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Les influences de la forêt

ALDO PAVARI

Directeur de la Station de recherches forestières de Florence (Italie), ancien Président de l'Union internationale des Instituts de recherches forestières

L'influence exercée par les forêts sur leur voisinage fait partie d'un vaste système d'interrelations complexes. Les idées couramment admises en cette matière sont actuellement en cours de revision, grâce, en particulier, au projet de la FAO pour la mise en valeur des régions méditerranéennes; ce travail fera probablement l'objet d'une publication. L'article du professeur Pavari constitue une étude préliminaire des aspects fondamentales de la question.

Les forêts sont, de toutes les formations végétales, les plus évoluées et aussi les plus exigeantes. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne le climat et, en fait, la répartition des forêts dans le monde est déterminée dans ses grandes lignes par des facteurs climatiques. Ces facteurs sont d'ordre géographique.

D'autre part, la répartition des végétaux forestiers et de leurs divers types à l'intérieur des grandes régions climatiques est sous la dépendance de facteurs édaphiques; ces derniers sont en règle générale d'ordre topographique.

La forêt exige un minimum de température et un minimum d'humidité. Elle a, par conséquent, deux limites: la première est la limite du froid, la seconde la limite xérothermique. La limite du froid est déterminée non seulement par la latitude et l'altitude mais aussi par un minimum spécifique de température nécessaire pendant la période de végétation. A l'intérieur de ces deux limites, les formes très diverses de la végétation forestière peuvent être groupées en grands types qui - en laissant de côté l'aspect floristique et phyto-sociologie - sont caractérisés par l'identité écologique et physionomique.

Cette classification des grands types de forêt fut faite par les fondateurs de la géographie botanique; mais il existe maintenant tant d'autres classifications qu'il est difficile de faire un choix. Une classification bien connue, appropriée à notre but, est celle de Brockmann-Jerosch et Rübel. Ils distinguent les types de forêt suivants:

1. Pluviisilvae. Il s'agit des forêts denses (rain-forests), équatoriales, tropicales et subtropicales qui correspondent aux zones climatiques à pluie permanente et à humidité atmosphérique élevée. Elles comprennent une majorité de végétaux vasculaires à feuilles persistantes et une grande abondance de lianes et d'épiphytes tropicales, surtout des espèces cauliflores sans bourgeons végétatifs.

2. Laurisilvae. Comme les Pluviisilvae elles se trouvent dans les régions à climat océanique où l'amplitude thermique est faible, la pluviosité abondante et les périodes de sécheresse estivale très courtes ou nulles. Elles comprennent surtout des espèces hydrophiles à feuilles persistantes, avec des bourgeons végétatifs mais aussi des conifères à feuilles en écailles.

3. Ericilignosae. Ce troisième type de forêt de climat océanique correspond aux régions où la température moyenne annuelle est assez basse et les étés plutôt froids. Ces forêts sont fréquentes en Amérique du Sud et en Afrique du Sud mais elles sont aussi représentées dans les landes du nord-ouest de l'Europe.

4. Hiemisilvae. Ce sont les «forêts de mousson», tropicales, situées à l'intérieur des continents, et leurs espèces caractéristiques ne portent des feuilles que pendant la saison des pluies. Contrairement aux Pluviisilvae elles existent dans les zones climatiques continentales et subcontinentales à amplitude thermique plus ou moins marquée.

5. Durisilvae. Il s'agit des forêts xérophiles et sclérophiles à feuilles persistantes qui se trouvent dans les régions tempérées chaudes avec des périodes de sécheresse, soit estivale soit hivernale. La végétation méditerranéenne et les formations écologiques similaires - «maquis» méditerranéen, «chaparral» californien, «scrub» d'Afrique du Sud - sont caractéristiques du premier de ces types de climat.

6. Aestatisilvae. Ce sont les types de forêt des climats tempérés et froids, caractérisés par les feuillus à feuilles caduques (par exemple Fagus, Quercus) mais où se trouvent également des conifères (Abies, Pinus).

7. Aciculisilvae. Ce sont les forêts de conifères des zones tempérées froides. Leurs espèces sont pourvues de feuilles persistantes et aciculaires qui leur permettent de supporter la sécheresse physiologique de l'hiver.

Bien que ces sept types comprennent un grand nombre de subdivisions, tous montrent à quel point la végétation forestière dépend du climat. Cependant, à l'intérieur des diverses formations cette végétation modifie elle-même le milieu - climat et sol - de telle manière qu'elle crée des conditions favorables au maintien de sa propre vie. La forêt devient stable lorsqu'elle se trouve enfin en équilibre naturel avec les conditions écologiques qu'elle a elle-même modifiées.

Le problème de l'influence de la forêt sur le milieu ne peut être traité de manière générale. Au contraire nous devons étudier l'influence de chaque type spécifique, parmi la variété presque infinie des formes forestières.

Partout où la végétation s'établit pour la première fois sur un terrain de formation récente se produit une évolution progressive primaire, dans laquelle se succèdent des phases qui correspondent à l'influence des facteurs écologiques. Quand ces facteurs sont favorables, la végétation forestière passe par cette succession de phases pour aboutir à une formation équilibrée: le climax. Lorsque la formation climacique est plus ou moins modifiée dans sa structure par une intervention quelconque de la nature ou, plus souvent, de l'homme, une évolution régressive s'installe qui peut aboutir à la disparition complète de la végétation forestière. Mais si les causes de l'évolution régressive cessent d'agir une évolution progressive secondaire lui succède et celle-ci, si elle peut se développer sans nouvelle perturbation aboutit à nouveau au climax.

Chaque stade de développement exerce sur le micro-environnement - c'est-à-dire sur la station - une influence régulatrice du mécanisme de l'évolution. Ce processus se traduit ainsi par la disparition progressive des formes caractéristiques de chaque stade et leur remplacement par celle du stade suivant. C'est seulement en interprétant les influences de la forêt dans le cadre de ces évolutions que nous pouvons aboutir Il des résultats valables aux points de vue scientifique et pratique.

Malgré l'abondance des matériaux, les recherches entreprises jusqu'ici sur les formations climaciques ont été relativement peu importantes. La plupart de ces recherches concernent l'une ou l'autre des phases successives que nous avons mentionnées, et de plus des travaux assez importants ont été consacrés aux plantations. Quelle que soit la valeur intrinsèque de ces expériences, celles-ci doivent être interprétées et surtout coordonnées dans le but de déterminer les influences générales de la forêt sur le milieu et de relier ces influences à chaque grand type de végétation correspondant à chaque grand type de climat. Malheureusement, il existe une disproportion marquée entre les données sur les forêts des climats tempérés ou froids, Aestatisilvae et Aciculisilvae - et les données sur les forêts des autres régions climatiques. Les renseignements obtenus expérimentalement sur les forêts tropicales ne correspondent en aucune manière à l'étendue et à l'importance de ces forêts; il n'existait aucun renseignement sur les forêts méditerranéennes - Durisilvae - avant que soit mis en route en Italie un programme de recherche qui fit l'objet d'un rapport au congrès de l'U.I.R.F. à Budapest, en 1938. Ces recherches prirent accessoirement un intérêt particulier parce qu'elles conduisirent aux études sur les formations végétales à feuilles persistantes du «chaparral» californien qui, ainsi que nous l'avons déjà noté, présentent des affinités écologiques avec le maquis méditerranéen.

De nombreuses difficultés assaillent l'expérimentateur qui tente de découvrir la différence exacte entre les conditions du milieu propres à la station et les conditions générales extérieures à cette station, et qui veut découvrir jusqu'à quelle distance la forêt peut modifier le milieu qui l'entoure. Pour que les données soient parfaitement valables, il ne doit exister dans le milieu extérieur à la station aucun élément qui puisse venir perturber la comparaison. Or, non seulement ces éléments existent mais leur existence est presque toujours la règle. Ainsi dans les recherches sur les facteurs climatiques la méthode comparative - comparaison du microclimat de la station avec le climat général - est extrêmement difficile: en effet, si les observations hors forêt sont faites à une grande distance de la forêt de nouveaux éléments du climat peuvent venir fausser la comparaison; mais si les mesures sont prises près de la forêt l'influence propre de celle-ci peut, de la même manière, modifier les termes de la comparaison. Pour cette raison la méthode historique, d'abord en usage aux Etats-Unis, notamment pour les recherches hydrologiques, fut ensuite adoptée dans d'autres pays.

