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3. LES AIRES RELICTUELLES

(Fidèle RUZIGANDEKWE et Serge Jovam NSENGIMANA, juillet 1997).

3.1. Formations Relictuelles de Montagne de la Crête-Congo-Nil.

Il s’agit de trois lambeaux forestiers difficilement cartographiables à cause de leur petitesse et situés sur la chaîne de la Crête-Congo-Nil : la forêt de Sanza, celle de Busaga et celle de Cyamudongo. Ces deux premières se trouvent en transition entre les massifs forestiers de Mukura et de Gishwati, vers le nord de cette chaîne ; tandis que la dernière est relativement adjacente à la réserve naturelle de Nyungwe vers le sud. Toutes ces entités résultent en effet de la fragmentation à la suite de la pression humaine, d’une même entité forestière qui couvrait jadis toute la chaîne de la Crête-Congo-Nil et qui faisait partie du système des formations afro-montagnardes du Rift Albertin.

Signalons que ces trois derniers massifs forestiers (Gishwati, Mukura et Nyungwe) d’étendues relativement plus importantes, ont le statut juridique de réserves naturelles protégées au même titre que les Parcs Nationaux des Volcans et de l’Akagera, et du Domaine de Chasse du Mutara.

3.1.1. Forêt relictuelle de Sanza.

3.1.1.1. Localisation géographique

Cette petite forêt relictuelle de quelques 20 ha se situe dans la cellule Nyakibali, secteur Ntaganzwa, Commune Kibilira, dans la préfecture de Gisenyi. Elle est perchée sur la colline de Sanza entre 1600 et 1650 m d’altitude et est longée en contrebas par la rivière Satinskyi.

3.1.1.2. Description des Communautés biologiques.

a) La flore.

* L’aspect général de cet écosystème est celui d’une forêt de montagne très fortement dégradée. En effet, toutes formes d’activités humaines y ont pris des dimensions inquiétantes : coupes de bois, pâturages, champs de culture...

Les peuplements se caractérisent comme suit :

* Strate arborescente :

Macaranga neomildraediana : espèce dominante ;

Syzygium parfolium, Pitosporum mildbraedii, Myrica kandtiana, Dodonea viscosa, Polyscias fulva, Hagenia abyssinica, Rhus vulgaris, Albizia gummifera (se trouvant surtout près de la rivière).

Les espèces : Maesa lanceolata, Xymalos monospora, Anona senegalensis témoignent une grande secondarisation de la forêt.

Les essences exotiques introduites : Pinus, Callitris, Grevillea font la ceinture de cette forêt sur une largeur ne dépassait pas 10 m.

Une essence autochtone introduite pour enrichir cette forêt : Podocarpus usambalensis.

* Strate herbacée :

Est dominée par des graminées acidophiles envahissantes telles que : Eragrostis et Mellinis minuta.

b) La faune.

Aucune espèce animale particulière n’y subsiste visiblement, sauf quelques oiseaux communs de la campagne : Columbidae, Hirudinidae, Pycnonotique, Nectarinidae...

3.1.1.3. Intérêt particulier de la forêt de Sanza.

-Essentiellement éducationnel et didactique pour les établissements scolaires environnants.

-Intérêt scientifique aussi, car elle n’a pas encore fait l’objet d’étude écologique fouillée pour décrire toute la diversité biologique qu’elle renferme.

3.1.1.4.Difficultés de conservation.

La petitesse de cette forêt, l’acidification du substrat, la pression de la population en quête de terre de culture et pâturage sont autant d’éléments qui rendent sa conservation aléatoire.

Par ailleurs, la ceinture des essences à résines (Pinus, Callitris) a causé la disparition de l’humus forestier et favorisé l’apparition des graminées acidophiles.

3.1.2. Forêt relictuelle de Busaga.

3.1.2.1. Localisation géographique.

La forêt de Busaga se situe dans la Commune de Nyabikenke, à cheval sur les secteurs Kigina et Gitovu, en préfecture de Gitarama. S’étirant sur une superficie de 151 ha, entre les altitudes de 1900 et 2000 m, elle est limitée au Nord par la rivière Sumo tandis que la chaîne de Ndiza la longe dans sa partie Ouest.

3.1.2.2. Description des Communautés biologiques.

a) La flore.

