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Obstacles la foresterie tropicale le mode d'occupation des terres*

* D'après une communication présentée au cinquième Congrès forestier mondial. Le Professeur GORDON est l'auteur de The Law of Forestry (H.M.S.O., Londres 1955).

W. A. GORDON
Faculté forestière, Université d'Oxford

QUELQUES-UNS des problèmes courants concernant le régime d'occupation des terres en pays tropical sont plus nettement du ressort des agronomes que des forestiers. Une grande partie du territoire forestier est en effet mise hors du circuit ordinaire par le fait qu'elle est propriété de l'État. La conséquence en est qu'elle échappe, dans une certaine mesure, à l'évolution qui se constate pour les terres agricoles. On peut pourtant estimer que les forestiers se trompent s'ils pensent être en droit de se désintéresser de ces questions. Même là où il reste de règle que l'État possède les forêts, l'évolution des conceptions sur la terre est vraisemblablement appelée à affecter les conditions et la sécurité de la propriété d'État.

L'opinion du rédacteur est que la plupart des pays s'orientent vers des systèmes basés sur la libre propriété particulière et que, bien que les gouvernements puissent, dans certains cas, retarder cette évolution par leur intervention, il est douteux qu'ils puissent continuer à le faire indéfinement, la notion de propriété individuelle semblant séduire partout les utilisateurs du sol, dès que cette notion s'est imposée à eux. L'auteur suggère que nous pourrons bientôt constater, dans les paysages tropicaux, des changements du même genre que ceux qui se produisirent dans les pays européens pendant les grands courants de délimitation, conduisant par exemple à une Afrique du vingt et unième siècle, divisée en tènements privés par des clôtures, des repères de limites et autres signes visibles de propriété.

La propriété privée sous les climats tempérés

Dans l'Europe du Nord-Ouest, la propriété privée de la terre est une institution récente. Au début de la période historique, la terre était encore un bien de jouissance libre, et la seule limitation à son libre usage était due aux nécessités de la vie en communautés, en sorte qu'une terre cultivable proche d'une collectivité pouvait être plus recherchée qu'une terre meilleure, mais plus éloignée. Cette limitation exigeait une certaine forme de réglementation foncière, comparable à quelques-uns des codes de tradition verbale existant aujourd'hui dans les pays tropicaux, pour donner à chacun une part équitable des terres les meilleures et les moins bonnes, les plus proches et les moins accessibles, et pour éviter les abus d'exploitation des plus accessibles.

Le principe des titres de libre propriété, détenus par les utilisateurs actuels de la terre, s'est substitué aux régimes communautaire et féodal sous l'influence de causes diverses, mais un élément très important, qui détermina soudainement le mouvement de délimitation dans les pays du nord de l'Europe, fut la découverte de la possibilité de cultiver la terre de façon continue, sans la jachère biennale ou triennale habituelle.

Au cours de cette évolution, le destin des terres boisées fut déterminé dans une large part par les événements historiques. Dans certains pays européens, l'État réussit, à un moment quelconque, à mettre à l'écart du circuit général des terres qui échappèrent ainsi à l'évolution légale qui affecta le reste du territoire, et quelques gouvernements parvinrent, par hasard ou à dessein, à établir des titres valables pour des surfaces considérables de terres qui constituent maintenant les domaines forestiers nationaux.

En Grande-Bretagne, cela ne se produisit que sur une très petite échelle, grâce aux réserves forestières constituées au temps des Normands, mais sur une partie i de ces réserves initiales, la Couronne continua à revendiquer ses droits avec une régularité suffisante pour les préserver de l'empiètement de la propriété privée; ainsi, en 1923, la Forestry Commission put récupérer environ 100 000 acres (40 500 hectares) de biens de la Couronne, lourdement grevés, souvent, de droits d'usage, mais néanmoins avec titre indiscutable de propriété.