La méthode historique présente deux phases principales: la première consiste dans l'observation des caractéristiques du climat pendant un certain nombre d'années sur une surface déterminée de forêt, et sur une surface déterminée de terrain nu. La seconde phase consiste, après avoir éliminé la forêt, à observer pendant une nouvelle période les changements climatiques qui s'ensuivent en les comparant toujours avec les données climatiques relevées en terrain nu. Un exemple remarquable de l'emploi de la méthode historique fut donné par l'expérience de Wagon Wheel Gap dans le Colorado - Etats-Unis. Les températures et d'autres données climatiques furent relevées pendant sept ans dans deux bassins versants analogues. Puis La forêt fut exploitée dans l'un des bassins et les mesures poursuivies durant sept nouvelles années. La première période servait de témoin pour la comparaison avec la deuxième période. Les résultats ont été publiés dans un rapport original 1 et dans un autre ouvrage 2.

1 BATES, C. G. et HENRY, A. J. «Forest and Stream-flow at Wagon Wheel Gap. Colorado - Final Report» (La forêt et le ruissellement à Wagon Wheel Gap, Colorado Rapport final) U.S. Monthly Weather Rev. Suppl. 30: 1-79. 1928.

2 KITTREDGE, J. Forest influences (Les influences de la forêt). 1948.

Cette méthode certes, n'élimine pas toutes les sources d'erreur et ne dispense pas d'être extrêmement prudent dans les conclusions. Elle est longue et souvent coûteuse. On peut être tenté par un certain pessimisme lorsqu'on considère les recherches faites jusqu'ici. Pourtant ces recherches ont sans aucun doute une réelle valeur. Les renseignements obtenus à l'heure actuelle nous permettent d'envisager le problème sous un aspect très différent de celui sous lequel il était abordé quelques décennies auparavant.

Les influences de la forêt peuvent être divisées en trois groupes d'intérêt pratique aussi bien que scientifique. L'influence sur le climat; l'influence sur le sol; l'influence sur les eaux. Un des principaux facteurs d'un microclimat forestier est la radiation solaire. Les rayons du soleil apportent non seulement la lumière mais la chaleur; la réduction de la lumière dans le sous-bois doit donc être accompagnée par un abaissement de la température, à moins que celle-ci ne soit modifiée par d'autre facteurs. Dans les forêts tropicales humides qui disposent de façon continue et pratiquement sans limites de la chaleur nécessaire le couvert forestier peut être très dense; il laisse pénétrer un minimum de lumière et par conséquent de chaleur. Au contraire, en allant vers des régions plus froides, le couvert forestier s'éclaircit. Il laisse pénétrer ainsi une plus grande quantité de lumière à l'intérieur de la forêt - et en particulier jusqu'au sol - et assure ainsi les conditions indispensables à la vie et à la régénération naturelle de la forêt. Cette situation, due au besoin de chaleur solaire, se répercute sur d'autres influences de la forêt. Dans les forêts denses et sombres, par exemple, une plus grande part des précipitations sont interceptées, les amplitudes thermiques sont plus faibles et la vitesse du vent est freinée de façon plus efficace. Ce phénomène d'amenuisement du couvert se produit également lorsqu'on va vers des régions plus sèches.

FIG. 1.A. - Comparaison de la température moyenne mensuelle de l'air en forêt et en terrain nu; celle-ci est représentée par une ligne horizontale. (D'après Schubert)

FIG. 1.B. - Comparaison de la température moyenne mensuelle de l'air en forêt et en terrain nu; celle-ci est représentée par une ligne horizontale. (D'après Schubert)

FIG. 1.C. - Comparaison de la température moyenne mensuelle de l'air en forêt et en terrain nu; celle-ci est représentée par une ligne horizontale. (D'après Schubert)

Un second facteur du microclimat forestier est la température de l'air. Les forêts des types Aestatisilvae et Aciculisilvae modifient les valeurs extrêmes des températures de l'air en particulier dans les couches les plus proches du sol. Ce changement s'exprime en général par une réduction des maxima et une augmentation des minima: en réalité la température hivernale en forêt ne diffère pas sensiblement de la température hors forêt. Un fait plus courant et bien connu est que le sous-bois en été est plus frais que l'extérieur, surtout lorsque la forêt est dense et sombre; pourtant les recherches sur les forêts méditerranéennes ont montré qu'il ne s'agit en aucune façon d'une règle générale. Ces recherches ont abouti, en fait, à une interprétation différente et peut être plus rationnelle des causes déterminantes de l'influence de la forêt sur la température de l'air.

Cette nouvelle interprétation fut suggérée par un examen des graphiques de Schubert 3 sur l'épicéa, le pin sylvestre et le hêtre (figure 1 A). Ces graphiques mettent en évidence les différences dans les températures moyennes mensuelles entre les forêts des espèces ci-dessus et le terrain nu. Les courbes ne donnent pas la variation réelle des températures mais les différences en plus ou en moins de la température en forêt par rapport à la température à découvert; cette dernière est représentée par une ligne horizontale. D'après les graphiques, le pin sylvestre provoque une très légère chute de la température estivale à l'intérieur de la forêt (2° de moins qu'à découvert) et en hiver il n'exerce pratiquement aucune action. L'épicéa, de son côté, abaisse de façon appréciable la température estivale et l'élève en hiver (près de 3° au-dessus de la température à découvert en janvier). Des trois arbres, le hêtre est celui qui abaisse le plus efficacement la température estivale. D'autre part, il maintient l'air plus chaud à l'intérieur de la forêt qu'à l'extérieur non seulement en hiver mais aussi au printemps 1° de plus en avril par exemple.

3 SCHUBERT, J. Der Jährliche Gang der Luft- und Bodentemperatur in Freien und in Waldungen (Allure de la variation annuelle de la température de l'air et du sol en forêt et hors forêt) Abh. des Preuss. Metereolog. Inst., 1900-1901.

En dépit de ces différences marquées, les graphiques confirment les effets généraux notés pour les forêts tempérées froides des types Aestatisilvae et Aciculisilvae, à savoir l'abaissement de la température moyenne mensuelle en été et son élévation en hiver. Ces différences ne peuvent pas être expliquées en faisant seulement appel à des causes d'ordre physique. Sans doute le couvert forestier joue le rôle d'un écran non conducteur en interceptant les rayons du soleil. Il amortit les mouvements de l'air et freine la dispersion de la chaleur rayonnée par le sol. Pourtant, il est réellement impossible d'expliquer pourquoi la température estivale est beaucoup plus basse dans une forêt de hêtre que dans une forêt d'épicéa, à moins de dépasser l'explication purement physique de l'action des divers couverts forestiers, et de considérer un autre élément, à savoir l'action physiologique. Dans l'action physiologique il faut comprendre essentiellement la transpiration.

La transpiration cause une perte de chaleur, et pendant la saison de végétation cela se traduit par une perte de température. Plus intense est la transpiration, plus grande sera la diminution de température. L'exactitude de cette hypothèse est confirmée par les graphiques de Schubert; en effet, des trois espèces la plus hygrophile est le hêtre et la plus xérophile le pin sylvestre. L'épicéa est entre les deux. Des expériences ont montré qu'en fait le hêtre transpire la plus grande quantité d'eau, tandis que le pin sylvestre transpire le moins. A nouveau, l'épicéa est entre les deux 4. Par conséquent l'abaissement de la température du printemps à l'automne doit être directement proportionnel à l'intensité de la transpiration. Cela est pleinement confirmé par les graphiques.

4 Les chiffres donnés par Kittredge (1948) montrent la consommation de l'eau utilisée par la transpiration au cours d'une saison de végétation: hêtre, 27,4 cm; épicéa, 21 cm; pin sylvestre; 7,4 cm.

Le rôle joué par l'action physiologique dans l'établissement des différences de température en forêt et hors forêt est indiqué par le fait bien connu que la sensation de chaleur en été dans les régions méditerranéennes est plus forte en forêt qu'à l'extérieur. C'est exactement le contraire de la sensation ressentie à l'intérieur d'une forêt d'un climat tempéré ou froid. On pourrait croire que cette sensation opposée est due au mouvement extrêmement lent de l'air à l'intérieur de la forêt. Mais les expériences montrent au contraire que plus nettement xérophiles sont les forêts méditerranéennes, plus faible est la sensation de différence de température entre l'intérieur et l'extérieur.