Regardée de loin, la forêt de Busaga présente un aspect de forêt apparemment dense avec une voûte qui couvre entièrement le sol. Quand on s’en approche cependant, on remarque qu’elle présente deux faciès :

-un faciès hautement dégradé, mais en pleine régénération avec domination des essences : Chrysophilum gorungosanum, Albizia gummifera, Macaranga, Myrianthus ;

-un deuxième faciès se situant tout près de la rivière Sumo, sur des pentes trop escarpées rendant l’accès assez difficile et où dominent des arbres géants :

Chryophilum gorungosanum, Macaranga neomilbraediana, Myrianthus holstii, Xymalos monospora, Tabernamontana johstonii, Dracaena afromontana, Ficus toningii, Ficus oreodryanum, Strombosia schefferi, Croton macrostachys, Albizia gummifera, Polyscias fulva, Neobutonia macrocalyx, Dalbegia lactea, Anona senegalensis, Syzigium parvifolium, Alangium shinense, Bersama ugandensis, Entandrophragma excelsum.

Le sous-bois comporte : Sercostachys scandens, Mimulopsis violacea, Chassalia subochreata, Clutia abyssinica, Psychotria mahonii, Acacia montigena, ...

Vernonia lasiopus formant des fourrés monospécifiques dans des endroits très secondaires.

 

b) La faune.

Il faut signaler qu’aucune étude exhaustive n’a été faite concernant la faune qu’abrite la forêt de Busaga ; cependant, on y rencontre sans grande peine des primates tels que : Cercopithecus mitis, des ongulés tels que : Cephalophus nigrifrons, et des félidés tels que : Felis auratus.

Quant à la faune aviaire, elle n’est pas très abondante, mais la présence des Tauraco y est monnaie courante.

3.1.2.3. Exploitation et pression sur la forêt de Busaga.

La forêt de Busaga était naguère très riche en espèces. Cependant, elle a été systématiquement exploitée, surtout depuis les années 1962 notamment par écrémage des essences de valeur tels que les Symphonia, Strombosia, Newtonia, Entandrophragma, pour la production de planches. Même actuellement, la présence d’une multitude de trous pour scieurs de long et celle d’un grand nombre de sentiers qui la traversent témoignent d’une intense activité humaine toujours en cours. Ainsi, la population riveraine la traverse régulièrement pour ses besoins quotidiens et pour la communication de village à village. Par ailleurs les fourrés monospécifiques formées par l’arbuste Vernonia lasiopus ci-haut décrites témoignent d’une activité de défrichement périodique en ces endroits.

3.1.2.4. Importance spécifique de la forêt de Busaga.

Une sorte de mythe a longtemps circulé autour de la forêt de Busaga : la population riveraine raconte en effet que cette forêt contenait des plantes et animaux fétiches qui, d’une par la protègent depuis longtemps, et d’autre part, étaient recherchés par les rois du Rwanda pour renforcer leur pouvoir et fortifier leurs armées quand ils devaient faire la guerre contre les royaumes étrangers, ou pour s’assurer du bonheur de leur famille. Ce mythe qui confère à cette forêt une importance historique, a contribué aussi sans doute à son maintien.

Par ailleurs, cette relique forestière joue un rôle de château d’eau de la région et la rivière Sumo en est l’exemple. De plus, elle régule le climat régional et protège le sol contre l’érosion d’autant plus qu’elle se trouve dans une région à très forte pente (chaîne de Ndiza).

Enfin, d’accès peu difficile, elle présente un attrait touristique et un intérêt didactique pour les élèves et écoliers des établissements scolaires environnants.

3.1.2.5. Mesures de conservation de la forêt de Busaga.

Avant les événements de 1994, des mesures concernant la conservation de la forêt de Busaga avaient été mises sur pied. C’est dans ce cadre qu’une ceinture d’Eucalyptus, large de 20 m avait été aménagée le long de cette forêt, tandis qu’un système de gardiennage avait été instauré par la Direction Générale des Forêts au Ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et des Forêts (DGF/MINAGRI). Cependant, ce système de gardiennage n’avait jamais été suffisamment efficace si bien que l’exploitation abusive par l’écrémage et la chasse n’a jamais cessé.

