellement ne font qu'accentuer cette insuffisance.

On analysera ici ces trois termes de façon un peu plus détaillée, afin de mieux saisir la raison des diverses méthodes qui ont été employées pour remédier aux déficiences de la petite forêt, et peut-être même suggérer l'emploi d'autres méthodes.

Insuffisance des connaissances techniques

L'exploitation rationnelle d'une forêt nécessite des connaissances techniques que, tout au moins jusqu'à la fin du siècle dernier, les propriétaires de forêts ne se sont en général guère préoccupés d'acquérir, et que les gouvernements, de leur côté, se sont peu préoccupés de leur rendre accessibles. Le propriétaire est évidemment d'autant moins incité à acquérir ces connaissances techniques ou à recourir à l'avis de personnes compétentes que sa propriété est de moindre intérêt financier. Encore est-il indispensable que ces personnes compétentes existent. C'est sans doute un devoir de l'Etat de les former; il ne faut pas espérer que les forestiers occupés aux soins des forêts de l'Etat puissent suffire à s'occuper en même temps des forêts particulières. L'expérience de nombreux pays montre qu'il faut un nombre de techniciens très élevé relativement à la superficie des forêts privées si l'on veut assurer le développement de ces forêts. D'un autre côté, si les propriétaires ne s'intéressent pas au développement de leurs forêts, les techniciens formés par l'Etat risquent de se trouver sans emploi, en particulier dans les pays où la forêt est très morcelée. Les mêmes considérations sont valables pour le développement des plantations, qu'il s'agisse de boiser une parcelle ou de procéder à des plantations d'alignement ou d'arbres isolés. C'est là généralement pour le propriétaire une expérience toute nouvelle, et une aide technique lui est indispensable pour que cette expérience ne soit pas vouée à l'échec et le propriétaire au découragement.

Considérations économiques

Le propriétaire de la «forêt de ferme» serait sans doute plus intéressé à acquérir les connaissances techniques qui assureraient à sa forêt un meilleur rendement. Mais il a été et est encore souvent lié par des considérations économiques qui l'obligent à utiliser cette forêt en vue d'en tirer certains produits ou certains avantages en relation avec l'économie de la ferme. Telle forêt est maintenue en taillis parce qu'on en tire essentiellement le bois de chauffage de la ferme. Telle autre devra non seulement du bois, mais un supplément de parcours pour le bétail de la ferme.

En Autriche, où la forêt de ferme est très développée, les forestiers ont noté que le développement agricole était bien souvent financé par cette forêt, dans des conditions qui sont rarement favorables pour elle. Récemment, des coupes nettement excessives ont été pratiquées parce que les fermiers se sont équipés en matériel mécanique agricole et ont dû payer en une seule fois des sommes élevées. Des faits du même genre ont été signalés par plusieurs pays. Il est clair que dans ce cas une meilleure coordination de la politique agricole avec la politique forestière eût évité des coupes regrettables. Il aurait été aisé, semble-t-il, d'accorder aux fermiers des prêts qui auraient pu être remboursés progressivement, soit sur les revenus agricoles, soit sur les revenus forestiers. Sans doute il est de tradition que la forêt joue pour le propriétaire le rôle d'une caisse d'épargne, mais ce n'est certes pas le meilleur moyen d'assurer à la forêt un traitement convenable.

C'est pourtant sous cet aspect de caisse d'épargne que le propriétaire non fermier considère en général sa forêt, et cette tendance s'accentue si la forêt est de petite dimension et par conséquent moins susceptible de fournir des revenus réguliers. Les faibles quantités de bois produites par la petite forêt se vendent mal et difficilement, car les parcelles isolées sont souvent mal desservies. La main-d'œuvre manque en certains cas. Le propriétaire est donc peu incité à investir des sommes de quelque importance pour l'amélioration des peuplements ou pour des travaux, tels que drainages ou construction de routes, qui amélioreraient la croissance des peuplements ou en faciliteraient l'exploitation.

Les considérations économiques, et particulièrement celles qui se rattachent à la structure agraire, auxquelles on a déjà fait allusion, interviennent également lorsqu'on considère les questions de boisement, qu'il s'agisse d'afforestation ou de plantation d'arbres. Un régime de fermage qui ne donne pas au fermier de garantie de longue occupation ne l'incite guère à investir sous forme de plantations. En l'absence d'un accord entre le propriétaire et le fermier le boisement peut être impossible, même s'il est économiquement avantageux et que l'on dispose de moyens financiers suffisants.

Insuffisance de moyens financiers

Enfin, même s'il le désirait, le propriétaire ne dispose généralement pas des moyens financiers exigés par ces investissements. Cela est particulièrement vrai lorsque la forêt est de petite dimension. Le propriétaire trouvera difficilement à emprunter des sommes dont le remboursement serait gagé sur les revenus lointains de la forêt. Or, il s'agit de sommes relativement importantes: drainages, établissement de routes, nettoiements ne fournissant pas de produits utilisables, enrichissements, clôtures, etc. On peut en dire autant des plantations nouvelles.