Les graphiques des figures B et C donnent les courbes des températures mensuelles, comparées avec le terrain découvert, de trois types différents de forêts méditerranéennes: la forêt de pin de Migliarino, la forêt de pin et le «forteto» de Cecina. Le bois de Migliarino comprend des peuplements de Pinus pinea avec un sous-bois de Quercus ilex. Cette station très humide et réellement marécageuse en certains points peut être considérée comme mésophile. Le bois de pin de Cecina contient également des Pinus pinea, mais le sol est sec et sableux et le plan d'eau est très profond. Ce bois est près de la mer et cette situation lui donne, si l'on ajoute l'action du vent, un caractère xérophile. Le «forteto» de Cecina est un taillis dense et impénétrable de chênes verts et d'autres espèces caractéristiques du maquis méditerranéen. Cette végétation et l'aridité de la station confèrent à cette forêt un caractère typiquement méditerranéen et xérophile.

Dans la pineraie de Migliarino, les températures moyennes - contrairement à ce qui se passe dans les forêts d'Europe centrale - restent tout au long de l'année constamment plus basses que les températures extérieures.

Les différences sont cependant très faibles, moins de un degré centigrade. Cela montre que l'action physique du couvert des arbres - qui, en freinant le rayonnement du sol doit éléver la température hivernale par rapport à celle du terrain nu - est complètement annulée parce que le climat doux et l'humidité favorisent une activité végétative continue pendant toute l'année. Ils stimulent donc également la transpiration. En définitive, la transpiration provoque une perte de chaleur et la température devient légèrement inférieure à celle de l'extérieur.

La pineraie de Cecina se comporte de la même façon; elle tend à abaisser constamment la température; il faut cependant noter ici un autre fait: au printemps et en été, la température à l'intérieur de la forêt s'élève de la même façon que la température extérieure; cela tient au fait que l'activité de la transpiration a été ralentie par la sécheresse. En automne, la courbe des minima est nettement plus basse; cela correspond au renouveau d'activité végétative déclenché par les pluies d'automne.

De son côté, le graphique du «forteto» de Cecina accentue le rôle joué par l'action physiologique. Ici les deux courbes suivent un tracé tout à fait contraire à celui relevé dans les forêts d'Europe centrale. Dans les mois les plus froids de l'hiver, la température est à peu près égale à celle de l'extérieur. Une élévation rapide se produit entre le printemps et l'été avec un maximum en avril et mai. Puis vient un léger fléchissement au cours des mois d'été, mais la température à reste toujours supérieure d'environ un degré centigrade, à celle de l'extérieur. En octobre il y a une chute brutale et dans les mois d'automne la température tombe à environ un degré centigrade au-dessous de la température extérieure.

Nous pouvons donner une explication de ces phénomènes. Dans le «forteto», comme dans toutes les formations xérophiles, l'activité de la transpiration est fortement réduite au cours de la saison chaude, du printemps à l'automne. En conséquence la transpiration est elle-même réduite et cela constitue le processus même de l'adaptation xérophile. La transpiration n'étant plus efficace l'action non conductrice du couvert épais de feuilles persistantes élève la température à l'intérieur du taillis au-dessus de la température extérieure; mai' aussitôt que les premières pluies d'automne font reparti' la végétation, la transpiration entre une fois de plus en jeu et la température s'abaisse.

Il est intéressant d'examiner les graphiques (fig. 2) qui montrent les courbes des écarts de température, comparés avec le terrain nu, dans les forêts de hêtre, épicéa, et pin sylvestre (A). Pour chaque espèce la réduction de l'écart mensuel atteint son maximum au cours de la saison de végétation, le hêtre donnant la plus grande réduction et le pin sylvestre à peu près la plus petite Mais dans les trois forêts méditerranéennes la situation est très différente. Dans la pineraie de Migliarino (B) comme dans les trois forêts mésophiles, les écarts de température sont plus faibles qu'à l'extérieur tout au long de l'année. Mais, de même que dans la pineraie de Cecina (C), cette réduction suit un cours différent Dans le «forteto» d'autre part, les écarts de température pendant l'été et l'automne sont plus grands qu'à l'extérieur. Cela est dû à l'élévation des maxima journaliers, parce que l'effet non conducteur du couvert n'est plus compensé par la perte de température provoquée par la transpiration 5.

5 La validité de l'hypothèse que nous avançons ici aurait dû être appuyée sur des mesures mensuelles directes de la transpiration, mais, outre la difficulté d'effectuer de telles mesures, la tâche fut rendue impossible par la destruction pendant la guerre de toutes les stations météorologiques qui auraient permis de relever les valeurs de la température et de la transpiration.

FIG. 2.A. - Comparaison des écarte mensuels de température (température en terrain nu représentée par une ligne horizontale) d'après Müttrich (Ueber den Einfluss des Waldes auf die period. Veränderungen der Lufttemperatur [Influence de la forêt sur les variations périodiques de la température de l'air] - Ztschr. F. und. Jagdwesen, 1890.)

FIG. 2.B. - Comparaison des écarte mensuels de température (température en terrain nu représentée par une ligne horizontale) d'après Müttrich (Ueber den Einfluss des Waldes auf die period. Veränderungen der Lufttemperatur [Influence de la forêt sur les variations périodiques de la température de l'air] - Ztschr. F. und. Jagdwesen, 1890.)

FIG. 2.C. - Comparaison des écarte mensuels de température (température en terrain nu représentée par une ligne horizontale) d'après Müttrich (Ueber den Einfluss des Waldes auf die period. Veränderungen der Lufttemperatur [Influence de la forêt sur les variations périodiques de la température de l'air] - Ztschr. F. und. Jagdwesen, 1890.)

Une situation exactement semblable à celle des forêts européennes mésophiles a été observée même dans d'autres continents. En juillet, une chute de 6 degrés Fahrenheit fut enregistrée dans une forêt climacique à base de Pinus strobus dans l'Idaho tandis qu'une forêt de Tsuga canadensis, dans l'Etat de New York, a donné une chute de 4 degrés Fahrenheit. D'autre part, dans une forêt de Picea engelmanni et Populus du Colorado, à une altitude de 9000 feet (2700 m environ), la chute de la température en juillet fut à peine de un degré Fahrenheit. De toutes les espèces que nous avons mentionnées, le hêtre est celle dont la transpiration consomme le plus d'eau.

Pearson a remarqué que, dans les forêts de Pinus ponderosa de l'Arizona et du Nouveau Mexique, il n'y a en juillet, comme pour les forêts non mésophiles, aucune différence entre les températures en forêt et hors forêt. En même temps, les recherches de Munns sur le «chaparral» californien montrent que ce dernier a un comportement analogue à celui du «forteto» méditerranéen. En fait, le maximum estival de température dans le chaparral excède de 7 degrés Fahrenheit le maximum de température à découvert et les écarts journaliers atteignent 10 degrés Fahrenheit de plus. La moyenne des maxima est pour juillet de 5 degrés Fahrenheit supérieure à celle du terrain découvert. Kittredge (1948) attribue ce fait à la stagnation de l'air causée par le couvert bas et dense. Ce facteur joue certainement un rôle, mais il est lié avec le manque de transpiration; et cela est confirmé par l'étude d'une forêt de Pinus jeffreyi, très voisine de la précédente, dans laquelle Munns fit des observations parallèles. La température maximum est à peine d'un degré Fahrenheit plus élevée qu'à découvert, ce qui montre la nature xérophile de cette forêt.

Un troisième facteur de l'influence de la forêt sur le climat est le vent. L'action du vent est surtout liée à la densité et au développement du couvert et à la densité du peuplement; il est donc évident que la réduction de la vitesse du vent en forêt est proportionnée à ces grandeurs. Le type de forêt, en d'autres termes, n'intervient pas de façon significative. Encore faut-il remarquer que les peuplements d'essences à feuilles caduques ont une action beaucoup moindre lorsqu'ils sont dépouillés que lorsqu'ils sont en feuilles, et que, d'autre part, une éclaircie dans l'étage dominant, indépendamment de son influence sur le mouvement de l'air, a d'autres effets plus ou moins marqués. Le principal de ces effets est l'augmentation de l'évaporation et, par conséquent, une action desséchante dans les climats chauds et secs. Mais dans les climats froids le résultat est une augmentation des écarts de température et en particulier un abaissement des minima.

Il faut noter que le pourcentage moyen annuel de la vitesse du vent dans la pineraie de Cecina, par rapport à la vitesse du vent à découvert, est de 44. Dans la pineraie de Migliarino il est de 17, et 11 dans le «forteto». Les jours de grand vent, l'air à l'intérieur du «forteto» est presque absolument calme. Ajouté à l'abaissement considérable de la transpiration, cela explique pourquoi la température estivale à l'intérieur du «forteto» excède si nettement la température extérieure.

