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Le rôle de la forêt dans le développement économique de monde 1

1 Discours prononcé au cinquième Congrès forestier mondial, 1960.

EGON GLESINGER, Directeur de la Division des forêts et produits forestiers

En 1960, les forêts du monde entier produiront à peu près 1700 millions de mètres cubes de bois ronds. Ce volume, qui représente en poids environ 1350 millions de tonnes, peut être mis en parallèle avec la production mondiale des céréales, 800 millions de tonnes, ou de l'acier, 290 millions de tonnes.

La valeur des produits forestiers primaires avoisinera 35 milliards de dollars - soit le même ordre de grandeur que le revenu national de pays comme la France, l'Allemagne ou le Royaume-Uni, et environ le quart de la valeur estimée de la production alimentaire mondiale. Les industries forestières primaires emploieront quelque cinq millions d'individus, les industries de transformation à peu près autant; cinq à six millions seront occupés dans les exploitations et environ un million et demi pour la culture et l'entretien des forêts. Ainsi, la forêt et les industries forestières fourniront un emploi à 17 à 18 millions d'individus, sans compter ce que des millions d'agriculteurs retireront de leurs petits bois, ou les collectivités de leurs forêts communales.

Il est certain que la forêt représente un élément important de l'économie mondiale. Il importe évidemment de savoir si cet élément tend à devenir plus ou moins important dans l'avenir. Que devons-nous prévoir, à l'échéance de 20 ou 40 ans? Les forêts auront-elles encore un rôle essentiel à jouer dans le développement économique du monde?

Les dangers du développement de l'humanité

Tout au long de l'histoire, la surface forestière du globe n'a cessé de se réduire. Cette diminution a été plus rapide dans les cent dernières années que jamais auparavant. Certains soutenaient, voici encore quelques dizaines d'années, que ce phénomène était nécessairement lié au progrès social et économique. La forêt procurait aux premiers hommes la nourriture, le combustible et l'abri. Avec l'avènement de l'agriculture sédentaire et l'expansion démographique, des surfaces énormes furent défrichées. Les premiers temps de l'ère industrielle amenèrent une nouvelle pression sur la forêt - demande, à nouveau sans mesure, en bois de construction et combustible - et les limites de la forêt reculèrent encore, à mesure que l'homme progressait et se multipliait.

Aujourd'hui, dans le monde, les forêts continuent à être détruites, consciemment ou non. Mais, en même temps, l'idée est de plus en plus largement admise que la diminution de la surface boisée peut avoir des conséquences lointaines car la forêt ne fournit pas que du bois, mais une foule d'autres «valeurs utiles à l'homme».

Dans son discours capital, M. McArdle a parlé aussi complètement que possible du concept de «l'utilisation multiple» de la forêt, et M. Sen, Directeur général de la FAO, a déjà insisté sur la nécessité de conserver les forêts et les sols, base de beaucoup de nos idées à la FAO.

Je me bornerai donc à rappeler que les profits tirés des forêts sont essentiellement de deux sortes, d'une part le bois et de l'autre, les divers effets physiques et sociaux fréquemment appelés «influences de la forêt». Dans de nombreux cas les derniers dépassent en importance le poids représenté par les forêts comme producteurs de bois. En effet, sur une grande part de la surface du globe, les forêts et la végétation qui leur est associée forment le couvert protecteur qui retient au maximum l'eau des pluies, régularise les cours d'eau, contribue à prévenir les inondations et l'alluvionnement, améliorant ainsi l'efficacité de l'utilisation des ressources en eau pour presque toutes les activités humaines - irrigation, consommation domestique, industrie, travaux hydroélectriques, pour n'en mentionner que quelques-unes. Les villes modernes et l'industrie nécessitent chaque jour une énorme quantité d'eau, mais on a rarement conscience de la grande part prise par les forêts dans le processus compliqué qui en assure l'approvisionnement régulier.

De plus, les forêts protègent le sol contre l'érosion et constituent un abri pour les cultures dans les zones limitrophes. Elles jouent un rôle de barrières contre les glissements de terrain et les avalanches. Elles peuvent donner de la nourriture pour le bétail et sont l'habitat du gibier. Elles sont des lieux de récréation pour le public, et un milieu de détente et de convalescence - et contribuent également à la beauté du paysage.