Les conditions sont plus favorables pour l'agriculteur propriétaire d'une «forêt de ferme» qui peut consacrer à la forêt un peu de la main-d'œuvre disponible sur sa ferme aux mortes-saisons. Dans les pays nordiques, où ces mortes-saisons sont particulièrement longues, cet avantage devient très important. Le travail qui peut être consacré à la forêt. outre qu'il retient à la terre la population qui, autrement, chercherait d'autres occupations, remplace un investissement en argent qui, s'il était effectivement calculé, atteindrait probablement un chiffre considérable.

MORCELLEMENT DE LA FORÊT

On voit d'après ce qui précède que si l'on recherche des remèdes spécifiques au morcellement de la forêt, c'est-à-dire des remèdes qui permettront de reconstituer un massif d'une certaine dimension appartenant à un seul propriétaire, ou du moins soumis à une unité de gestion, à partir de parcelles boisées appartenant à un ou plusieurs propriétaires, ces remèdes seront en général insuffisants. Il faudra, à côté d'eux, utiliser des remèdes susceptibles de pallier aux insuffisances techniques, économiques et financières qui risquent d'être les mêmes quelle que soit la dimension des superficies boisées. Aux Etats-Unis, des forêts de plusieurs centaines d'hectares sont considérées comme de «petites forêts». Elle ne le sont évidemment pas, mais leurs propriétaires éprouvent les mêmes difficultés qu'un propriétaire européen dont la forêt n'a que quelques hectares.

On se propose donc d'étudier ci-après, d'une part les remèdes spécifiques au morcellement de la forêt, et d'autre part les remèdes plus généraux visant à soulager les déficiences qui viennent d'être énumérées.

Aucun Etat européen membre de la Commission européenne des forêts n'emploie de mesures autoritaires pour regrouper les forêts dont la propriété est morcelée et en faire des unités soumises soit à un propriétaire unique (l'Etat ou un syndicat, par exemple), soit à une gestion commune. En l'absence de semblables mesures, les remèdes spécifiques sont assez limités.

Il est certes assez facile de s'opposer au morcellement ultérieur des massifs forestiers. Des législations de cette nature existent, notamment au Danemark (loi du 4 octobre 1919), où, en outre, seules les plantations d'une superficie supérieure à 10 hectares bénéficient de l'aide de l'Etat, et en Allemagne, ou du moins dans certains Länder de la République fédérale. La législation française de décembre 1954 à ce sujet présente un intérêt particulier, car il fallait lutter contre la tendance au morcellement qu'implique la législation successorale de ce pays. Et, de fait, la nouvelle législation renverse complètement celle-ci en matière forestière. Tout copropriétaire d'un massif boisé pouvait jusqu'ici, à tout moment, exiger la cessation de l'indivision et le partage de ce massif. Il suffit maintenant qu'un copropriétaire s'oppose à ce partage pour que les autres soient obligés soit de rester dans l'indivision, soit d'accepter le rachat de leurs parts. Ce rachat peut, d'autre part, être aidé par des prêts du Fonds forestier national, remboursables à longue échéance.

En Finlande, on a évité, lors du rétablissement sur de nouvelles terres des fermiers déplacés de Carélie. de morceler les forêts qui leur étaient attribuées. Des coopératives ont été instituées et c'est à elles que la propriété des forêts a été remise. Des parts de cette coopérative ont été attribuées à chaque fermier. Les propriétaires de parts, lorsqu'ils ont besoin de prendre des bois dans la forêt pour leur usage particulier, en versent la valeur dans la caisse de la coopérative.

Mais il est beaucoup plus difficile d'effectuer ou d'encourager le remembrement de parcelles boisées déjà morcelées en une seule unité de propriété ou de gestion. En général, il existe bien des textes législatifs pour permettre cette opération, mais ils sont rarement appliqués. En Suisse, par exemple, leur application n'a été sollicitée que deux fois en cinquante ans.

Le remembrement proprement dit, c'est-à-dire le rassemblement de parcelles morcelées appartenant à un seul propriétaire en un massif unique appartenant au même propriétaire, est inscrit dans la législation de divers pays. Le rapport des Pays-Bas indique bien les difficultés qui s'y opposent; elles peuvent se résumer en disant que le manque d'homogénéité des parcelles boisées à échanger entre propriétaires intéressés est un obstacle considérable. Aussi le remembrement ne paraît-il avoir été pratiqué systématiquement que par la Suisse. Avec succès d'ailleurs puisque, en 1956, ce remembrement a porté sur 1000 hectares. Cet exemple montre d'ailleurs la relativité de la notion de petite forêt puisque les unités forestières auxquelles aboutit ce remembrement ne dépassent souvent pas 4 à 6 hectares. Il montre aussi que le remembrement proprement dit est, à lui seul, un remède insuffisant, car les opérations de regroupement s'accompagnent en fait de travaux, et notamment de travaux de route, destinés à améliorer la situation économique des massifs remembrés.

Le remembrement est plus aisé lorsqu'il porte sur des terrains destinés à être reboisés, puisqu'en ce cas l'obstacle dû au manque d'homogénéité des terres à échanger entre propriétaires est réduit.