Il y eut certainement, dans les débuts de l'histoire de l'Angleterre, des occasions où la Couronne aurait pu augmenter cette surface jusqu'à trois millions d'acres (1,2 million d'hectares), mais dès après 1750, cette possibilité disparut très rapidement, alors que la plus grande partie du territoire devant être affectée au domaine forestier d'État commençait à glisser vers la propriété individuelle.

La période où les délimitations se généralisèrent fut la dernière chance pour le Gouvernement britannique de se constituer à bon compte ses forêts nationales.

Dangers de la libre propriété individuelle

Le régime de la propriété individuelle, pourvu qu'il soit prévu à temps et précédé d'un programme intelligent d'utilisation des terres, peut d'ordinaire être admis comme une évolution logique. Le danger à redouter est cette évolution dans un pays non préparé.

Il ne faudrait pas qu'évoluent ainsi des terres non susceptibles de mise en valeur sous le régime de la propriété individuelle et, au début, la distraction du régime antérieur devrait se faire par étapes. C'est ce qui a été plus ou moins réalisé par exemple, au Canada, où les conditions de cette réalisation étaient relativement faciles en ce sens qu'une grande partie du territoire, au nord d'une certaine latitude pouvait être reconnue comme ne convenant pas dans le présent à la propriété privée. Là où on peut identifier ce genre de terres, on devrait les mettre hors circuit le plus tôt possible, et c'est ainsi que, pour la plupart des territoires tropicaux du Commonwealth britannique, des Ordonnances forestières fournissent le mécanisme de cette action.

Le morcellement et les divisions successives des terres en parts individuelles sont parmi les suites les plus dangereuses d'une extension non planifiée de la propriété privée. Autrefois, avant que ce danger ne fût compris, la Grande-Bretagne eut la chance d'être protégée par la règle du droit d'aînesse qui lui permit d'éviter le morcellement des héritages. En abolissant un siècle trop tôt le droit d'aînesse, Napoléon mit en marche le processus de morcellement, devenu un problème majeur de l'utilisation des terres dans la plupart des pays d'Europe ayant constitué l'Empire napoléonien, tandis que, sous d'autres législations - et notamment le Code ottoman -, dépourvues de mesures de sauvegarde, les terres sont parfois parvenues à un tel degré de morcellement qu'il n'est plus possible de les exploiter économiquement. Dans les pays neufs des tropiques, à moins que la législation de l'occupation des terres ne soit dirigée habilement dans son évolution, le morcellement se produira inévitablement, lorsque le régime traditionnel qui s'est développé avec la propriété tribale sera remplacé par la libre propriété individuelle. On peut s'attendre à ce que cela ait des répercussions sur la foresterie, parce que les seules terres qui pourraient échapper au morcellement et rester disponibles en massifs entiers seraient constituées des surfaces telles que les réserves forestières, mises à temps hors circuit.

La libre jouissance des terres en pays tropical

On pourrait objecter que les mouvements de délimitation ne se seraient pas manifestés si tôt en Europe, ou sur une si grande échelle, si l'on n'avait pas découvert les méthodes d'exploitation agricole sans période de jachère improductive, soit par la dispense complète de la jachère, soit par la production d'une récolte utilisable pendant la jachère. Quand le sol n'est pas cultivé de façon continue et doit être laissé périodiquement en vaine jachère, il peut être utilisé par d'autres à des usages tels que le pâturage et cela peut suffire en soi pour masquer la notion de propriété individuelle.

Dans les pays tropicaux, ce fait a même des chances d'avoir une plus grande influence, parce que la jachère joue, dans la culture tropicale, un rôle plus grand qu'elle n'en a jamais joué en Europe. Dans les régions tropicales humides, une grande partie des terres doit encore rester plus longtemps en jachère qu'en labours, et cette nécessité est une barrière écologique contre l'individualisation rapide du régime des terres utilisées pour les cultures à récolte annuelle. Sur les sols utilisés pour les cultures vivrières à récolte annuelle avec rotation de vaine jachère, l'individualisation peut suivre un rythme lent conditionné par la découverte des moyens d'éviter la jachère, par le développement des techniques comportant le traitement et la conduite de la jachère, et par les perspectives de l'utilisation des jachères pour la production de récoltes utilisables. L'acceptation d'une récolte forestière entretenue comme élément de l'assolement de la production tropicale est une possibilité à ne pas négliger.