La difficulté réside dans le fait que chacun ou presque admet en théorie le rôle indispensable de la forêt dans tous ses aspects, mais que gouvernements, économistes et planistes l'oublient par commodité et n'accordent aux investissements forestiers qu'une priorité très inférieure à ceux qu'ils méritent parce que les forestiers n'ont pas encore réussi à chiffrer en argent la valeur des «influences de la forêt». Les études que nous avons faites dans le cadre du Projet de développement méditerranéen ont fourni de nombreuses et éclatantes illustrations des conséquences catastrophiques menaçant un grand nombre de pays par suite de l'insuffisance des crédits et des priorités accordés pour la restauration et la conservation d'un couvert forestier propre à assurer un rôle de protection.

Laissez-moi vous affirmer à nouveau que reconnaître les nombreux rôles de la forêt et admettre la notion d'«utilisation multiple» ne signifie pas qu'il doive y avoir un partage égal des forêts entre toutes les utilisations possibles, ou toutes les utilisations réunies sur chaque hectare. Ce que nous voulons dire, c'est que, en défendant nos ressources forestières contre les exigences concurrentes pour la terre ou pour l'emploi des terres, nous devons mettre en balance toute utilisation exclusive avec une combinaison possible d'utilisations différentes, avec l'idée d'obtenir la meilleure combinaison dans une unité d'aménagement donnée. La forêt ne donnera pas nécessairement la production maximum pour chaque utilisation choisie, mais le bénéfice global sera probablement plus grand que celui qui découlerait d'une utilisation exclusive dans un but unique.

Nous savons tous parfaitement qu'il se trouverait difficilement un pays dans le monde où on ne puisse dénombrer de vastes surfaces qui devraient être couvertes de forêts et sont actuellement soit utilisées par l'agriculture ou le pâturage soit dénudées et, improductives. En outre, avec le développement de la population mondiale et l'inévitable élévation des niveaux de vie, spécialement dans les pays sous-développés, les surfaces à réserver comme couvert forestier ou sur lesquelles des forêts productives doivent être reconstituées sont destinées à augmenter. C'est l'une des plus importantes tâches des forestiers, des économistes et des hommes d'Etat que de veiller à ce que le maintien ou l'installation de forêts dans les zones critiques aient leur place dans tout programme national de développement économique et social. Ce progrès doit marcher la main dans la main avec l'accroissement de la production alimentaire et être son complément.

Les tendances de la consommation du bois

Prenons maintenant le second aspect de notre propos sur le rôle futur de la forêt et étudions les tendances mondiales de la consommation et de la production du bois. Un des premiers faits qui s'imposent à l'esprit est que le progrès technique a régulièrement éliminé le bois d'emplois pour lesquels il fut à un moment donné le seul matériau concevable. En Europe, la consommation de bois de feu par tête est tombée de 0,42 m³ en 1913 à 0,24 m³ en 1955, et cette tendance se poursuit, parce qu'elle est une expression du progrès. Avant la dernière guerre, pour un logement d'importance moyenne il fallait, en Europe, environ 15 m³ de bois. En 1950, 10,5 m³ suffisaient et en 1955, 7,5 m³ seulement. Aux Etats-Unis, entre 1940 et 1953, le volume de bois nécessaire pour un logement est tombé de 33 à moins de 25 m³.

Cela signifie-t-il que «l'âge du bois» cède lentement sa place?

La réponse est, catégoriquement: non. Ceci n'est pas seulement ma propre conviction, en tant qu'auteur d'un livre qui tend à démontrer que le bois et les forêts seront appelés à jouer un rôle de plus en plus grand. Elle s'appuie sur des preuves imposantes.

En premier lieu, en dépit du fait que d'autres matériaux se sont substitués au bois, la consommation de bois par tête a augmenté au cours de la dernière décennie dans presque toutes les régions du monde. Les chiffres suivants, exprimés en mètres cubes par mille individus, sont éloquents: augmentation, en Europe, de 390 à 500; en Amérique du Sud, de 150 à 240; en Afrique, de 40 à 50; en Asie, de 50 à 90; en Océanie, de 930 à 1 170; en Amérique du Nord seulement, la tendance à l'augmentation n'est pas nette. La moyenne mondiale a augmenté d'un quart, de 350 à 440. Pendant que la population du globe s'élevait de 22%, la consommation mondiale totale en bois passait de 690 millions de mètres cubes à 920 millions, soit 35% au cours de la décennie.