Un quatrième facteur de l'influence de la forêt sur le climat est l'humidité de l'air. Tous ceux qui ont collaboré à ce livre semblent convenir que l'humidité relative ne renseigne pas sur l'humidité de l'air réelle, parce qu'elle dépend de la température; il est pourtant intéressant de comparer entre elles les variations de la température et de l'humidité relative dans les divers types de forêt par rapport au terrain nu. Dans les forêts xérophiles par exemple, les écarts les plus forts des températures journalières sont égalés par les écarts d'humidité atmosphérique. Il est aussi significatif de noter que l'humidité atmosphérique est différente en forêt et hors forêt, alors que les températures sont à peu près égales. Nous trouvons ici une confirmation des différences dans l'intensité de la transpiration entre le hêtre, l'épicéa et le pin sylvestre. De données réunies en Suisse et en Allemagne, peuvent être tirés les pourcentages suivants pour l'augmentation de l'humidité relative par rapport au découvert, pendant les mois d'été - c'est-à-dire pendant la période ou l'activité transpiratoire est à son maximum. Pour le hêtre, le chiffre est de 9,35 pour cent; pour l'épicéa 8,56 pour cent et pour le pin sylvestre 3,87 pour cent. On peut noter que pour le mélèze l'accroissement est 7,85 pour cent. Ce dernier chiffre confirme les résultats d'autres expériences qui toutes ont montré que le mélèze émet de grandes quantités d'eau par la transpiration.

Un cinquième facteur est la température du sol. Le couvert forestier atténue l'échauffement et le rayonnement du sol de façon variable non seulement suivant le type et la densité du couvert, mais aussi suivant les propriétés de ce sol. Les forêts des régions tempérées et froides exercent un effet modérateur sur les écarts de température du sol par l'abaissement des maxima et l'augmentation des minima. Cette action est importante parce qu'elle intéresse les horizons superficiels où se trouve principalement concentrée l'activité biologique. Les forêts méditerranéennes ont, elles aussi, une influence notable sur la température du sol bien que cette action diffère de l'aspect général qu'elle revêt dans les forêts des climats tempérés froids. Même si les différences dépendent des propriétés du sol - facteur très important - elles valent d'être reconnues. Dans la pineraie de Cecina les températures d'été et d'automne à 20 centimètres de profondeur sont plus basses que celles du terrain nu; mais en hiver, à la même profondeur, les températures sont toujours un peu plus basses qu'à découvert. Le même phénomène se produit dans la pineraie de Migliarino, mais il est ici plus marqué et sensible à une profondeur de 50 centimètres. Dans le «forteto», la température est plus basse qu'à l'extérieur tout au long de l'année jusqu'à 50 centimètres de profondeur. En été, les différences à 20 centimètres de profondeur atteignent 7 degrés centigrades. En d'autres termes, l'influence des forêts méditerranéennes ressemble à celles des autres types de forêt en été, mais elle en diffère dans les mois d'automne et d'hiver, quand la température à l'intérieur de la forêt reste plus basse qu'à l'extérieur. Cependant, même dans les forêts méditerranéennes, les écarts de température sont modifiés. En outre, à une profondeur de ml mètre, la chaleur pénètre beaucoup plus lentement que dans les stations humides.

Le sixième et le plus important facteur de l'influence de la forêt sur le climat est la pluviosité. C'est un sujet complexe et controversé et les collaborateurs de cet ouvrage lui ont naturellement accordé une grande attention. Un élément essentiel est le pouvoir d'interception de la forêt. La pluviosité à découvert n'est pas la même que la pluviosité sous le couvert forestier. Celle-ci est exprimée habituellement en pourcentage de la pluviosité à découvert. Les pluviomètres disposés en forêt ne tiennent cependant pas compte de l'eau qui ruisselle le long des branches jusqu'au bas du fût. Cet «écoulement le long de la tige» doit être mesuré séparément avec un appareil spécial. En retranchant cette quantité du pourcentage de l'eau interceptée on obtient la perte par interception vraie. Le rapport des deux termes varie beaucoup suivant les types de forêt. Dans le «forteto» méditerranéen, l'interception est de 35 pour cent et dans le «chaparral» californien elle atteint 38 pour cent. Cependant, dans cette dernière formation, 30 pour cent de l'eau tombée n'est pas réellement intercepté et est évaporé à nouveau; cette proportion gagne le sol par écoulement sur les tiges et ainsi la perte par interception vraie est ramenée à 8 pour cent. Dans un autre type de «chaparral», sur une interception de 19 pour cent, 8 pour cent ruisselle le long des tiges et ainsi la perte vraie est seulement de Il pour cent. L'«écoulement le long des tiges» n'a pas encore été mesuré dans le «forteto» de Cecina mais il est probablement aussi élevé.

Ce type d'écoulement augmente la teneur en eau du sol; en effet, un courant d'eau aussi lent et largement étalé ne peut contribuer au ruissellement superficiel, comme la pluie qui tombe directement sur le sol à travers le feuillage. Pour résumer le rôle que joue l'interception dans un processus complexe, nous pouvons dire que la perte par interception vraie représente une perte définitive de pluie, tandis que l'écoulement le long des tiges contribue à augmenter l'humidité du sol forestier. Néanmoins, les opinions diffèrent sur l'importance de l'interception dans le cycle hydrologique, surtout depuis que des expériences faites en Suisse ont amené Engler à conclure qu'en ce qui concerne le ruissellement sur les sols forestiers, l'interception n'a qu'une importance secondaire par rapport à des facteurs tels que la perméabilité et la porosité de ce sol. Il faut se garder de généraliser. Pourtant, en toute logique, dans une forêt d'essences à feuilles caduques l'interception est beaucoup plus grande lorsque les arbres sont en feuilles que lorsqu'ils sont dépouillés. Par exemple, pour le hêtre feuillé, l'interception peut dépasser 40 pour cent; en hiver, lorsqu'il est dépouillé, elle est seulement de 19 pour cent, mais ces proportions varient à leur tour avec la répartition annuelle de la pluviosité.

Dans les régions méditerranéennes, la pluie tombe surtout en automne et en hiver, et elle est souvent violente et torrentielle. Par contre, dans les régions d'Europe à climat continental, la pluie tombe surtout en été et elle n'est pas fréquemment violente. Or, il existe de nombreux types de forêt communs à ces deux grandes régions climatiques. On trouve des hêtraies, par exemple, aussi bien dans les montagnes méditerranéennes comme les Apennins que dans les plaines d'Europe centrale. En ce qui concerne l'interception, des forêts de hêtre analogues ont un comportement différent dans ces deux régions. Les peuplements des Apennins sont dépouillés de leurs feuilles et par conséquent presque impuissants à intercepter les pluies d'automne et d'hiver gui sont les plus fréquentes et les plus abondantes. En Europe centrale au contraire les hêtres gardent leur pouvoir d'interception maximum car ils sont en pleines feuilles pendant l'été au moment des plus fortes pluies.

Ce fait est souligné par les diagrammes (fig. 3) qui donnent la répartition mensuelle de l'interception par rapport à la répartition de la pluviosité dans les hêtraies à Vallombrosa et à Berlin. Si nous supposons que les pouvoirs d'interception sont égaux, les hêtraies de Berlin interceptent 100 millimètres et laissent passer 131 millimètres sur une pluviosité totale de 231 millimètres pour les mois de juillet, août et septembre. Cependant, pour le mois de novembre, nous trouvons que sur une pluviosité mensuelle de 47 millimètres, 36 passent et 11 seulement sont interceptés tandis qu'à Vallombrosa il en passe 124 sur 161.

FIG. 3. - A. Variation de l'interception dans une forêt de hêtre sous deux type., de répartition des pluies, décembre-novembre (d'après Schubert).

FIG. 3. - B. Pluie interceptée (partie hachurée) et non interceptée (partie blanche) d'après les pourcentages donné., ci-dessus, relevés dans une forêt de hêtre sous le climat de Berlin.

FIG. 3. - C. Même phénomène qu'en B dans une forêt de hêtre des Appennins toscans (Vallombrosa).

La réalité est toute différente car l'interception ne peut être égale à Vallombrosa et à Berlin. L'interception est inversement proportionnelle à l'intensité de la pluviosité. Dans les bois de hêtre - comme de toute autre espèce à feuilles caduques - croissant en climat méditerranéen avec ses pluies d'hiver torrentielles caractéristiques, l'interception est en fait extrêmement faible pendant cette saison. Elle a donc peu d'effet sur le ralentissement du ruissellement.