Là où des plantes pérennes sont cultivées, l'individualisation de la jouissance pourrait être relativement rapide. Les cultures permanentes nécessitent la garantie de la jouissance et leur seule présence sur le sol constitue une preuve visible et continue du droit de propriété. Bien que l'exploitation du sol par des cultures pérennes puisse se révéler un sérieux rival de la forêt sur certains types de terrains, il ne faut pas oublier qu'un peuplement forestier est lui-même une culture permanente, et une culture particulièrement favorable à l'engagement de revendications étendues de droits de propriété.

Influence de la foresterie d'Etat

Dans certaines régions tropicales, la foresterie d'Etat exerce son influence sur l'évolution du régime foncier par des moyens qui n'ont pas contribué à rendre la foresterie populaire auprès de l'Administration. En revendiquant jusqu'à dix ou vingt pour cent des terres d'un pays, les forestiers soulèvent des problèmes qui autrement n'auraient pas été évoqués par la génération actuelle. En mettant un terme à la culture itinérante et en imposant des méthodes agricoles plus intensives la mise en réserve du domaine forestier aide, à sa manière, à activer la tendance à la propriété individuelle.

La mise hors circuit et la protection contre l'occupation livrée au hasard de vastes portions intactes du territoire sont probablement une procédure qu'il est raisonnable de suivre en pays tropical. Tant qu'il y aura incertitude quant à l'exploitation convenable des terres tropicales, il est aussi bien que nous puissions localiser nos erreurs; et jusqu'à ce que nous sachions si le régime foncier évoluera dans des directions satisfaisantes, il est souhaitable qu'une partie des terres utilisables soient tenues en réserve. Si, par exemple, nous avons à faire face à des règles d'héritage conduisant manifestement au morcellement, ce sera une satisfaction que d'avoir une certaine réserve de terres protégées contre ce processus.

La responsabilité de la mise en réserve de terres a été laissée presque partout entre les mains des services forestiers et bien qu'on puisse avancer qu'un service forestier n'est pas l'autorité convenable pour assumer une telle tâche dans les premiers temps, avant que l'écologie et les facteurs économiques de l'emploi des terres tropicales soient exactement définis, il arrive ainsi que les réglementations forestières fournissent habituellement le seul moyen légal permettant de réaliser cette mise en réserve. En même temps, l'auteur estime que les forestiers se tromperaient s'ils s'imaginaient qu'une grande partie des terres qu'ils réservent à la forêt lui restera très longtemps consacrée.

Il estime que les cultures permanentes mettront sans doute en évidence un danger bien plus sérieux pour la sécurité du domaine forestier des pays tropicaux que le maintien des cultures vivrières annuelles. En dépit de toutes les leçons du passé, il semble probable qu'il y aura une quantité regrettable de morcellements dans ces pays lorsque la propriété privée commencera à se développer, et qu'une évolution non planifiée de la propriété individuelle aboutira partout à des situations telles qu'on ne trouvera nulle part, si ce n'est dans les réserves forestières, de grandes surfaces de terres non morcelées. Quand les capitaux permettent la réalisation de grands projets de plantations de cultures permanentes payantes, et quand il faut pour cela de toute urgence de grandes surfaces de terres, le maintien de certaines réserves forestières risque de devenir précaire. Dans certains pays tropicaux, tels que le Ghana et le Nigeria occidental, où la plus grande partie des réserves forestières consiste en terres à vocation agricole potentielle, le seul espoir de leur survivance réside dans l'établissement rapide d'industries forestières à capitaux élevés, exigeant une production importante et soutenue de produits forestiers. L'établissement de ce type d'industrie a été inexplicablement lent en pays tropicaux, et l'auteur pense que, dans certains cas, les gouvernements eux-mêmes sont à blâmer pour n'avoir pas réussi à concevoir de régime capable d'attirer l'investissement commercial.