En second lieu, il existe une corrélation positive entre la consommation de bois et le revenu national. Cette corrélation n'est pas très élevée, parce que la possibilité de se procurer du bois (soit par la production locale, soit par les importations) est également un facteur important.

De plus, les enquêtes de la FAO ont montré que, tandis que la consommation s'accroît de façon très sensible en même temps que le revenu lorsque ce dernier est à un niveau très faible, cet accroissement de la consommation devient progressivement moins marqué à mesure que le revenu s'élève. Dans les pays dont le revenu national est inférieur à dollars 100 par tête, l'élasticité de la demande pour le papier journal par exemple se tient entre 2,5 et 3; elle tombe aux environs de 1,5 lorsque les revenus sont de dollars 400 à 600 par tête; et elle avoisine 1% des revenus de plus de dollars 1 000 par tête. Pour d'autres catégories de papier et de carton, la chute est verticale, et pour les plus hauts revenus tels que ceux que l'on trouve aux Etats-Unis ou en Scandinavie l'élasticité semble tomber pour certaines catégories au-dessous de 1. En résumé, un pourcentage donné d'accroissement du revenu apporte une augmentation proportionnellement inférieure de la demande.

Cependant, malgré cet aplatissement de la courbe, la corrélation entre les augmentations du revenu et de la consommation de bois d'industrie reste un fait de base d'une grande importance.

Sur les onze pays qui jouissent du revenu par tête le plus élevé, pas un seul ne consomme moins de 500 m³ de bois par mille habitants. En fait, six d'entre eux consomment plus de 1 500 m³ par mille. Mais, à l'autre bout de l'échelle, sur la vingtaine de pays à faible revenu pour lesquels les estimations sont connues, tous ayant un revenu inférieur à dollars 100 par tête, pas un seul ne consomme 100 m³ par mille et cinq seulement consomment plus de 50 m³ par mille.

Nous ne devons naturellement pas en conclure que, lorsque les pays actuellement à bas revenu atteindront le niveau des pays plus avancés, ils auront nécessairement besoin de consommer autant de bois que, par exemple, le Japon, le Canada et les Etats-Unis aujourd'hui. Mais on peut dire, d'une manière générale, qu'aucun pays à bas revenu n'atteindra un niveau plus élevé en gardant une faible consommation de bois. En d'autres termes, aucun pays sous-développé, résolu à développer son économie, n'a de chances d'atteindre un niveau moyen de revenu, sans parler d'un niveau élevé, sans que sa demande en bois d'industrie par tête d'habitant s'élève de façon substantielle par rapport aux faibles quantités qu'il consomme actuellement. Une des principales raisons à cela sera l'augmentation des besoins de l'instruction qui sont la base du progrès économique: les demandes seront multipliées par l'expansion démographique.

Cette conclusion est largement confirmée par les études que la FAO vient d'achever sur les besoins futurs en bois dans l'Asie et la région du Pacifique. Le professeur Streyffert, de Suède, dans son livre bien connu Tendances et perspectives d'avenir pour le bois d'œuvre dans le monde, donne la même réponse.

Je ne veux pas m'appesantir trop longtemps sur ce thème, encore moins vous endormir avec des énumérations de chiffres. J'en ai assez dit, je pense, pour appuyer ma conviction que, d'aujourd'hui à la fin de ce siècle, le monde demandera à ses forêts des quantités de bois considérablement plus grandes. Faire plus ne serait qu'une conjecture hasardeuse avant l'achèvement des études que la FAO effectue sur l'évolution et les perspectives de la consommation, de la production et du commerce du bois et qu'elle espère terminer pour toutes les régions du monde à temps pour présenter une réponse bien fondée au prochain Congrès forestier mondial.