Dans le même cas, la constitution de sociétés formées par les propriétaires qui leur font apport de leurs terrains et mettent en commun leurs ressources pour les boiser et gérer comme une unité indivisible des forêts provenant de ces boisements, se trouve également facilitée. Elle est, semble-t-il, possible dans tous les Etats européens et encouragée, sous forme de sociétés forestières, dans certains d'entre eux.

Indépendamment de toute législation, on peut observer dans certains pays une tendance au regroupement par voie d'achat, portant sur des massifs forestiers plus ou moins étendus. Ces achats peuvent être faits par des sociétés déjà constituées, ayant pour but soit l'exploitation forestière (auquel cas cette réalisation peut présenter un certain danger), soit un but quelconque. Dans ce dernier cas, la société cherche seulement à faire un placement. Dans certains pays, en France notamment, on favorise l'achat des droits de propriété pour la formation de massifs forestiers plus importants. En Suède, où l'on favorise toutes les formes de regroupement des massifs forestiers démembrés, et où une loi est même actuellement en préparation à ce sujet, certaines organisations sont habilitées à acheter par priorité toutes les terres mises en vente, pour redistribuer ensuite les terres agricoles aux fermes dont la superficie est insuffisante. Un regroupement des forêts peut ainsi intervenir. Malheureusement le prix très élevé des terrains boisés n'a pas encore permis d'obtenir d'importants résultats. Au Royaume-Uni, des sociétés coopératives se forment actuellement pour la mise en valeur forestière de certains terrains. Les propriétaires de terres reçoivent des parts, puis le groupement des terrains contigus permet de former de vastes unités de gestion. Déjà 10 000 acres se trouvent entre les mains de sociétés de ce genre, où s'investissent des capitaux produits par le commerce ou l'industrie.

Le remembrement agricole peut avoir des effets sur les plantations d'arbres. Une fois achevé, il favorise sans nul doute la plantation de haies et de brise-vent, et même le boisement des parcelles marginales qu'une organisation plus économique de l'exploitation permet à l'agriculteur d'abandonner. Par contre, son exécution peut nécessiter la disparition de haies et de plantations d'alignement. Enfin, le boisement non planifié de parcelles éparses peut entraîner les plus grandes difficultés pour un remembrement ultérieur des terrains agricoles. Or, dans certains pays, aucune législation ne permet d'interdire à un propriétaire de boiser une parcelle qu'il estime ne plus pouvoir travailler, même si cette parcelle se trouve sur un bon sol agricole Ici encore on voit la nécessité, cette fois sur un plan tout à fait local, de coordonner les politiques agricole et forestière.

REMÈDES NON SPÉCIFIQUES

La liste des mesures visant à obtenir une amélioration de la production, en quantité et en qualité, des forêts privées est très longue. On peut distinguer:

Les mesures d'ordre obligatoire

Elles impliquent une restriction aux droits que le propriétaire peut normalement exercer sur son terrain. Cependant, de nombreux gouvernements sont allés très loin dans cette voie. Tous réglementent, en principe du moins, le défrichement, c'est-à-dire l'exploitation d'une forêt en vue de consacrer le sol à une autre destination. Aucun n'impose aux propriétaires l'aménagement régulier de leurs forêts, sauf trois Länder allemands et, en quelques cas, l'Espagne, mais certains accordent d'intéressants avantages à ceux qui la soumettent à un aménagement approuvé par le service forestier de l'Etat (Royaume-Uni, France, etc.).

Entre ces deux extrêmes, il existe toute une gamme de mesures plus ou moins largement employées par les divers pays. En Norvège, Suède et Finlande, la forêt privée doit être soumise à de bonnes règles de sylviculture. Ces règles sont définies avec beaucoup de précision, tout au moins en ce qui concerne l'obligation d'assurer la régénération des coupes exploitées, mais de façon quelque peu différente suivant les pays. Ce sont sans doute les législations les plus sévères. Cependant, on retrouve l'obligation de reboiser la surface des coupes dans plusieurs pays (Portugal, Suisse, etc.) et, dans certains cas, l'Etat peut même obliger à boiser des terrains nus (Suisse, par exemple, pour la création de forêts protectrices, Yougoslavie sur les terrains appartenant à la superficie forestière, certains Länder allemands).

De nombreux gouvernements soumettent les coupes sur les forêts privées à un permis de coupe et, en certains cas (Yougoslavie), ces coupes sont même obligatoirement marquées par le service forestier d'Etat.

Dans certains cas, les restrictions sur les exploitations sont limitées aux forêts qui jouent un rôle particulier de protection, ou bien ces restrictions se trouvent alors aggravées. C'est le cas de l'Espagne pour les forêts situées dans les régions dites «d'intérêt forestier», de l'Italie (vincolo forestale), de la France (forêts de protection).

Distribution harmonieuse de forêts et de terrains agricoles privés dans l'Emmental bernois (Suisse). En raison des conditions topographiques et de la colonisation relativement récente, toute cette région est aménagée par des fermes individuelles et isolées. Les forêts, qui ont une forte proportion de sapin blanc, sont gérées par tradition par le système jardinatoire. Leur rendement soutenu est remarquable.