Actuellement, le système de gardiennage n’existe plus et le défrichement par la population riveraine à la recherche de nouvelles terres cultivables y a pris libre cours. Considérant l’importance spécifique que revêt cette forêt, l’on ne peut souligner que la nécessité de la protéger et de conserver cette forêt qui était pourtant maintenue à travers des siècles grâce à une préservation basée sur des tabous. Elle mérite en effet une préservation et une revalorisation exemplaires afin de montrer à la population le bien fondé de la conservation des forêts naturelles en se basant sur leur connaissance et intérêt.

3.1.3.1. Localisation géographique.

La forêt naturelle relicte de Cyamudongo se situe dans la Commune de Nyakabuye, en préfecture de Cyangugu. D’une superficie estimée à 300 ha, elle s’étend sur cinq collines et elle est limitée par les secteurs de Kifurwe et Nkungu au Nord et au Nord-Ouest, par Muhanga à l’Ouest, Nyakabuye à l’Est et Kaboza au Sud. Perchée aux altitudes variant entre 1700 et 2140 m sur la colline Cyamudongo qui lui a donné le nom, elle est traversée par la route Muhanga-Nyakabuye.

3.1.3.2. Description des communautés biologiques de la forêt de Cyamudongo.

Cette relicte était reliée il y a relativement peu d’années, à la forêt naturelle de Nyungwe dont elle n’est séparée que par une distance de 10 km à vol d’oiseaux et dont elle garde encore des ressemblances floristiques évidentes. Toutefois, sa situation relative en basse altitude (1700-2140 m) lui confère le statut d’héberger des rares espèces animales (Reptiles, Papillons, etc.) et végétales, les dernières qu’on ne retrouve nulle part dans les forêts du Rift-Albertin.

a) Etat de la flore de Cyamudongo

La flore et la végétation de la forêt de Cyamudongo sont semblables à celles de Nyungwe, mais contiennent beaucoup d’espèces endémiques et des espèces rares.

Des essences : Chrysophilum gorungosanum, Croton macrostachys, Newtonia buchananii, Entandrophragma excelsum, Symphonia globulifera, Carapa grandiflora et Prunus africana dominent la voûte entre 30 et 40 m.

Une sapotacae Bequaertiodendron natalense a été pour la première fois récoltée au Rwanda dans cette forêt (Dowsett-Lemaire, 1990) en janvier 1990. De même, deux espèces de plantes rares : Thoningia sanguinea et Harveya alba y ont été retrouvées au cours de la même année par des chercheurs allemands H. HINKEL et E. FICHER de l’Université de MAYENCE.

Sur les crêtes et les flancs rocailleux de la colline Rwanzovu (ou Rwanyanzovu), au bas duquel coule une rivière portant le même nom, une formation dominée par Dichaetathera corymbosa et Hagenia abyssinica donne le ton.

Dans les bas-fonds, Albizia gummifera, étale ses cimes en étage. La forêt est relativement fermée avec peu de clairières.

Le sous-bois est constitué de beaucoup d’herbes. La liane Sercostachys scandens qui étouffe les jeunes plants y est cependant peu représentée, de même que l’acidiphyte Pteridium acquilinum. Le sol est favorable à la régénération, et il y a une forte secondarisation suite à l’écrémage très poussé de certaines essences de valeur. Ainsi, la présence des essences telles que : Neoboutonia macrocalyx, Bersama abyssinica, Myrianthus holstii, Clerodendron johnstonii, Clausena anisata, Discopodium penninervium caractérise cette secondarisation, où Polyscias fulva, bat le plein.

De nombreuses lianes telles que : Acacia montigena, Adenia bequaertii, Agelae heterophylla, Embelia lieniana, Gournia longispicata, Hippocreata goetzinii, Urera hypselodendrum, Leptoderis harmisiana enlacent les grands arbres.

La strate herbacée est riche en herbe : Tumbergia mildbraediana, Pseuderanthemum ludovicianum, Thalyctrum rhynchocarpum, etc., méritent d’être citées à cause de leur rareté.

Rhipsalis baccifer, une cactacée épiphyte sur Newtonia, rappelle les Guis d’Europe.