En attendant, j'estime, qu'à la fin de ce siècle et peut-être même déjà entre 1980 et 1990, le monde aura besoin d'au moins deux fois plus de bois d'industrie qu'il n'en consomme aujourd'hui. Nous pouvons aussi conclure que les connaissances présentes de la FAO permettent d'estimer que les besoins augmenteront relativement vite dans les régions les moins avancées du monde, et que pour les pays à faible revenu, c'est-à-dire pour plus de la moitié de l'humanité, une augmentation substantielle de la consommation du bois sera un accompagnement essentiel et même une véritable condition du développement économique.

La faible augmentation de la production et ses raisons

A la lumière de ce que j'ai dit sur l'évolution de la consommation du bois, pouvons-nous nous contenter des progrès réalisés en foresterie au cours des dix dernières années?

Je ne pense malheureusement pas que ce soit possible. La production des forêts n'a suivi que de loin les progrès des revenus nationaux. Entre 1950 et 1957, le produit national global des pays industrialisés et des pays sous-développés s'est élevé de près de 30%, alors que la production des forêts du globe n'a pas augmenté de plus de 15%. Pour les seuls bois destinés à l'industrie, le tableau est un peu meilleur: augmentation de près de 30%, mais dont une partie provient de transferts de bois de feu aux bois de pâte et d'une diminution des déchets. Cependant, de tels transferts sont évidemment limités et dans beaucoup de pays la limite a été atteinte. De plus, il est fâcheux que, comme pour l'agriculture, les plus forts accroissements aient eu lieu surtout dans les pays déjà évolués et en U.R.S.S., et les plus faibles dans les pays sous-développés où l'on peut presque dire que la production est restée la même. Ce défaut est d'autant plus marquant que, du côté de la production, le développement des industries de la pâte et du papier est particulièrement brillant. Dans les vingt dernières années la capacité mondiale est passée de 25 à 60 millions de tonnes de papier. Cet accroissement a été nettement plus rapide que l'augmentation simultanée de la production industrielle mondiale, et a fait de la pâte et du papier une industrie qui, par sa valeur (15 milliards de dollars), ses dimensions et ses capitaux, s'aligne vraiment avec les industries traditionnellement puissantes du passé telles que celles du fer et de l'acier, des textiles et de l'huile. Cependant, en dépit de quelques progrès récents en Amérique latine et en Extrême-Orient, 90% de toute la pâte mondiale est encore produite en Europe et en Amérique du Nord. Et l'accroissement de la consommation de papier pour les besoins de l'instruction et pour l'emballage dans les pays pauvres a été retardé par l'insuffisance des approvisionnements locaux et par l'impossibilité pour ces pays sous-développés de consacrer de substantielles allocations de devises étrangères aux importations de papier.

De nombreuses raisons expliquent cette évolution; elles sont toutes des plus décourageantes, puisqu'on pourrait normalement estimer que l'existence d'énormes réserves forestières inexploitées rendrait particulièrement facile une expansion de la production. La plupart de ces raisons sont bien connues, et je ne traiterai que de quelques aspects qui se sont révélés plus particulièrement significatifs au cours de nos observations systématiques des évolutions similaires dans quelque 80 à 100 pays répartis dans le monde entier.

1. On ne peut passer sur le fait que les gouvernements, les législateurs et les administrateurs n'apprécient pas encore pleinement l'importance de la conservation et de la mise en valeur de la forêt: il en résulte que les investissements sont insuffisants, les services forestiers trop peu étoffés et peu puissants politiquement et que les capitaux privés ne sont pas attirés, même là où la mise en valeur de la forêt serait profitable.

2. Les planificateurs et les économistes ont souvent tendance à n'accorder au développement de la foresterie qu'une faible priorité - notre propre expérience à la FAO nous l'a malheureusement appris. Ils croient, en effet, que les arbres mettent toujours 100 ans à pousser et représentent un investissement à long terme et à faible intérêt. Ils ne voient pas que les plantations à croissance rapide peuvent réduire le cycle de croissance à 10 ou 20 ans, spécialement pour fournir du bois à pâte et du bois de feu, et ils oublient que la mise en valeur forestière provient généralement des forêts naturelles qui, à l'opposé des récoltes agricoles, n'ont pas à être cultivées mais ont seulement besoin d'être rendues accessibles, d'être aménagées et coupées.