Régimes d'occupation de la terre dans les forêts d'Etat

La foresterie est une industrie capable de devenir largement nationalisée presque sans que le fait se remarque. La propriété du sol forestier est de nature à tomber automatiquement dans les mains du gouvernement. Un gouvernement, en tant que propriétaire du domaine forestier national, voit plusieurs possibilités s'offrir à lui:

1. L'investissement d'Etat, qui mène parfois à une surnationalisation;

2. La tendance «chien du jardinier», qui s'exprime habituellement par une politique de concessions forestières annuelles;

3. La délégation à des intérêts privés d'une partie ou de la totalité des responsabilités du propriétaire;

4. L'aliénation sans réserves.

Si les expériences de Chypre et de la Trinité peuvent être de quelque enseignement, la conduite et l'évolution directement menées de bout en bout par un gouvernement peuvent être la meilleure méthode pour assurer un niveau élevé à la sylviculture: mais il est douteux que cela suffise toujours à compenser les inconvénients. L'entreprise privée peut être étouffée et le gouvernement ainsi obligé d'intervenir de plus en plus dans l'exploitation et même dans le commerce. Il semblerait que la nationalisation, une fois engagée, ne puisse plus être stoppée.

La gestion gouvernementale à la Trinité a abouti à créer une industrie du sciage sans unité et disparate. A Chypre, elle découragea les investissements industriels à un point tel que lorsque l'augmentation des salaires commença à élever les prix du bois débité à la main, au point d'empêcher sa commercialisation, il n'y avait pas suffisamment de machines dans le pays pour le remplacer.

La Forestry Commission du Royaume-Uni laisse encore percer une tendance à suivre la même voie, bien que ses effets néfastes aient peu de chances de devenir perceptibles, une grande proportion des terres boisées productives de Grande-Bretagne, appartenant à des propriétaires privés. Mais dès que le gouvernement possède plus de cinquante pour cent de la surface boisée productive, il est souhaitable de remplacer les pratiques actuelles de vente de bois sur pied sous forme de marchés à court terme par des politiques de gestion plus adaptées aux besoins de l'industrie.

On admet qu'une forêt tropicale, dans son état primitif, peut être un cas particulier. En tant que spéculation commerciale, la conduite en vue du rendement soutenu de l'évolution ordinaire d'une forêt tropicale primitive a des chances de ne dépasser que faiblement la limite de rentabilité, de sorte que gestion et investissement de l'Etat peuvent très bien être une étape nécessaire dans la première révolution. Mais après les progrès apportés par celle-ci en matière d'amélioration et d'enrichissement, la possibilité de dénationalisation peut être renforcée; c'est ainsi que s'est traduit, au Kenya, le succès du programme gouvernemental de plantations.

A titre d'exemple historique, la méthode «du chien du jardinier» semble avoir été quelque temps en faveur dans une partie du Canada oriental. L'expression est ici utilisée pour décrire un régime dans lequel un gouvernement, tout en éludant la responsabilité de la gestion et des investissements, refuse dans le même temps les facilités convenables à l'entreprise privée. L'auteur croit que la concession forestière annuelle a été inventée dans l'Ontario au dix-neuvième siècle, et apportée de là en zone Caraïbe par des fonctionnaires du Service des Indes occidentales ayant reçu leur formation technique à Toronto.

Le bail renouvelable annuellement paraît avoir la plupart des inconvénients des autres solutions et peu de leurs avantages. Ce système n'assure effectivement que le degré minimum d'investissement à tous les stades de l'exploitation, de la transformation et du commerce; il est une invitation manifeste au concessionnaire à écrémer son lot des meilleurs bois, puis de l'abandonner pour une autre surface avant que ses concurrents aient eu le temps de le devancer. Cette critique est généralement applicable à la plupart des formes de baux et permis forestiers de courte durée.