Photo: Service topographique fédéral suisse

La loi forestière du Danemark prévoit, afin de prévenir toute spéculation portant sur l'acquisition d'une forêt, l'obligation d'un permis pour toute coupe de caractère commercial exécutée moins de dix ans après cette acquisition. La loi du 11 mai 1935, par. 6, oblige toute terre enregistrée comme forêt à porter des peuplements convenablement constitués. Des inspections sont faites régulièrement sur toutes les forêts privées.

En Autriche, le permis de coupe est exigé dans tous les Länder pour les forêts qui ne sont pas soumises à un plan d'aménagement; en outre, on envisage de rendre obligatoire l'aménagement de toutes les forêts privées de plus de 150 hectares. Enfin il y est obligatoire de reboiser toute superficie exploitée à blanc dans un délai maximum de cinq ans.

Un autre type d'obligation imposée par certains gouvernements, notamment par certains Länder d'Allemagne, consiste à exiger que le bois exploité sur les forêts privées soit employé à certaines utilisations déterminées (ce genre de restriction a été très employé pendant la seconde guerre mondiale), ou soit mis en vente conformément à des règles déterminées de mesurage et d'assortiment.

Les mesures d'aide, d'assistance ou d'encouragement

On peut étudier ces mesures en suivant le même ordre qu'on a adopté pour analyser les difficultés que rencontre le propriétaire forestier privé, et plus particulièrement le propriétaire d'une petite forêt, pour obtenir un rendement aussi élevé que possible.

Mesures destinées à remédier à l'insuffisance technique des propriétaires privés

De très grands progrès ont été faits en ce sens depuis quelques années, soit par une action directe des gouvernements, soit par une action indirecte à travers les associations de propriétaires forestiers soutenues par le gouvernement.

On peut distinguer, d'une part, une action visant à la formation, au moins élémentaire, des propriétaires forestiers eux-mêmes et, d'autre part, une action visant à mettre à leur disposition les services de forestiers expérimentés capables de les aider de leurs conseils et d'effectuer en leur lieu et place les opérations exigeant une technicité qu'ils ne possèdent pas.

Au premier type se rattache, par exemple, l'action de l'Autriche assurant la formation technique des fils et filles de propriétaires forestiers, et leur faisant même donner une instruction élémentaire par l'Organisation de la jeunesse provinciale. La Suède ne dépense pas moins de 3 500 000 couronnes par an pour l'organisation de cours, soit par correspondance, soit oraux, destinés aux propriétaires et ouvriers forestiers. A la fin de 1956, la Finlande disposait de neuf écoles pour la formation des propriétaires. La France a ouvert récemment une école du même genre et se propose de poursuivre cette politique.

Les forêts d'écoles visent naturellement un but plus général. On ne saurait cependant mésestimer leur rôle dans la formation des propriétaires de forêts et de leurs enfants. L'Allemagne compte environ 1400 forêts de ce genre, dont la superficie varie entre 3 et 5 hectares. On trouve également dans ce pays deux organisations qui ont pour but de présenter des démonstration: de méthodes de coupes, de plantations, et d'exécution de travaux forestiers divers. L'éducation par les journaux y est aussi remarquablement organisée: presque toutes les revues agricoles ont leur rubrique forestière et, de temps en temps, beaucoup publient des numéros forestiers spéciaux. Les expositions agricoles, elles aussi, ont toutes leur section forestière. Le Royaume-Uni et la France, en publiant des brochures sur les méthodes de plantation, sur la lutte contre les insectes nuisibles, etc., ont également fait de gros efforts pour l'éducation des propriétaires par le livre.

Il importe en particulier que les propriétaires sachent tirer le meilleur parti et, par suite, le plus grand profit possible des produits de leurs forêts. Aussi est-il essentiel qu'ils sachent classer convenablement leurs bois pour la vente. La Suisse s'est attachée tout spécialement à former des techniciens, capables de leur apporter une aide technique sur ce point.

On passe ainsi au second type d'aide, qui constitue à proprement parler l'assistance technique aux propriétaires. Celle-ci existe pratiquement dans tous les pays européens. La preuve de son développement est fournie pal le fait que beaucoup de ces pays disposent maintenant de services distincts dont la fonction est précisément de fournir cette assistance. Ces services, remarquablement décentralisés, existent depuis longtemps dans les pays du nord de l'Europe. En Autriche, cette assistance est fournie aux petits propriétaires par les services forestiers spéciaux organisés au sein des Chambres d'agriculture. La France dispose, depuis plusieurs années, d'un «service de la forêt privée» et l'Espagne annonce une réorganisation de son service forestier, comportant notamment la création d'un service d'assistance technique forestière.