3. La pression des populations, souvent combinée à des raisons d'opportunité politique, est une autre raison importante pour qu'un ordre de priorité très bas soit accordé à la conservation et au maintien des forêts existantes ou à l'installation de nouveaux peuplements. L'impossibilité de donner une valeur chiffrée selon les critères des économistes aux profits dus à la protection par les forêts contribue très nettement à cette situation. On peut difficilement demander à la moitié sous-alimentée de la population mondiale de faire le lien entre la production de nourriture et la foresterie si ses dirigeants eux-mêmes et beaucoup de techniciens spécialisés ne comprennent pas ou sont incapables de démontrer cette relation. Ce fut l'un des principaux buts du Projet de développement méditerranéen de la FAO - qui était au départ un programme forestier - que de montrer à quel point il est erroné de bâtir des politiques économiques nationales et des programmes de développement uniquement sur des considérations à court terme et sur la nécessité d'assurer des profits rapides. Les programmes qui ont été établis de façon détaillée pour dix pays méditerranéens et pour la région dans son ensemble constituent une tentative délibérée de combiner des investissements à long terme avec une action à court terme et de montrer qu'une telle politique peut fournir la réponse attendue par tant de pays sous-développés dans leurs tentatives pour réaliser leur développement par leurs propres moyens. Mais, jusqu'à présent, ces programmes préparés par la FAO sont encore surtout sur le papier et nous sommes loin d'une large acceptation de la nécessité de plans de développement prenant en juste considération les besoins à long terme.

4. Une autre difficulté que nous rencontrons dans certaines parties du monde tient à ce que les gouvernements ont tendance à aller d'un extrême à l'autre - de l'absence d'un contrôle quelconque à une interdiction complète de toute sorte d'exploitation forestière et de développement industriel - , en croyant qu'une telle action est le meilleur moyen d'éviter la destruction de la forêt. Je n'ai pas besoin de dire que de telles mesures sont presque aussi mal inspirées que l'absence d'action. Je regarde comme une de nos plus importantes tâches d'éducation de faire comprendre la nécessité de combiner la conservation et les restrictions d'exploitation dans certaines zones, avec des coupes commerciales et une mise en valeur de la forêt dans les autres.

5. Cependant, c'est un fait que la plupart des forêts des pays sous-développés, où la production aurait dû augmenter, sont des forêts tropicales, souvent considérées comme d'accès difficile. L'expérience de la FAO dans son programme d'assistance technique, par exemple dans l'Amazone, a néanmoins montré que ces forêts, généralement pauvres en espèces aujourd'hui commercialement intéressantes, ne sont pas aussi difficiles d'accès qu'on l'imagine habituellement. Mais leur développement doit souvent attendre une colonisation et une implantation agricole d'une désespérante lenteur, et il y a peu d'attraits pour les porteurs de capitaux au cours de cette évolution. Un tableau différent de ce qui peut se produire est offert par les forêts orientales de la Russie, également d'accès difficile et éloignées mais, bien sûr, composées de conifères. Leur rapide mise en valeur actuelle est peut-être comparable à ce qui s'est passé en Amérique du Nord il y a un siècle. Aucun de ces cas, cependant, ne fournit une solution, et la nécessité demeure d'une démonstration à grande échelle de transformation de forêts tropicales en véritables centres d'exploitation et d'industries forestières.

6. Personnellement, j'estime que la plus grande de toutes ces difficultés résulte, du fait que dans de vastes parties du monde les forestiers se sont habitués à organiser la production de la forêt presque exclusivement d'après leurs idées sur sa possibilité, et en ne pensant que peu ou pas aux besoins nationaux présents ou à venir. J'ai souvent été surpris de constater que, quoique la planification soit un indispensable élément de tout aménagement forestier et doive donc être largement développée chez les forestiers, il n'y a que peu de pays où la production forestière soit organisée et planifiée en accord avec les concepts économiques modernes. Alors que l'installation d'aciéries ou de toute autre industrie a toujours été déterminée en fonction de la demande des produits, les forestiers n'ont pas encore adopté cette étude préliminaire, et il y en a encore beaucoup qui se considèrent «seulement comme des conservateurs». Il ne fait pas de doute que l'une des principales tâches des forestiers est le maintien ou la reconstitution de la fertilité et de la productivité du sol, mais cela ne devrait pas conduire à un attachement si servile au principe du rendement soutenu (surtout sous les tropiques, où la production est souvent extrêmement lente) qu'il empêche l'adoption de plans d'aménagement conçus pour fournir en qualité et en quantité ce dont les industries et consommateurs ont besoin. Comme l'a dit récemment un forestier européen distingué, «la sylviculture doit être la servante et non la coûteuse maîtresse de l'aménagement».