Les peuplements de chênes et surtout de châtaigniers sont encore moins efficaces car ils sont moins denses. D'autre part, en climat méditerranéen où la pluie est concentrée en automne et en hiver, la végétation à feuilles persistantes joue un rôle important lorsqu'elle est dense, comme dans le «maquis» et dans les formation analogues. Dans le «maquis» l'interception atteint des chiffres très élevés dus en grande partie au ruissellement sur les tiges, et, dans ces conditions, l'interception devient un facteur extrêmement important du cycle hydrologique. On peut noter accessoirement que le couvert d'un arbre peut influencer l'interception plus par sa surface que par sa densité. Alors que la pineraie de Cecina était âgée de 77 ans, avec une densité d'environ 400 arbres à l'hectare, le pourcentage d'interception relevé, pour la période de 1932-35, était de 26,23. Dans la forêt de Migliarino, âgée de 55 ans, avec seulement 95 arbres à l'hectare, le pourcentage d'interception relevé était de 37,7.

Les divers types de forêts se comportent de façon différente même en ce qui concerne l'évaporation, car ils combinent leur action propre avec l'action réciproque du climat. Un couvert végétal analogue produira une réduction plus marquée de l'évaporation par rapport au terrain nu lorsque le climat est chaud et les vents intenses. Cette réduction sera beaucoup plus grande par exemple dans les climats méditerranéens que dans les climats océaniques ou continentaux. Dans la pineraie de Cecina, l'évaporation annuelle est 42 pour cent de ce qu'elle est en terrain nu, à Migliarino elle est de 53 pour cent et dans le «forteto» à feuilles persistantes elle atteint environ 60 pour cent.

Si nous passons des moyennes annuelles aux moyennes mensuelles, nous voyons que dans les climats chauds et secs l'influence de In forêt est très forte pendant l'été ainsi que pendant les mois où les vents violents sont fréquents. Dans une forêt de Pinus ponderosa en Arizona, l'évaporation a atteint en fait 70 pour cent du chiffre relevé à découvert 6; et ce chiffre a été souvent dépassé dans le «forteto» de Cecina. Suivant la période de l'année où tombent les pluies, cette chute brutale de l'évaporation à l'intérieur de la forêt peut avoir des effets très différents sur les ressources hydriques. Quand l'été est sec, l'effet sur le ruissellement est négligeable et c'est la croissance des arbres qui en tire profit. D'autre part, en saison pluvieuse, la diminution de l'évaporation est en proportion inverse de l'interception. Ainsi, une évaporation réduite peut aboutir à un ruissellement plus fort sur des terrains boisés que sur des terrains nus. On peut noter que, en ce qui concerne les ressources en eau totales, l'évaporation et la transpiration doivent être étudiées ensemble car leurs effets peuvent être cumulatifs ou complémentaires. Des expériences faites aux Etats-Unis ont montré que si la destruction du sous-bois augmente l'évaporation elle supprime la perte d'eau représentée par la transpiration de ce sous-bois.

6 PEARSON, 1931.

Forêts tropicales

Les forêts tropicales les plus luxuriantes et les plus caractéristiques sont les forêts à feuilles persistantes des zones équatoriale et tropicale humides. Elles sont connues sous le nom de forêts denses tropicales et les climats sous lesquels elles poussent ont des températures constamment élevées avec de faibles écarts. La température moyenne annuelle varie entre 20 et 28 degrés centigrades et la moyenne annuelle des écarts mensuels est d'environ 5 degrés centigrades. Dans certaines zones ce dernier chiffre est seulement de un degré centigrade. Les écarts journaliers vont de 3 à 16 degrés centigrades. Sous l'équateur les maxima dépassent rarement 33 à 34 degrés centigrades, alors qu'ils peuvent atteindre 50 degrés centigrades sous les tropiques. La pluviosité moyenne annuelle dépasse 2000 millimètres et peut atteindre parfois 4000 millimètres; exceptionnellement elle peut même dépasser 10 mètres. Cette pluviosité est assez uniforme; en effet, même lorsqu'il existe des saisons que l'on peut qualifier de «sèche» et d'«humide», la pluviosité mensuelle dépasse 1000 millimètres dans les mois secs. De toute façon, la périodicité de la pluviosité a moins d'influence sur les types de forêts que sur les cycles biologiques de la floraison et de la fructification. Les limites de la forêt tropicale humide correspondent sensiblement à une pluviosité de 1650 à 1900 millimètres par an avec des moyennes mensuelles de 200 millimètres 7.

7 60 millimètres seulement d'après Köppen.

L'humidité atmosphérique est en général élevée, elle atteint 93 à 94 pour cent et descend rarement au-dessous de 70 pour cent. Mais les hautes températures provoquent des déficits de saturation très importants. Sauf dans les cas d'ouragans, de tornades et de typhons, le vent est habituellement moins violent que dans les régions tempérées.

On pourrait penser que le microclimat n'est pas sensiblement différent dans une forêt tropicale de celui qui règne à l'extérieur. Mais il faudrait disposer de données expérimentales et celles-ci sont extrêmement rares. Le microclimat interne des forêts tropicales a été assez bien étudié quoique sur des périodes de temps trop courtes. Mais les chiffres qui permettraient de comparer les microclimats interne et externe sont des plus rares.

Un des éléments d'incertitude qui interviennent dans la comparaison des forets tropicales avec celles des climats tempérés froids est le gradient de température - c'est-à-dire la variation de la température suivant la hauteur au-dessus du sol. Dans la jungle de la zone du canal de Panama le gradient de température entre 0,60 mètre et 46 mètres au-dessus du sol varie d'à peine 2 degrés à midi à 1,7 degrés à 6 heures du matin. Ailleurs, dans des forêts tropicales très diverses, les gradients sont cependant beaucoup plus marqués et irréguliers. Dans le sous-bois dense on trouve généralement, à une hauteur de 1 à 2 mètres, une température beaucoup plus basse. Celle-ci augmente graduellement lorsqu'on s'élève vers la voûte des arbres, pour atteindre un maximum au-dessus de celle-ci, au niveau des arbres dominants, avec une différence de 5 à 6 degrés centigrades. «Il est évident», dit Richards «qu'il existe plus d'un type de gradient de température dans la forêt dense» 8.

8 RICHARDS, P. W. The Tropical Rain Forest (La forêt dense tropicale).

Il est tout à fait logique de supposer que les températures des strates inférieures de la forêt diffèrent plus des températures extérieures que celles relevées au niveau de la cime des essences dominantes. L'humidité atmosphérique doit varier suivant la même loi, et de même la lumière doit perdre un peu de son intensité - tout en restant encore très forte - suivant la densité et la structure des diverses strates de végétation. Une des rares observations comparatives fut réalisée par Carton et Sallenave dans la forêt expérimentale de Trang Bom en Indochine. Quelques uns des résultats qu'ils ont obtenus pendant la période d'observation de 1933 à 1937 sont donnés ci-dessous:

TABLEAU 1. - TEMPÉRATURES DE L'AIR

Rubrique

Hors forêt

En forêt

Différence


Degrés centigrade

Moyenne annuelle des maxima

32,1

28,4

-3,7

Moyenne annuelle des minima

21,4

22,5

1,1

Différence

10,7

5,9

-4,8

Amplitude diurne

maximum

18,5

13,5

-5,0

minimum

1,0

0,3

-0,7

Différence entre le maximum absolu et le minimum absolu pendant toute la période d'observation

27,7

24,0

-3,7

TABLEAU 2. - HUMIDITÉ RELATIVE

Rubrique

Hors forêt

En forêt

Différence


Pourcentage

Moyenne annuelle à 6 heures

97,9

96,7

-1,2

Moyenne annuelle à 14 heures

67,1

82,3

15,2

Différence

30,8

14,4

-16,4

Plus grande différence entre les températures moyennes mensuelles à 6 heures et à 14 heures

51,8

42,9

-8,9

Plus petite différence entre les températures moyennes mensuelles à 6 heures et à 14 heures

10,7

2,7

-8,0

Différence entre le maximum absolu et le minimum absolu à 14 heures pendant toute la période l'observation

77,0

72,0

-5,0

TABLEAU 3. - EVAPORATION

Rubrique

Hors forêt

En forêt

Différence


Millimètres

Total pour l'année moyenne

702,2

297,5

-404,7

Plus fort total mensuel

126,4

67,1

-59,3

Plus bas total mensuel

26,2

6,6

-19,6

Total moyen par 24 heures

1,9

0,8

-1,1

Maximum par 24 heures dans toute la période d'observation

8,3



De son côté P. H. Gérard a étudié une forêt secondaire près de Bambesa, au Congo belge. Cette forêt a une structure très complexe; quelques unes des principales observations faites en comparant la forêt et le terrain nu pour la période 1952-53 sont données ci-après:

«La température de l'air est diminuée, les variations saisonnières sont parallèles, l'influence tropophile est appréciable. La tension de vapeur d'eau est toujours très élevée et le déficit de saturation très faible. La température du sol est toujours plus basse, l'écart journalier beaucoup plus bas et l'écart saisonnier assez marqué. L'interception de la pluie par la forêt représente 14,2 pour cent de la quantité enregistrée par six pluviomètres situés dans un rayon de 10 mètres autour de la station et 23,7 pour cent de celle mesurée par vingt trois pluviomètres installés dans le même rayon et pour la même période. Les taux d'évaporation sont bas et les variations sont parallèles à celles observées en terrain découvert. La moyenne des chiffres mensuels en forêt est 25,4 pour cent de celle obtenue hors forêt sous abri et 15,2 pour cent de celle obtenue hors forêt sans abri. Le pourcentage de l'évaporation nocturne est plus élevé en forêt que hors forêt, la vitesse du vent à l'intérieur de la forêt atteint pendant une courte période de temps 6 pour cent de celle relevée hors forêt.