Le développement de ces services d'assistance technique impose aux gouvernements un gros effort pour la formation des techniciens forestiers à tous les niveaux. Il convient, en effet, de pourvoir de techniciens entraînés non seulement les services d'Etat, mais aussi les associations de formes diverses qui se proposent d'aider leurs membres à assurer une saine gestion à leurs forêts. Dans certains pays (par exemple en Allemagne), l'emploi de techniciens est imposé aux propriétaires dont la forêt dépasse une certaine étendue. Mais, ainsi qu'on l'a noté ci-dessus, il est important de proportionner le nombre des techniciens à former aux besoins des propriétaires privés, et de persuader ces propriétaires qu'il est de leur intérêt de s'adresser à des techniciens compétents pour les aider dans la gestion de leurs forêts.

Mesures destinées à améliorer la situation économique des forêts privées et de leurs propriétaires

Il s'agit ici d'un ensemble de mesures qui, sans viser particulièrement les forêts privées, petites ou grandes, mettent leurs propriétaires dans une meilleure situation économique pour les inciter à mieux gérer leurs forêts, à y pratiquer des travaux d'amélioration, ou à effectuer des boisements nouveaux. Parfois même il ne s'agit pas de véritables mesures, mais d'une simple évolution de l'économie générale qui fait comprendre au propriétaire les bénéfices qu'il peut tirer de sa forêt. D'une façon générale, on peut classer ici toutes les mesures visant à une meilleure coordination, dont on a déjà indiqué combien elle était désirable.

Il est évident que le maintien de prix relatifs élevés pour le bois et ses produits est le meilleur encouragement qui puisse être donné aux propriétaires forestiers privés. L'Allemagne a noté en 1957 que les prix du bois avaient atteint des niveaux relativement si élevés que la plupart des propriétaires pouvaient actuellement se passer de l'aide financière de l'Etat. Une politique de cette nature est particulièrement efficace lorsqu'elle est jointe à la mise sur le marché de plants d'essences à croissance rapide, et notamment d'essences qui peuvent être utilisées en conjonction avec certains types d'agriculture. Or, c'est actuellement le cas du peuplier. On ne saurait donc s'étonner que 6 à 8 millions de peupliers aient été plantés en Allemagne en 1956.

Cependant, il est évident qu'une politique de maintien des prix à un niveau relativement élevé peut, à la longue, se retourner contre les intérêts des propriétaires forestiers. Beaucoup d'associations forestières considèrent qu'une de leurs principales fonctions est d'assurer la vente des bois de leurs membres au meilleur cours possible, et leur action à ce point de vue peut être parfois néfaste. L'Allemagne a signalé qu'une loi est actuellement en préparation pour contrecarrer cette tendance trop fréquemment remarquée dans ce pays. Le sentiment de la Commission européenne des forêts est cependant que les contacts entre associations de propriétaires de forêts et d'utilisateurs du bois ont en général pour effet de développer un sentiment de solidarité qui doit permettre de maintenir les prix du bois sur pied dans des limites raisonnables et de leur éviter de dangereuses fluctuations.

Mais il y a d'autres considérations que celle des prix élevés. Beaucoup de pays ont noté que les différences tendent de plus en plus à s'atténuer entre les «forêts de ferme» et les autres forêts privées. Il est clair que l'électrification, la construction d'un réseau routier plus complet, etc., favorisent l'emploi d'autres modes de chauffage que le bois et même le remplacement du bois par le métal dans certains de ses usages traditionnels sur la ferme, tels que les piquets de clôture. Les besoins en petit bois, qui pourraient notamment avoir pour effet le maintien du régime du taillis, diminuent en conséquence et le cultivateur peut tirer de sa forêt des produits de plus haute qualité. Si, comme l'indiquent plusieurs pays, la «forêt de ferme» doit désormais être considérée comme partie intégrante de l'exploitation, c'est plus sans doute parce qu'elle peut rapporter au fermier un intéressant complément de revenus que parce qu'elle doit lui fournir les bois utilisables sur la ferme elle-même. Aussi, dans les pays du nord de l'Europe, n'estime-t-on pas qu'une politique différente doive être appliquée aux forêts publiques et aux forêts de ferme.

Les progrès techniques de l'agriculture, eux aussi, ne sont pas sans effet sur les possibilités d'amélioration du traitement des forêts de ferme. L'adoption de rotations à base de cultures fourragères, par exemple, permet de supprimer ou de réduire l'utilisation de la forêt comme terrain de parcours. Elle permet aussi, bien entendu, le boisement des pâturages médiocres. L'extraction de la litière n'est plus guère pratiquée.

On peut encore mentionner l'intérêt que présentent, surtout pour les propriétaires non agriculteurs, la formation d'ouvriers forestiers spécialisés et l'organisation, signalée dans quelques pays, de coopératives d'ouvriers forestiers qui permettent de résoudre les difficultés dues au manque de main-d'œuvre.

Mesures destinées à améliorer les possibilités financières des propriétaires

L'aide financière aux propriétaires forestiers est, de loin, la méthode la plus développée pour les inciter à améliorer le traitement de leurs forêts ou à entreprendre des travaux d'amélioration ou de plantation. Cette aide peut être directe, mais elle peut aussi consister seulement à favoriser la constitution d'associations, de mutuelles, ou l'organisation du crédit, toutes méthodes qui ont pour but de permettre aux propriétaires de s'aider eux-mêmes.