E tout, 45 espèces de grands arbres, 27 espèces d’arbustes dont : Piper umbellatum (endémique de la région) et 15 lianes dont : Strychmos lucens qui est également endémique à cette région.

b) Etat de la faune de Cyamudongo

Des enquêtes auprès de la population riveraine et des recherches de différents chercheurs ont révélé l’existence des animaux ci-après :

Primates :

Papio anubis, Pan troglodytes, Cercopithecus l’hoesti, C. ascanius, C. aethiops, C. mitis, Cercocebus albigena ;

Rodentia :

Funisciurus boehmii, Dendromus sp., Lophuromis sp. ;

Carnivora :

Felis aurata, Felis sylvestris, Genetta sp., Canis adustus, Helpestes ichneumon.

L’avifaune y est présente, mais considérablement appauvrie (Dowsett,-L. 1990) par rapport à la forêt de Nyungwe. Cependant, la forêt de Cyamudongo héberge encore quelques espèces disparues de la forêt de Nyungwe dont : Musophaga rossae qui reste commune dans cette forêt à 2000 m d’altitude. De plus, l’épervier de forêt : Accipiter erythropus a été récemment retrouvé là et n’habite que cette forêt au Rwanda.

Le recensement des papillons réalisé par des chercheurs A. et N. Monfort et R.J. Dowsett, 1990, a abouti au constat suivant :

Sur 74 espèces retrouvées dans la forêt de Cyamudongo, 23 existent seulement dans ladite forêt et ne se retrouvent nulle part ailleurs au Rwanda. Plus de la moitié des espèces sont endémiques aux montagnes du Rift Albertin ; 2 espèces de papillons sont connues seulement pour Cyamudongo : Euriphene butleri, Euphraedra margueritae, de même que l’espèce Kumothales inexpectata qui est endémique à cette forêt.

Concernant les reptiles et les amphibiens, les recherches de Harald HINKEL de l’Université de MAYENCE/Allemagne, ont permis de dénombrer 46 espèces d’amphibiens et de r eptiles, on trouve : une espèce de tortues aquatiques, 16 espèces de lézards dont 2 geckos, 1 agame, 5 caméléons, 2 lacertides, 6 sciucidées ; 19 espèces de serpents parmi lesquelles 10 sont vénéneuses dont 3 mortelles : Dendroaspis (Mamba vert) ; Naja et la vipère heurtante Bitis.

3.1.3.3. Importance de la forêt de Cyamudongo.

La forêt de Cyamudongo revêt une importance multiple : environnementale, socio-économique, scientifique... En effet, cette relique forestière joue un rôle de château d’eau de la région et régule le climat régional tout en protégeant le sol contre l’érosion.

Ensuite, considérant le nombre élevé des espèces endémiques et rares, cette sylve est d’un intérêt supérieur pour les sciences biologiques. De plus, plusieurs autres espèces restent à être découvertes ainsi que leurs potentialités pour des recherches médicinales et autre... Elle est aussi une réserve d’essence de reboisement et d’intérêt économique divers.

Enfin, d’accès peu difficile, elle présente un attrait touristique et didactique incontestable pour l’observation de ces espèces rares au monde. De plus, cette forêt a une importance historique dans ce sens qu’elle a servi de champs de bataille durant la première guerre mondiale.

On rapporte que des cavernes y avaient été aménagées par des militaires allemands et Rwandais qui se battaient contre les Belges de Congo au commencement de cette guerre. Ces cavernes font part des sites touristiques intéressants qu’abrite cette forêt.

3.1.3.4. Effort de conservation de la forêt de Cyamudongo.

Des mesures concernant la protection et la conservation de la forêt de Cyamudongo avaient été promulguées par la D.G.F. qui en avait fait une réserve forestière et l’avait soumise à un système de gardiennage. Par ailleurs, une ceinture-tampon de protection constituée d'essences exotiques : Pins, Cyprès dans la partie Nord et Sud de la forêt avait été aménagée.

Cependant, l’inefficacité de cette protection s’est traduite par l’abondance des arbres coupés et le défrichement considérable en lisière. D’autres activités humaines y sont toujours en cours et menacent dangereusement le maintien de cette relique dont la survie est néanmoins en relation avec les espèces animales qui y existent encore : récolte des plantes comestibles, écrémage des essences de valeur, pâturages, braconnages des animaux et apiculture, fouilles régulières en quêtes des richesses d’or cachées par les Allemands, dit-on, etc.

Il s’avère donc urgent de reconsidérer ces mesures de conservation et de protection pour arrêter toutes ces déprédations auxquelles cette relique forestière est soumise ainsi que celles d’aménagement pour une utilisation rationnelle.

 

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