Ces données, qui ne comprennent pas de chiffres sur la lumière et la vitesse du vent dans la forêt ne peuvent caractériser qu'un seul type de microclimat forestier. Il est tout à fait certain cependant que chaque type de formation possède son propre microclimat.»

Les observations de Gérard montrent que, de même que les forêts hygrophiles et mésophiles des pays tempérés, les forêts tropicales elles aussi abaissent la température moyenne annuelle surtout en diminuant les minima, et, en même temps, elles abaissent les écarts de température annuels, mensuels et journaliers. Les différences en ce qui concerne l'humidité relative sont faibles; elles sont d'ailleurs peu significatives car dans les climats tropicaux le principal facteur écologique est le déficit de saturation. D'autre part, l'évaporation présente une chute brutale, ce qu'on pouvait logiquement prévoir en raison du couvert très dense. La diminution de l'évaporation se traduit par un gain du bilan hydrique, mais la transpiration joue dans le sens opposé, même si elle concourt à élever l'humidité de l'air - au moins dans un certain rayon.

Il existe peu d'études sur le coefficient d'évapo-transpiration. Ainsi, Bernard dans son rapport de 1953 9 a calculé l'évapo-transpiration moyenne annuelle pour l'immense zone forestière du Congo Belge qui couvre un million de kilomètres carrés. Il emploie la formule classique (E + T) = (P - D) où E + T est l'évapotranspiration, P la pluviosité et D le ruissellement. D'après cette formule l'évapo-transpiration est d'environ 1025 millimètres pour la savane et 1500 millimètres pour la forêt équatoriale.

9 L'évapo-transpiration annuelle de la foret équatoriale congolaise et son influence sur la pluviosité. Comptes rendus du 11e Congrès U.I.I.R.F. - Rome, 1953.

Une autre méthode de calcul est celle de la balance énergétique. Cette méthode est familière aux géophysiciens et fut d'abord appliquée aux problèmes d'évaporation des lacs. Elle est basée sur la perte de calories par gramme et par centimètre carré pour l'évaporation d'un millimètre d'eau. La formule de base pour ce calcul a comme principal coefficient l'albedo, ou rapport entre la radiation reflétée et la radiation totale. L'albedo est rarement connu pour les forêts, mais les premiers chiffres obtenus grâce à des mesures faites en avion ou en hélicoptère ont montré des variations de 3 à 10 pour cent.

Bernard recommande à juste titre un programme de recherches commun sur l'albedo; en effet, celui-ci est un facteur essentiel à la fois pour les études sur la balance énergétique et pour toute recherche fructueuse sur les influences hydrologiques de la forêt. Si, remarque-t-il, l'évapo-transpiration est considérée fondamentalement comme un problème d'énergie, elle devient indépendante de la masse végétale qui produit l'évaporation et la transpiration. Un couvert herbacé de quelques centimètres de haut peut, en fait, avoir une évapo-transpiration supérieure à celle d'une forêt équatoriale dense de 30 à 40 mètres de hauteur; cela a été confirmé par des expériences faites sur des champs régulièrement irrigués de Paspalum notatum de hauteurs diverses. Les résultats indiquent une consommation d'eau voisine des 1385 millimètres calculés approximativement pour la forêt congolaise. En d'autres termes, l'influence de ces énormes forêts ne diffère pas beaucoup de celle des terrains couverts de graminées ou de la savane. Cette expérience renforce la théorie suivant laquelle la forêt équatoriale est l'effet et non la cause de la forte pluviosité de la dépression du centre du Congo.

Sous les tropiques, il existe une grande variété de types de transition entre la forêt et la savane qui est une formation herbacée avec des arbres épars. Les formes de passage peuvent partir de la forêt tropicale humide ou de la forêt à feuilles caduques. De grandes étendues de savane ne sont pas indigènes au sens écologique du terme; elles sont, en effet, le résultat d'une évolution régressive de la forêt qui, en règle générale, a été causée par le feu. Cette évolution régressive a été extrêmement fréquente et étendue, surtout en Afrique et en Amérique du Sud. Il est donc difficile de distinguer les frontières écologiques réelles entre la forêt et la savane, et ces frontières à leur tour varient avec les conditions climatiques. Les données expérimentales sur les forêts tropicales à feuilles caduques ne sont pas suffisantes pour nous permettre d'établir des comparaisons avec les microclimats des autres grands types de forêt.

Il est néanmoins logique de supposer que les forêts tropicales à feuilles caduques, qui sont feuillées pendant la saison des pluies, exercent leur pouvoir d'interception maximum au cours de cette période. Il est également logique de supposer qu'elles exercent des influences analogues sur beaucoup de points à celles d'autres forêts; par exemple, la réduction de l'intensité lumineuse, qui atteint naturellement son maximum au cours de la période de végétation, et le ralentissement de la vitesse du vent et de l'évaporation. Il est clair que ces actions dépendent de la densité et de la structure du couvert forestier. Leur effet s'atténue graduellement à mesure que le couvert forestier devient plus clairsemé et aboutit finalement à la savane.

Effets a longue distance

Les bords de la forêt, c'est bien connu, présentent des conditions spéciales qui peuvent être appelées «microclimats de lisière» et qui peuvent avoir une certaine importance pour les terrains agricoles limitrophes. Ce microclimat de lisière diffère des microclimats interne et externe par le fait qu'il présente un écart de température plus marqué dû à la réflexion. Les expériences faites dans les pineraies de Cecina et Migliarino et dans le «forteto» ont montré, par comparaison avec la température extérieure, une augmentation du maxima estival de 1 degré centigrade dans les pineraies et d'environ 2 degrés centigrades dans le «forteto».

Mais les chercheurs italiens ont réalisé des expériences concernant un autre problème important: la transmission des éléments du microclimat forestier verticalement et non plus horizontalement. Ils ont envoyé des ballons-sondes avec des instruments de mesure jusqu'à une hauteur de mille mètres. Ces expériences ont été suggérées par les phénomènes remarqués depuis longtemps par les pilotes volant au dessus de régions boisées. Elles furent également suggérées par la loi de physique élémentaire suivant laquelle les courants d'air chaud montent et les courants froids descendent, alors qu'aucun courant ne se propage horizontalement, sinon sous l'action du vent.

Les résultats de ces expériences ont montré que les forêts les plus mésophiles - la pineraie de Migliarino - et les forêts les plus xérophiles - les «forteti» - exerçaient des influences très diverses. Comparée avec celle du terrain nu, la température au-dessus de la pineraie de Migliarino restait constamment plus basse jusqu'à 500 mètres de hauteur, et les différences maxima étaient relevées pendant la nuit. A mille mètres, d'autre part, ces différences devenaient moins marquées et n'étaient appréciables que le matin. En d'autres termes, les particularités du microclimat de la pineraie température plus basse que la température extérieure, due surtout à la transpiration - se font sentir jusqu'à une hauteur supérieure à 500 m; mais au-dessus du «forteto», où la température estivale est plus élevée qu'à l'extérieur, la chaleur se fait sentir jusqu'à une hauteur de 500 mètres et la différence de température peut atteindre 3,4 degrés centigrades. Cet échauffement de l'air au-dessus de la forêt se produit plus graduellement et avec des écarts plus faibles qu'en dehors de la forêt. A mille mètres, l'effet est atténué en ce sens que la température nocturne - en fait, de l'après-midi au matin suivant - reste supérieure à celle qui règne au-dessus du terrain nu. Elle décroit du début de la matinée jusqu'à midi.