L'aide financière des gouvernements, directe ou à travers les associations ainsi constituées, est cependant presque générale. Des sommes considérables y sont consacrées chaque année par la plupart des pays. La Finlande, en 1956, a dépensé environ 3 milliards de marks à la surveillance des forêts particulières et à l'aide aux travaux d'amélioration et d'aménagement de ces forêts; c'est une somme presque égale à celle qui a été consacrée aux forêts d'Etat. Des organismes spéciaux ont été créés par différents pays (Espagne, France) pour le financement de cette aide, ou bien des législations spéciales ont été passées (Finlande, 1953). Le «plan vert» allemand peut être également cité à ce sujet. En Suède, un gros effort est fait pour la construction des routes forestières, subventionnées à raison de 50 à 80 pour cent des dépenses, suivant les cas et les régions. Les plans en sont faits par des spécialistes attachés aux bureaux forestiers des districts et le travail est exécuté par les fermiers eux-mêmes qui se groupent fréquemment en association pour la construction, puis pour l'entretien, de ces routes. On construit actuellement de 2 000 à 3 000 kilomètres par an.

L'aide est souvent accordée en contrepartie d'engagements pris par le propriétaire d'observer certaines règles de sylviculture ou d'aménagement. Le type d'une aide de ce genre est le dedication scheme du Royaume-Uni. D'une façon générale, l'aide financière fournie aux propriétaires est d'autant plus importante que les restrictions et réglementations qui leur sont imposées sont plus strictes. Il existe cependant des pays où une aide considérable est donnée sans imposer presque aucune obligation au bénéficiaire.

L'aide financière peut prendre des formes extrêmement variées. L'une des plus anciennes est la réduction ou la suppression temporaire des impôts grevant les parcelles reboisées, ou l'adoption d'un régime spécial d'imposition pour les forêts que leurs propriétaires acceptent de soumettre à certaines réglementations. Une telle aide s'avère souvent nécessaire car le régime d'imposition général appliqué aux forêts, notamment en matière de succession, est fréquemment une des causes majeures de la ruine des forêts privées 1. En France, une aide financière particulièrement intéressante est fournie aux propriétaires qui éprouvent des difficultés à régler les droits de succession qui leur incombent sans pratiquer des coupes abusives sur leurs forêts.

[1 L'incidence de l'impôt a été étudiée de façon approfondie dans les publications de la Confédération agricole européenne.]

L'aide prend le plus généralement la forme de subventions, c'est-à-dire que l'Etat participe directement et à fonds perdus aux travaux exécutés sous la responsabilité et pour le bénéfice du propriétaire. Ces subventions peuvent être attribuées en espèces ou en nature, sous forme de plants ou de semences. Elles atteignent des taux divers, mais généralement élevés, variant en général avec la nature des travaux. Pour les plantations, le taux est, en Espagne, de 50 pour cent du montant des travaux (susceptible d'être complété par un prêt de 25 pour cent), de 50 pour cent également en France. En Finlande, il atteint 60 pour cent et même, dans des cas exceptionnels, 80 pour cent. Ce taux est déterminé en tenant compte de la situation économique des propriétaires sollicitant les subventions, et de façon à favoriser particulièrement les propriétaires de petites forêts. Les Pays-Bas, la Suède accordent une subvention de 50 pour cent. En Suisse, des subventions sont allouées tant par la Confédération que par les cantons, tant pour les travaux de boisement que de restauration, d'assainissement, de clôture, de routes, et pour les travaux de remembrement auxquels on a déjà fait allusion.

Le prêt est aussi très largement pratiqué, quoiqu'un peu moins courant que la subvention. Il est cependant très nécessaire car, en l'absence d'organisations coopératives ou bancaires soutenues spécialement par l'Etat, le propriétaire forestier ou le propriétaire désireux de boiser ne peut que difficilement se procurer les crédits qui lui sont indispensables. Le montant des prêts consentis par les gouvernements varie généralement avec l'importance des travaux exécutés. Leur taux d'intérêt est faible, mais surtout leur remboursement est ou différé ou échelonné sur une longue période. Dans certains pays, en matière de boisement, ils ne sont récupérés qu'au moment des premières coupes exécutées sur les peuplements constitués. Au Royaume-Uni, tandis que les subventions sont limitées à certaines catégories de travaux, des prêts peuvent être accordés pour tous les genres de travaux susceptibles d'être normalement exécutés dans une forêt, y compris la construction de routes et de maisons pour les travailleurs forestiers. Dans quelques pays, l'Etat peut, sur la demande du propriétaire et contre paiement d'une rémunération relativement basse, assurer la gestion totale ou partielle des forêts lui appartenant.

D'autres méthodes permettant d'aider financièrement les propriétaires à effectuer des travaux d'amélioration, ou, mieux encore, de les aider à s'aider, ont été signalées par divers pays.

La Norvège oblige le propriétaire privé à verser à un compte spécial, dans une banque déterminée, un certain pourcentage des sommes qu'il reçoit pour chaque vente de bois. Ce compte est débloqué lorsque le propriétaire veut effectuer des travaux d'amélioration, et il peut alors y puiser la somme nécessaire. Ce système, récemment institué, a donné de bons résultats et la Suède entend appliquer un système analogue.