La délégation des responsabilités de la propriété à des industries de toute confiance est une voie à recommander vivement, mais son succès dépend du choix convenable du moment. Le Kenya et les îles Bahamas t sont d'utiles exemples de l'abandon trop étendu et trop rapide du contrôle. Au premier quart de ce siècle le Gouvernement du Kenya accorda des concessions à long terme, portant sur des surfaces étendues de forêts naturelles; certaines de ces concessions ne sont pas encore éteintes. Le but de cette politique était d'encourager l'investissement dans le commerce du bois, mais elle profita à des individus qui, grâce aux circonstances de cette période, arrivèrent à avoir les mains beaucoup trop libres, et le Gouvernement ne conserva qu'un contrôle insuffisant. Il serait malheureux cependant que cette expérience fasse renoncer le Gouvernement du Kenya à renouveler de telles expériences d'occupation à long terme.

Aux îles Bahamas, au début de ce siècle, une grande partie des forêts de pins a été concédée à une société unique par un accord portant sur cent ans et qui n'a laissé qu'un contrôle très restreint au Gouvernement, tout en limitant les obligations du concessionnaire au paiement de redevances se montant à moins d'un demi penny par cubic foot (environ 1 NF par m³).

L'auteur suggère que, jusqu'à ce qu'arrive le moment où le commerce pourra se voir confier le pouvoir sans réserve de gérer une ressource nationale, une concession forestière devrait stipuler les points suivants:

1. Les principales décisions en matière de contrôle de la production devraient rester sous la responsabilité de l'Etat;

2. Les précautions appropriées seraient à prendre concernant la sylviculture et la régénération, bien que, lorsque cette responsabilité est déléguée, il soit difficile d'empêcher que soient engagés en même temps des intérêts dans les productions des révolutions postérieures;

3. Les redevances seraient à reviser suivant les variations du cours de la monnaie;

4. Les investissements appropriés devraient être assurés par l'installation, en annexe de chaque concession, d'une usine de capacité convenable, et il serait stipulé qu'il ne pourrait être disposé séparément de l'une et de l'autre.

Après de nombreuses années d'essais, la Colombie britannique a imaginé un nouveau système d'occupation par concession incluant tous ces principes et aussi proche qu'une concession peut l'être de l'aliénation totale. Dans les comptes rendus de deux enquêtes publiques, menées au cours du développement de ce mode d'exploitation, on trouve des éléments dont on doit tenir compte dans les problèmes concernant la propriété dans de nombreux pays tropicaux.

Il n'est pas suggéré que le système de la concession à long terme est la limite absolue vers laquelle les gouvernements doivent se préparer à tendre lorsqu'ils renoncent d'eux-mêmes au contrôle des ressources de la forêt domaniale; il n'est pas suggéré non plus que la politique d'aliénation menée au dix-neuvième siècle par les Etats-Unis était nécessairement mauvaise dans ses principes: l'imperfection de cette politique a principalement résidé dans le choix du moment. Les aliénations aux Etats-Unis furent consenties à des particuliers ou à des sociétés n'ayant que des investissements relativement faibles en jeu: beaucoup parmi les bénéficiaires considéraient leurs investissements comme des capitaux à dépenser et étaient disposés à réaliser de grands profits en de courts laps de temps. C'est à une catégorie différente qu'appartiennent les énormes industries qui apparaissent actuellement dans certaines régions du monde, avec des actions très cotées en Bourse et détenues par des actionnaires dans la perspective de dividendes soutenus et croissants, et avec des usines organisées en vue d'améliorations continuelles et de remplacement périodique des éléments surannés. Il faudrait tenir compte de ce que certaines industries forestières en Europe et Amérique du Nord ont maintenant atteint un stade où il peut leur être fait confiance pour un contrôle inconditionné d'une ressource nationale.