Un des principaux effets à longue distance de la forêt est le freinage de la vitesse du vent. On a depuis longtemps remarqué l'influence favorable des forêts sur l'agriculture, là où les terrains agricoles alternent avec des zones plus ou moins boisées. On dispose maintenant d'une grande masse de renseignements sur l'influence des rideaux brise-vent. Des expériences faites en Italie ont montré que, même lorsque la forêt couvre une grande surface, la protection contre le vent n'est sensible qu'à une distance de la lisière égale à 10 ou 12 fois la hauteur des arbres. Nägeli en Suisse est arrivé à des conclusions analogues.

Une question ardemment débattue est celle de savoir si la forêt peut accroître la pluviosité ou pour le moins améliorer sa distribution. Il faut distinguer les influences locales de l'action à longue distance. L'influence locale dépend surtout de l'effet produit au-dessus de la forêt par le refroidissement de l'air qui modifie le déficit de saturation, indépendamment de toute augmentation de l'humidité de l'air au-dessus de la forêt. Quand le déficit de saturation est très bas, la légère chute de température pourrait augmenter la pluviosité de quelques 2 à 3 pour cent dans certaines régions tempérées montagneuses ou qui ont des étés orageux. Dans les climats chauds cependant, lorsque le déficit de saturation est très élevé, la forêt ne peut jamais refroidir suffisamment l'air pour amener la pluie.

Dans les forêts méditerranéennes, nous l'avons vu, ce refroidissement n'a pas lieu. Au contraire, l'air est plus chaud au-dessus de la forêt; l'humidité absolue restant la même, le déficit de saturation s'en trouve accru. Une autre influence locale sur la pluviosité est représentée par le ralentissement que la forêt peut exercer sur les courants d'air déjà chargé d'humidité au point de condensation. Cet effet de freinage et de friction du couvert forestier sur les courants d'air peut être appelé «effet orographique»; il est à peine sensible dans les régions montagneuses, mais, dans les plaines des régions tempérées, il peut accroître de 3 pour cent la pluviosité locale.

Beaucoup pensent encore que les forêts augmentent - ou plutôt améliorent - la répartition des pluies sur de vastes régions. Ce problème prête beaucoup à discussion et il reste non résolu. Même en éliminant les autres facteurs - dont certains peuvent ne pas être complètement connus - il n'est pas logique d'attribuer à la forêt une grande influence sur le plan général, alors que son influence locale est si évidemment modeste. Les systèmes pluviaux sont déterminés principalement par la nature cyclique des pluies et par les lignes générales du relief. En comparaison, les forêts jouent un rôle très accessoire. La forêt exerce une influence importante sur la conservation du sol et des eaux. En d'autres termes elle exerce une influence importante sur l'équilibre de la nature et sur la vie de l'homme. Il est donc de peu d'intérêt de chercher à découvrir d'autres influences qui sont encore hypothétiques.

Cette incertitude s'applique non seulement aux forêts qui comme celles des régions tempérées froides - ont fait l'objet de nombreuses recherches. Elle existe également pour les forêts tropicales peu étudiées. Il est peu probable que les forêts des régions équatoriales et tropicales humides - y compris celles des zones montagneuses - puissent exercer une influence appréciable sur la pluviosité. Etant donné le déficit de saturation atmosphérique important qui y règne, cette influence n'est pas moins improbable dans les climats tropicaux arides. Carton et Sallenave pensent que «les graves conséquences du déboisement dans les climats arides ou dans les climats qui présentent des périodes de sécheresse ne sont pas dues à des changements du climat général mais à la destruction du microclimat forestier. Le microclimat des forêts conditionne directement le climat du sol de ces forêts et ces deux éléments sont des facteurs essentiels dans le cycle de la matière organique et dans le régime hydrique du sol». «Il existe de fortes présomptions» écrit Hughes, «pour que la présence de forêts augmente la pluviosité locale, mais les effets sur le plan régional et continental n'ont pas été démontrés. C'est sur cet aspect particulièrement important des influences de la forêt que nos connaissances laissent le plus à désirer» 10.

10 «The influence of forests on climate and water supply» (L'influence des forêts sur le climat et les ressources en eau). Forest Abstracts, Volume 2, 1949.

Influence sur le sol

Dans les diverses phases de l'évolution progressive de la forêt vers le climax, les groupements végétaux correspondants modifient la station et préparent la voie aux associations caractéristiques de la phase suivante, cela jusqu'à ce que le climax soit atteint. Le même processus intervient au cours de l'évolution régressive qui se produit après l'altération de la formation climacique ou sa disparition. Dans la dernière phase de cette évolution régressive, l'érosion peut faire disparaître complètement le sol forestier, mais, sous chaque type de climat - sauf au voisinage des limites dues au froid et à la sécheresse partout, où l'évolution progressive de la végétation forestière peut se développer sans interférence extérieure (surtout celle de l'homme) c'est la forêt qui protège le sol de la manière la plus complète et la plus efficace.

Il est vrai que l'érosion ne peut être complètement éliminée parce qu'elle est un élément de la grande loi de la nature qui règle le lent modelage du relief terrestre. Mais il est également vrai, qu'en pratique, le couvert végétal protecteur de la forêt réduit l'érosion à son minimum. Même les végétaux forestiers de petites dimensions - les broussailles des régions chaudes et sèches par exemple - constituent une bonne défense aussi longtemps qu'ils sont assez denses. Contre les autres mouvements du sol, notamment les glissements de terrain, les forêts ne jouent pas toujours un rôle de défense. Certaines des interférences de la forêt et du sol vont de soi: destruction de grandes zones par le feu, les avalanches ou les ouragans. D'autres influences perturbatrices, quoique moins visibles, peuvent avoir une importance capitale, surtout lorsqu'elles agissent pendant une longue période de temps. Une des plus typiques de ces influences est celle des exploitations qui modifient plus ou moins la structure naturelle de la forêt. Une autre est le pâturage en forêt; celui-ci, par le piétinement du bétail, tasse le sol qui perd sa porosité et devient imperméable. Ceux qui font valoir que la forêt n'offre pas une défense suffisante contre l'érosion devraient se rappeler que cette forêt a pu être plus ou moins dégradée, même si cette dégradation ne se traduit pas apparemment sur le couvert forestier.

Les sols des forêts tropicales diffèrent très nettement de ceux des autres types de forêt. Le plus commun est le sol de latérite, avec une très faible couche d'humus en surface. Bien que les forêts denses aient une énorme masse de feuillage, la couverture morte est très mince. En fait, la couche de feuilles et d'autres débris forestiers, rameaux et écorces, atteint à peine 3 centimètres, car ils sont rapidement transformés en humus. Sauf dans les petites dépressions où elles s'accumulent, la teneur en matières organiques, même dans les forêts denses de plaine, représente à peine 1 à 2 pour cent d'un horizon superficiel d'environ 10 centimètres. Cela est dû à l'action intense et complexe des micro-organismes et au processus purement chimique d'oxydation.

Il est surprenant qu'en dépit du lessivage continuel du sol et de la perte de ses éléments minéraux, la végétation de la forêt tropicale soit si luxuriante, bien plus que celle des sols pourtant plus riches des climats secs ou de la savane. Cependant, la plus forte teneur en éléments minéraux nutritifs se trouve dans les horizons superficiels qui sont continuellement engraissés par les débris végétaux et où se développe la plus grande partie des systèmes radiculaires.

La roche-mère joue un rôle plus important pour l'infiltration que pour l'alimentation en éléments minéraux, et la richesse du sol superficiel peut se dissiper facilement dès que le couvert est interrompu. C'est le cas surtout lorsque la forêt est brûlée ou exploitée en vue de l'établissement de terrains de culture. Cette perte brutale de fertilité a été remarquée partout dans le monde. Au Honduras britannique, où la pluviosité annuelle, d'environ 1800 millimètres, n'est pas excessive, la récolte de maïs sur des terrains forestiers défrichés tombe au tiers ou au quart la troisième année. Un autre exemple est fourni par les plantations de café au Brésil. Les sols épuisés peuvent être restaurés par de nouvelles plantations mais à condition que l'espèce employée soit différente de celle de la foret primitive.