Les dispositions prises par le Maroc pour favoriser les plantations privées sont particulièrement généreuses. L'Etat verse au planteur des avances sur sa récolte. La révolution étant d'une dizaine d'années (il s'agit de plantations d'eucalyptus), le planteur peut recevoir dès la plantation un tiers du produit présumé de la coupe finale. Les avances faites sont remboursées au moment de l'exploitation.

Une considération d'ordre financier qui empêche fréquemment le propriétaire privé soit de planter, soit d'accorder à sa forêt toute l'attention qui serait désirable est la crainte des sinistres: coups de vent, attaques d'insectes et champignons, et surtout incendie qui peuvent ruiner en quelques mois ou en quelques heures le résultat de nombreuses années de patience et d'efforts.

La situation des assurances forestières en Europe est assez favorable. Au Royaume-Uni, le propriétaire forestier peut s'assurer contre le feu auprès d'une grande compagnie privée et de plusieurs autres de moindre importance. En fait, des prêts ne sont accordés par la Forestry Commission que si le propriétaire intéressé assure sa plantation. Les primes sont relativement faibles à condition que soient assurés non seulement les peuplements particulièrement t sensibles au feu, mais l'ensemble des forêts appartenant au propriétaire qui sollicite l'assurance. Mais il n'existe pas d'assurance contre les dégâts du vent, des insectes ou des maladies. Au Danemark, le propriétaire peut s'assurer contre le feu soit auprès des compagnies ordinaires, soit auprès d'une compagnie spécialisée. mais cette dernière ne couvre que les frais de reboisement. La Suède possède quatre ou cinq compagnies spécialisées, couvrant, pour des primes relativement modérées, non seulement les risques du feu, mais encore ceux des attaques d'insectes, des maladies et du vent. Toutes les pertes sont couvertes en tenant compte non seulement de la valeur actuelle des bois, mais de leur valeur d'avenir. La Finlande est plus favorisée encore puisque le propriétaire peut même s'assurer contre les risques d'échec des plantations qu'il effectue. Les Pays-Bas ont deux mutuelles d'assurance-incendie, l'une pour les forêts des propriétaires privés et des municipalités, l'autre, sous le contrôle direct du service forestier, exclusivement pour les municipalités. Tous ces exemples montrent que l'assurance forestière est une entreprise parfaitement réalisable.

RÔLE DES ASSOCIATIONS DE PROPRIÉTAIRES FORESTIERS

Les associations et coopératives de propriétaires forestiers peuvent jouer un rôle important dans la solution des problèmes que pose la forêt privée et la «petite forêt» en particulier 2.

[2 La FAO a publié dans Unasylva (Vol. 10, N° 2, 1956) une étude d'ensemble sur les associations forestières.]

Tout d'abord ces associations peuvent prendre des formes et être organisées sous des modalités très diverses, de façon à s'adapter aux institutions juridiques et aux coutumes de chaque pays. Il existe des associations qui n'instituent entre leurs membres qu'un lien très lâche ou qui n'ont pour but que de leur faciliter une opération bien déterminée. Il y en a d'autres qui vont jusqu'à la mise en commun des terrains boisés appartenant à chaque coopérateur, en vue de gérer les forêts comme une seule unité d'exploitation, et qui rejoignent ainsi les sociétés dont il a été question au début du présent article.

Par essence, la participation à ces associations est libre. Dans de rares pays on note cependant une légère tendance à les rendre obligatoires. En Allemagne, il ne s'établit plus de coopératives dont les membres fassent abandon de leurs terres à l'association, mais les anciennes subsistent et, dans deux Länder, la formation de coopératives peut être assurée par les services officiels. En Espagne, on envisage une législation qui rendrait obligatoire le groupement des forêts en unités de 50 hectares au moins, et des associations de propriétaires qui deviendraient obligatoires lorsqu'elles seraient demandées par plus de 60 pour cent des propriétaires visés. Cette dernière formule est du reste appliquée dans de nombreux pays pour des associations en vue d'un but nettement défini, tel que l'assèchement de marais. En Finlande, il n'est pas obligatoire d'appartenir à une association de propriétaires forestiers, mais une loi de 1950 oblige tous les propriétaires de forêts dont le rendement annuel théorique est supérieur à 20 mètres cubes à payer une taxe servant à assurer le fonctionnement de ces associations. Cette taxe a produit en 1956 près de 600 millions de marks.

Dans beaucoup de pays, les associations de propriétaires forestiers se sont initialement constituées pour permettre aux propriétaires de vendre dans des conditions plus avantageuses les bois provenant de leurs forêts. Mais rapidement elles ont tendu, et tendent de plus en plus, à devenir un service d'avis, d'aide technique et d'aide matérielle aux propriétaires membres pour leur faciliter une bonne gestion - et aussi une gestion conforme aux réglementations en vigueur - de leurs forêts. En Norvège, les coopératives de vente ont placé dans les districts des techniciens forestiers qui ont obtenu un large succès auprès des propriétaires qu'ils aident à planifier leurs opérations en même temps qu'à vendre leur bois.