On peut objecter bien sûr qu'il n'y a presque pas d'industries fonctionnant actuellement sous les tropiques qui aient déjà atteint un degré de maturité permettant de leur confier des droits du type des concessions de Colombie britannique. D'autre part, l'unique espoir de survie d'une densité suffisante de forêts dans certains pays tropicaux en face de la pression des revendications de la propriété privée paraît dépendre d'une sorte d'alliance entre les services forestiers et les industriels. La garantie des concessions accordée par les gouvernements, s'étendant même à l'aliénation complète dans des cas appropriés, pourrait se justifier partout où elle peut encourager des investissements rapides.

Droits d'usage en forêt

En conclusion, il faut considérer sommairement un sujet beaucoup plus étroit, le problème des droits d'usage sur les terres, qui est à la frontière entre la loi foncière et le régime des contrats. Les droits d'usage, exercés sur une terre par des personnes n'en revendiquant pas la propriété, ont été un trait caractéristique de beaucoup de régimes fonciers, notamment dans les phases extensives de l'utilisation des terres. Dans certains cas, la charge due à ces droits s'est tellement développée qu'elle empêche l'utilisation économique de la terre. A cet égard, les forêts ont particulièrement souffert.

Si, au cours de l'évolution du régime foncier, il n'est pas possible d'éviter des dispositions au sujet de l'exercice des droits d'usage, le système anglais représente un modèle tout à fait judicieux et cause aussi peu d'inconvénients que n'importe quel autre qui ait jamais été réalisé. La loi anglaise des droits d'usage s'est constituée parallèlement à l'agriculture à assiette permanente, et, au cours de son évolution, s'est soumise à des règles aussi simples que sensées. Le bénéfice d'un droit ne peut pas être détenu par des individus; il doit être attaché à une parcelle de propriété foncière, et la possibilité d'utiliser ce droit est limitée à la personne occupant cette propriété à n'importe quel moment: enfin l'exercice du droit est limité aux besoins de la propriété à laquelle le bénéfice est attaché.

Quand une terre était déclarée forêt de la Couronne dans les premiers temps de l'histoire de l'Angleterre, le droit de parcours fut attaché à des propriétés riveraines occupées à l'époque de la déclaration. Les occupants furent autorisés à faire pâtures dans les forêts autant d'animaux qu'il leur était nécessaire, et le nombre de bêtes de parcours autorisé pour chaque personne fut fixé d'après le cheptel que son exploitation pouvait entretenir en hiver, quand le pâturage était maigre. Des, droits au bois de feu naquirent de la même façon e. furent limités aux besoins domestiques des foyers auxquels ils furent attachés. Le bois de feu ne peut être, vendu, ne peut être utilisé à des besoins non domestiques, et ne peut être revendiqué par le possesseur d'une nouvelle maison. Le résultat de tout ceci est que la charge due aux droits d'usage dont est grevée une terre ne peut jamais être notablement accrue par le seul accroissement de la population.

Au cours des enquêtes sur l'établissement de réserves forestières en pays tropicaux, des efforts consciencieux ont parfois été faits pour appliquer ces règles: par exemple, la phrase «bois de feu pour l'usage domestique, mais non pour la vente» est presque de rigueur dans les arrêtés d'établissement de réserve et dans les textes des ordonnances forestières. Plus souvent, les règles ont été perdues de vue, de sorte que des droits ont été accordés à des particuliers ou à de vagues et fluctuantes communautés comme les habitants d'un village, sans aucune réglementation précisant s'ils sont héréditaires, ou jusqu'à quel point ils peuvent être négociés. Dans l'espace d'une génération, une douzaine de foyers peuvent se mettre à utiliser un droit au bois de feu prévu à l'origine pour un seul, et une douzaine de bergers peuvent être embauchés dans une affaire commerciale bâtie sur un droit accordé initialement à une unique personne pour ses animaux domestiques.

Pendant les phases extensives de l'utilisation des terres, le problème est difficile et aucune solution satisfaisante n'a encore été proposée. L'arbitre est handicapé par l'absence de toute propriété foncière permanente à laquelle il puisse rattacher les droits d'usage forestiers et cela continuera vraisemblablement jusqu'à ce que l'agriculture ait une assiette fixe, et que l'on commence à considérer la terre comme une forme durable de richesse individuelle.


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