La forêt exerce une influence qui contraste avec celle des autres couverts végétaux, notamment des graminées. Celles-ci, lorsque leur tapis est dense et non foulé, fournissent une défense efficace contre l'érosion superficielle, mais elles n'affectent la porosité du sol que dans une couche relativement mince, tandis que la forêt fouille jusqu'à une profondeur bien plus grande. Le couvert herbacé favorise le ruissellement superficiel, d'autant plus qu'il est rapidement saturé, tandis que la forêt, en l'absence de toute perturbation extérieure, tend à favoriser l'infiltration et l'absorption de l'eau et à augmenter les ressources souterraines. La forêt est plus qu'une défense contre l'érosion, elle constitue aussi une admirable protection du sol végétal sur les terrains les plus stériles et les plus improductifs, et elle augmente leur valeur. Détruire la forêt ou la remplacer par une forme moins favorable d'exploitation peut avoir des conséquences désastreuses sur la productivité du sol par l'augmentation des risques d'érosion. De nombreuses régions du monde se lamentent sur ces conséquences: l'empiétement du désert et les tempêtes de sable et de terre qui, partant des zones dénudées, balaient les régions riches et fertiles.

Brise-vent et rideaux-abris

L'usage hardi des brise-vent et des rideaux-abris est un bon moyen d'améliorer la productivité du sol. La forêt couvre les territoires où le climat - température et humidité - est favorable à sa croissance. Les étendues boisées sont énormes et elles coïncident largement avec les régions qui conviennent le mieux à l'installation des hommes. Nous devons à l'intervention humaine deux faits qui ont eu de très lointaines conséquences: d'abord les forêts climaciques ont été largement et plus ou moins complètement transformées et modifiées par l'homme. En second lieu, la forêt a disparu sur d'immenses étendues. Après son recul, elle a laissé la place à des cultures et à diverses plantes, des arbrisseaux aux broussailles. Elle est devenue steppe ou marais. Au stade ultime elle est devenue désert.

Si l'homme n'était jamais intervenu, il n'y aurait pas aujourd'hui cette profonde différence entre le potentiel forestier du monde et les zones forestières réellement existantes. Si l'homme cesse d'intervenir la forêt peut réoccuper tout le terrain perdu qui, en fait, lui appartient. Elle peut évoluer vers le stade climacique et atteindre l'équilibre stable représenté par la triade du climat, du climax forestier et du sol climacique Si jamais cette situation hypothétique était atteinte - il en existe très peu d'exemples, même dans les zones les moins influencées par l'homme - les climats de ces immenses étendues de terrains seraient un aggrégat de microclimats forestiers. Mais l'homme civilisé vit dans un monde profondément modifié; l'équilibre naturel exprimé par la triade est plus ou moins gravement miné. Toutes les civilisations ont passé, en fait, par une phase primitive dans laquelle l'homme détruisait la forêt. Elle fut toujours suivie par une autre phase dans laquelle il essayait de rétablir la forêt et de la défendre, car il avait l'expérience des terribles effets du déboisement.

La forêt survit encore dans les pays peuplés par l'homme. Suivant les conditions locales, elle est plus ou moins morcelée et alterne avec les terres cultivées. Ailleurs elle prédomine, là où l'agriculture est moins rentable et où le rôle protecteur de la forêt - en montagne par exemple - est nettement reconnu. En d'autres endroits la forêt a disparu sans laisser de trace. Les changements climatiques provoqués par le déboisement sont d'étendue variable. Le climat actuel, dans une région donnée, diffère de son climat naturel - le climat forestier - proportionnellement à l'étendue et à la gravité du déboisement.

Les besoins des populations rendent aujourd'hui impossible le rétablissement de la forêt sur toute l'étendue de son domaine potentiel; nous devons donc faire face au problème suivant: par quels moyens pouvons-nous retrouver, au moins jusqu'à un certain point, l'équilibre naturel transformé ou détruit 7 Il est reconnu actuellement qu'une des méthodes les plus efficaces est la plantation de rideaux brise-vent, tout aussi bien qu'un accroissement général du reboisement. Cela est aussi vrai pour les régions à forte production et à culture intensive que pour les régions de pâturage. L'emploi de rideaux d'arbres permet d'étendre la forêt au delà des limites où elle pousse normalement. On peut l'étendre, par exemple, dans les terrains steppiques. Grâce au labour, à l'irrigation, aux engrais, et à d'autres moyens, nous pouvons installer des arbres dans un milieu qui leur était naturellement hostile.

Il existe certains exemples frappants de l'influence des brise-vent sur la productivité des terres cultivées qu'ils protègent. Nous avons là, en fait, un des meilleurs arguments pour recommander la plantation d'arbres sur les terrains complètement déboisés que l'on veut amener à un niveau élevé de production. Les arbres sont ici un des instruments fondamentaux de l'amélioration et de la récupération de terres nouvelles. Accessoirement, il est intéressant de noter le rôle que peuvent jouer les plantations hors forêt dans la production du bois. Celle-ci est souvent un élément essentiel de l'économie des campagnes aussi bien que des villes. Le revenu en argent représenté par le bois des rideaux-abris est un sujet qui n'entre pas dans le cadre de cet article, néanmoins il est bon de se rappeler que très souvent le point de vue financier peut être essentiel dans Un programme de plantation.

Influence sur les ressources en eau

Le problème de l'influence de la forêt sur les ressources en eau est longuement traité par Wilm 11.

11 H. G. Wilm, L'influence de la végétation forestière sur l'eau et le sol. Unasylva, Vol. 11, N° 4.

C'est non seulement un problème vaste et à longue portée en lui-même, mais il est lié au problème plus large et plus complexe de l'influence de la forêt sur les cours d'eau et éventuellement les bassins de réception. Un des facteurs essentiels de l'effet de la forêt sur le cycle de l'eau est l'état du sol en ce qui concerne la porosité et la perméabilité. Toute action qui tend à réduire cette porosité naturelle est - outre son effet défavorable sur La structure, la croissance et la productivité de la forêt - un facteur considérable de l'augmentation du ruissellement. Aux exemples d'intervention nuisible de l'homme, on peut ajouter l'enlèvement de la litière forestière, l'emploi de tracteurs à chenilles et aussi les conséquences parfois malheureuses de la construction de routes en forêt.

Il faut également attirer l'attention sur les lacs et réservoirs artificiels; ils sont souvent construits sans considération suffisante du mouvement de l'eau dans le bassin de réception principal et dans les bassins supérieurs qui l'alimentent. Si ces derniers ne sont pas suffisamment garnis d'arbres - ou tout au moins de plantes qui assurent un couvert continu - l'érosion peut prendre des proportions extrêmement graves, surtout lorsque la pluviosité est très forte. Beaucoup de réservoirs ont été rendus inutilisables en peu d'années par envasement parce qu'aucune mesure n'avait été prise pour assurer la conservation du sol dans la zone d'alimentation, en particulier par le reboisement. De graves problèmes en ont été la conséquence en Afrique du Nord et en Sicile.

Dans certains pays, il n'est pas possible de dépasser un certain taux de boisement dans les bassins de réception et ceci est souvent le cas lorsque la densité de population est élevée. De vastes programmes de travaux sont alors nécessaires. D'un côté ils doivent assurer une répartition rationnelle du terrain entre la forêt et les cultures. D'un autre côté toutes mesures doivent être prises pour que le terrain non boisé exerce une influence qui soit autant que possible analogue à celle de la forêt. L'amélioration des bassins de réception ne concerne pas seulement les ingénieurs forestiers. Elle intéresse un plus large cercle d'experts, et tous doivent agir dans le cadre d'une politique rationnelle d'utilisation des terres. Ce besoin d'un politique hardie est discuté et soutenu par Wilm.

Aux Etats-Unis tout au moins, il est officiellement reconnu que «l'agriculture et la structure sociale ne peuvent être considérées comme satisfaisantes que dans une région d'eaux claires» 12.

12 A Water Policy for the American People. U.S. Government Printing Office.

RÉUNIONS PRÉVUES


1960


25 août - 16 septembre

Cinquième Congrès forestier mondial

Seattle (Etats-Unis)


Secrétaire exécutif: Dr. I. T. Haig



Executive Secretary, Organizing Committee



Fifth World Forestry Congress



Departement of State, Washington 25, D.C.


Octobre ou novembre

Conférence de la pâte et du papier en Extrême-Orient

Tokyo (Japon)

Février

Commission des forêts pour l'Asie et la Région du Pacifique

Inde

Septembre ou octobre

Commission des forêts pour l'Amérique latine


Novembre ou décembre

Commission des forêts pour le Proche-Orient



1961



Deuxième Conférence mondiale de l'eucalyptus

Brésil


Consultation internationale sur les contreplaqués



Commission des forêts pour l'Europe



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