Nous sommes ainsi conduits à conclure que, pour un certain nombre de raisons bien connues, la production forestière, spécialement dans les régions sous-développées, ne progresse pas à la vitesse qui paraît désirable et même nécessaire. A moins que cette situation ne change et que la lente expansion forestière ne progresse fortement, de nombreux pays sont destinés à faire l'expérience de trois sérieuses difficultés dans l'évolution de leur développement. Ce sont, primo, que d'insuffisants approvisionnements en papier, bois de construction et autres produits forestiers agiront comme un vrai goulot d'étranglement dans l'accession à un meilleur niveau de vie et dans l'accroissement des revenus nationaux; secundo, que, même réduites artificiellement, les quantités de papier, de bois et autres produits qui devront être importés draineront sérieusement et de plus en plus les réserves en devises qui devraient être utilisées pour l'achat de biens de première nécessité; enfin, tertio, que cette disette quelque peu artificielle et croissante de produits forestiers conduira à augmenter la surexploitation et la destruction des forêts accessibles.

Signes d'espoir

Heureusement, le tableau ne comporte pas que des difficultés insolubles, et certains des principaux obstacles qui ont retardé le progrès forestier commencent à être levés:

1. La plus importante évolution est peut-être la tendance générale en faveur des plantations d'espèces à croissance rapide. Dans le domaine de la foresterie, ce progrès, s'il est poursuivi sur une assez grande échelle, sera comparable au passage, en agriculture de la cueillette des fruits sauvages à la culture. Il est ainsi possible d'obtenir une production à l'hectare 3, 5, 10 fois plus forte que celle des forêts naturelles. Cela amène beaucoup de gens à défendre l'idée du remplacement radical des forêts feuillues mélangées des régions tropicales par de nouvelles forêts, sujet qui fournit un thème permanent de discussions entre forestiers.

2. Les progrès des techniques modernes d'exploitation sont d'une importance comparable, surtout pour les pays évolués où le prix de la main-d'œuvre est élevé et où règne le plein emploi. Nous pouvons comparer la mécanisation des travaux forestiers et les autres améliorations des méthodes de travail à la révolution que l'introduction des tracteurs, moissonneuses et autres machines a apportée à l'agriculture au cours de la génération précédente. Dans les pays sous-développés, ces techniques peuvent changer fondamentalement la notion de forêts accessibles et aider à réduire les coûts presque prohibitifs que les méthodes d'exploitation primitives imposent aujourd'hui.

3. Le progrès technique fournit chaque jour de nouvelles démonstrations pratiques de l'affirmation que le bois est une matière première de la plus grande souplesse. L'industrie forestière emploie toute son ingéniosité et sa hardiesse à tirer le meilleur parti de tout ce que le bois peut offrir. Mais on peut faire beaucoup plus, non seulement en inventant de nouveaux emplois pour le bois et en perfectionnant les techniques de fabrication, mais aussi dans «l'art de vendre», dans lequel j'ai souvent pensé que nous restions loin derrière les autres industries. La chimie du bois est encore dans l'enfance et nous attendons la montée en flèche, peut-être en vue, de l'emploi de la lignine, qui constitue 30% environ du poids sec du bois. La capacité de production de la pâte et du papier se développe et les progrès s'accélèrent dans toutes les parties du monde.