Le développement des associations forestières se produit dans deux sens. D'une part, de nouvelles associations se créent pour des buts particuliers, par exemple l'assurance contre l'incendie, la construction d'un réseau routier, l'octroi de prêts. Mais, d'autre part, les associations existantes développent leurs activités, qui embrassent toutes les phases de la production du bois. En Europe centrale et septentrionale, beaucoup d'associations disposent de scieries. Certaines s'engagent dans la recherche forestière, comme l'a fait en 1956 la principale association forestière danoise, et comme le font depuis longtemps déjà certaines associations suisses.

En outre, ces associations peuvent rendre aux gouvernements des services multiples. Le plus important est sans doute que, par le fait même de leur groupement, surtout sur le plan local, les propriétaires prennent conscience de l'intérêt économique que présentent leurs forêts, tant pour eux que pour le pays. En même temps, les associations leur procurent des facilités que l'Etat ne pourrait. leur assurer lui-même qu'au prix de dépenses considérables, ou en tout cas beaucoup plus importantes que celles qu'il consacre éventuellement au sou tien ou à l'encouragement des coopératives.

D'autre part, comme les associations locales sont généralement groupées en associations régionales, puis nationales, elles constituent un canal à travers lequel le gouvernement peut d'un côté répandre et expliquer les buts de sa politique forestière auprès des propriétaires en vue d'obtenir leur coopération et, de l'autre côté, entendre les avis des propriétaires forestiers et leurs réactions aux mesures qu'il se propose de prendre.

Beaucoup de pays ont ainsi institué, auprès de leurs services forestiers centraux, des organismes constitués par les propriétaires forestiers ou bien où ces propriétaires sont largement représentés. Ces organismes n'ont le plus souvent qu'un rôle consultatif, comme le Conseil forestier de l'Allemagne occidentale. Mais certains gouvernements leur confient des responsabilités en ce qui concerne la gestion et la mise en œuvre des règlements; c'est notamment le cas du Bureau forestier établi en 1954 par les Pays-Bas.

On note du reste une tendance bien nette à donner, même aux associations locales, une certaine responsabilité dans la mise en œuvre des réglementations imposées aux propriétaires privés. C'est une excellente façon d'encourager la formation de ces associations et de leur assurer un recrutement aussi important que possible. D'une façon générale, c'est par l'intermédiaire des associations, lorsque de tels organismes existent, que sont attribuées, étudiées et réparties les subventions de l'Etat.

L'AVENIR DES FORÊTS PRIVÉES EN EUROPE

L'importance territoriale considérable de la forêt privée en Europe pose aux gouvernements des problèmes délicats pour la mise en œuvre de leur politique forestière. Dans certains pays, on n'a compris qu'assez récemment le rôle que doivent jouer les forêts privées dans la politique forestière. Mais des instruments se sont forgés peu à peu qui permettent de donner aux propriétaires, même de petites forêts, des facilités considérables pour établir une gestion rationnelle.

Des progrès importants restent cependant à réaliser. La meilleure façon de les obtenir est, sans nul doute, l'échange d'informations sur les méthodes employées dans chaque pays et les résultats obtenus. Les autorités responsables semblent s'intéresser de plus en plus à ce problème. Le voyage d'étude sur le «développement des forêts rurales» que l'Autriche a organisé en 1956, et qui a mené les participants en Bavière, en Alsace-Lorraine et en Suisse, est une preuve indéniable de cet intérêt, et une méthode d'information qui pourrait peut-être être utilement développée.

La Commission européenne des forêts, au cours de sa dernière session, a effectivement recommandé à ses pays membres l'emploi de cette méthode d'échange d'informations. Elle a proposé en outre de continuer à suivre très attentivement, à travers les rapports qu'elle reçoit à l'occasion de chacune de ses sessions, le développement des efforts et des expériences entreprises dans ce domaine.

Le rapport final de cette dernière session contient du reste nombre de recommandations aux gouvernements, basées sur les faits qui ont été rapportés dans les pages qui précèdent. La Commission a voulu particulièrement insister sur deux points:

1. La nécessité pour les gouvernements d'assurer a l'intérieur du pays une parfaite coordination de leurs politiques agricole et forestière. La Commission a souligné notamment la nécessité, lors que des services agricoles et des services fores tiers donnent tous deux des avis aux fermiers, d'assurer une coopération aussi proche que possible entre ces services.

2. L'utilisation maximum de toutes les formes d'association: sociétés, syndicats, coopératives, mutuelles, etc., afin, d'une part, d'assurer le regroupement des forêts privées ou d'éviter leur fragmentation, d'autre part, de faire comprendre aux propriétaires privés l'intérêt économique de leurs forêts et leur donner les notions essentielles d'une exploitation rationnelle; enfin, leur apporter l'aide technique ou financière nécessaire pour qu'ils obtiennent du sol forestier le meilleur rendement en quantité et en qualité et tirent le meilleur profit de leurs récoltes forestières.


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