4. En dépit des difficultés rencontrées aux niveaux les plus élevés des gouvernements et des plans économiques auxquels j'ai fait allusion plus haut, certains hommes d'Etat et certaines administrations commencent à comprendre que la foresterie peut fournir une bonne base pour le développement économique et industriel. Le progrès est lent, en raison du manque d'expérience pour établir des plans, du manque de services techniques - bien qu'en ce qui concerne les services forestiers le tableau encore assez sombre se soit beaucoup amélioré depuis dix ans - et du manque de capitaux, mais on perçoit déjà que le développement forestier, intégré avec le progrès industriel et agricole, viendra à être délibérément mis en œuvre comme une part essentielle des mesures destinées à promouvoir un développement économique indépendant et souvent comme une forme de travaux publics particulièrement utile et capable d'absorber une main-d'œuvre rurale inemployée ou sous-employée.

5. Les effets de cette évolution plus encourageante sont parvenus à un stade où ils peuvent être nettement décelés. L'exemple peut-être le plus important est fourni par l'Europe, où la première étude régionale des tendances pour le bois, publiée par la FAO en 1953, a révélé le danger d'un grave déficit de bois à pâte et hâté l'adoption de mesures immédiates pour accroître la production forestière. En dépit des doutes formulés alors, les forestiers ont été capables de relever le défi, et non seulement les chiffres de production de 1960 sont au niveau de nos prévisions les plus optimistes mais dans plusieurs pays des signes montrent qu'on peut espérer une progression ultérieure de la production. L'Europe, cependant, est une des régions où, de même qu'aux Etats-Unis et apparemment en Chine continentale, la surface des forêts est en progression. Il est également raisonnable d'espérer qu'une intensification des activités forestières, stimulée par le Projet de développement méditerranéen de la FAO, conduira à une substantielle restauration de forêts non seulement dans le sud de l'Europe mais aussi dans le Proche-Orient et en Afrique du Nord.

6. Enfin, bien qu'à la FAO nous ne soyons pas trop satisfaits des réalisations pratiques à ce jour, nous sommes encore assez fiers d'avoir vu s'installer sept commissions forestières régionales, qui couvrent la totalité des pays membres de la FAO et constituent le mécanisme pour organiser une action concertée destinée à mener à bonne fin les transformations, qui, à notre avis, s'imposent.

Les tâches de l'avenir

J'ai essayé, au cours de cet exposé, d'aborder certains des problèmes auxquels nous avons à faire face. Ce que j'aimerais communiquer à ce distingué Congrès, c'est qu'il est urgent d'accroître très substantiellement et continuellement le rythme auquel la production forestière mondiale se développe, et d'augmenter la surface des forêts restaurées ou maintenues dans leur rôle de protection. Ces objectifs peuvent et doivent être atteints, et je crois que ce Congrès pourrait rendre un important service en attirant l'attention sur les quatre principales tâches auxquelles les forestiers devraient consacrer leur attention au cours des prochaines années. Ce sont:

1. Des études systématiques pour mettre au point des méthodes d'estimation quantitative des «influences de la forêt». Je crois qu'une telle estimation chiffrée fournirait aux forestiers un bon appui pour leurs demandes de crédits d'investissement en face des demandes des autres secteurs.

2. Des recherches et expérimentations sur les espèces à croissance rapide pour tous les climats, avec attention spéciale portée sur les plantations en zones tropicales envisagées comme moyen d'aménager enfin les vastes réserves constituées par les forêts tropicales.

3. L'extension progressive de l'industrie de la pâte et des autres industries forestières, en vue de créer dans les principales régions sous-développées des centres d'exploitation et d'industries forestières correspondant aux richesses de leurs forêts et dans la perspective de leurs besoins croissants en produits forestiers.

4. L'adoption systématique de plans quantitatifs nationaux pour la production et la mise en valeur de la forêt en liaison avec les demandes prévues de produits forestiers. Cette étude deviendrait une base type pour les politiques forestières de chaque pays.

Pour conclure, je fais appel à vous, Mesdames et Messieurs, pour aider les nations du monde à tirer de leurs forêts des profits à accroissement continu. Le bois a un rôle considérable à jouer dans une économie mondiale en expansion rapide, et le monde sera plus pauvre si ses forêts ne sont pas préparées pour satisfaire les demandes de papier, d'emballages, de matériaux de construction et des nombreuses autres choses que le bois peut fournir.

Ainsi, la forêt qui produit du bois et assure un abri rehaussera la beauté du monde, et l'existence de ceux qui vivent dans la forêt, en vivent, et traitent ses produits, pourra être plus heureuse et plus saine.


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